Entretien avec un vampire - pv arkan

S'il me croque, c'est que c'est un crocodile. Sinon, c'est un morceau de bois.

Quiconque connaîtrait le mode de pensée d'Alexandra Lysander s'étonnerait qu'elle soit encore en vie à vingt-et un ans. Assise sur un ponton de bois vieillot et pourri, la jeune fille se contrefoutait bien que ce soit le meilleur moyen de salir assurément sa jolie robe blanche. Elle s'en foutait autant que de savoir pourquoi toutes les femmes sont folles de Hugh Jackman, du Superbowl, de la controverse sur les lèvres botoxées ou non de Megan Fox, de savoir si Peter Pan porte un slip sous son collant vert. Quoi que non. Cette dernière question l'a toujours intriguée. Et voilà que ses pieds nus qu'elle agite dans la sombre étendue d'eau pour attirer à elle Tick-Tock son ami le croco retombent dans le lac, perlant de dernières éclaboussures ses jambes bronzées. Le morceau de bois heurte mollement ses jambes. Ce ne serait pas aujourd'hui qu'elle finirait unijambiste. Tant mieux me direz-vous, mais elle n'y pensait déjà plus. Sa capacité de concentration était assimilable à celle d'une petite cuillère d'argent. C'est-à-dire inexistante.

Du crocodile aux sous-vêtements de Peter Pan, son esprit voguait déjà vers son sujet de pensée favori tandis que par inadvertance, son regard s'était égaré sur le reflet de la pleine lune dans le miroir du lac. La magie. Croiserait-elle ce soir un loup-garou ? Un croque-mitaine ? Un rassemblement de druides aux allures de Panoramix ? Son cœur bondit d'enthousiasme dans sa poitrine. A quelques pas d'elle, une branche venait de craquer avec douceur sous le pied de quelque promeneur égaré. Elle tourna doucement son visage vers l'étranger et poussa un profond soupir ennuyé à la vue de son teint aussi pâle que la lune : « Oh non... encore un vampire, c'est d'un banal. »

Et aussitôt, son regard retrouva la sombre surface plane s'étendant à ses pieds. D'un « bonsoir », elle agrémenta tout de même sa phrase sur le ton d'un gosse qui accueille sa vieille tante radine puant le cachou sur le seuil de sa porte. C'était tout de même là, la moindre des politesses. Lexie semblait d'avantage s'amuser de lever avec douceur ses pieds en observant l'eau glisser le long de ses chevilles avant des les enfouir aussitôt dans l'eau, les observant avec curiosité disparaître dans la noirceur des profondeurs.

Elle avait appris à reconnaître les vampires en un coup d'œil depuis qu'elle travaillait au Fangtasia. La pâleur. Le charisme. C'était surtout à leurs yeux où ne brillait nulle vie qu'elle les identifiait. De plus, pour se promener à minuit passé dans les bois de Shreveport, il faut soit être une créature de l'ombre, soit suicidaire. A quelle catégorie appartenait-elle ? Sans doute un peu les deux... Une douce folie avait toujours coulé dans ses veines depuis sa naissance. Preuve en était que l'idée d'avoir une chance sur deux que les secondes s'écoulant en cet instant puissent être ses dernières tandis qu'elle se ferait vider de la dernière goutte de son sang ne lui avait pas traversé l'esprit. Et pourquoi donc ? Eh bien que diable, elle avait été polie ! Lui-même pourrait bien être assez courtois pour la saluer avant de se permettre de planter ses crocs dans sa gorge, non ? C'était pour elle d'une logique ! Un plan aussi bon et abouti que celui qui lui sert à reconnaître les crocodiles des branchages une nuit de pleine lune.

Les bois, pas le meilleur endroit pour chasser, mais sans contester le meilleur pour retrouver un peu de tranquillité. Pour Arkan, qui a toujours eu pour coutume de vivre en solitaire, la révélation de l’existence des vampires au monde entier a eu des dommages collatéraux considérables sur sa vie. Désormais, c’est encore plus de règles, encore plus de hiérarchie, encore plus d’hypocrites qui usent et abusent de leur pouvoir. Peut être est-ce du à son jeune âge vampirique, mais il n’a toujours pas compris l’intérêt de se révéler aux yeux des humains. C’était très bien de vivre dans l’ombre, de se nourrir à volonté et sans interdiction, puis d’effacer les souvenirs de ses proies comme si rien ne s’était passé. C’était la belle vie. Maintenant, il y a ce Tru Blood infecte, censé reproduire le sang humain, mais qui en est à mille lieux de rassembler sa subtilité. Même si c’est vivement proscrit –officiellement du moins- rien ne vaut d’aller se nourrir à la source. Sentir ses crocs percer la chair, et laisser le sang chaud gicler au fond de sa gorge. Le paradis. Rien que d’y penser, ça lui donnait l’eau à la bouche. Au moins maintenant, il connait la suite de son programme nocturne.

Et comme par magie, son vœu fut exaucé. Alors que la faim commençait à le tirailler, il sentit la présence d’un humain. ~~Jour~~ soir de chance ! Arkan s’approcha doucement, comme pour savourer ce cours moment de chasse avant le moment fatidique. Peu importe de qui il s’agit, il va surement regretter d’avoir été assez stupide pour venir se balader ici en pleine nuit. Non mais franchement, avec toutes les créatures surnaturelles qui trainent dans le coin la nuit, faut vraiment être attardé mentalement pour se pointer ici, tout seul. Mais il va pas se plaindre, ça lui permettra de faire les choses calmement, sans précipitation, et ainsi d’éviter les ennuis avec ses supérieurs. Supérieurs, berk, rien que penser à ce mot le fit grimacer. Je t’en foutrais des supérieurs ! Mon cul !

Alors qu’il se rapprochait toujours plus, une branche craqua sous sa chaussure, alertant ainsi sa future victime de sa présence. Il se préparait déjà à lui courir après, mais étonnement, l’inconnu, qui était clairement une femme, ne bougea pas d’un poil. Et alla même à se montrer rassurée et polie envers lui. Ok, elle est encore plus tarée qu’il se l’était imaginé. Et elle payera pour son insolence. Il n’a pas l’habitude qu’on s’adresse à lui avec un ton aussi familier. Hors de question de laisser passer ça. Un humain qui se permet de se mettre au même niveau que lui, et puis quoi encore ! Il fit jaillir ses crocs, toujours accompagné d’un léger bruit ressemblant à un craquement, et se mit à la hauteur de la jeune femme à une vitesse vampirique. Il s’abaissa, la saisit par le cou, et alors qu’il se relevait, il souleva par la même occasion sa victime du sol. Toujours son cou emprisonné dans sa main puissante, les crocs bien en évidence, il finit par lui répondre : « Vampire peut être, mais t’es pas tombé sur celui qu’il fallait. »

Son regard s’attarda sur les pieds de sa proie se débattant dans le vide. C’était un spectacle jouissif. Avoir au creux de sa main une vie humaine. Et alors qu’il allait finalement laisser libre court à sa pulsion, un reflet de la lune vint éclairer le visage de la jeune fille. Et son visage qui était jusqu’à présent marqué par la rage et la faim, changea d’expression en une fraction de seconde. Le choc fut si violent qu’il lâcha prise la jolie blonde, la laissant s’écraser brutalement contre le sol. Il la connait. Du moins, il a l’impression de la connaitre. Ce visage, il en a déjà vu un semblable dans sa vie passé. Dans sa vie … humaine. Il rétracta ses crocs, et reprit le contrôle de lui-même. Un vampire qui perd son sang froid, manquerait plus que ça. Il ajusta correctement le col de sa veste en cuir, et lui demanda le plus calmement du monde : « Qui es-tu ? » Ou comment passer du coq à l'âne. Ou du je vais te tuer à comment tu t'appelles.

Sa bêtise ne la perdrait pas. Mais sa bêtise liée à son optimisme ? Assurément. Une chance sur deux que le vampire ne soit pas agressif... hum... mauvais calcul. Elle l'avait pourtant accueilli comme un ami. Mais la seule réponse qu'elle perçut fut un bruit qui lui était devenu familier. Celui de deux belles canines sorties. « Han ... » souffla-t-elle et avant même d'avoir eu le temps d'esquisser un geste, elle sentit une froide et dure étreinte contre sa nuque. Son cœur battait la chamade. Certes, elle n'était pas maligne mais tout de même, elle n'avait pas encore atteint le point de non-retour de Bella Swan et sa réaction naturelle n'était évidemment pas de vouloir rouler une grosse pelle à son agresseur. Et certainement futur meurtrier. Oh que non, elle paniquait !

Ses pieds ballotant mollement dans le vide, la respiration coupée par la pression de ce gant de fer... elle observa brièvement le reflet de son visage congestionné dans les pupilles du vampire et plutôt que de crier, elle pouffa nerveusement de rire. Dieu du ciel ! Une image de 'Chicken Run' venait de lui traverser l'esprit. Le souffle haletant... la parole rendu difficile par une semi-strangulation... elle parvint tout de même à articuler : « Je... ress... embl-emble... à un... pou... let ». Le bout de ses orteils vint frôler le jean du vampire et elle réalisa soudainement la stupidité de cette réaction humaine qui consistait à agiter les pieds dans le vide quand elle pouvait le ceinturer de ses jambes. Pour mener où ? Hum... nulle part. Mais ne serait-ce pas plus digne comme mort ? Bam ! Elle retomba sur le sol comme un sac à patates et porta instinctivement une main à sa gorge en reprenant une longue inspiration : « Dieu du ciel ! J'ai eu peur ! Mon dernier mot aurait pu être poulet » … et elle rit toute seule, silencieusement, son corps agité de simples sursauts tandis qu'elle reprenait son souffle et levait vers lui des yeux brillant d'un début de larmes, réaction physique autant du à sa brève hilarité qu'à une presque-mort.

Ses jambes étaient cotonneuses, son cœur sautait dans tous les sens dans sa poitrine telle une bille lancée à grande vitesse dans un flipper. Un peu plus et elle se serait sans doute fait pipi dessus. Autant de réactions humaines et physiques. Mais son esprit semblait complétement déconnecté comme s'il planait au-dessus de là, à quelques kilomètres au-dessus de leur tête, dans les nuages. Il lui avait insufflé avec ceci une forte poussée d'adrénaline qu'elle n'avait jusque là ressentie qu'en présence de son maître. Vampire également. Quelle race susceptible !

Encore incapable de se lever, elle tenta de reprendre une respiration plus calme. Grandes inspirations. Profondes expirations. Comme au yoga. Mais ce n'était pas si évident. Et fermant ses beaux yeux verts, elle glissa sa main contre son sein, pour sentir contre sa paume son cœur. Elle ne tentait ni plus ni moins de se calmer. Il pouvait bien l'excuser de ne pas répondre du tac-au-tac après pareille frayeur. C'était de sa faute après tout, s'il avait simplement commencé par lui demander son nom, ils n'en seraient pas là. Car oui, Lexie n'imaginait pas une seule seconde qu'elle ait pu être épargnée grâce à son visage d'ange qui ravivait en lui quelque souvenir enfoui dans la poussière. Elle ne le voyait que comme un garçon un peu rude. Elle lui demanda d'ailleurs innocemment, oubliant finalement bien vite sa question : « Dis, t'as déjà tué des humains ? » … elle se demandait bien ce que pouvait être leur dernier mot à eux. Peut-être aurait-elle ainsi l'air moins cruche le jour de sa vraie mort. Elle s'y préparait comme on peut se préparer à un oral le jour d'un grand concours.

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