Piétiner était un euphémisme. Depuis des jours, Eric ratissait les ouvrages de sa connaissance qui auraient pu l’éclairer sur la condition bien particulière d’Eden et rien. Absolument rien. Quoi qu’elle fût, ça ne faisait pas partie des espèces magiques fréquentes de cette bon dieu de planète. Il allait forcément devoir étendre ses recherches, peut-être même devoir se déplacer, mais pour le moment il ne le pouvait pas. Eric n’était pas du genre à laisser le fort inoccupé et encore moins lorsqu’il avait des problèmes sur les bras comme ce maudit trafic qui n’en finissait plus de lui pourrir l’existence. Il avait quelques suspects d’enchaînés sous ses pieds, à la cave du bar, mais les interrogatoires menés ne disaient pas grand-chose. Le Vi venait de l’ami d’un ami, ce genre de conneries. L’hypnose n’avait pas menée à quoi que ce soit de réellement intéressant non plus. En gros, une énorme perte de temps qui commençait de plus en plus à agacer le viking. On ne se jouait pas de lui ainsi bien longtemps. Quiconque se croyait suffisamment malin pour lui filer entre les doigts allait le regretter amèrement le jour où il tomberait dans les filets du shérif.

Quittant donc son bureau pour s’aérer l’esprit une fois de plus après quelques heures à fouiller de vieux manuscrits qui soufflaient tous la même chose à Eric – à savoir : aucune idée de ce que peut bien être ta barmaid mon grand – le blond opta pour un petit encas afin de chasser un peu cette frustration relative au manque d’avancement significatif. Qu’est-ce qu’il lui arrivait ces temps-ci? C’était l’année du non accomplissement complet? Pourquoi chacune de ses entreprises faisait un tel surplace consternant et détestable?
Peu importe, vider une pauvre fille d’un peu de son sang lui fit un grand bien. Son agressivité mordante et décuplée par la frustration se calma un peu et se caler dans son fauteuil pour observer le spectacle minable d’humains s’offrant corps et âme au premier vampire qui passait acheva de le contenter dans sa maigre méditation. Au moins, les choses autour de lui restaient du pareil au même…

Ou pas. Avant même que ses yeux bleus ne croisent le visage de cette damnée barmaid, Eric avait senti qu’elle était là. Sa douce odeur sucrée. Cet intérêt subit de poser le regard dans une direction particulière sans la moindre raison apparente. Dès l’instant où il la vit, il se dit qu’elle avait enfin retrouvé la raison. Il lui avait demandé d’être son humaine et elle avait refusé. Il avait demandé! Et elle avait refusé. Sur le coup, le vampire avait été tellement surpris et choqué qu’il n’avait rien dit, mais à charge de revanche… personne ne disait non au grand viking. Un instant plus tard, il constat que plusieurs de ses congères présents ce soir l’observaient également. Comme si elle était le nouveau truc à la mode, la chose qu’il fallait absolument essayer.

Chanceuse dans sa malchance? Sans doute oui. Ici, elle avait Eric pour la couver du regard et s’assurer qu’aucun idiot ne décide profaner son bien. Certes, ça signifiait que le grand blond en avait fait sa propriété privée malgré la réponse négative qu’il avait obtenue, mais c’était bien pour ça que nous avions utilisé le terme « chanceuse dans sa malchance ». Constatant d’ailleurs que la population vampirique de son bar commençait à un peu trop regarder la brune avec insistance, Eric dut faire face à deux faits. Le premier, il n’était définitivement pas le seul à être sous le charme mystique de la jeune femme, ce qui, en un sens, était plutôt rassurant pour le blond. Le second, avant même de le réaliser complètement il se retrouvait devant la brune, ayant traversé la salle en une fraction de seconde. Résultat? Eden buta contre son l’imposant nordique qui penchait la tête sur elle, une totale absence d’émotion sur le visage. Oui, malgré tout, il arrivait à parfaitement canaliser ses émotions – parce que oui contre toute attente, il en a! Pas beaucoup mais il en a – il y avait donc espoir mes amis!

▬ Qu’est-ce que tu fais ici?

N’était-ce pas lui qui lui avait dit de venir au Fangtasia si elle avait besoin de lui? En effet, mais Eric restait Eric. Se faire demander un coup de main était tellement plus valorisant que de proposer son aide comme un bon chienchien bien dressé. Non, le shérif du district cinq se tenait beaucoup trop en estime pour s’aplatir vaguement devant une humaine, aussi attirante et mystérieuse était-elle. Ce genre de vampire, le viking les avait en horreur, alors plutôt subir la grande mort que de devenir l’un de ces pathétiques suceurs de sang.

▬ Tu es venue accepter mon offre?

Même si ce n’était le cas, une petite voix en nous lui proposait fortement de se donner officiellement le titre d’humaine d’Eric. Ne serait-ce que pour réfréner les crocs bavant qui commençaient à s’accumuler autour d’eux. Certes, la présence du géant du nord ralentissait un peu les choses, mais, tôt ou tard, il y aurait forcément un imbécile pour lui sauter dessus sous prétexte qu’elle n’appartenait à personne. Tous les vampires n’avaient pas la retenue légendaire du shérif.

La tension était… palpable. C’était le moins qu’on puisse dire. Le blond et la brune ne s’étaient pas encore dit un mot qu’il y avait comme un petit quelque chose dans l’air. Un petit quelque chose de complètement indéfinissable, à l’image de la barmaid qui avait visiblement un pouvoir d’attraction qui dépassait de loin le viking. Les autres vampires n’avaient pas tardé à la regarder avec cette même insistance que lui-même avait eue lors de leur première rencontre. Et c’était exactement pour cette raison qu’Eric n’en avait parlé à personne. Il ne voulait pas que cette particularité soit connue de ses confrères suceurs de sang. À n’écouter que lui, Eden serait déjà enfermée quelque part, dans un endroit que lui seul connaissait et où lui seul avait accès. Son trésor, son secret, ainsi dévoilé aux gens de sa race, il n’appréciait définitivement pas ça et sans doute que cette impression expliquait le ton froid utilisé par le géant du nord au moment de poser sa question. Ou pas en fait, puisqu’il avait relativement le même ton en tout temps!

Malgré cela, la façon qu’Eden eut de lui répondre le fit sourire de ce petit sourire en coin qui ne dévoile que trop peu de choses. Celui qui vous fait vous demander : est-ce qu’il est réellement amusé ou il se moque simplement de moi? Ici, il faut bien admettre que le sourire du viking cachait un peu des deux. Il appréciait le caractère de la jeune femme – surtout après ce dont elle avait été témoin au bord du lac – autant qu’il se moquait de ses vaines tentatives de se donner contenance. Inutile de faire autant d’efforts trésor, c’était le quotidien du vampire que de faire perdre contenance à tous ceux qui l’entourent.

▬ Parce que tu penses que je vais avaler que t’es venue ici juste pour boire?

Loin d’être dupe le Eric. Une qualité qui devenait vite le pire fardeau des gens qui le côtoyaient. Mais bon, en même temps, ils sentaient rapidement qu’il était préférable de ne pas jouer avec lui et les moins courageux baissaient vite les armes. Eden, quant à elle, semblait être une battante et c’était loin de déplaire au grand blond. Peut-être même que sans cet attrait très spécial qu’il n’arrivait toujours pas à définir, il l’aurait trouvée intéressante au bout du compte. Assurément moins, c’est évident, mais intéressante quand même. Car il faut bien le dire, ce n’est pas tous les jours qu’on vient reprocher à Eric – et dans sa propre demeure s’il vous plait – d’avoir été traumatisant. Certes, démembrer de ses mains six cadavres d’hommes qui avaient cherché à le défier, ce n’était pas forcément la chose la plus sympathique pour débuter une relation interpersonnelle, mais que le suicidaire dans cette salle ose aller donner des cours de bonnes manières au géant du nord! Comme nous savons que personne n’est suffisamment bête pour ça – sauf peut-être un certain ivrogne à l’accent de dious de notre connaissance – nous nous contenterons simplement d’un haussement d’épaules de la part d’Eric.

▬ J’ai fait bien pire par le passé, tu devrais pas t’arrêter sur si peu.

Ça avait le mérite d’être franc, c’est certain, mais niveau on se la joue rassurant, il y avait quelques petites tares auxquelles il faudrait penser à remédier. Cependant, à la défense du shérif, nous dirons que personne n’est parfait. Ok, ça faisait psychopathe et un peu trop sanglant pour une conversation de salon, mais il faut savoir dédramatiser dans la vie… non? Bon tant pis. De toute manière, Eric avait déjà sauté à l’étape suivante, à savoir, revenir à la charge sur son offre d’appartenance. Contrairement à nous, la pauvre barmaid n’avait pas su lire entre les lignes. Une douzaine de vampires avec l’écume à la bouche ne semblait pas être un élément suffisamment percutant pour lui faire comprendre que c’était tout dans son intérêt que d’accepter la requête du viking. Un détail que le géant se permit de ne pas évoquer tout de suite. Sachez jeunes padawans qu’un maître manipulateur s’arrangeait toujours pour garder ses meilleures cartes dans sa manche et non les poser sur la table dès la première ronde. Il prévoyait donc un tour de fourbe pour faire d’Eden son humaine attitrée? Et pourquoi pas! C’est qu’en mille ans et des poussières, il avait appris un tour ou deux sur la manipulation de l’être humain.

Alors en clair, nous pouvons dire que ce second refus n’était pas aussi mal accueilli que le premier. Dans ce repère de vampires qui n’attendaient qu’un petit signe pour se jeter sur elle et assouvir la soif irrésistible – ou du moins pour la plupart, Eric était de ceux qui se contrôlaient parfaitement – qu’ils ressentaient, elle allait forcément changer d’idée dans deux minutes. Envoyer Eric balader pour qu’il se trouve une conquête sur le fameux Meetic n’était qu’une perte de temps qui ne dérangeait aucunement le blond. Il était immortel non? Il avait donc tout son temps devant lui.

▬ Je n’ai aucune envie d’un autre jouet.

Les femmes. À la longue, elles étaient toutes du pareil au même à ses yeux. Eden était la première qui lui suscitait autant d’intérêt et de réactions. C’était à la fois stimulant et peu agréable. Il fallait s’y attendre, le géant des steppes n’était pas le plus enclin des vampires face à la perte de contrôle.

Le sourire contenté du vampire revint à la charge lorsque la brune lui fit mention des suceurs de sang qui les entouraient. Oh, alors maintenant, elle le remarquait. Bien, il y avait un début à tout. C’était donc à ce moment là que le viking pouvait mettre son plan diabolique à exécution. Adoptant une mine plutôt débonnaire digne du plus grand des adeptes du « je m’en foutisme » le plus complet, il donnait réellement l’impression de ne pouvoir strictement rien y faire.

▬ Tu sais ici les vampires sont plutôt gourmands. Quand une jolie fille comme toi se pointe sans être accompagnée de son maître, ils s’imaginent tout de suite tout un tas de trucs.

Un véritable monstre de mesquinerie et de manipulation, voilà ce qui pouvait parfaitement bien résumé le Eric devant lequel se trouvait la pauvre barmaid à cet instant. Son objectif étant très loin de la subtilité, il va sans dire qu’il arborait une petite étincelle de satisfaction. Elle ne pouvait que lui manger dans la main. Tôt ou tard, elle serait au pied du mur, avec pour seule option que d’accepter de devenir sienne, ne serait-ce que pour éviter de terminer en plat de résistance!

▬ Et comme je n’ai aucun droit sur toi…

Bha vas-y, enfonce un peu plus le clou!

C’était exactement ça l’idée. S’accoudant au bar en gardant son air totalement détaché, le géant blond se hissa sur un tabouret, fin prêt à observer comment la scène allait se dérouler. Évidemment, il n’allait pas la laisser se faire saigner à blanc devant ses yeux sans rien faire, mais la peur était un élément non négligeable au bon déroulement de son entreprise.

Si Eric était fourbe? Eh bien, tout à fait entre nous, nous sommes à peu près certain que si un manuel sur le sujet existe, c’est probablement le viking qui en est l’auteur! Nous avons même une théorie selon laquelle ce serait lui l’inventeur de ce terme. Alors oui, Eric était fourbe et il était même un maître dans l’art ancestral qu’était la fourberie. Le choix de chaque mot, de la situation, de ce qui les entourait. Tout était soigneusement calculé, mesuré et pesé afin d’atteindre l’objectif suprême. Eden allait être son humaine. Qu’elle le veuille ou non, là n’était aucunement la question. Eric l’avait commandé. Eric allait l’obtenir. Point barre. Il n’y avait rien que la barmaid ne pouvait faire pour changer ça. De toute manière, nous sommes bien dans l’obligation de dire qu’il vaut mieux pour elle d’être l’humaine d’Eric que de continuer à évoluer toute seule dans le Fangtasia.

C’était d’ailleurs le point que les congénères du viking étaient en train d’exposer aussi gracieusement à la belle demoiselle. Dès qu’Eric s’installa au comptoir, dès qu’Eden tourna les talons pour s’en aller, certains vampires saisirent leur chance sans tarder. Ils ne s’étaient pas approchés par simple respect de la hiérarchie, mais avec un autre vampire qu’Eric, probable même qu’ils se seraient manifestés encore plus tôt.
Le spectacle offert était d’ailleurs magnifique. La pauvre Eden. Si elle pensait que quelques mots d’esprits suffiraient à retenir ces jeunes complètement soumis à leur instinct primal, elle faisait une grave erreur qui lui couterait probablement la vie. Lorsqu’elle fut tirée de la joute verbale que se livrait deux suceurs de sang pour atterrir à la table d’un troisième, Eric ne put retenir un sourire alors qu’elle levait les yeux vers lui. Alors maintenant, elle appelait au secours? Bon, pas proprement dit, mais ses yeux parlaient très bien pour elle à cet instant.
C’était pile poil ici que résidait toute la fourberie du viking. Alors qu’elle venait chercher de l’aide auprès de lui, il ne bougea pas d’un pouce, élargissant simplement son sourire un peu plus l’air de dire : « je ne peux rien faire pour toi. » Ce qui était complètement faux, évidemment, mais comme nous l’avons déjà mentionné, Eric se plait à être désiré. Puis, c’était une façon comme une autre de faire la leçon à cette gamine. La prochaine fois qu’il lui proposerait gentiment un truc, peut-être qu’elle y réfléchira à deux fois avant de refuser!

Et quand le vampire sortit les crocs? Non, Eric ne remua pas un cil. Il ne perdait pas une miette de la scène, prêt à intervenir à tout moment, certes, mais le moment n’était pas encore opportun. Le moment le devint à la seconde où Eden affirma haut et fort être l’humaine d’Eric. Plusieurs vampires tournèrent leur regard en direction du viking qui n’avait toujours pas bougé et le vampire visiblement têtu bouffa de rire après avoir lui aussi jeté un œil à son shérif.

▬ Bien vu, tu sais les choisir, mais un seul problème trésor. Eric n’a pas d’humaine.

Ce qui, dans un sens, était vrai. Eric ne possédait pas d’humain ou du moins pas à proprement parlé. Ses employés étaient sa propriété, tous les vampires fréquentant le Fangtasia savaient qu’il ne fallait pas jouer outre mesure avec les humains qui travaillent pour le shérif, mais hormis ce détail, non, Eric ne s’était pas approprié d’humain depuis des centaines d’années. C’était le genre de trucs que faisaient les vampires faibles qui osaient admettre leur attachement émotionnel à un humain. Eric n’était évidemment pas de cette race là. Ce vampire le savait, ce pourquoi il tendit les crocs vers le cou gracile de sa victime sans plus s’attarder sur la déclaration qu’elle venait de faire.

Ce fut à ce moment là que le viking se décida à intervenir. En un simple clignement d’œil, il se trouvait entre Eden et son assaillant, le tenant fermement par le cou, plantant ses yeux meurtriers dans les siens. Le grand blond n’avait pas sorti les crocs. Il n’avait pas besoin de ça pour démontrer sa supériorité ou rien que pour le principe d’être effrayant. Les yeux y arrivaient très bien tous seuls.

▬ Fais-toi une fleur et prend bien note de ce que la dame vient de dire. Je m’en voudrais de devoir déranger le magistrat juste parce qu’un idiot dans ton genre n’a pas respecter l’humain de son shérif.

Des termes hiérarchiques que la barmaid ne comprendrait probablement pas, mais l’idée n’était pas de se faire comprendre par elle, mais bien par le crétin de vampire ainsi que tous ses semblables qui étaient en train d’observer la scène. Ce devait bien être la première fois depuis que le Fangtasia était ouvert qu’Eric se donnait la peine de défendre une humaine – en fait ça remontait à bien avant ça, mais ces vampires ne pouvaient pas juger jusque là. Ce fait expliquait donc facilement pourquoi on pouvait lire autant de stupéfaction sur les visages.
Relâchant sa poigne, le viking se redressa lentement, tendant cette même main utilisée à Eden, l’incitant silencieusement à se lever et le suivre jusqu’à son bureau dans l’arrière boutique. Ce ne fut que lorsque la porte se referma que les activités reprirent dans le bar. Certes, ça murmurait de toute part à propos de cette humaine et d’Eric, mais à quoi bon s’en faire avec les ragots. Dans une heure, toute l’histoire serait complètement déformée de toute façon.

Dans le bureau, Eric n’accorda aucune attention aux manuscrits étalés sur sa table de travail, preuve que malgré le manque d’avancement dans ses recherches, il les effectuait. Le géant du nord s’assit plutôt dans son fauteuil en cuir, ouvrant un tiroir avec désinvolture. Il en sortit une carte de crédit – de cette magnifique couleur or qui faisait rêver toutes les adolescentes du monde – pour la tendre dans ce même enthousiasme débonnaire vers la brune.

▬ T’iras faire les boutiques. Mon humaine ne se balade pas en fringues bon marchés.

Ni en voiture sur le point de tomber en miette, mais ça aussi, Eric y veillerait en temps voulu. Pour le moment, la phase deux de son plan de grand fourbe avait commencé. Une fille comme elle n’allait certainement pas accepter ça avec un grand sourire comme si c’était tout naturel et complètement dû. Qu’elle se sente en dette envers lui? Qu’elle lui propose n’importe quoi en échange, c’était ça le plan? Plus ou moins, en effet. Demander un appui, jamais Eric ne faisait ça. Il s’arrangeait plutôt pour qu’on lui offre ce dont il avait besoin, ainsi c’était lui, et lui seul, qui avait la main mise sur ce qui se passait.

Avec un tel don pour manipuler son entourage et prévoir ce qui allait se passer, sans doute qu’Eric avait été parmi ceux qui avaient vu les signes du crash boursier en 29. Probable oui, mais n’allons pas enquiquiner le viking pour un détail aussi superflu. Le fait qu’il ait su conserver sa fortune dans l’un des pires moments économiques mondial n’était pas à l’ordre du jour, hélas pour les adeptes de ce genre de choses. Mais peu importe, le propos n’était pas ici, mais plutôt dans le fait que, une fois de plus, le géant du nord avait obtenu ce qu’il voulait et avec mention. Bien sûr, ici vous vous demandez probablement si dans un refus catégorique de céder de la part d’Eden, l’aurait-il laissée se faire mordre? Eh bien, loin de nous de postuler pour le prix du vampire le plus sans cœur – de toute manière ça ne fait aucun doute qu’Eric est le grand gagnant à chaque année x_x – mais probable que oui… Le blond l’aurait laissée se faire saigner. Dans un sens, ça lui aurait rendu service. Il aurait pu laisser de côté ces recherches obsessionnelles qui l’empêchaient de pleinement se concentrer sur sa tâche de shérif et il aurait été débarrassé de la seule fille en mille ans qui l’avait autant attirée de manière aussi inexplicable. Que ça se termine dans l’ignorance aurait été dommage, c’est certain, le bonhomme serait resté tout de même un poil curieux sur la nature de la barmaid, mais au moins il aurait été libéré du problème à sa source!

Toutes ces suppositions n’avaient cependant pas lieu d’être. Elle s’était proclamée humaine d’Eric et il avait bien fait comprendre à tout le Fangtasia que ce titre n’était pas à prendre à la légère. Sans doute qu’un idiot cédera tout de même à ses bas instincts, mais maintenant que le viking avait assigné son droit sur Eden, que ce vampire ait fait son testament avant de planter ses crocs, c’est tout ce que nous pouvons dire à ce sujet.

▬ Ça n’a rien à voir, je devais me faire respecter c’est tout.

Ou comment transformer une fille en l’objet le plus minable… Eric avait définitivement de graves lacunes en comportement interrelationnel, mais d’un autre côté, il n’avait pas tord non plus. Évidemment, elle ne pouvait pas comprendre ce qu’impliquait d’être un shérif ou simplement un vampire de son âge au sein de sa communauté de suceurs de sang, mais nul doute qu’elle finirait par saisir ce monde qui lui était encore inconnu. Bien sûr, les plus fourbes parmi vous dirons que le géant blond n’avait nul besoin de faire une scène pour se faire respecter… c’est certain… mais allait-il réellement admettre qu’il ne tenait pas à voir la demoiselle vidée de son sang? Jamais dans cent ans et nous dirons même jamais dans l’éternité. De toute manière, c’était cette attirance biologique qui le poussait à agir ainsi. Jamais il ne se serait donné la peine autrement, jamais.
Mais ne lui avait-il pas juré qu’elle était en sécurité avec lui? Qu’il la protégerait? N’était-ce pas…
Non, pas du tout! Le propre du viking était d’agir dans son propre intérêt et rien que dans son propre intérêt. Il le prouvait d’ailleurs encore en offrant une jolie carte platine à sa nouvelle acquisition – lire ici une jolie barmaid prise au piège avec un maître manipulateur. Dépenser sans compter, il pouvait se le permettre et ce n’était pas de mettre des vêtements griffés sur ce corps qui allait ne serait-ce qu’entacher minimalement son niveau de vie égal à celui des rois.

▬ J’ai l’air de faire de l’humour peut-être?

… Ouais à question stupide, réponse stupide. Comme si Eric était du genre à plaisanter. Ce qui sortait de sa bouche était généralement pensé, pesé et bien évidemment profondément réfléchit. S’il lui offrait une carte de crédit en disant qu’elle se devait d’avoir de la classe, c’était ce que ça voulait dire. Il n’y avait aucun sens caché… ou du moins pas comme elle semblait l’entendre.

▬ Tu es mon humaine, tu me représentes et j’ai certaines responsabilités envers toi maintenant.

Ou plutôt il choisissait d’avoir des responsabilités envers elle, mais ça, il n’était pas obligé de lui dire et il n’avait aucune intention de le faire non plus. Qu’elle croit qu’il ne s’agissait que de sexe était loin de le choquer. Il faut avouer ici que du sexe avec elle ne serait pas pour déplaire au vampire, mais la question n’était pas là, ou du moins pas encore. Ce pourquoi, il se remit à fouiller dans son tiroir avec désinvolture, sortant une clé après l’autre, lisant les étiquettes pour ensuite remettre la clé dans le tiroir et passer à une autre, le tout dans son « je m’en foutisme » qu’il semblait adoré tout particulièrement ce soir.

▬ Si mon intention avait juste été de coucher avec toi je ne me serais pas encombré de ta présence, tu peux être sûre. Je t’aurais prise ce soir-là avec ou sans ton accord et c’est tout.

Absolument charmant… mais franc. Nous le disons souvent, mais c’est bien parce que c’est probablement la seule qualité d’Eric que d’être honnête malgré les manières crues qu’il pouvait employer. Trouvant finalement une clé qui semblait lui plaire, le vampire la lança à Eden qui put constater que les étiquettes étaient en fait des adresses.

▬ Tu vas habiter là. C’est meublé, tu ne manqueras de rien. Demain je te cèderai la propriété, je ne veux pas qu’un autre vampire puisse entrer.

Évidemment dit comme ça, ça coulait de source, mais comment pouvait-elle savoir qu’un simple droit de propriété lui permettait de jeter les vampires hors de sa demeure et que ce même bout de papier avec le nom d’Eric dessus n’avait pas ce pouvoir? Elle ne le pouvait pas, bien sûr. Mais à défaut de savoir, elle finirait par apprendre deux trois petites choses sur les suceurs de sang.

S’en suivit un silence. Un silence de plusieurs secondes, voir même une bonne minute, où le géant des steppes observait la barmaid comme s’il cherchait à lire en elle. Cette question qui revenait sans cesse. Il se retenait de la poser, sachant qu’il n’obtiendrait aucune réponse, mais il n’en restait pas moins que cette question continuait de l’obséder…

▬ J’ai cherché à savoir… à comprendre pourquoi tu es comme ça. Je n’ai rien trouvé.

Encore une petite pause où il déplaça quelques documents et le blond reprit, le ton calme et serein. Perdre patience? Non, il avait l’éternité devant lui pour trouver.

▬ Mais je connais un gars. Si un seul bouquin sur le contient peut nous donner la réponse, soit il le possède, soit il sait où il est.

Ne restait plus qu’à espérer que ce tuyau rapporte, autrement Eric devrait sérieusement songer à étendre ses recherches outre-mer. Un détail que le viking ne put révéler puisque la porte du bureau s’ouvrit brusquement sur l’un de ses sbires visiblement vampire si on en croyait les crocs et sa façon de grogner alors qu’il tenait devant lui un humain tremblant qui ne cessait de marmonner des « laissez-moi partir » totalement pathétiques.

▬ La politesse veut qu’on frappe avant d’entrer.
▬ Il était en train de refourguer du Vi dans le parking.

Tout de suite, l’air agacé du shérif devint plus intéressé et mauvais tout à la fois. Est-ce que cette histoire de trafic allait enfin finir par se régler? Le blond se leva expressément de son fauteuil, s’approchant de son collègue aux dents pointues et de l’humain visiblement coupable.

▬ Parle. Où tu te l’es procuré?

M’ouais… plus facile à dire qu’à faire dans l’état actuel des choses. Si ce type n’était pas certain de se faire arracher le cœur pour avoir pissé sur le carrelage du viking, probable qu’il serait en train de faire dans son froc très exactement à cette seconde précise.

Sur le début, Eric n’avait rien ajouté, se contenant de sourire devant la répartie de la brune. Il avait beau mettre toute la faute de son intérêt sur les facultés surnaturelles d’Eden, il n’en restait pas moins que cette fibre caractérielle lui plaisait. Il est fort possible que leurs rapports se seraient probablement arrêtés à un simple échange de regard ce fameux soir où avait eu lieu leur rencontre sans cette attirance complètement surréaliste, mais n’empêche… Son humour et son caractère bien trempés la rendait agréable et de meilleure compagnie qu’elle aurait pu l’être sans cette personnalité. De toute manière, si elle ne lui avait pas plu le moindrement en dehors de ce on ne savait trop quoi, jamais le viking n’aurait fait autant pour elle et ne s’apprêterait pas à en faire autant non plus. Pourquoi faisait-il tout ça au fait? Oh… par ennui. Peu probable. Il avait suffisamment de quoi s’occuper autrement, mais cette réponse serait sans doute celle qu’il donnerait quand même si on lui posait la question. Admettre qu’il était en quelque sorte sous son charme… JAMAIS!

▬ Il te reste beaucoup de choses à apprendre sur notre race ma belle.

Depuis quand il l’attifait de petits surnoms? Depuis maintenant il faut croire, mais des mots doux soufflés dans un soupire qui sonnait plutôt désespéré comme s’il devait répondre à l’énième pourquoi d’un enfant plutôt agaçant, ça avait le don de retirer tout le charme des petits noms.

▬ Les vampires ne peuvent pas entrer dans la maison d’un humain sans y avoir été invités.

Un détail provenant d’une longue liste de choses à savoir, mais il fallait bien commencer quelque part. Au fil du temps, Eden allait accumuler les informations et relier les points entre eux assez facilement. Elle n’avait pas l’air d’être une fille trop bête et nul doute qu’avec son don télépathique, Eric n’allait pas regretter de l’avoir sous le coude au besoin.
Mais avant d’être utile, elle avait surtout des questions. Des questions auxquelles Eric n’avait pas forcément de réponse. Lui dire la vérité? Qu’elle faisait naître en lui une obsession qui arrivait presque à le faire trembler rien qu’en sentant son odeur. Non, le blond n’était pas de ces mièvres vampires qui croyaient à ce genre de bêtises. C’était d’ailleurs pour ça qu’il tenait autant à découvrir ce qu’elle était réellement. Ces conneries ne pouvant pas être vrai, il y avait forcément une raison à cette attirance qui lui chatouillait tous les sens dès qu’il se trouvait en sa présence. Répondre ça, il en était hors de question. Ce pourquoi, il haussa vaguement les épaules, gardant le contrôle sur son attitude désinvolte et un poil blasée.

▬ C’était ça ou l’inventaire du vignoble.

Comme si elle allait avaler que le viking comptabilisait lui-même ses inventaires. Elle n’en savait peut-être pas beaucoup sur lui, mais elle avait dû déjà comprendre que toute tâche emmerdante était reléguée au premier venu qui avait l’intelligence requise pour s’en acquitter correctement. Peu importe, cependant, c’était bien le dernier souci d’Eric qu’elle le croit ou non. Si elle était futée, elle comprendrait que ce n’était pas une question à poser si elle désirait vraiment obtenir une réponse. Le message ne pouvait être on ne peut plus clair lorsque le vampire détourna la conversation d’un silence et d’un tout autre sujet, soit ses recherches. Il admettait ne rien avoir trouvé pour le moment, mais il avait une totale confiance en lui-même sur ce point – et sur tous les autres, il faut bien l’admettre – il finirait par trouver. Toutes les possibilités n’avaient pas été explorées, il restait encore plusieurs endroits où pouvait se terrer une réponse ou même un simple petit indice. Eden pouvait trouver ça laborieux, mais après mille ans d’existence, on ne percevait plus tout à fait les choses de la même façon. Plusieurs jours de lecture infructueuse ne voulait pas dire qu’il n’y avait aucune explication. Ça voulait simplement dire que la réponse était difficile à trouver et que, quoi que la demoiselle soit au bout du compte, c’était quelque chose de rare et de spécial. Plaider la cause de l’aliène était donc plutôt prématuré pour le vampire qui se permit même de bouffer légèrement de rire avec un petit sourire en coin. Ah les humains et leur impatience! Sans compter leur si grande ignorance de tout ce qui les entoure.

▬ Si tu savais tout ce qu’il y a comme bestioles étranges sur terre, tu ne dirais pas ça.

Était-ce supposé la rassurer ou au contraire lui donner une raison de plus de redouter ce qui se cachait au coin de la rue? Peut-être un peu des deux, sans doute, mais ça lui rendait service au fond. Il n’y avait pas que des vampires là dehors. Plusieurs autres créatures dites surnaturelles vivaient cachées depuis des centaines d’années. Le coming-out des vampires n’était que le sommet de l’iceberg. Plus vite Eden le comprendrait, le plus en sécurité elle serait.

Mais toutes ces choses inconnues de la demoiselle allaient devoir attendre puisque le duo se fit déranger sans le moindre scrupule. Si Eric avait d’abord été sec et avait paru très agacé qu’on entre ainsi dans le bureau, c’était toute autre chose lorsqu’il apprit qu’il s’agissait d’un potentiel dealer de jus de vampires. Le viking en avait assez de faire du surplace dans cette histoire et toutes les avancées, même les plus petites, étaient les bienvenues. Certes, intimidé les faibles d’esprit n’était pas la meilleure des tactiques pour les faire parler, mais c’était sans compter que le géant blond avait une télépathe avec lui. Hors donc, que ce minable type soit trop effrayé pour arriver à aligner deux mots correctement n’avait plus la moindre importance.
Quand Eden verbalisa la réponse à la question qu’Eric avait posé, il s’était légèrement tourné vers elle, son éternel sourire en coin qui démontrait pleine satisfaction revenant à la charge. Le vampire qui lui avait amené l’humain, cependant, jeta un regard plus qu’intéressé vers la barmaid. Il ne devait pas l’avoir remarquée avant et ce nouvel intérêt ne tarda pas à agacer le shérif.

▬ C’est bon, retourne à ton boulot.

Le vampire en question n’en avait nulle envie, ça pouvait très bien se lire sur son visage, mais celui d’Eric était du genre très convaincant et le suceur de sang quitta le bureau. Eric poussa l’humain terrorisé sur une chaise sans le moindre ménagement, tournant la chaise pour qu’elle se trouve face à celle où Eden était assise.

▬ Tu peux savoir de qui?

Et à défaut d’un nom, il pouvait même faire avec une simple description. Si ce trafiquant était venu jusque devant son établissement pour vendre, probable qu’il le fasse à nouveau. Une description physique pouvait donc toujours servir.

▬ Je… je… je sais pas son nom…
▬ La ferme.

Ouais entre faire affaire avec la brune et cet idiot qui avait réussi le grand exploit d’aligner cinq mots, le choix était vite fait pour le viking. Sans compter que la réponse était plus sûre avec Eden qui ne craignait pas pour sa vie en ce moment. Les humains… ils diraient n’importe quoi pour survivre ou ne serait-ce qu’abréger leurs souffrances.

Le géant des steppes ne répondit rien devant la moquerie de la brune. Les vampires avaient besoin d’une invitation pour pénétrer la maison d’un humain. Le blond ne savait pas forcément pourquoi c’était ainsi, mais c’était comme le principe de ne pas pouvoir se promener sous le soleil, c’était comme ça, un point c’est tout. En parler ne ferait pas en sorte de réinventer la roue. Sans compter qu’Eric se doutait que le jour où cette particularité lui sauverait la vie, Eden se moquerait probablement moins de ce genre de détails. Ce fut plutôt lui qui se moqua de son petit sourire en coin qu’il allait définitivement finir par devenir sa marque de commerce. Cette jeune femme était si ignare en matière de vampires, banaliser le peu de supériorité qu’elle pouvait avoir sur cette race n’était pas forcément la chose la plus intelligente à faire.
Elle posa cependant une question qui méritait d’être intelligente. Devrait-elle l’inviter à entrer? La bien séance le voudrait, évidemment, puisque c’était lui qui offrait le gite sans autre raison que « tu m’appartiens maintenant », mais d’un autre côté, ce n’était pas comme s’il avait réellement un pouvoir sur son choix de l’inviter ou non. De toute manière, il faudrait une raison en béton pour qu’Eric se déplace jusque chez-elle plutôt que de la faire venir. Oui, comme lorsqu’on sonne un domestique… Mais doit-on encore dire qu’Eric est Eric? De plus, si elle s’obstinait à se barricader, il y avait toujours quelques moyens pour l’obliger à sortir de là pour ensuite lui passer l’envie de recommencer.

▬ À toi de voir.

Pourtant, nous ne sommes pas franchement convaincus que lui refuser l’entrée s’il venait à ce pointer un soir soit réellement judicieux. Elle non plus, sans doute. Être témoin de ce qu’elle avait vu, ça donnait à réfléchir sur les points à ne surtout pas négliger avec le viking. Comme le contrarier par exemple! À ne surtout pas faire si vous teniez à vivre longtemps…
Le sujet du pourquoi était-il si « généreux » fut passablement vite évincé au grand bonheur du vampire qui n’avait aucune envie de commencer à s’expliquer. Il détestait mêler les gens à ce qui le concernait, ainsi était-il fait. Certes, les plus fourbes parmi vous diront que ça concernait également Eden, qu’elle avait le droit de savoir pourquoi il agissait comme ça avec elle et pourquoi elle avait un traitement aussi « spécial » de la part du blond. Mais dans ce cas de figure nous dirons simplement qu’Eric s’en contrefichait totalement. Il ne souhaitait pas s’expliquer, alors il ne s’expliquerait pas, point final. Il demeurait têtu et aussi borné devant les autorités qui régissaient sa propre race, il n’allait certainement pas faire une entorse à ses habitudes pour cette humaine.
Non, le shérif préféra passer directement à la partie « terrorisons la pauvre fille un peu plus qu’elle ne l’était déjà. » Là-dessus, nous mettons totalement la faute sur l’éducation du vampire lorsqu’il était encore un homme. Peu importe quel était l’adversaire, il fallait le connaître pour pouvoir le combattre et l’anéantir. Le craindre n’était que de l’intelligence selon les adversaires en question, mais connaître son ennemi était primordial. L’ignorance était le meilleur moyen de périr et c’était un précepte qui suivait Eric depuis ces nombreuses décennies. Hors donc, il n’avait pas forcément dit ça pour effrayer Eden, mais bien pour la mettre en garde.

▬ Je suis supérieur à la plus part de ces créatures, t’as rien à craindre.

Vantard. Franc, honnête, mais quand même vantard… Mais il fallait se faire une raison. Eric était un vampire de plus de mille ans. Si on ajoute à cette force sa personnalité de psychopathe habile et rusé… Ça donnait une arme redoutable. Sur ce point là, Eden pouvait dormir sur ses deux oreilles. Si Eric affirmait qu’elle était en sécurité, c’était qu’elle n’avait aucune inquiétude à avoir. Il y avait bien évidemment un moyen de protection auquel le viking commençait à penser, mais il doutait fort que lui proposer de boire son sang maintenant était très approprié. De toute manière, il y avait mille et une façons de la faire boire son sang en évitant qu’elle s’y interpose, inutile de revivre la scène du « soit mienne » dans le parking quelques soirs plus tôt.

Mais ce qui était réellement intéressant ce soir n’avait rien à voir avec tout ça. Il s’agissait plutôt d’un pitoyable dealeur de jus de vampire qui était visiblement trop stupide pour être à l’origine du trafic. Encore un pion qui se trouvait tout en bas de l’échelle. Décidemment, Eric les collectionnait en ce moment et il collectionnait également les informations plutôt inutiles. La description de ce gars pouvait corresponde à des dizaines de motards qui fréquentaient la ville sans compter ceux qui étaient de passage.

▬ Un bar exécrable, je ne te le conseil pas.

Eric connaissait ses concurrents, aussi bien que ce fait soit utile à la barmaid. Mais ce bars, aussi minable était-il, contenait en sa clientèle beaucoup trop d’hommes qui pouvaient aller avec la description qu’Eden venait de lui donner. Arquant un sourcil, visiblement intrigué, le géant blond détailla la brune, comme s’il cherchait à voir un élément qu’il aurait raté au par avant.

▬ Tu saurais le reconnaître si tu le voyais?

Était-il plus ou moins en train de sous-entendre qu’ils pouvaient se rendre au Mamba – quel nom atroce quand on y pense – pour vérifier les dires du dealer et peut-être même mettre la main sur son fournisseur? Pourquoi pas. Avaient-ils mieux à faire de toute façon?
Et comme il avait posé la question à Eden, ne souhaitant visiblement pas faire affaire avec le type que son sbire lui avait ramené, l’autre sembla emporté d’un doux espoir complètement surréaliste.

▬ Alors je peux partir?

Eric ne dit rien, mais à son regard on pouvait très bien deviner ce qu’il pensait. Nul besoin d’être télépathe pour le comprendre. « Tu penses sérieusement t’en tirer aussi facilement? » C’était ce qui passait dans le regard glacé du shérif. Ce type vendait du Vi en plein sous son nez et il osait croire qu’il s’en tirerait simplement avec la plus grosse peur de sa vie? Cette question conforta d’autant plus Eric dans son opinion sur les humains. Des êtres faibles, minables et totalement stupides.
Le viking, gardant toujours le silence, alla plutôt à la porte de son bureau qu’il ouvrit pour croiser le regard du premier vampire à son service qu’il voyait. Un simple signe de tête plus tard, le vampire vint rejoindre son patron qui lui pointa négligemment le dealer.

▬ Mets-moi ça avec les autres, je dois m’absenter.

Le sbire ne dit rien, venant simplement empoigner le captif par le cou et le conduire à une autre porte comprise dans le bureau. Celle-ci menait à la cave du bar, mais pas là où Eric avait élu résidence. Non, il s’agissait de la parcelle moins classe et beaucoup plus crade et humide.

Il y avait visiblement un conflit d’intérêt qu’Eric ne saisissait pas. Pour y aller simplement, Eden lui faisait la gueule. Ça se voyait très bien à la façon qu’elle avait de le regarder et dans ses gestes en général depuis qu’ils avaient quitté le Fangtasia. Évidemment, Eric était au volant de sa propre voiture, l’épave de la barmaid n’étant même pas une option envisageable pour se déplacer. Mais la question était la suivante : pourquoi Eden lui faisait la gueule? Eric ne lui avait rien fait sinon de lui offrir du fric et un appart très bien situé dans un quartier classe. Ça n’avait rien de mal en soit et l’humeur de la demoiselle n’avait rien à voir avec ça. Elle avait eu une nouvelle preuve du sadisme dont pouvait faire preuve le vampire et c’était apparemment la goute qui faisait déborder le vase. Pour tout dire, le viking s’en fichait pas mal. Il avait mieux à faire que de bercer la brune dans de la ouate et s’assurer que jamais rien ne brusquerait ses petits yeux fragiles. Il ne se préoccupa dont pas de son air renfrogné, lui jetant un œil comme si son ton avait été sympathique à l’entrée du bar.

▬ Peut-être bien.

Il avait également mieux à faire que de se justifier. Il était ici pour retrouver le type correspondant à la description qu’elle avait trouvée dans la tête de l’autre abruti de dealer, il n’était donc pas très favorable à défendre ses manières – ou son absence de manières, au choix. Lorsqu’ils avaient pénétré l’établissement, plusieurs têtes s’étaient tournées vers eux. Typique. Le shérif n’en fit pas plus de cas que l’humeur massacrante de la télépathe. Si on combinait sa taille de géant au magnétisme naturel que dégageaient les vampires, ça donnait un cocktail comme celui-ci en permanence. Eric avait l’habitude d’être le centre d’intérêt où qu’il entre.

▬ C’est gentil de t’en faire pour moi.

Sarcasme quand tu nous tiens. Cependant, la barmaid n’était pas très coopérative, n’observant même pas autour d’elle afin de vérifier si le type recherché était présent. Hors donc, le vampire était encore moins réceptif à être sympathique que d’habitude – car oui, d’ordinaire, il se considérait sympathique avec elle. Et même si être de plus en plus agaçante était amplement suffisant pour le viking, il fallait en plus qu’elle se décide à être surprenante. De l’idée qu’il s’était fait d’elle, Eden était une vagabonde plutôt égocentrique qui ne souciait guère de son prochain. Il faut croire qu’il s’était trompé puisqu’elle venait de décider de marchander ses services contre la libération des captifs qui croupissaient au fond de sa geôle humide. Le géant daigna donc lui accorder un regard un peu plus considérant que ceux qu’il avait eus pour elle jusqu’à présent. Voulait-elle vraiment jouer à ça? On dirait bien. Eric souhaitait-il perdre son temps avec ça? Pas vraiment. Surtout que ces idiots qu’il retenait n’étaient pas utiles à grand-chose sinon à le mettre dans le pétrin si jamais les autorités humaines venaient à découvrir ce qu’il réservait à leur race. Le moins d’emmerdes possibles, c’était ainsi qu’il fonctionnait depuis des centaines d’années, ce n’était pas maintenant que ça allait changer.

▬ Marché conclu, mais je dois avoir ce gars.

Pas de demi-mesure. Tout ou rien. Étant donné qu’il s’était donné lui-même le titre de mécène, c’était un marché plutôt équitable puisqu’au fond, le blond ne lui devait pas tant. Sur ce, Eden avait demandé une bière et le nordique s’était contenté de ne rien répondre. Se sentant fixé, il se dit que l’inévitable venait de se produire. L’un de ces humains avait fait preuve d’intelligence et avait reconnu en lui un vampire. Se fichant complètement de ce fait, le blond ramena plutôt la tête vers sa compagne qui se plaignait à nouveau de ses insomnies.

▬ Les humains n’ont pas des trucs contre ça?

Somnifère ou peu importe ce que c’était, ils avaient des solutions granulées pour tout de nos jours! Hélas, le barman de la place se décida à prendre la parole, coupant court la conversation du duo. Coupure visiblement peu apprécie d’Eric. Resté debout, accoudé au bar, le corps tourné en direction d’Eden, il avait lentement tendu le cou en direction du barman dérageant et insolant.

▬ Je ne bois pas de cette abomination, mais t’en fait pas, je saurai me débrouiller si la soif me prend.

Ne surtout pas rassurer les gens était visiblement tout un talent cultivé au courant de siècles de pratique. Mais bon, ce type était particulièrement détestable dans sa façon de s’adresser au shérif, il méritait que ses couilles se ratatinent de peur au moins un petit peu!

▬ File-lui sa bière et fous-nous la paix.

Nul besoin de faire appel à l’hypnose. Au ton que le viking avait employé, il était évident que si ce barman ne faisait pas comme il avait dit, il aurait de gros problèmes en perspective. Ne s’occupant d’ailleurs déjà plus de cet empêcheur de tourner en rond, Eric ramena la tête vers la brune, arquant un sourcil.

▬ Alors?

Avec plus de mots, ça signifiait : tu le vois oui ou non? Oui, la communication n’était absolument pas une qualité chez le vampire malgré les mille ans à sa disposition pour améliorer cette tare.

Oui, marché conclu. Était-ce si surprenant que ça? Eric était un homme d’affaires. Marchander, il faisait ça bien avant la naissance de la brune et ce n’était pas comme si elle était une grande négociatrice. Certes, le viking ne lui avait pas vraiment laissé la chance de lui démontrer son don, mais comme déjà dit, il ne considérait pas avoir de temps à perdre avec si peu. Si quatre cinq idiots libérés à la mémoire effacée pouvaient résoudre son problème et pousser Eden à participer davantage à la recherche du dealer, il y serait gagnant sur toute la ligne. Sa cave serait vide, son enquête avancerait… Si Eric était du genre croyant, il lancerait probablement un hallelujah!

▬ Exactement, tu me retrouves ce gars et c’est bon tes petits copains seront libres.

De toute manière quelques jours en tant que captif du shérif pouvaient convaincre n’importe quel crétin avec seulement deux neurones que retoucher au Vi était la pire idée de l’histoire des mauvaises idées. Aucune intelligence n’était requise pour que l’instinct de survie ne se trouve renforcé. Alors oui, parfois, c’était aussi simple que ça! Le viking savait faire la part des choses et si Eden le percevait comme étant juste un monstre de cruauté qui ne laisse aucun centimètre davantage au partie adverse, eh bien elle se trompait. Bon, en toute franchise nous nous sentons obligés de dire que ce n’est pas avec le géant du nord que l’on se trouve réellement à son avantage lors de négociations, mais tout de même… On ne repartait pas non plus les mains vides, c’était déjà ça.

Sur ce, la brune se décida enfin à être un peu plus coopérative tandis que la conversation déviait tout naturellement sur le sujet de ses insomnies. Étaient-ils réellement en train d’avoir une discussion aussi banale? Il faut croire que oui. Il faut dire qu’ils commençaient à se connaître, ils n’allaient pas non plus être en constante découverte de l’autre! – bien qu’il restait encore certaines choses visiblement agréables à découvrir sur Eden, mais ceci est une autre histoire et une histoire un peu plus dix-huit ans et plus…

▬ Pense à autre chose, c’est tout.

Évidemment. Pour un vampire il était peut-être facile de fermer son esprit aux images particulièrement sanglantes et traumatisantes, mais pour les humains ce ne l’était pas autant! Mais bon, puisqu’Eric n’avait pas été humain depuis un sacré bout de temps, nous lui pardonnons ce léger détail.

▬ Ou alors c’est que tu ne te dépenses pas assez physiquement.

Bha voyons, propose-lui donc une nuit endiablée de corps à corps! Certain qu’après ça, elle devrait dormir.

C’était une idée et c’était bien d’ailleurs pour ça que le blond arborait cette petite étincelle si évidente au fond de ses yeux bleus. Trop tôt pour les sous-entendus sexuels? Pas vraiment, ou du moins pas quand on connaissait Eric. Après tout, il lui avait bien dit que si ce n’était qu’une question de sexe, il prenait sans vraiment demander. Du coup, les sous-entendus devaient être pris comme une forme de politesse beaucoup plus que comme de simples grossièretés. Si charmant… nous le savons.
Laissons cependant cette si belle proposition de séance de sport à l’horizontal pour nous concentrer davantage sur le but de leur présence ici, soit repérer un imbécile qui se croit suffisamment futé pour dealer du Vi. L’histoire du barman semblant réglée puisqu’il servit sa bière à Eden sans ajouter le moindre mot pour ensuite retourner à ses affaires, Eric jeta un œil parmi les gens présents bien qu’il ne pouvait pas identifier l’homme recherché. Devant son regard, chaque personne qui le croisait détournait les yeux. Une chose que le vampire appréciait, il faut bien l’admettre. Ramenant la tête vers la demoiselle lorsqu’elle se pencha vers lu pour lui murmurer quelque chose, Eric leva les yeux en direction de la porte. Alors c’était lui. Plutôt minable. Le viking doutait que l’un de ses congénères ait accepté de lui fournir de son sang. Encore un échelon à gravir dans la pyramide. Ça n’avait donc aucune fin?

▬ Je dois savoir où il se procure son jus, viens.

Le géant blond n’avait bien sûr pas besoin de l’aide d’Eden pour mener à bien son interrogatoire, mais avoir quelqu’un pour fouiller le fond du crâne du suspect ne pouvait pas être une mauvaise idée non plus. Sans doute qu’ils y gagneraient du temps.

Se détachant du bar pour rejoindre le fond de la salle où se trouvait le type en question, Eric ouvrit la marche de ses grandes enjambées. Inévitablement, le dealer remarqua le colosse qui se dirigeait vers lui et lorsqu’il observa davantage le visage du vampire, ses yeux s’écarquillèrent. Visiblement, il savait à qui il avait affaire. Hum, peut-être pas aussi con que présumé finalement. Mais quand Eric le vit sortir un flingue, il se dit qu’il était tout de même stupide. Les gens autour s’écartèrent et certains lâchèrent même quelques cris surpris, mais Eric continua d’avancer, tendant un bras derrière lui pour pousser Eden dans son dos. Ne manquerait plus que la télépathe meurt d’une balle perdue, ça serait bien le bouquet!
Ce qui devait arriver arriva. Comme le viking ne s’arrêta pas d’avancer, l’autre type tira, la balle venant se planter dans l’épaule du vampire. Le motard eut un sourire carnassier alors qu’Eric sentait la brûlure typique de l’argent contre sa peau. Des balles en argent? Ce type n’était pas complètement idiot, c’est sûr, mais idiot quand même. Simplement tirer sur un vampire ne l’arrêtait certainement pas.

Sous le coup de la douleur provoquée par l’argent, le shérif grogna et les crocs sortirent d’eux-mêmes, mais ça ne l’empêcha pas de poursuivre sa route. Le dealer tira une seconde fois, la balle venant se loger dans son flanc. Déterminant alors qu’il était temps de finir de jouer, Eric accéléra les choses, se retrouvant devant le type en une fraction de seconde pour lui tordre le poignet. L’arme tomba au sol l’instant suivant et Eric ramena le bras du type dans son dos sans grande délicatesse. Il était à un cheveu de lui casser le bras? Et alors? Il lui avait bien tiré deux balles en argent dans le buffet et les blessures le brûlaient. Ce gars avait de la chance d’être encore en vie.

▬ Comme tu sembles savoir qui je suis, je pense que tu sais déjà ce que je veux savoir, pas vrai?

Si le reste de la clientèle préférait prendre ses jambes à son cou plutôt que de prendre le risque de se retrouver au milieu de la mêlée, certains, tel le barman à qui il manquait assurément une case ou deux, restaient sur place comme si le nombre allait forcément faire pencher la balance en leur faveur.

Ce prenant une petite note mentale au sujet du qualificatif de sportive qui était forcément à vérifier plus tard, Eric se concentra davantage sur ce maudit dealer qui serait peut-être la pièce maîtresse d’une avancée significative dans son enquête. Que ce type ne sorte pas sans un flingue et des balles en argent était déjà une preuve qu’il savait une chose ou deux et qu’il tenait à sa vie, mais hélas, il avait fallu que ce soit Eric qui le retrouve et non pas l’un de ses subordonné qui y serait probablement allé plus doucement avec lui. Si déjà son temps était compté en se mêlant à ce trafic de jus de vampire, s’était encore pire avec la brillante idée de tirer deux balles sur Eric. S’il pouvait tuer rien que pour une attaque ratée, on ne voudrait surtout pas être à la place de celui qui osait tirer sur lui.
Et, visiblement, personne n’enviait la position du dealer lorsque celui-ci se retrouva le bras coincé dans le dos, pris au piège, à la merci du viking. La plupart des clients avaient fuit le bar, quelques uns qui devaient probablement être des anti-vampires endurcis étaient restés, mais ne gardaient d’intervenir pour le moment. Bientôt, l’endroit allait pulluler de flics, il fallait donc jouer de vitesse et il n’y avait rien de mieux que la peur ajoutée à une télépathe pour accélérer les choses.

Certes, Eric n’avait pas besoin de la clairvoyance de la brune pour savoir que cet humain attardé lui mentait en pleine figure, mais la stupeur lisible sur son visage alors qu’Eden démentait chacun de ses dires était plutôt agréable à voir. Sentant ses blessures cicatriser doucement, il faut croire que maintenant que son corps rejetait cet argent douloureux, le vampire se sentait de meilleure humeur. Il se permit de sourire devant le désarroi dudit Kevin, ne cachant pas un petit brin de sadisme dans ce sourire qui répondait en fait à celui que cet idiot lui avait lancé lorsqu’il avait tiré sur lui.

▬ C’est très vilain de mentir au shérif mon grand.

Utiliser l’appellation « mon grand » n’était assurément pas un compliment lorsqu’il était employé par un type de la carrure d’Eric, mais qui irait le faire remarquer dans une situation pareille? Quoi qu’il en soit, le blond n’avait plus du tout le cœur à jouer et il fallait bouger. Emmener ce gars au Fangtasia, le faire croupir dans une cave humide et malodorante serait probablement à même de le faire réfléchir sur son manque de franchise. Une bonne idée dans la mesure où Eric savait que sa nouvelle protégée n’était pas forcément en sécurité en ce lieu avec tous ces types qui savaient pertinemment qu’elle était avec lui.

▬ Et c’est illégal de vendre du sang de vampire. Tu vas donc devoir me suivre…

Tordant le bras un peu plus fort, Eric sentit enfin les balles en argent être évacuées de son corps et les blessures se refermer complètement. Cette sensation désagréable enfin terminée, le blond rétracta ses crocs, poussant d’un même geste son captif devant lui. Il jeta par la suite un regard à Eden, lui intimant silencieusement de le suivre sans attendre alors qu’il s’éloignait lentement vers la sortie.
Ils étaient presque à la porte, le dealer haletant sous la douleur de plus en plus insupportable qu’Eric lui infligeait, lorsque le déclic d’un cran de sureté s’éleva derrière eux. Le viking arrêta d’avancer, mais garda la tête dirigée vers la sortie. Ses sens étaient bien plus développés que chez les humains, sans compté son âge qui ne faisait que renforcer toutes ces qualités de vampire. Il savait que c’était le barman qui avait probablement une arme de chasse, un calibre 22 peut-être, pointé droit dans leur direction. Eric pouvait également jugé du peu de temps qu’il avait eu à interagir avec lui. Pas forcément la gâchette facile, il n’hésiterait pourtant pas à tirer quitte à toucher Eden ou même son soit disant ami.

▬ Personne n’est encore mort, tu voudrais pas que ça change, si?

Une voix calme et plate, comme s’il venait de demander le sel à son compagnon de table. Rien à voir avec la situation tendue qui se déroulait en ce moment. Quoi que l’on dise d’Eric, il avec un aplomb à toute épreuve, ça c’était certain.

▬ Laisse-le partir et y’aura pas de casse.
▬ C’est une menace?

Son ton était un brin moqueur cette fois-ci et le viking ne s’était toujours pas tourné en direction du comptoir où se trouvait l’homme soit disant en position de pouvoir. Quand ces humains comprendraient-ils qu’ils n’étaient pas en position de quoi que ce soit avec lui? Le visage terne et soudainement blasé, Eric restait pourtant immobile, n’accordant pas la moindre attention au dealer qui cherchait à se défaire de sa poigne d’acier. Tout son être était en train de jauger les faits et gestes du barman et de son fusil de chasse. S’il tirait – et nul doute qu’il allait finir par le faire si la situation ne se désamorçait pas tout de suite – Eric devait être prêt à réagir au quart de tour. Non pas pour s’éviter de prendre du plomb, non pas pour en éviter à son captif, mais bien pour en éviter à Eden qui se trouvait encore une fois derrière lui, à la seule différence ce coup-ci qu’elle se trouvait entre lui et le joug du barman…

Eric avait été gentil pourtant. Il n’avait pas sorti les crocs, il n’avait menacé personne – si on ne compte pas la répartie à la mention du Tru Blood un peu plus tôt – en clair, il ne s’était pas conduit comme quelqu’un qui méritait de se faire tirer dessus et de se faire menacer par un fusil de chasse. Certes, ces humains n’étaient pas si idiot au final et le dealer avait vite compris que le viking ne se dirigeait pas vers lui pour l’inviter à prendre le thé, mais tout de même. Si quelqu’un demande, nous dirons que la faute en revient aux humains. Rien n’aurait dégénéré à ce point s’ils s’étaient contentés de faire profil bas et si ce dealer avait suivit le shérif sans faire d’histoire.
Pourtant, le vampire était bien là, à moins d’une dizaine de pas de la sortie, arrêté dans son mouvement par un stupide fusil tenu par un homme encore plus stupide. En ultime recourt, le vampire tenta un raisonnement bien basique, mais parler à ce barman semblait être aussi utile que de converser avec un mur. Quand le dealer en manque de neurone décida de se mêler de la discussion, Eric tordit davantage son bras, le craquement de l’os montant sans mal à son oreille. Un bras cassé lui donnerait à réfléchir malgré le hurlement insupportable qui vint résonner dans les tympans du vampire.

Ce fut cet intérêt pour la cruauté qui engendra le désastre. Que le barman se décide à faire feu, Eric savait déjà que ça finirait par arriver. Seulement, il le fit à ce même moment où le viking s’évertuait à casser le bras de son infâme prisonnier. Le vampire ne put donc pas jouer de sa vitesse surnaturelle pour utiliser le type en guise de bouclier pour éviter à Eden de se prendre une balle. Parce que oui, avoir le choix, Eric préférait que l’humain prenne le coup bien que lui aurait été guéri une minute plus tard. Survivre sans une égratignure à un coup de feu ne signifiait pas pour autant que c’était agréable à recevoir.
Quand le géant blond se retourna, Eden était déjà étendue sur le sol en train de poser une main sur son ventre. Relâchant le dealer qui couru vers la sortie sans attendre malgré son bras atrocement douloureux, Eric évita un second tir venant du barman en se penchant sur Eden. Ramassant l’arme qu’elle tenait quelques secondes plus tôt, Eric se redressa de sa rapidité vampirique pour diriger le pistolet en direction du barman. Il fit feu non seulement sur le barman, mais également sur trois autres types, rien que pour le principe. Ils n’avaient pas à rester là s’ils désiraient rentrer chez-eux sans une éraflure!

Pourquoi les laisser en vie? Étant donné le géant impliqué, vous avez le droit de vous poser la question. Sachez simplement qu’Eric avait d’autres chats à fouetté que d’effacer ses traces. Il y avait des témoins qui, s’ils ne sont pas aussi idiots que le barman et le dealer, pourront certifier qu’Eric ne faisait que se défendre en tirant sur son agresseur qui avait blessé une humaine en prime. Sans compter les sirènes de police, encore impossibles à déceler pour l’oreille humaine, qu’il pouvait entendre se rapprocher des lieux. Inquiet pour ce qu’il allait dire aux flics? Absolument pas. Le cas d’Eden le préoccupait davantage et il s’avait très bien qu’il lui suffirait de s’éclipser en supervitesse pour éviter tout commentaire.
Pendant que les blessés souffraient de la balle qu’ils avaient reçu dans l’épaule, la cuisse ou le ventre, Eric se pencha à nouveau sur Eden, appuyant sa main glacée contre la plaie.

▬ T’inquiètes pas, je peux te remettre sur pied en une minute.

Les plus romantiques parmi vous trouverons mignon le fait qu’Eric dégage les cheveux du visage de la belle, mais pouvait-on réellement octroyer une intention tendre au viking sanguinaire? Nous en sommes peu certains…
Toujours est-il que les sirènes de police finirent par se rapprocher et que moins d’une minute plus tard, les premiers intervenants pénétrèrent dans le bar. Eric n’aimait définitivement pas cette nouvelle ambiance. Ils allaient appeler des ambulances, ils allaient l’écarter d’Eden soit disant pour son bien afin de la stabiliser le mieux possible en attendant les premiers soins. La médecine humaine était si inutile et inefficace comparée au sang de vampire. Avec son sang plus que millénaire, Eden allait cicatriser en quelques secondes à peine et en ressortirait bien plus forte qu’à son arrivé dans ce bar.

▬ Mais ça va devoir attendre, il faut qu’on parte d’ici d’abord. Accroche-toi.

Le vampire laissa quelques secondes à la demoiselle pour se préparer mentalement à la douleur orchestrée par un déplacement dans son état. Il passa ensuite un bras derrière ses épaules et l’autre sous ses genoux, pour soulever la brune comme on soulève une simple plume, sans le moindre petit effort. Il quitta ensuite le bar et installa Eden sur le siège passé avant d’aller s’asseoir derrière le volant. Le blond ne perdit pas de temps pour mettre le moteur en route et quitter le bar de motards aussi rapidement que possible.

L’odeur du sang d’Eden ne faisait que confirmer tout ce qu’il s’était dit à son sujet depuis la nuit où ils s’étaient rencontrés. Additive. Particulière. Assurément surnaturelle. L’envie de se jeter sur sa plaie était forte. Trop forte pour être normale. Eric n’avait jamais autant ressenti l’appel du sang même dans un grand moment de famine. Mais le viking demeurait un maître du contrôle de soi. Jetant simplement quelques coups d’œil à la barmaid qui pâlissait à vue d’œil, le vampire sortit les crocs.

▬ Tu vas détester l’idée, mais tu dois boire mon sang. Ça va te guérir.

Oui, au cas où elle ne connaissait pas cette particularité du sang de vampire. Tenant le volant uniquement de la main gauche, Eric ramena le poignait de son bras droit contre sa bouche, mordant sa propre chaire sans la moindre hésitation pour ensuite tendre ce poignet devant le visage blafard d’Eden.

▬ Ait confiance.

Certes, le géant du nord n’était du genre à donner envie de lui faire confiance, mais il faut bien dire que jusqu’ici, Eden n’avait pas vraiment de raison de ne pas écouter ce qu’il disait.

▬ Bois mon sang et tu ne mourras pas.

Ce n’était pourtant pas si compliquer à comprendre et d’eux deux, il y avait fort à parier que le viking en connaisse un peu plus sur les qualificatifs du sang de vampire que la barmaid. Comme il l’avait prédit, Eden rebuta à cette idée, s’étalant en commentaire inutiles et stupides. Elle avait du caractère, il fallait lui concéder ça, mais à force d’avoir du caractère, elle allait y passer. Son teint était de plus en plus blanc. Être blessé au ventre, généralement, c’était signe d’hémorragie et d’organes touchés. Même pour des chirurgiens, ce serait une opération délicate. Et puis, pourquoi passer sous le bistouri et souffrir de plusieurs jours de rétablissement quand on pouvait guérir en quelques minutes à peine? Peut-être était-ce dû à l’époque, mais lorsqu’Eric était vivant, il aurait tout donné pour pouvoir soigner ses blessés de cette manière plutôt que de recourir aux anciennes méthodes encore plus bancales que la médecine moderne.

Pourtant, Eden se servit de son gros bon sens et se décida à boire le sang offert. Heureusement d’ailleurs, car Eric n’était pas du genre à offrir son sang à n’importe qui. Si déjà il avait songé à lui apprendre à vivre lorsqu’elle avait refusé d’être son humaine… oui, non, nous préférons ne pas songer à ce qu’il aurait pu faire si elle avait refusé l’offrande de son sang.

▬ Tu ne deviendras pas une droguée.

Ramenant son bras vers lui, le géant blond essuya vaguement son poignet contre sa cuisse et quelques secondes plus tard, les traces de ses propres crocs disparurent sans laisser la moindre empreinte sur sa peau.

▬ Il se peut que tu ressentes l’envie de boire à nouveau pendant quelques jours, mais ça ne créera pas un manque insoutenable.

Le sang d’Eric était puissant de par l’âge qu’avait le vampire, mais ce n’était pas une si petite dose qui allait transformer la brune en junkie tremblante et envahie de sueurs froides.

Et avant même que la voiture n’arrive au Fangtasia, Eden était déjà guérie. Certes, ses vêtements étaient fichus, mais entre de nouveaux vêtements – qu’elle pouvait de toute façon s’offrir sans problème maintenant – et la vie, sans doute qu’elle préférait être encore en vie. La chasse au dealer ayant lamentablement échouée, Eric devait maintenant organiser un petit branle bas de recherches afin de retrouver ce type. Une bonne description et le bras cassé, avec du bol, ses sbires le retrouverait ce soir. Le viking renvoyant donc Eden, lui rappelant qu’il s’occuperait de lui céder la propriété de son nouvel appartement le lendemain soir.

S’il ne lui avait révélé aucun des effets secondaires causés par la consommation de sang de vampire? Pourquoi lui gâcher la surprise? Et puis rien qu’à l’idée de savoir que son esprit allait être envahi par le désir, Eric ne put s’empêcher un petit sourire satisfait en entrant dans le bar. Sa présence lui faisait un effet indescriptible. Cette contre partie au fait qu’il lui avait sauvé la vie était un peu comme une sorte de revanche.
Demandant au premier employé passant de rassembler quelques uns de ses vampires, Eric se rendit dans le bureau dont il referma la porte. Fin seul, le blond ramena sa main gauche devant son visage l’observant sous toutes les coutures. Le sang, déjà un peu séché, d’Eden maculait sa main de la couleur pourpre sombre si adorée de ceux de sa race. Portant cette main plus près de son nez, il huma l’odeur de ce sang à la fois avec curiosité et contentement. Comment ce sang pouvait-il être aussi succulent sans qu’il n’y ait même goûté? Une question sans réponse qui venait s’ajouter à la longue liste qui concernait cette étrange barmaid. Posant finalement ses lèvres contre la peau de sa main, Eric dû se rendre à l’évidence. Même en si petite quantité, même sans être frais, ce sang était le plus délectable qu’il n’avait jamais porté à sa bouche. Comment une telle chose pouvait être possible?