L’obsession. Lorsqu’elle se présente, on se dit que ça ne durera pas. Que c’est forcément un intérêt subit bien qu’il soit trop marqué pour être normal. Mais après plusieurs nuits à revoir et revoir la même scène. Après des heures à se questionner et tourner en rond dans son esprit torturé par l’absence de savoir. On se dit que l’obsession est là pour rester.

Le seul problème dans tout ça, c’est qu’Eric n’était pas vampire à accepter aussi facilement d’être obsédé par un visage, aussi magnifique fût-il. Il était celui qui marquait indéniablement son passage d’un souvenir impossible à oublier. Pas l’inverse. Jamais l’inverse! Et pourtant… pourtant c’était bel et bien le cas. Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait croisé la route d’Eden et il n’arrivait pas à se la sortir de la tête. Il lui suffisait de fermer les yeux pour se remémorer son visage en détail. À peine un brin de concentration et son parfum si déroutant et alléchant lui emplissait les narines.
C’était pathétique. Complètement absurde. Lui qui voyait les vampires épris des humains comme les esprits faibles de sa race, le voilà qui ne pouvait plus se sortir une simple barmaid de la tête.

Les choses à ce sujet avaient trop durées. Un soir, le soleil n’était pas couché depuis cinq minutes qu’il était déjà devant le bar où il avait rencontré la brunette. Il resta quelques instants devant l’édifice sans y entrer. Il s’apprêtait à faire quelque chose qu’il ne faisait jamais. Non pas qu’il avait peur ou qu’il manquait de courage à ce propos – Eric ne craignait rien pas même la grande mort – mais il y cogita encore une minute ou deux avant d’être bien certain que ce qu’il voulait faire était la bonne chose à faire…

Au diable! En moins de cinq grandes enjambées, il pénétra dans le bar et se dirigea au comptoir d’un pas déterminé. Il attira sans mal le regard des quelques clients déjà présents, mais s’en contrefichait complètement. Il voulait savoir une chose et, ce soir, il allait la savoir. Quitte à devoir employer la force, Eden allait lui dire ce qu’elle cherchait tant à cacher la nuit de leur rencontre.
Restant debout en atteignant le bar, le blond s’appuya les poings sur le comptoir en bois et même penché ainsi, il avait les yeux à la même hauteur que ceux de la barmaid.

▬ Tu vas me dire franchement ce qui cloche chez toi.

Oui, ça ne pouvait pas être autre chose qu’un truc hors norme et assurément pas normal. Autrement, il aurait compris ce que c’était. Autrement, il ne serait pas dans cet état.

▬ Ça va faire des jours que tu m’obsèdes alors tu va me dire ce que tu es.

Aucune question. Aucune affirmation non plus. Tout ce qu’il y avait ici, c’était un ordre. Un ordre expéditif à ne surtout pas prendre à la légère. Si Eric lui avait peut-être semblé assez sympathique pour un suceur de sang, elle allait vite changer d’avis maintenant qu’il la regardait avec ses yeux prêts à transformer quiconque les croisant en glaçon.
Le sous-entendu de « si tu ne me dis rien, je vais m’arranger pour que tu sois plus encline à parler » était parfaitement visible sur son visage également. Les poings serrés, le dos tendu, il ne brocha pas alors que les conversations s’arrêtèrent toutes en même temps pour écouter la suite de ce qui allait se passer. Il se fichait bien de ces voyeurs. Tout ce qui lui importait pour le moment, c’était de connaître la vérité.

- Salut Eden. Bien dormi ?

D'un simple sourire poli et d'un vague signe de la main, Eden avait répondu à son patron. Inutile de lui faire remarquer qu'il était ridicule de poser cette question là quand on bossait dans un bar. C'était le genre de questions réservé à ceux qui avaient un boulot avec des horaires de jour et qui se voyaient le matin, et non peu avant la nuit.
Mais elle n'irait pas commenter la vaine tentative du big boss de commencer une conversation qu'elle venait de fuir en se dirigeant directement dans la pièce qui servait de vestiaire au personnel. Déposant sa veste dans son casier, elle en avait refermé la porte dans un soupir. Ce soir, elle n'était pas franchement motivée pour venir bosser. Avec ce qui s'était passé il y a quelques nuits, les soirées au bar étaient devenues assez répétitives. On ne parlait plus que de ça, les trois quart du temps on ne pensait plus qu'à ça, et elle avait souvent le droit aux regards qui s'imaginaient qu'elle était une adepte d'un genre de clan. Le tout était rapidement devenu lassant et Eden avait choisit, dès le début, de ne pas participer à la conversation qui s'animait chaque soir, rajoutant des détails sordides au fur et à mesure. Même les personnes présentes ce soir là déformaient le tout, et elle avait entendu des histoires de plus en plus ridicules qui avaient commencé à la faire craindre pour la santé mentale des gens du coin.
Comme de tous les autres d'ailleurs. Les gens se ressemblaient pas mal, et elle savait de quoi elle parlait.
Bref, après avoir vu une femme exhiber la vieille une prétendue morsure que l'horrible vampire lui avait infligé ce soir là, elle s'attendait à un autre déballage d'idioties ce soir.

Et pourtant, ce n'était pas ce qui la frustrait le plus. Malgré elle, les nuits suivant la nuit où Eric était venu, elle s'était surprise à le chercher des yeux par moment. Et quand elle se disait qu'il ne reviendrait probablement, elle détestait le sentiment de déception qui venait ensuite.
Rien qu'entendre ces imbéciles penser lui faisait espérer le retour de celui qui n'était sans doute pas le bienvenu ici.
Parfaitement ridicule. Voilà ce qu'elle se disait ensuite. Ils ne s'étaient parlés qu'une fois, et très rapidement. Et pour un simple dialogue où elle était incapable de deviner ce que l'autre pouvait penser, elle le cherchait des yeux dans la salle ? Avec la crise qu'avait eu son patron ensuite, c'était idiot. Mieux valait croiser les doigts pour qu'il ne remette plus les pieds ici.
Si elle voulait à nouveau parler à une personne sans l'entendre penser sans cesse, mieux valait retourner à sa quête impossible de l'humain trop débile pour ça.

Remontant rapidement ses cheveux pour les attacher, elle avait quitté les vestiaires pour prendre sa place derrière le bar. A l'ouverture, les habitués de l'heure, une poignée de clients, étaient arrivés au compte goutte dont un fameux couple de son âge sur lequel elle avait décidé de retenir son attention plutôt qu'à recommencer sa recherche inutile.
Et si le jeune homme se demandait s'il avait pris ses chewing-gum, la fille ne faisait que penser "embrasse moi" en boucle tandis que les pensées de l'autre dérivait sur sa coiffure. Un dialogue peu passionnant qui avait finit par un soupir de la barmaid. Au moins, ils ne pensaient pas à toute l'agitation de l'autre soir, c'était toujours ça.
Son ennui allait être très rapidement chassé par ce qui serait peut être la suite de la conversation à la mode ces temps-ci.
Le couple avait alors rapidement focalisé son attention sur autre chose et avaient provoqué la même réaction chez Eden qui avait détourner les yeux des "romantiques" pour les poser sur Eric.
Si sa première réaction avait été de la surprise, plutôt agréable, elle s'était ensuite redressée, un air d'appréhension dans le regard. Et à la manière dont il venait de s'accouder au bar, ce sentiment s'était confirmé, un pied prêt à effectuer un mouvement de recul

- Bonsoir. Plutôt pas mal et toi ?

Seul moyen qui était venu pour répondre à sa question assez brusque.
Jetant un regard aux alentours, elle avait constaté, sans surprise, que toute l'attention était portée sur la scène. Génial. Et c'est en regardant la salle qu'elle avait semblé chercher par la même occasion une porte de sortie. Se résignant finalement, bien malgré elle, à les reporter sur Eric dont le regard n'avait rien d'engageant.

- Loup-garou ? Sirène ? Présentatrice de la météo ? J'en sais rien ! Je connais pas la réponse que tu veux entendre. Alors allons plus vite, tu me la donnes, et j'le suis.

Elle était convaincue de ne rien être de tout ça. Elle ignorait pourquoi elle entendait les pensées des autres. Mais savait qu'il voulait entendre quelque chose dans ce goût là. Et elle ne mentait pas en disant qu'elle n'en savait rien. Et pourtant, elle sentait qu'elle avait intérêt à trouver une réponse plus correcte que ça. Réponse impossible à prouver quand un tel regard était en train de vous fixer et qu'en plus les pensées des autres se mettaient à fuser de toute part. Et parmi tout ce qu'elle était en train d'entendre, une table du fond avait plus particulièrement retenu son attention, toute son attention.
Quittant à nouveau le regard d'Eric, elle avait reconnu les imbéciles de l'autre soir accompagnés de nouveaux qui venaient de s'installer et fixaient à présent Eric, le regard plein d'hostilité. La conversation qu'ils avaient à présent à voix basse, elle n'était pas capable de l'entendre, mais les idées qu'ils comptaient apporter....
Brusquement, elle avait saisit le bras du vampire, sa bouche s'ouvrant pour se refermer aussitôt. Pourquoi le prévenir que ces imbéciles comptaient l'attendre à la sortie et qu'ils avaient de quoi dans le coffre ? Il savait très bien se débrouiller tout seul à ce qu'elle avait pu voir l'autre soir. Il n'avait pas besoin de son aide, ni qu'elle l'ouvre pour lui dire quelque chose qui la ferait passer pour plus étrange qu'elle ne l'était à ses yeux.
Intérieurement, elle s'était répétée de se la fermer. Elle avait même relâché son bras. C'était une mauvaise idée... et pourtant l'idée de choisir cette mauvaise idée semblait prendre le pas sur les bonnes résolutions.

La tentative d’humour à laquelle il avait répondu le premier soir se vit heurter un mur de glace cette fois-ci. Eric n’avait plus le cœur à être sympathique – oui comme s’il l’avait déjà été. Il voulait une réponse. Une véritable réponde et pas ce tissu de mensonge qu’elle tentait de faire passer pour de l’assurance. Il avait fait parler des créatures dont elle ne doute probablement même pas de l’existence. Elle allait lui cracher le morceau, qu’elle le désire ou non.

▬ Ne me prend pas pour un idiot. Il y a quelque chose de différent en toi. Dis-moi ce que c’est.

Il en restait encore aux paroles autoritaires, mais à continuer comme ça, il ne saurait tarder à changer ses méthodes pour quelque chose de plus radical.
C’était d’ailleurs ce dont il était sur le point de la prévenir lorsqu’elle le saisit par le bas. Le coupant court dans son air d’allée, Eric ferma la bouche qu’il venait d’ouvrir. Il s’attendait à ce qu’elle dise enfin la vérité, mais rien ne vint. Pas même une autre vaine tentative de changer de sujet. Absolument rien.

Son regard chocolat dévia et le vampire le suivit. Ses yeux bleus atterrirent sur les idiots qu’il avait un peu malmenés à sa dernière visite et quelques copains supplémentaires. Parfait. Allons-y pour un règlement de compte. Seulement, comment pouvait-elle le savoir? Lui pouvait tendre l’oreille et les entendre comploter tout bas, mais elle? Impossible. Comment expliquer cette lueur d’avertissement dans ses yeux?
Ramenant la tête vers elle, ce fut à son tour à lui de lui empoigner le bras, rapprochant son visage du sien sans la moindre gêne pour murmurer tout bas :

▬ Prépare une meilleure réponse. Je n’en ai pas terminé avec toi.

La tentation de l’embrasser était forte, mais le viking résista, se permettant seulement d’humer son odeur. Faisant un pas à reculons par la suite, il tourna finalement les talons pour quitter le bar. Ses sens aiguisés lui indiquèrent rapidement qu’il était suivi.

Ralentissant le pas, Eric n’avait en aucun cas terminé cette conversation, mais cette fois-ci il allait s’assurer de ne pas être interrompu. Devinant six hommes, peut-être même sept, le vampire quitta la rue principale pour s’enfoncer dans une ruelle. Ces types étaient vraiment idiots. Au lieu de sentir le traquenard, ils pénétrèrent à sa suite dans la ruelle avec l’idée probable que leur nombre serait suffisant pour venir à bout de lui. Bande d’imbéciles incultes… En tout cas, ce ne fut pas Eric qui s’en plaint lorsque le premier brandit une croix en bois devant lui.

▬ Sérieusement?

Contrairement à la légende populaire, les vampires ne craignaient pas les croix et ce fut au moins une chose que ce crétin apprit avant de mourir d’une nuque brisée. Le second, plus créatif, présenta un pieu qu’Eric détourna sans mal en brisant le poignet de son assaillant. Pendant que celui-ci laissait extérioriser sa douleur, le guerrier viking se tourna vers deux autres, armés de chaînes en argent.

▬ On progresse, bravo.

Mais ils restaient d’aucune taille face à un vampire de son acabit. Empoigner les chaines pour leur serrer le cou lui brûla les mains, mais le blond serra les crocs et termina sa besogne. Les deux derniers et le blessé courraient déjà vers le stationnement du bar pour grimper à bord de leur pick-up et s’enfuir. Pas de chance. Un simple petit coup d’hyper vitesse et Eric avait mis la main sur eux sans qu’ils ne puissent grimper dans leur camion. Il projeta le blessé plusieurs mètres plus loin le temps de saigner les deux autres. Le dernier idiot du groupe était à deux coins de rues lorsqu’il buta contre Eric. Il savait qu’il avait sa mort en face et il s’agissait d’ailleurs du même type qui l’avait provoqué quelques jours au par avant. La bouche carnassier et dégoulinante de sang du plus puissant prédateur connu de ce monde. Voilà quelle serait sa dernière image avant de mourir.

▬ Je t’avais prévenu qu’il ne fallait pas me provoquer.

La terreur se lisait parfaitement dans ses yeux, mais Eric n’en avait que faire. Sans le moindre remord, il plongea ses crocs dans la gorge de son tout dernier assaillant. Quelques instants plus tard, il laissait tomber son corps mollement sur le bitume.
Se passant vaguement la manche sur la bouche pour en chasser le sang, Eric devait maintenant nettoyer son gâchis. Il aurait préféré rejoindre Eden tout de suite pour terminer son petit interrogatoire, mais il ne pouvait pas laisser six corps comme ça. Utilisant le pick-up qui ne servait maintenant plus à personne, Eric jeta les corps à l’arrière avant de les recouvrir d’une bâche. Il lui suffirait d’aller au lac en dehors de la ville pour les balancer aux crocodiles. Le temps qu’on les retrouve et que l’on comprenne ce qui c’était passé… Il aurait la sainte paix.

Cependant, une fois de nouveau devant le bar, Eric n’entra pas. Le problème n’était pas qu’il venait de tuer six hommes, mais bien que les gens allaient suspecter fortement un truc s’il retournait là-dedans avec du sang sur lui et ces mecs disparus…
Le viking opta donc pour la patience. Il alla se caler contre un arbre et attendit. Il allait attendre tout le temps qu’il faudrait pour qu’Eden termine son service et sorte de là.

Peu importe pour le moment les soupçons qu'il avait à son sujet.
Peu importe ? Qu'est-ce qui pouvait bien clocher avec elle pour qu'elle puisse penser ça ? Alors même qu'elle s'apprêtait à prendre finalement la mauvaise décision, à lui dire à voix haute ce qu'elle avait entendu dans leurs têtes, il lui avait attrapé le bras à son tour pour rapprocher son visage du sien et leur proximité en était presque devenue troublante.
Et au lieu d'avoir la réaction normale avec la réplique qu'il venait de lui sortir, elle avait tenté vainement de le retenir mais ses doigts n'avaient eu que le temps d'effleurer son bras avant qu'il ne s'éloigne pour quitter le bar. Les idiots s'étaient levés moins d'une minute plus tard et l'avaient imité sous le regard d'Eden.
Pourquoi se faisait-elle du soucis ? C'était parfaitement ridicule, il s'en sortirait très bien tout seul et dans le cas contraire, elle aurait un problème de moins à régler. Elle devrait plutôt prier pour ces pauvres crétins et leur prétendue préparation, ils lui rendraient un énorme service. Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à penser de cette manière ? Pourquoi, quelques secondes plus tard, elle avait tenté de quitter le bar à son tour ?
Plus tard, elle se demanderait ce qui clochait dans sa tête pour se réagir de cette manière. En attendant, c'est son patron qui venait de la retenir par le bras :

- Oh non non non, il me manque déjà du monde ce soir.
- Mais ces idiots...
- ... sont en train de nous rendre un grand service à tous.

Au regard noir qu'elle venait de lui lancer, il était inutile de lui dire de vive voix qu'elle n'était pas d'accord avec lui. Dégageant son bras, elle l'avait bousculé pour reprendre sa place derrière le bar. Elle n'avait pas écouté la suite et son regard s'était porté pour la première fois, mais certainement pas la dernière de la soirée, sur l'heure. Heure qui avait défilé beaucoup trop lentement à son goût. Et quand elle ne fixait pas la pendule ou son portable pour voir si l'une des deux n'avait pas un problème, son regard se portait sur la porte du d'entrée à chaque fois que celle-ci s'ouvrait au rythme des arrivées des clients de ce soir.
De plus en plus nerveuse au fur et à mesure, elle avait essayé à plusieurs reprises de penser à autre chose. Mais quand elle le faisait, elle se remettait à douter quelques secondes plus tard de sa réaction. Elle aurait du lui dire plus vite, avant qu'il ne quitte ce bar.
Tapant tantôt des doigts sur le bar, trouvant à un autre moment une occupation comme essuyer un verre qu'elle essuyait trop longtemps pour ce geste ne soit pas lié à sa nervosité, le temps avait finit par passer et les derniers clients avaient parlé d'aller faire la fête ailleurs.
Aussitôt, Eden s'était relevée du tabouret sur lequel elle avait finit par élire domicile pour tenter vainement de se calmer. Rapidement, elle avait récupéré ses affaires dans son casier et avait quitté le bar sans répondre au "bonne soirée" de son patron.

Aussitôt la porte du bar refermée derrière elle, son regard s'était promené sur le parking sombre. Une réaction plus juste aurait été de le faire pour voir si ces idiots étaient toujours en vie, pourtant, elle n'y avait pas pensé une seule seconde. Ce n'était clairement pas eux qu'elle cherchait.
Dans un soupir, uniquement blasée contre sa propre personne, elle s'était enfoncée dans le même comportement stupide et avait fait quelques pas sur le parking.
Incapable de se convaincre qu'il était préférable qu'elle ne le trouve pas, elle était passée devant sa voiture, peu décidée à rentrer.
Plissant les yeux, cherchant à voir une personne là où ce n'était qu'une vague forme, elle n'avait pas entendu la personne qui se rapprochait derrière elle. Et quand une main s'était posée sur son épaule, son coeur s'était arrêté de battre pour une fraction de seconde dans un sursaut. En se retournant, elle ne s'attendait probablement pas à voir cette personne. En fait, elle avait sans doute même pensé qu'il s'agissait d'un crétin de vampire pour lequel elle s'était inquiétée pour rien. Son expression avait rapidement changé :

- Bonsoir.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- En voilà des manières de dire bonsoir à son père ! Après tout ce temps, tu pourrais au moins m'embrasser.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Plus ferme, elle avait repetée sa question. C'était sans doute la dernière personne qu'elle avait envie de voir sur Terre et malgré l'assurance qu'elle avait cherché à mettre dans sa voix, son regard s'était porté sur sa voiture qu'elle regrettait à présent d'avoir dépassé.

- Je suis venu te chercher évidemment. Tu t'es bien amusée, maintenant il faut que les affaires reprennent.
- Non merci, j'ai un nouveau boulot.
- Servir de la bière ? J'ai vu ça. Eden, avec ton don, tu ne crois pas que tu vaux mieux que ça ? Tu sais bien que papa ne peut pas y arriver sans toi. Je trouve des personnes à arnaquer et tu joues les miracles divins en entrant dans leurs têtes pour que papa et toi puissent gagner de l'argent. C'est simple.

Serrant davantage son sac d'une main, l'autre avait fouillé lentement et le plus silencieusement possible à l'intérieur pour mettre la main sur ces fichues clés.
Elle ignorait comment il avait fait pour la retrouver, elle s'en fichait pas mal pour le moment. Tout ce qui comptait désormais, c'était de changer de coin et qu'importe si elle venait d'arriver.
Enfin, elle avait sentit ses clés du bout des doigts. Mais il ne suffirait probablement pas d'un "bonne nuit" et espérait pouvoir rentrer si facilement était parfaitement ridicule. Alors, bien qu'elle n'ait aucune occasion d'opter pour la coopération, elle avait hoché la tête et si son père avait d'abord semblé surpris en pensant qu'il s'attendait à plus de rébellion, il avait finit par penser que la gamine qui l'avait dressé n'avait pas oublié complètement à qui elle devait le respect. Raison pour laquelle, il l'avait invité d'un mouvement de main à se diriger vers sa voiture, marchant ensuite à ses côtés.
Dans sa tête, Eden avait compté jusqu'à 3, pas plus, avant de se décider, priant pour que sa voiture ne décide pas de faire des siennes dans un moment pareil. Des deux bras, elle avait poussé son père avant de s'élancer en courant vers sa voiture. Elle pensait atteindre son voiture, elle avait eu l'illusion d'y arriver pendant quelques secondes, mais son père avait finit par se jeter sur le sol pour lui agripper les chevilles, la faisant ainsi tomber à son tour.
Avec force, elle s'était débattue alors qu'il tentait de la maîtriser, à présent au dessus d'elle. La claque violente qu'elle s'était ensuite reçue l'avait sonné et pourtant elle tentait toujours de le repousser malgré les menaces :

- Calme toi ! C'est de ma faute, je crois qu'on s'est pas bien compris, je ne te demandais pas ton autorisation. Eden... Eden tu vas me mettre en colère. Calme toi j'tai dis !

Acculé à son arbre, Eric attendait patiemment. Il aurait eu tout le temps nécessaire pour sortir de la ville, se débarrasser des corps et revenir, mais allez savoir, il voulait être bien certain de ne surtout pas rater la barmaid lorsqu’elle terminerait son service. Le seul problème, c’est qu’un type restant immobile durant des heures… ça avait le don d’attirer l’attention. Surtout lorsque ce type est très bien connu des clients du bar pour être un vampire. Craignant probablement de se faire attaquer et vider de leur sang, certaines crurent intelligents d’appeler les flics. Comme si la police pouvait faire quelque chose contre un vampire qui avait décidé de se nourrir. Pathétique.
Certes, oui, mais c’est ce qui expliqua pourquoi Eric avait mis autant de temps à réagir. Son nez lui avait assuré qu’Eden venait tout juste de sortir du bar lorsqu’il se fit interpeller par un flic en uniforme qui venait de sortir de sa voiture. Trop occupé à fixer le bar, Eric ne l’avait pas senti s’approcher.

▬ Monsieur, vous devriez partir.
▬ J’attends quelqu’un.

Son « je m’en foutisme » clairement senti fit hésiter un peu le policier, mais celui-ci revint à la charge, osant même se rapprocher du suceur de sang, la main sur son arme bien que celle-ci demeurait dans son étui.

▬ Vous allez partir monsieur. Nous avons reçu des plaintes, vous faites peur aux gens du coin.

Quittant le policier du regard lorsque son ouïe capta quelque chose de plus intéressant, Eric remarqua qu’Eden n’était plus seule. Elle discutait avec un homme d’âge mûre et celui-ci semblait très au courant de ce qu’Eric désirait savoir. Alors donc, elle entrait dans la tête des gens. Intéressant. Très intéressant même. Eric imaginait déjà à quel point un tel don pourrait s’avérer utile dans ce qu’il faisait.

▬ Monsieur!

Le ton de voix du policier devenant plus dure et plus forte ne plaisait absolument pas à Eric. Sortant les crocs, il ramena la tête dans la direction du représentant de la loi pour grogner un peu avant de faire les quelques pas qui les séparait en une fraction de seconde. Il plongea son regard dans le sien, décidé à ne pas être ralentit davantage.

▬ C’était une fausse alerte. Tu vas retourner à ta patrouille tout de suite. C’est compris?
▬ Une fausse alerte. Je vais retourner à ma patrouille.
▬ Bien.

Dans son état second, le policier tourna les talons et retourna à sa voiture de fonction. Pouvant enfin ramener son attention sur ce qui l’intéressant, Eric constata que là où se trouvait Eden et l’inconnu, il n’y avait plus personne. Un regard à la ronde, aucune tête n’était visible nulle part.
Laissant échapper un grondement, Eric tendit les oreilles et sonda l’air de son odora surdéveloppé. Ce fut le bruit caractéristique d’une gifle qui le mit sur la voie et le blond ne mit que quelques secondes pour arriver à destination.

Eden était allongée sur le bitume, l’homme inconnu au dessus d’elle qui cherchait à la maîtriser. L’odeur du sang le plus irrésistible qu’il n’avait jamais rencontré lui chatouilla les narines et le vampire constata que la brune avait des écorchures sur les genoux et les avant bras – une chute probablement responsable de ça. Voyant rouge sans explication puisqu’il n’était absolument pas menacé, Eric se saisit de l’homme par le cou d’une seule main, le soulevant de terre de plusieurs centimètres comme s’il ne pesait rien du tout. Montrant les crocs comme la bête sanguinaire qu’il était, le viking resserra même les doigts autour de sa poigne, se sentant satisfait d’entendre sa victime gémir à la recherche de son air.

▬ Tu es blessée. Ça va?

Sa question s’adressant bien évidemment à Eden, le géant des steppes tourna lentement la tête vers elle pendant que son agresseur se débattait faiblement entre ses doigts de vikings.

▬ Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse?

Le saigner, le démembrer, lui briser tous les os un à un, Eric était prêt à lui faire la moindre chose que la brunette jugerait bon. Et, sans réellement comprendre pourquoi, le vampire espérait que la barmaid se sente d’humeur sadique et cruelle.

Désespérée, Eden avait continué à se débattre. Bien qu'elle sente que la fuite lui était impossible cette fois, à cet instant précis, elle avait tourné la tête dans la direction de sa voiture qui était encore trop loin pour qu'elle puisse espérer l'atteindre, sa vision se heurtant aux pneus d'une autre voiture. Fermant les yeux, elle avait fait ce qu'elle ne faisait que très rarement, pour ne pas dire jamais, elle avait prié. Prier pour une issue miraculeuse ou que quelqu'un lui vienne en aide. Et à la pensée de ce quelqu'un, ses espoirs s'étaient tournés vers Eric. Le voir débarquer sans une égratignure sur lui pour la secourir. Espérer qu'il se soit débarrasser des autres imbéciles dont elle n'avait pas été capable de le prévenir plus tôt dans la soirée.
Et le désespoir ne s'était pas arrangé en se rendant compte que c'était une prière bien stupide. S'il s'était débarrassé des gêneurs, pourquoi serait-il resté ? Pour en apprendre plus sur son petit secret alors qu'il pouvait tout aussi bien revenir un autre soir ? Avec l'agitation de ce soir, probable qu'il aurait décidé de revenir une autre fois si savoir ce qu'elle était vraiment l'intéressait à ce point. Sa seule issue ici était de continuer à se débattre en sachant très bien que son père avait gagné pour ce soir.

Rouvrant les yeux, c'est sur Eric qu'elle les avait posé. Dans la seconde suivante, elle avait été libéré des mains de son père.
Pendant un instant, elle était restée sur le sol, toujours sonnée par la claque, à fixer le vampire, une expression d'incompréhension apparaissant peu à peu dans son regard.
A sa question, elle s'était aidée de ses mains pour s'asseoir, sans doute pour se prouver que ça allait, avant de se relever avec prudence, sur la défensive. La personne la plus dangereuse ici n'était pourtant pas celle dont elle se méfiait. Oui, fallait sans doute qu'elle revoit son sens du mot "danger", mais il n'avait rien fait à part l'aider jusqu'ici.
Hochant la tête, sa main sur sa joue endolorie, elle avait finit par formuler des mots :

- ça va...

Peu convaincue par ce mensonge, elle avait rajouté :

- ...je suppose.

Le sort de son père ?
La question d'Eric avait multiplié les pensées de panique de son père. Parce qu'il était incapable de parler avec la pression qu’exerçait le vampire sur sa gorge, il avait usé de l'autre moyen de communication qu'il connaissait pour sa fille. En boucle, il avait imploré en invoquant le statut de père, ce genre de conneries.
Certain qu'un père normal vous entraînait dans des foires ou chez des familles vulnérables pour tenter de les escroquer. Leur relation se résumait à ça. Alors pourquoi ne pas demander à Eric de s'en débarrasser définitivement ?
C'est ce qu'elle avait souhaité intérieurement. Ne plus jamais l'avoir devant elle et être certain de ne plus le croiser.
Mais comme tout brave humain qui se respecte, du moins pour ceux qui peuvent prétendre être dans le camp du bien, elle savait qu'elle n'avait pas à juger de sa vie ou de sa mort. Ce type qu'elle détestait restait son père, malheureusement.
Poussant un soupir, Eden avait détourné les yeux du visage de son père pour les poser sur Eric, visiblement hésitante :

- J'en sais rien... je....

Elle aurait pourtant pu, ce n'était sans doute pas la meilleure des décisions, mais elle aurait pu et même du lui demander de le tuer.
Qu'est-ce qu'il avait fait pour elle à part lui pourrir sa vie ?
Malgré tout ça, elle n'avait pas été capable de se convaincre. Elle le regretterait sans doute le lendemain, quand elle se demanderait s'il rencontrerait son chemin une nouvelle fois.

- ... fais le juste partir... s'il te plait. Qu'il ne revienne plus... ou au moins le temps que je fasse mes valises.

Ce qui ne devrait pas lui prendre beaucoup de temps vu qu'elle était bien entraînée sur cette action.
Il existait pourtant d'autres manières de ne pas les faire avant un temps. Mais elle n'était pas encore calée sur le sujet étant donné qu'elle se tenait devant le premier vampire qu'elle ait jamais rencontré, et le seul de son entourage.

Eric voulait lui arracher les yeux et les lui faire avaler. L’écorcher vif, très lentement, et lui arracher tous les ongles un à un. Pourquoi le géant blond voulait tellement lui faire du mal? Parce qu’il avait touché Eden. Il l’avait giflée, blessée. Et bien que le viking ne connaissait absolument pas le lien qui les unissait, il sentait que ça ne datait pas d’aujourd’hui. Il ne comprenait pas non plus pourquoi il ressentait autant ce besoin de lui faire payer l’affront qu’il avait commis en levant la main sur elle et c’était horriblement déroutant, mais Eric ne voulait pas se questionner. Ce type n‘avait aucune importance pou lui de toute façon. La sentence qu’Eden voudrait lui donner serait la sentence qu’il obtiendrait.

Commençant par s’assurer de l‘état de santé de la brune, Eric sentit qu’elle allait bien, étant plus choquée qu’autre chose. Là où il aurait dû éprouver du soulagement, le vampire n’en fut que plus en colère. Qui était cet homme pour elle au point de la troubler comme ça? La jalousie s’était emparée du vampire aussi facilement qu’une maladie vénérienne dans un harem turc. Tous les vampires étaient possessifs de nature, mais Eric l’était énormément. Ce qu’il considérait sien l’était, point barre. Ce qu’il voulait garder intact devait l’être, point barre. Lorsqu’il tombait sur quelqu’un d’aussi spécial qu’elle, elle devenait intouchable, point barre. Ce n’était pas une chose qu’il pouvait expliquer, ni à laquelle il pouvait résister. Tout son être, aussi mort soit-il, lui criait de mettre cette fille dans une tour de verre et la garder pour lui indéfiniment.

La question du sort de l’homme étant entre les mains d’Eden, Eric dévisageait l’accusé d’un air profondément bestial et menaçant, prêt à exécuter la sentence dès qu’elle serait prononcée. Une sentence bien médiocre à l’avis du viking qui pouvait faire tellement plus que ça. Le faire partir pour qu’elle fasse ses valises? Ça signifiait qu’elle partirait. Hors de question!

▬ Tu n’iras nulle part, mais t’en fais pas. Il ne t’embêtera plus.

Abaissant le bras pour remettre le type sur ses pieds, Eric desserra sa poigne sans pour autant retirer sa main de son cou. Penchant la tête sur l’homme qui faisait une quinzaine de centimètres en moins, le grand blond plongea ses yeux glaciaux dans les siens, perçant les tréfonds de son âme d’enflure qui mériterait une mort lente et douloureuse.

▬ Tu vas m’écouter attentivement…

L’agitation de sa victime décanta rapidement et il se retrouva rapidement aussi docile qu’un chien très bien dressé. Ses yeux devinrent un peu vitreux, comme s’il était complètement ailleurs et son visage se dissipa de toute émotion.

▬ Eden est morte. Elle n’existe plus. Ça t’attriste beaucoup, mais tu vas faire ton deuil et passer à autre chose. Tu ne tenteras plus jamais de la retrouver et tu passeras le reste de ta vie à culpabiliser pour ce que tu lui as fait.

Il n’avait pour ainsi dire aucune idée de ce qu’il lui avait fait et n’avait aucune idée de qui il était, mais Eric s’en fichait. La sentence étant trop douce pour lui, il avait décidé d’y ajouter son petit grain de sel, optant pour la torture mentale. La culpabilité était une arme si forte et redoutable.

▬ Eden est morte?
▬ Oui. Alors quitte la ville, retourne d’où tu viens.
▬ Ma fille est morte…

L’émotion était palpable dans la voix de l’homme et Eric fronça les sourcils, rompant presque le contact pour regarder Eden. Ce type était son père? Cependant, le vampire était très doué pour refouler les choses et il continua sa besogne, ne se permettant d’être troublé que pendant quelques secondes.

▬ Elle est morte. Tu ne peux plus rien pour elle, alors va-t-en tout de suite.
▬ Je vais m’en aller.
▬ C’est ça, va-t-en.

Eric retira ultimement sa main de sur le cou du père qui s’éloigna, les yeux encore dans le vague. Regardant l’homme partir et disparaître dans la nuit, le viking posa enfin les yeux sur Eden. Commençant par ne rien dire, il pointa le pick-up d’un signe de tête avant de se mettre en marche vers le véhicule.

▬ Viens avec moi. On a des choses à se dire et j’ai aussi un truc à faire avant le lever du soleil.

Au pick-up, bien qu’il n’était pas facile de savoir ce qui se cachait sous la bâche, les gouttes de sang qui s’écoulaient doucement par la fente de la porte de la boite étaient tout de même un indice, tout comme le sang qui tâchait les vêtements du vampire.
Grimpant derrière le volant, il s’étira pour déverrouiller la porte côté passager et laisser monter Eden. C’était une folie de la rendre complice de ce meurtre de six hommes, mais ils devaient parler. Et il devait se débarrasser de ces corps. Il avait déjà trop trainé dans sa besogne.

Esquivant soigneusement le regard de son père, elle avait préféré le garder sur Eric. Dans une situation pareille, il lui était impossible cependant d'esquiver aussi bien les pensées de son père. Incapable de se ferme, elle avait été obligé de l'écouter supplier pour sa vie. Espérant sans doute rappeler à sa fille qu'il était son père et qu'ils avaient quelques moments partagés qui pouvaient lui sauver la vie, il s'était mis à fouiller dans sa mémoire pour tenter de trouver ceux qui pourraient la toucher. Quelques virées au bar, la fois où il lui avait appris à jouer au poker et l'illusion qu'elle avait aimé aider son père à gagner quelques parties en lisant dans la tête des autres joueurs, il n'avait rien trouvé de mieux.
Pourtant, à l'époque, elle était bien obligée de le reconnaître tout en détestant ça, elle avait plutôt aimer ses moments. Parce qu'au début, elle avait pensé que c'était un bon moyen de gagner l'affection de son père et qu'il appréciait passer ces moments là en sa compagnie. Elle avait finit par se rendre compte qu'elle n'était qu'une source de revenus et que c'était probablement en tant que tel qui la trimballait partout. Quelques foires lui avaient suffit et elle avait arrêté les illusions pour décider de grandir et cesser d'espérer.
Alors qu'il ne trouve que ces ridicules parties de poker était pitoyable mais n'avait rien d'étonnant. C'était après tout leurs seuls moments. S'ils avaient été seuls, elle en aurait probablement parlé. Elle lui aurait demandé s'il n'avait pas mieux à trouver pour sauver sa vie. Mais s'ils n'avaient été que tous les deux, elle ne serait pas actuellement en position de décider de sa vie ou de sa mort.
Pour le moment inconsciente qu'Eric avait entendu leur petite conversation, n'y réfléchissant même pas, elle avait gardé le silence avant de se décider finalement pour la décision la plus douce.

- J'ai besoin de ton autorisation ?

Pas le moment d'en discuter. Mais la question était venue toute seule avant qu'elle ne soupire. Ils auraient tout le temps de se chamailler sur le sujet plus tard. Même si les disputes avec les vampires n'avaient rien d'équitables.
Ouvrant la bouche pour ajouter quelque chose, elle s'était tue en voyant Eric passer à l'action.
Si cette petite ruse de jedi marchait réellement après tout... pourquoi pas ? On le disait en tout cas, et elle l'avait déjà vu à l'oeuvre l'autre soir.
Avec ça, effectivement, elle n'était peut être pas obligée de faire ses valises tout de suite et pouvait rester dans cette ville pour un temps, jusqu'à ce qu'elle ait envie d'en changer. Mais quand on connaissait bien Eden, on ne se serait pourtant pas étonnée de la voir à nouveau discuter le sujet plus tard. Oui, juste parce qu'elle détestait avoir besoin d'une autorisation pour faire quelque chose.

Morte ? C'était plutôt radical, mais au moins elle était certaine qu'il ne chercherait pas à la retrouver avec ça. Tant qu'elle choisissait bien les routes qu'elle emprunterait la suite et qu'elle ne rencontrait pas les mauvaises personnes. Presque aussi radical qu'une décision plus cruelle.
Elle n'avait fait aucun commentaire, pas même sur la partie remords. Elle s'était simplement demandée si son père aurait été capable d'en avoir sans l'aide du vampire. Levant même un sourcil, sceptique devant la réaction de son père, elle ne l'avait pas regardé plus d'une seconde, juste le temps de capter le regard d'Eric. Regard qui l'avait troublé au point qu'elle avait préféré le détourner à nouveau vers son père.
Ok, elle n'avait pas beaucoup d'expérience dans le domaine, mais ça faisait deux réactions qui dénotaient du "classique" vampire pour ce soir.

Eric avait relâché son père et ce dernier s'était éloigné sans attendre ou sans remarquer que sa fille morte se tenait non loin de là, bien vivant. Ce coup de l'hypnose, elle n'était pas sûre de s'y habituer. Fallait admettre que c'était plutôt pratique, sans doute plus cool que son propre don.
Ne détachant pas ses yeux de son père jusqu'à ce qu'elle ne fixe finalement plus que la pénombre. Et lorsqu'elle s'était dit qu'il était bel et bien partit, convaincu de ne plus avoir de fille à chercher, elle avait reporté son attention sur son sauveur du soir.
Elle supposait que le mot correct était présentement "merci" et elle l'avait pensé en le fixant silencieusement. Bizarrement, elle ne s'était pas sentie soulagée que pour le départ de son père. Ces imbéciles n'avaient clairement pas eu raison de lui et, en plus du merci, elle avait presque songé à lui sortir un truc du genre "Contente de te voir aussi mortellement en vie".
C'était, bien sûr, avant qu'il ne lui "propose" de l'accompagner et qu'elle ne termine son examen. Alors qu'il se dirigeait déjà vers le pick-up, elle avait froncé les sourcils, prêtant enfin attention au sang qu'il avait sur lui. Débile, qu'est-ce qu'il pouvait bien faire d'eux ? Et elle avait eu clairement un début de réponse en s'avançant vers le véhicule qu'elle avait détaillé avant de se diriger vers le côté passager dont elle avait ouvert la portière brusquement dans un :

- Tu les as tués ?

Non, ils se sont faits une partie de scrabble avant de se quitter en bon terme... probablement de la confiture =.=.
Refermant la portière avec force, elle l'avait fixé avec un air mécontent. Pas le même monde, pas les mêmes réactions. Dans le leur, on appelait sans doute ça de la "légitime défense"

- T'as pas trouvé une meilleure solution ?

Clairement non.

- ... rassure moi, t'en as profité pour manger ?

Qu'est-ce que ça pouvait bien avoir de rassurant ?
Elle venait tout juste de remarquer que sa chute en avait fait un casse-croûte à découvert pour l'odorat. Et elle n'avait rien trouvé de mieux à faire que de monter en voiture avec lui ?
Être bouffée dans une voiture ou sur un parking, quelle différence ? Et puis, il ne l'avait pas aidé pour en faire son dîner ensuite. Espérons simplement que l'odorat n'allait pas lui faire changer d'avis sur le sujet.

▬ Absolument.

Depuis quand Eric décidait des allés et venus des humains sur son territoire? Depuis que cette fille-là était aussi particulière. Il avait décidé qu’elle était à lui, tout simplement. Évidemment, les vampires biens élevés demandent et proposent ce genre de choses, ils ne les prennent pas pour acquis rien que parce qu’ils l’ont décidé. Cependant, Eric n’était pas l’exemple même du vampire bien élevé. Il la voulait sienne, elle allait lui appartenir d’une façon ou d’une d’autre. Le viking obtenait toujours ce qu’il désirait.

Quoi qu’il en soit, il aurait tout le temps d’expliquer à la barmaid comment fonctionnait le monde vampirique lorsque ce type aurait eu ce qu’il mérite. Malheureusement, ce qu’il méritait n’était pas très équitable au goût d’Eric qui avait l’équité assez discutable en soit – mais soyez donc celui qui va le lui expliquer x_x
Optant pour un retrait définitif de ce type dans la vie d’Eden, le géant blond usa de son don hypnotique pour lui faire croire à la mort de sa fille. Sa propre fille. Eric avait des notions familiales anciennes et pour le moins très éloignées, mais dans son souvenir, les pères ne traitaient pas leur fille ainsi – ou du moins pas sans une excellente raison.
Manipulé cet esprit faible, où franchement les choses ne se bousculaient pas des masses, fut un véritable jeu d’enfant pour Eric et le père d’Eden ne tarda pas à s’éloigner du stationnement pour retourner à la vie sans sa fille. En le regardant partir, le viking se dit qu’il aurait été bien plus défoulant de lui mettre les trippes à l’air et de le regarder s’éteindre dans la douleur et la terreur. Même s’il savait le lien de parenté entre lui et la demoiselle qu’il avait protégé? Soyons franc, un vampire n’avait pas de ressentiment. Qu’il ait été son père, son amant, son fils, ça n’aurait pas empêché Eric de le torturer à mort dans d’atroces souffrances sans que ça ne lui provoque le moindre pli dans la figure.

Quand Eden grimpa dans le pick-up, s’épouvantant sur le sort que le blond avait réservé à ses assaillants, Eric mit le moteur en route et quitta l’air de stationnement sans avoir la moindre mine offusquée.

▬ Je les avais prévenu de ne pas me provoquer.

Aucune excuse – ni même une raison valable quand on y pense – ne vint après cette réponse. Il était franc, tout simplement. Il leur avait dit de ne pas le chercher et de le laisser tranquille. Ils n’avaient pas écouté, préférant jouer aux durs à cuir. Voilà ce qu’il en coûtait. On ne joue pas avec un vampire. Il aurait pu les hypnotiser, certes, mais à six il aurait été difficile de tous les avoir en même temps. De toute manière, il s’en fichait. Hypnotiser ou tuer. Pour lui, c’était une façon comme une autre de se débarrasser de quelqu’un. L’une ne paraissant ni plus radicale, ni plus violente qu’une autre. Après tout, le meurtre faisait partie de sa nature.

S’engageant rapidement sur la principale, le vampire comptait rejoindre une route numérotée et filer droit dans la forêt marécageuse la plus proche. Et lorsqu’Eden le questionna à savoir s’il avait prit le temps de se sustenter, le vampire réagit au quart de tour, ce qui ne lui ressemblait pas tellement.
Quittant même la route des yeux, il les plongea dans ceux de la brune tendant un index ferme dans sa direction.

▬ Tu n’as absolument rien à craindre de moi, est-ce que c’est clair?

Vu le ton qu’il employait, ce n’était pas certain. Hélas, elle ne le connaissait pas suffisamment pour savoir qu’Eric était simplement comme ça en permanence. Direct et autoritaire. Il savait être moins « rigoureux » dans sa façon de s’exprimer, mais les gens qui avaient droit se comptaient sur les doigts d’une main et aussi particulière était cette humaine, elle n’était qu’une humaine qu’il connaissait à peine.

▬ Tu seras toujours en sécurité avec moi.

Et aussi étrange que cela pouvait être, il y croyait dur comme fer. Il n’avait pas l’intention de lui faire du mal. Il n’avait même pas l’intention de se nourrir d’elle aussi alléchante était l’odeur de son sang à moins qu’elle ne lui en donne la permission. Lorsqu’il la regardait, elle resplendissait comme un joyau précieux. Inexplicable, mais cette absence d’explication expliquait cependant le comportement d’Eric bien qu’elle soit incapable de comprendre l’effet qu’elle avait sur lui.

Par la suite, le vampire resta plusieurs minutes dans le silence à simplement fixer la route. Il leur faudrait une vingtaine de minutes pour gagner la 220 et se rendre aux abords de Cross Lake pour y décharger les corps.
Puis, après ces instants sans échange, Eric jeta un œil à la jeune femme, ayant visiblement quelque chose qui lui brûlait les lèvres.

▬ Alors comme ça, tu pénètres l’esprit des gens. C’est ça ton truc.

Aussi bien rendre ces vingt minutes productives. Surtout que c’était pour ça qu’il avait insisté à ce qu’elle l’accompagne.

Absolument.... Bien sûr, comment avait-elle pu poser la question ? Il était évident qu'elle était devenue une genre d'esclave qui devait tout demander à son maître, le grand Eric, à partir d'aujourd'hui. Comment avait-elle pu poser une question aussi idiote ?
Roulant des yeux, elle n'avait toutefois rien répondu, n'oubliant pas le sujet de conversation pour autant. Elle saurait bien le remettre sur le tapis plus tard pour clairement affirmer qu'elle faisait ses valises quand bon lui semblait. Soit ce soir ? Elle n'avait plus de raisons de courir à son motel pour plier bagages, elle supposait qu'elle pouvait retarder un peu son départ. Et s'il fallait une raison à ça, elle ne l'avouerait que tout bas. Disons que Shreveport avait un certain intérêt. Et oui, peut être que le blond avait un rapport avec cet intérêt, mais inutile de le crier sur tous les toits.
Ce n'était que ce silence à présent revenu depuis qu'ils étaient seuls. C'était reposant et intriguant en même temps. Discuter avec lui la changeait considérablement des autres conversations qu'elle pouvait avoir avec les gens.
Et c'est pour ces conversations qu'elle s'était inquiétée un peu plus tôt ?
Elle n'avait pas envie de s'analyser pour le moment et encore moins d'admettre les résultats après.

- Oh... dans ce cas, ça justifie tout !

L'ironie était clairement détectable dans le son de sa voix mais, comme si ça ne suffisait pas, elle avait roulé des yeux avant de les porter sur la route. Il était inutile de discuter avec lui de ce sujet, ils n'avaient pas la même vision des choses. Tuer quelqu'un était plus normal dans son monde que dans le sien :

- Mais juste au cas où, ça peut toujours servir, prévenir rime avec préméditation dans pas mal d'Etats... je pense même tous.

Assez plaisanter. Une dispute sur le sujet n'allait avancer à rien. Ce qui était fait était fait. Et tout bas, elle avait peut être pensé que c'était mieux ainsi plutôt que l'inverse. Choisir entre des idiots qui provoquaient un vampire sans raison et le géant blond... elle préférait que son conducteur reste en vie... enfin mort, peu importe !
Poussant donc un soupir, sachant très bien que rajouter quelque chose ne servirait pas à grand chose, elle avait finit par attacher sa ceinture. Vu la conduite d'Eric, c'était une question de survie essentielle qu'il ne fallait pas négliger. Tout comme il ne fallait pas négliger sa condition de casse-croûte rendu plus alléchant par une mauvaise chute. Sujet plus délicat que conduire un pick-up avec des cadavres à l'intérieur. Lorsqu'il avait pointé son index dans sa direction, Eden avait légèrement sursauté, détournant les yeux sur la route. Certes, les vampires avaient sans aucun doute de très bons réflexes en matière de conduite, mais les humains avaient celui de fixer la route quand ils conduisaient.

- Si tu le dis....

Il n'était pas très convaincant, fallait bien justifier le sarcasme qu'elle avait jugé suicidaire dans la seconde suivante, puisqu'elle avait rajouté :

- J'en suis certaine... à part peut être un accident de la route dans un pick-up avec des cadavres à l'arrière. Mais tant que je sers pas de repas, ça me va.

Rattrapage plutôt original, mais rattrapage quand même. On lui pardonnerait les notes d'humour, c'était sa manière de faire depuis trop longtemps pour qu'elle se retienne.
Quoiqu'il en soit, le doute avait semblait s'estomper à la réplique suivante, et elle avait quitté la route des yeux pour les poser à nouveau sur Eric. Il semblait sincère... et c'était le fait qu'il le soit qui était encore plus étonnant. Il débarquait ce soir comme un super héros, la sortait d'un mauvais pas sans raison particulière et lui rendait une fière chandelle en se servant de ses dons sur son père. Mais, pour tout ça, elle ne trouvait aucune raison. Il ne ressemblait pas exactement au genre Edward, Angel et compagnie. Pourtant, elle avait finit par se détendre et se sentir réellement en sécurité :

- A propos... merci pour ce soir.

Evitant ensuite soigneusement son regard, Eden avait fixé sa fenêtre pour voir défiler la route. Net progrès question santé mentale. Elle remerciait un vampire qui était présentement en train de la rendre complice de plusieurs meurtres. Mais il était également responsable d'une chose dont elle n'aurait osé rêver tellement elle lui semblait impossible. Grâce à lui, elle pouvait désormais poursuivre le cours de sa vie, même si c'était sans but précis, sans avoir à se retourner sans cesse en craignant que son père ne finisse par la retrouver. Sans lui, elle serait actuellement en route vers une destination beaucoup moins plaisante. Oui, moins plaisante, selon son point de vue, qu'une route de nuit avec des cadavres à l'arrière.
Le silence qui avait régné pendant les minutes suivantes n'avait pas semblé la mettre mal à l'aise. Il était rare d'y goûter dans son cas, et elle ne se sentait plus mal à l'aise à présent. La pression avait finit par retomber peu à peu.

- Hein ? Pas du tout !

Brusquement, elle s'était de nouveau tournée vers son voisin. C'est dans un soupir qu'elle s'était sans doute résignée. Inutile de nier....

- Comment tu... ?

Il avait dû, tout simplement, entendre la petite scène avec son père ...

- Tu sais qu'en plus d'un réel problème de communication, tu as celui d'écouter aux portes.

Un nouveau soupir plus tard, elle avait finit par répondre à la question. Maintenant qu'il savait, ce n'était plus la peine d'esquiver le sujet ou de chercher des réponses qu'il ne trouvait jamais très crédibles :

- Oui, mais me demande pas pourquoi. J'en sais rien. Et puis ton coup de maître Yoda, c'est plus cool.

Conversation entre deux anormaux ? C'est la tournure que ça prenait en tout cas.

Un sourire en coin vint se poser sur les lèvres pâles du vampire à l’évocation de préméditation et d’États. Elle croyait quoi? Il massacrait des humains depuis plus de mille ans, il savait couvrir ses traces. Il n’était pas un jeune vampire tout juste engendré!

▬ Ça justifie le fait que je sois un vampire de 1 189 ans très bien portant et non pas mort de sa grande mort. Ne t’inquiètes pas, je sais totalement quoi faire je n’ai même pas besoin de toi pour ça.

Alors pourquoi l’avais-tu entrainée là-dedans?

Parce qu’il devait lui parler. Une raison pas forcément suffisante, c’est vrai. Eric était plus rusé que ça. Il la voulait. Qu’elle lui appartienne. La première étape était de la forcer à rester dans son entourage. Quoi de mieux que d’être complice d’un crime sanglant? Réalisait-il l’impact que ça pouvait avoir sur elle? Franchement, il s’en balançait complètement. On ne devenait pas Eric Collins sans être un maître incontesté de l’égoïsme et de la manipulation.

Pourtant, il y avait quelque chose de bien différent avec elle. Normalement, il se fichait complètement d’effrayer les humains. Il prenait ce qu’il voulait d’eux malgré la peur, les hypnotisant simplement au besoin. Cependant, il ne voulait pas être source de terreur pour Eden. Il voulait que cette femme là le regarde dans les yeux sans craindre la mort. Il ne voulait pas voir le reflet d’un monstre dans ses prunelles chocolat. C’était pour ça qu’il lui avait assuré qu’elle n’avait pas à avoir peur de lui, qu’il ne lui ferait jamais de mal. Et elle semblait plutôt bien prendre la chose, la tournant avec humour. Elle avait du cran. Jamais aucun humain n’était comme ça avec lui et rares étaient les vampires qui se permettaient des libertés lorsqu’ils s’adressaient au viking. Eric était pour ainsi dire très imposant peu importe qui se trouvait en face de lui.

▬ J’ai une centaine d’années d’expérience de conduite. Tu es moins à risque d’un accident avec moi qui ne regarde pas ce qu’il fait qu’un chauffeur professionnel.

Ce ne fut qu’après ça qu’il jugea bon de ramener les yeux sur la route. De toute manière, il n’y avait pas de quoi s’alarmer lorsqu’on roulait en ligne droite. Posant sans vergogne sa main glacée sur la cuisse de la jeune femme, Eric porta à nouveau le regard sur elle, sincère.

▬ Et je t’assure que je ne vais pas te manger.

Il ramena ses yeux bleus vers l’avant, mais ne déplaça pas sa grande main de viking.

▬ Mais tu devrais faire attention quand même. Ton sang a une odeur très étrange. Elle donne très faim… je n’ai jamais vu ça avant…

Une pensée qu’il avait dite plus bas, comme s’il se parlait à lui-même en fait.

▬ Et tous les vampires ne se contrôlent pas aussi bien que moi.

Maitre de lui-même, ça il l’était pleinement, mais il était également très franc lorsqu’il le voulait. Et ce qu’il voulait avant tout, c’était de la préserver. Sa main quitta donc la cuisse d’Eden pour ouvrir la boite à gang et fouiller à l’intérieure, y jetant des coups d’œil qui déviaient de temps en temps de la route. Il sortit finalement un mouchoir en tissu un peu crasseux qu’il tendit à la brune.

▬ Essuies-toi, ça sera déjà ça si on tombe sur d’autres vampires là où on va.

Il en doutait beaucoup, mais il n’avait pas vécu autant sans être un minimum prudent. Puis, lorsqu’elle le remercia pour ce qu’il avait fait, le blond se sentit bizarre. Ce qu’il avait fait était délibéré et il n’avait certes pas pour habitude qu’on le remercie pour ses actes.

▬ C’est rien.

Et compte tenu qu’il aurait pu faire bien pire, ça n’était vraiment rien. Un petit tour de manipulation mentale bien banal et rudimentaire. Eric avait connu des esprits bien plus difficiles à manipuler que celui-là.
Le silence envahi alors la camionnette, mais ça n’avait rien d’un silence gênant ou inconfortable. Au contraire, Eric se concentrait davantage sur sa route, gagnant l’autoroute 220, et en profitait également pour apprécier la présence de la jeune femme qui se tenait à côté de lui. Parce que oui, c’était bien cette chose étrange. Il appréciait qu’elle soit là. Même sans la regarder, le simple fait de la savoir à côté de lui avait un certain effet. Ça ne faisait rien pour apaiser le mystère qui planait autour d’elle, mais quoi que cette chose fût, elle était enivrante et Eric ne voulait surtout pas que ça s’arrête.

Après quelques minutes, le vampire ramena pourtant le sujet délicat de cette chose qui rendait la brune si spéciale. Il n’avait pas saisit grand-chose de la conversation qu’elle avait eu avec son père avant que ça ne dégénère, mais il en savait assez pour qu’elle cesse de mentir et lui dise enfin ce qu’il voulait entendre.

▬ Un problème de communication, moi? Et je peux savoir en quoi?

Il prenait la mouche comme une écolière? Il semblerait bien, oui. Eric communiquait toujours très bien ce qu’il avait à dire, il ne voyait pas en quoi sa manière de s’exprimer était un problème! De quoi pouvait-elle se plaindre depuis leur rencontre? Il s’était montré très correct avec elle. Même plus que correct si on se fiait à ses relations antérieures avec les humains.

▬ C’est pas ma faute de toute manière. Les vampires ont une très bonne oreille. Comme le reste. Nous avons les sens très développés.

Pourquoi déballait-il les particularités de sa race ainsi? En réalité, il n’en avait aucune idée. Il se laissait emporter par la conversation. Comme si une réaction chimique le poussait à interagir avec elle de toutes les manières à sa portée.

▬ Ça n’avait rien d’exceptionnel, même les nouveau-nés peuvent le faire très bien si l’humain est un faible d’esprit. Tu as ce don depuis quand?

La tournure des événements était décidément très étrange. Eric qui faisait la conversation était déjà quelque chose, mais qu’il la fasse aussi ouvertement avec une humaine, ça battait tout ce qu’on avait déjà pu lui voir faire au par avant.

Pas besoin d'elle pour ça ? Alors qu'est-ce qu'elle faisait dans ce pick-up ?
Poussant un soupir justifié par le fait qu'elle était mêlée à tout ça pour rien, elle avait manqué de lui dire qu'ils auraient pu discuter à un autre moment dans ce cas. Elle avait déjà assez de soucis comme ça. Certes il l'avait débarrassé du plus gros, mais en étant immortel, ils avaient tout le temps de discuter un autre jour, il n'était pas pressé non ? A son âge.
Âge qui lui avait fait fixé le vampire, elle ne s'attendait pas à trouver des rides ou quelque chose dans ce goût là. Certain qu'à son âge, on ne s'embêtait plus avec les idiots en tout genre. Il n'en n'était pas à ses premiers meurtres là où elle en était à sa première complicité, et espérons qu'il s'agisse de la dernière :

- Qu'est-ce que je fais là alors ?

Allez Eden, on pouvait bien faire l'effort de se rendre coupable d'une petite complicité après le coup de main qu'il avait donné ce soir.
Peut être qu'il voyait les choses de cette manière. Mais c'était clairement une perte de temps de lui expliquer sa manière de les voir :

- T'es beaucoup trop vieux pour moi, ça pourra jamais marcher entre nous.

Il n'y avait jamais de moment particulier pour plaisanter, et elle venait de le faire à nouveau, un sourire sur les lèvres :

- Même si t'es plutôt bien conservé pour ton âge....

Mieux valait se mettre à l'humour, elle aurait tout le temps de penser plus tard à ce qu'elle pourrait bien dire si des flics venaient à fouiner au bar. Certainement pas la verité. Elle n'était même pas obligée de dire quelque chose, pour le peu qu'elle avait pu discuter avec ces types. Et si on venait à parler du problème qu'ils avaient eu avec Eric quelques soirs plus tôt ? Elle ne se mêlait pas des histoires de vampire.
Elle n'allait pas pleurer pour eux. Elle aurait sans doute préféré qu'il s'en sorte autrement, mais ce serait mentir que de prétendre ne pas être soulagée qu'il soit celui qui se tenait à côté d'elle à présent.

- Vu comme ça...

Vu comme ça, avec l'âge qu'il venait de lui annoncer, il était vrai que fixer la route pour le prévenir en cas d'obstacle n'était pas nécessaire.
Sentant sur sa peau la main glacée d'Eric, elle avait silencieusement tourné les yeux vers ce dernier. En temps normal, elle se serait probablement fâchée ou aurait balancé une réplique cassante pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas à prendre ses aises. Elle n'avait cependant rien dit, elle n'avait peut être même pas pensé à lui faire une remarque

- Désolée, mais pour ma défense, même humain, tu serais plutôt impressionnant.

Vrai qu'avec sa carrure, il pouvait intimider sans être vampire :

- Mais ça va, bizarrement j'te crois.

Elle n'aurait en effet pas dû le croire, ça aurait été une réaction normale. En fait, elle n'aurait même pas dû monter dans ce pick-up de son plein grès. Tout comme elle ne devrait pas se sentir en sécurité à présent. Et pourtant, elle lui avait simplement sourit comme pour prouver sa sincérité. Sourire qui c'était transformé en air blasé par la suite :

- Génial. Je suis le burger des fanatiques de fast-food ?

Comparaison intéressante si elle s'appliquait réellement au genre avec des crocs.
Elle s'était ensuite saisie du tissu en hochant simplement la tête. Personnellement, un lui suffisait, même si elle était assez curieuse de voir si les autres étaient aussi silencieux pour elle que l'était Eric.
Frottant son avant-bras avec le mouchoir, son regard s'était de nouveau porté vers Eric après qu'elle l'ait remercié :

- C'est loin d'être rien pour moi.

Elle n'était pourtant pas du genre à y aller à fond sur les remerciements. C'était en fait le genre de situations qu'elle trouvait parfois gênante. Mais minimiser ce qu'il avait fait pour elle ce soir, c'était absolument hors de question. Même s'il n'avait pas conscience d'être à présent celui qui l'avait le plus aidé.
Mais elle s'arrêterait là. Elle n'allait pas se mettre à parler des blessures du passé pour le convaincre de son statut de héros à ses yeux. Savourant le silence, elle avait suivit le conseil d'Eric en tâchant de retirer le sang qu'elle avait sur elle avant que le sujet de son don ne soit à nouveau abordé. Il n'allait pas oublier si rapidement.
C'est vers un Eric visiblement vexé qu'elle s'était tournée :

- Pour commencer...

pointant son index vers lui brusquement, elle avait continué :

- Tu n'as absolument rien à craindre avec moi, est-ce que c'est clair ?

Une imitation ?

- n'est pas un moyen de le dire. Bon, ça peut avoir l'air plutôt cool, mais nous autres pauvres humains, on préfère employer des "t'en fais pas" ou "tout va bien".

Très amusant, vraiment très amusant.
Où était le problème de toute manière, elle l'avait tout de même cru ?
Ce qui ne l'avait visiblement pas empêché de le taquiner par la suite. Oui, elle avait probablement un côté suicidaire, mais le sourire amusé qu'elle avait sur les lèvres à présent n'avait rien de méchant.
Son index abaissé, elle l'avait écouté avec attention parler des siens et de leurs particularités.

- Plutôt cool et pratique. Quoi d'autre ?

La curiosité était peut être un vilain défaut, mais il avait éveillé la sienne. Et puis, c'était visiblement donnant-donnant vu qu'elle ne se défilait plus à chaque nouvelle question.

- Un nouveau-né aurait pu le faire sur mon père alors !

Mettons ça sur le compte de la rancoeur, difficile à contrôler :

- Je sais pas, gamine je pense. Je trouvais juste ça normal au début. C'est comme entendre les dialogues intérieurs des autres, ça a souvent rien de bien passionnant. Parfois, c'est juste des images. Et puis avec toi... c'est juste rien.

La tête posée sur le siège, le regard tourné vers lui, elle l'avait fixé sans être capable, une fois plus, d'entendre ce qu'il pouvait en penser :

- C'est plutôt... agréable.

Eric conserva le silence. Quelque part dans les tréfonds de son âme de vampire, il jugeait qu’il n’avait pas à justifier ses actes et donc de l’avoir plus ou moins trainée de force à venir avec lui. De toute manière, il aurait dit quelque chose comme « quand je décide qu’on vient avec moi, on vient avec moi », ce qui aurait été une justification plutôt bancale aux yeux de la barmaid. Elle finirait pourtant par apprendre que les désirs d’Eric Collins sont des ordres pour le commun des mortels comme des immortels.
À la mention du trop vieux, cependant, le blond tourna les yeux vers la brune pendant quelques secondes, le regard plutôt inquisiteur. Il faut dire qu’il n’avait pas l’habitude à ce qu’on joue d’humour de cette manière avec lui et il n’avait pas non plus l’habitude qu’on lui sorte ce genre de choses. Généralement, les femmes faisaient la queue pour avoir ne serait-ce qu’une chance d’être regardée comme il regardait Eden depuis qu’il la connaissait. Le syndrome du bad boy ou un truc comme ça. Vous savez, le vilain type qui au fond sait avoir des sentiments et ça vous rend si spéciale que ce soit vous qu’il regarde comme ça? Il est très exagéré de parler de sentiment ici, mais les femmes étaient toutes les mêmes. Sauf celle-ci à en croire sa tendance à dédramatiser l’intérêt hors norme qu’il lui portait.

À son « vu comme ça » le vampire ne fit qu’hocher de la tête certifiant un peu plus ce qu’il avançait. Il avait été là à toutes les avancées technologiques que l’homme avait connu depuis plus de mille ans. Il s’y connaissait plutôt bien. Certes, ne lui demandez pas de se servir d’un ordinateur, mais a toute règle il y a son exception. Ces choses semblent être incompatibles avec le viking venu d’une lointaine époque où Google ne délivrait pas tous les secrets du monde en un seul click.
Et lorsqu’elle le qualifia d’imposant même sans son statut de vampire, Eric se laissa aller à un petit sourire fier. Il faut dire qu’un être qui aimait dominer comme lui ne pouvait qu’apprécier cette forte stature et cette grande taille qui lui donnaient l’avantage certain de l’intimidation.

▬ C’est la génétique qui veut ça. Un viking ne survivait pas longtemps sur le champ de bataille sans être grand et costaud.

À combien d’humains avait-il livré ses origines aussi aisément? Hum, probablement aucun. Ou du moins aucun qui n’était en vie pour pouvoir en parler. Mais bon, nous n’étions plus à ça prêt maintenant. Entre lui qui ne pouvait biologiquement pas se détacher d’elle et elle qui croyait un vampire sanguinaire qui conduisait six corps morts aux crocodiles lorsqu’il disait qu’elle était en sécurité avec lui… le domaine de l’étrange était dépassé depuis un petit moment déjà.
Surtout lorsqu’il lui demandait d’essuyer son sang en admettant sans détour qu’elle avait un sang particulièrement attirant. Ça pouvait être effrayant à entendre, mais il était préférable qu’elle soit au courant. Depuis le coming-out, elle pouvait tomber sur un vampire n’importe où et connaître ce détail pouvait être la différence entre la vie et la mort.

▬ Je ne sais pas ce que tu es. C’est bien pour ça que tu m’intrigues autant. On dirait l’appât à vampire par excellence.

Entre autre pour ça qu’il avait décidé de la faire sienne – toujours sans lui communiquer ce détail évidemment. En proclamant qu’elle était son humaine, ça encouragerait probablement la majorité de ses congénères à la laisser tranquille aussi attirante était-elle.
Puis, comme si les choses n’étaient pas suffisamment insolites comme ça, elle le remercia sincèrement pour l’avoir débarrassée de son père en affirmant que ce n’était pas peu de chose. Pour lui, ce n’était rien, mais un coup d’œil dans sa direction montrait au vampire que ça comptait beaucoup pour elle. Il hocha donc de la tête, acceptant d’une certaine façon le remerciement qu’il avait tenté de rejeter.

S’en suivit d’une critique sur Eric et son grand talent en relations interpersonnelles. Si personne n’osait l’humour avec lui, personne n’osait le critiquer non plus et à l’instar de tous ces gens prévisibles, Eden osait l’humour et osait la critique. Une critique qu’elle transforma en imitation du grand blond, ma fois, plutôt réussie. Et aussi réussie était-elle, ça ne montrait pas vraiment à Eric en quoi ce qu’il avait dit n’était pas correct.

▬ Mais je ne suis pas humain.

Ce n’était pas comme s’il allait soudainement se transformer en Edward et devenir tout mielleux juste parce que cette fille désirait un peu plus de douceur dans ses paroles. Eric était comme il était, voilà tout. Si elle n’arrivait pas à déceler la grande différence – qu’il y avait pourtant – entre son comportement avec elle et avec d’autres, c’était son problème à elle. Certes, il était le premier vampire auquel elle faisait face, mais elle aurait tôt fait de comprendre qu’il était sous son jour le plus gentil en ce moment!

Un défilé des capacités des vampires contre celui des capacités de cette humaine pouvant fouiller l’esprit des êtes à sa guise? Pourquoi pas. Elle pouvait apprendre tout ce qu’il lui disait de n’importe qui d’autre, contrairement à lui qui avait droit à des informations privilégiées.

▬ Nous sommes très forts et rapides. Ça s’accentue avec l’âge.

Il laissait donc sous-entendre que même en qualité de vampire, il était super fort et super rapide? À peu de choses près, oui. Pourquoi s’en cacher? Ce n’était pas comme s’il avait été modeste jusqu’ici.
Fronçant les sourcils lorsqu’elle lui admit ne pas pouvoir s’infiltrer dans sa tête à lui, Eric resta tout de même concentré sur la route jusqu’à ce qu’elle ajoute que c’était agréable. Pourquoi appréciait-il qu’elle trouve sa présence agréable? Le géant des steppes préférait ne pas se questionner à ce sujet.
Gardant le silence quelques secondes supplémentaires après avoir ramené une fois de plus les yeux sur la route, Eric émit finalement une hypothèse.

▬ Ton truc doit fonctionner avec les ondes créées par l’activité cérébrale. Les vampires sont techniquement morts. Pas d’onde cérébrale, alors pas d’intrusion dans nos têtes…Tu as arrive à le contrôler? Ou tu entends machinalement tout ce que les gens pensent?

Ce don l’intriguait décidément beaucoup. Eric pouvait donner dix raisons sans réfléchir concernant l’utilité qu’il pourrait avoir d’un tel don.

Viking... fallait reconnaître que ça lui allait plutôt bien. D'autres histoires qu'on voyait plus souvent dans les livres lui iraient moins, et à en croire la rapide conversation qu'ils avaient déjà eu sur Twilight, c'était plutôt une bonne chose pour lui de ne pas pouvoir être comparé à un Edward.
Le dévisageant plusieurs secondes, sans rien répondre, elle avait sans doute essayé d'en imaginer un peu plus sur son histoire. Elle savait désormais que c'était un viking d'un millénaire environ auquel il était déconseillé de chercher des problèmes.
Et plus elle discutait avec lui, plus elle en apprenait et plus elle trouvait ça agréable malgré les quelques côtés qui avaient tendance à faire ressortir son fichu caractère à elle. Notons au moins qu'elle n'était pas suicidaire au point de le laisser s'exprimer. Jouer au jeu de la domination avec un viking aurait été aussi idiot que de lui tendre une embuscade dans un parking.
Elle ne le connaissait pas assez pour se dire qu'il se serait mis en colère pour moins que ça, comme pour une ou deux plaisanteries de sa part et autres choses du genre. Une chance pour elle qui faisait déjà des efforts sur son tempérament :

- J'imagine. Tu me donnerais presque envie de retourner à mes bouquins d'histoire.

Et de deux.
Non seulement elle admettait que c'était agréable de se retrouver avec lui, mais elle venait en plus d'avouer qu'elle était curieuse à son sujet. Deux manquements à son règlement et c'est le deuxième qui lui avait fait tourner les yeux vers la route.
Qu'est-ce qu'elle y pouvait ? Ils semblaient dans le registre de la franchise et puis, de toute manière, ses nombreuses questions avaient déjà du prouver sa curiosité à son sujet. Autant laisser tomber la fierté et le détachement pour ce soir.
Gardant ses yeux sur la route pendant un moment, elle l'avait entendu la qualifier d'appât à vampires et elle devait bien avouer que tout ceci n'avait rien de rassurant. A noter sur ses bonnes résolutions, mieux valait éviter de croiser trop de vampires à l'avenir. Un qui ne comptait pas faire de vous son repas, c'était assez.
Maintenant qu'il savait, le fait qu'il soit intrigué sur sa véritable nature ne semblait plus la déranger autant. Si son père avait été vivement intéressé sur le sujet, il se moquait probablement de mettre un nom ou de classer sa fille dans une autre catégorie que "investissement". Elle aurait pu se vexer mais elle n'était pas le genre de fille à râler parce qu'elle ne fascinait que pour une seule raison.
Néanmoins, la question était venue toute seule, probablement parce que la poser était inévitable depuis qu'elle était venue dans sa tête :

- C'est pour ça que tu m'as aidé tout à l'heure ?

Si elle avait été capable de l'avertir dans le bar et qu'il lui avait demandé pourquoi elle l'avait fait, elle n'aurait sans doute pas trouvé de réponse de son côté. Peut être parce qu'il n'y en avait pas, tout simplement. Après ce soir, elle était bien forcée d'admettre que c'était comme ça et sans raison valable. Elle était juste une dingue qui pensait que le vampire était à défendre dans l'histoire, et elle n'avait pas envie de chercher plus loin.
Mais depuis qu'il l'avait aidé, elle s'était demandée à plusieurs reprises le fameux "pourquoi ?". Après sa dernière réplique, son côté anormal semblait être la meilleure des réponses. Eden Jones, nouveau sujet scientifique pour les vampires ? Elle n'aimait pas trop la manière dont ça sonnait, mais après ce qu'il avait fait pour elle, il aurait pu le faire pour avoir de l'argent qu'elle lui aurait filé sans hésiter.

Pas humain ? En voilà une réponse facile pour un vampire ?
Certes, il marquait un point, mais la brune avait visiblement décidé de ne pas s'arrêter à une courte imitation.

- Aaaah Eric, ce n'est pas comme ça que tu deviendras le Edward de la prochaine saga sur les vampires ! Tu peux dire adieu à la célébrité !

Sourire toujours aux lèvres, elle l'avait regardé quelques secondes de plus. Rien à faire, lui en Edward ? Définitivement pas crédible. Bella partirait sans doute en courant en ne trouvant pas un vampire romantique à l'âme torturé par les horribles crimes commis dans sa jeunesse.
Dans le cas d'Eric, les horribles crimes étaient dans le coffre et il ne pouvait plus mettre ça sur le compte de la jeunesse. Et, physiquement parlant, il ne ressemblait en rien au type qu'on prenait souvent pour interpréter ce genre de rôles. Là où Edward était du genre maigrichon, il avait le physique d'un guerrier viking plutôt intimidant.

Le fameux sujet sur les capacités de chacun. Depuis l'annonce de leur existence, elle n'avait pas trop regardé la télévision comme certains l'avaient fait pendant des heures. Et pour le peu qu'elle avait vu, elle était certaine qu'il y avait pas mal de conneries dans le lot. Maintenant qu'il était là, autant lui demander à lui et apprendre les bonnes choses.

- J'ai vu ça.... C'est l'exact opposé pour nous, tout nous pousse vers le scrabble et la maison de retraite !

Vu son âge, même les autres vampires devaient y réfléchir à deux fois avant de lui chercher des problèmes. Elle n'avait pas d’éléments de comparaison, mais ce qu'elle avait pu voir jusqu'ici était plutôt impressionnant. Elle en revenait encore à se demander comment elle avait pu s'inquiéter pour lui sur le parking ou en entendant les autres imbéciles.
Et puis, Eric y était allé de sa propre théorie sur son incapacité à entendre ses pensées. ça se tenait plutôt bien. En fait, à y penser, c'était même ce qui semblait le plus logique. Il n'avait pas l'air de ne plus en avoir à ce qu'elle pouvait voir

- ça se tient.... Si j'y avais pensé plus tôt, j'aurai directement chercher un mort pour discuter !

Et paix à ton âme ! On sait, c'était idiot, mais autant plaisanter sur sa stupide recherche maintenant qu'elle l'avait achevé.

- ça dépend, j'ai plus de mal par moment. Parfois, je n'arrive pas à me fermer, comme tout à l'heure. La concentration va avec l'humeur.

Et impossible de se concentrer avec son père dans les parages. C'était pourtant lui qui lui avait appris à se concentrer correctement, sans le vouloir. A force de devoir mentir à telle ou telle personne en se servant de ce qu'elle pouvait entendre, elle avait bien été obligée d'utiliser ses capacités sur commande. C'était le côté positif du reste.
Loin de vouloir s'étaler sur son problème de concentration, elle avait rapidement changé de sujet pour poser la première question qui lui était passée par la tête :

- Et le coup de l'ail ? C'est un simple mythe ?

Quoi ? Elle avait toujours trouvé ça idiot le coup du collier d'ail. Et puis, c'était ça ou lui demander s'ils se changeaient en brume comme Dracula... ce qui était définitivement impossible. Remarque que, depuis qu'ils s'étaient révélés, l'impossible avait monté d'un niveau.

▬ Je sais pas. Peut-être.

Restant fixé sur la route cette fois-ci. Étant donné son petit manège précédemment, il était évident qu’il ne souhaitant simplement pas avoir de contact visuel avec elle sur cette question. Il sentait qu’il y avait plus que ça. Ce n’était pas juste sa faculté à lire les pensées. Comme ce n’était pas juste son odeur. Juste son sang. Ou juste son physique avantageux. C’était curieux, mais c’était la somme de tout ce qu’elle était… Mais d’un autre côté, sans ce petit quelque chose, le vampire serait loin depuis longtemps. La question restait donc entière. Eric n’avait pas plus d’explication qu’elle à ses actes. Lui qui pourtant était tellement en contrôle de lui-même. Pourquoi perdait-il autant ses moyens avec elle? Certes, il sentait que d’autres vampires perdraient bien plus le contrôle que lui dans cette histoire, mais tout de même. Le viking détestait ne pas avoir le plein contrôle de lui-même. C’était la meilleure façon de se conduire à un truc de regrettable. Et bien que le nordique avait amplement profité de la vie durant sa longue mort, il n’avait pas spécialement envie que ça se termine maintenant sur une stupidité relative au manque de self-control.

À la mention du malheureusement connu Edward de Twilight, Eric quitta à nouveau l’autoroute des yeux pour les plantés froidement dans ceux d’Eden. Il savait qu’elle plaisantait, mais lui n’avait aucune envie de plaisanter avec cette horreur qui détruisait la dignité vampirique. Combien de femme en quête de leur Edward avait-il croisé depuis le coming-out? Beaucoup trop! Il garda donc le silence à ce sujet, préférant l’éradiquer de sa pensée le plus vite possible.

Se concentrant donc sur une conversation plus intéressante qui évoquait les facultés de chacun, Eric prenait bien note de tout ce que lui révélait Eden. Dès qu’il en aurait la chance, il irait mener sa petite enquête personnelle à ce sujet. Une fille comme elle ne pouvait pas sortir de nulle part. Il y avait forcément des antécédents. Ces gens avaient forcément un nom particulier, un but à leur existence, n’importe quoi, mais à coup sûr, il ne pouvait pas rien n’y avoir là-dessus et Eric allait découvrir ce que c’était.

▬ Et quand je vois ça, je suis pas mécontent d’être immortel.

Qui rêverait de vieillir et finir ses jours dépendant des autres dans une maison de vieux? Un concept bien écœurant pour Eric et pour sa défense, nous dirons que l’espérance de vie à son époque était toute autre. Les hommes qui dépassaient quarante ans pouvaient bénir les dieux et mourir au combat était le plus grand des honneurs. Alors atteindre les quatre-vingt dix ans et être aussi faible que la dernière feuille en automne n’était franchement pas une belle image aux yeux d’Eric.

La question de la vieillesse maintenant évoquée, le vampire s’était penché sur son hypothèse qui pouvait expliquer pourquoi Eden ne pouvait pas entrer dans sa tête. Une théorie assez simple lorsqu’on y pensait, mais sans doute probable. Eric ne voyait pas d’autre raison pour expliquer l’exception du vampire.

▬ Tu n’as plus besoin de chercher.

Un peu vite en besogne? Peut-être, mais c’était la nature possessive qui avait parlée. Il était là et il y était pour rester. Aussi bien qu’elle le sache tout de suite. De toute manière, il comptait bien garder ce trésor à protée de main que ça lui plaise ou non!

▬ On peut toujours se contrôler et surpasser ses émotions ou son humeur.

De la façon dont il disait ça, ça sonnait assez comme un maître dans l’art du refoulement. Aussi bien dire la vérité puisqu’il n’y a même pas une télépathe pour l’entendre, la réponse était oui. Eric passait son temps à tout refouler pour tout un tas de raison. Comme maintenant où les écorchures d’Eden lui chatouillaient les crocs qu’il gardait bien rangés malgré tout.

▬ C’est juste une question d’entraînement et de volonté.

Une volonté indestructible en ce qui concernait le vampire. Normal direz-vous pour un type qui se la fortifie depuis mille ans, mais hey! Qu’est-ce qu’il y pouvait lui…

Jugeant qu’ils en étaient à une dizaine de minutes de leur destination, Eric laissa échappé non seulement un sourire, mais un petit brin de rire lorsque la brune évoqua l’ail. Il y avait en effet plusieurs mythes sur les vampires qui étaient complètement faux, la plupart façonnée par les suceurs de sang eux-mêmes dans le but de confondre les humains.

▬ Ce n’est pas particulièrement agréable, mais c’est tout. Les crucifies et l’eau bénite, c’est bidon aussi. Tout comme les miroirs ou les photos. Nous avons bel et bien un reflet. Et puis nous ne nous transformons pas en chauve-souris non plus.

Et ce qui était efficace contre un vampire? Il n’était pas suffisamment stupide pour livrer ses faiblesses ainsi! Et puis, elle ne l’avait pas demandé.

▬ Tu as d’autres talents qu’entendre les pensées des vivants?

Oui toujours la collecte d’information pour sa petite enquête personnelle. C’est que dans cette histoire, tout petit détail pouvait s’avérer être la clé de l’énigme.

Une réponse qui ressemblait fortement à celle qu’elle aurait pu lui fournir s’il lui avait posé le même genre de questions. Et qu’importe la manière dont il l’aurait formulé, la réponse serait toujours rapproché d’un « peut-être ». S’il n’y avait pas de raison pour l’un comme pour l’autre, autant ne pas s’étaler sur le sujet. C’était comme ça et puis tant pis.
Elle s’inquiétait ridiculement pour lui au risque de se griller sur son don, elle espérait sa venue quand elle se retrouvait en situation de danger, et voilà maintenant qu’elle l’accompagnait dans un pick-up avec des cadavres à l’intérieur. Pour tout ça, il ne pouvait pas y avoir d’autres réponses que des « peut-être ». C’était tout simplement trop irrationnel pour qu’elle pense être une simple tarée amoureuse du danger. Et reconnaître qu’elle le trouvait attirant, malgré sa trop grande fierté, n’était pas non plus une raison suffisante pour tout ça.
Raisons pour lesquelles elle avait accepté un « peut-être » pour seule réponse parce que la sienne, s’il y en avait une, n’aurait pas été meilleure.

Croisant un regard beaucoup plus froid, elle avait noté dans un coin de son cerveau que le sujet Twilight était à bannir entre eux. Définitivement, il n’aimait pas la comparaison et n’en n’abusait pas pour se trouver des casse-croûtes plus facilement. Elle ne doutait pas cependant que certains se servaient du fanatisme des niaises pour se nourrir sans trop se fouler. Ce n’était pas le cas du géant. Non, lui préférait empiler des cadavres dans un pick-up. Pick-up qui appartenait peut être à l’un des morts à l’arrière, ça ne l’aurait pas étonné. Elle ne l’imaginait pas se promener dans ce genre de véhicule.

Des maisons de retraite, Eden n’en n’avait vu qu’une jusqu’ici. Le jour où son père avait fait un détour pour rendre visite à grand-mère. L’ambiance y était mortelle et Eden avait souhaité mourir jeune pour éviter ce genre d’endroit qui sentait, selon son point de vue, comme les hôpitaux. Sans compter que cette visite n’appartenait pas à la catégorie « meilleurs souvenirs ». Sa grand-mère était du genre fervente croyante, et le peu de contacts qu’elles avaient se résumer à parler d’aller à l’église pour demander à Dieu de lui pardonner sa différence bien qu’elle ignore la nature exacte de sa différence.

- Tu sais pas ce que tu rates ! Les gelées à la framboise et les lotos du jeudi soir… mortel !

Si sa phrase avait débuté avec ironie, le « mortel » avait été prononcé avec une légère grimace qui en disait long sur ce désir de finir dans un endroit pareil. L’ennui aurait probablement raison d’elle en moins d’une semaine vu son besoin constant de faire la fête.

« Tu n’as plus besoin de chercher », à ces mots, Eden avait tourné les yeux vers le vampire pour le fixer silencieusement pendant plusieurs secondes.
Lui répondre qu’à l’instant où elle l’avait rencontré, elle avait complètement oublié cette quête stupide du « peu pensant » ? Reconnaître qu’elle appréciait sa compagnie était assez pour leur seconde conversation.

- J’imagine….

Elle n’imaginait pas, ne supposait pas, elle savait déjà qu’elle se contenterait d’Eric. Elle aurait pu vouloir rencontrer d’autres vampires, discuter avec eux sans entendre à l’avance leurs réponses et trouvait la même satisfaction, mais l’idée que ce soit possible ne lui avait même pas traversé l’esprit. Encore une sensation trop étrange à laquelle elle ne trouverait aucune raison. La Eden de tous les jours devrait d’ailleurs le détester pour ça :

- A moins que je poste une annonce suicidaire sur meetic dans le genre « jeune barmaid recherche vampire pour discuter ».

Rajouter qu’elle plaisantait aurait sans doute été une bonne idée. Mais quand on avait l’habitude de parler avec des mortels, l’idée que cette phrase puisse passer pour sérieuse ne nous traversait pas l’esprit.
Elle était de toute manière partie sur un autre sujet désormais. Dans la bouche d’Eric, se contrôler semblait facile, un jeu d’enfant.
Juste une question d’entraînement et de volonté ? Oui, dit comme ça, ça semblait plutôt simple. Pourtant, malgré toute la volonté qu’elle pouvait y mettre parfois, quand elle ne pouvait pas… elle ne pouvait pas. Elle avait bien essayé tout à l’heure sur ce parking, mais les pensées de son père avaient débarqué en masse sans qu’elle soit capable de les stopper :

- J’ai 22 ans… ma concentration a tendance à ne pas obéir aussi bien qu’à ton âge. Et pourtant, je suis pas du genre grande émotive.

Normal, elle passait son temps à cacher ses émotions. Mais dans le monde des vampires, elle était sans doute moins douée dans le domaine et passait peut être pour une grande sensible.

A sa réaction, il était évident que lui brandir un collier d’ail sous le nez l’aurait plus fait rire qu’autre chose. C’est vrai qu’à s’imaginer le faire, la scène avait plus l’air comique qu’autre chose.
Au final, dans tout ce qu’ils avaient pu voir dans les livres ou à la télé, il n’y avait pas grand-chose de vrai. Plus de mythes que de réels moyens de se défendre d’un vampire. Finalement, ça n’avait pas grand-chose d’étonnant.

- J’suis pas trop fan des chauves-souris de toute manière. Et puis, en ce qui concerne les miroirs, c’est plus pratique pour se coiffer.

Un compliment du genre « dommage de ne pas se voir quand on est séduisant ». Définitivement : « non merci ». Elle avait beau être charmeuse, elle n’allait pas s’amuser à ça, ici, avec lui dans un pick-up.
A sa question, Eden avait ouvert la bouche pour la fermer quelques secondes plus tard. Fouillant dans sa mémoire, elle avait pris un peu de temps avant de répondre :

- A vrai dire… j’en sais trop rien. Rien qui m’ait marqué en tout cas.

A part lire dans la tête des autres pour son père, il n’y avait rien, du moins dans son souvenir.
Une réflexion plus poussée l’aurait peut être fait ajouter qu’elle n’était jamais tombée malade, mais c’était le genre de choses qui nous semblait parfaitement normale quand on y était habituée.
De ce qu’elle était, elle ne savait finalement pas grand-chose :

- Mais ça me suffit bien assez comme ça… ça fait assez bête de foire comme ça.

Si on en croyait le ton de voix utilisé par Eden sur la fin de son ode aux maisons de retraites, Eric devina que ça ne devait pas l’enchanter tant que ça de vivre chaque seconde en sachant que la suivante la rapprochait toujours plus de cette vieillesse fatidique qui était le fardeau de tous les hommes. Le vampire eut alors un sourire un brin sadique et pervers, jetant un regard lourd de sens à la brune.

▬ Tu sais y’a une façon d’éviter de terminer comme ça…

L’immortalité, n’était-ce pas ce à quoi aspiraient tous les hommes en secret? Peut-être oui, mais de là à lui proposer plus ou moins qu’il pouvait la transformer en vampire… le blond sautait manifestement quelques étapes pour ne pas dire plusieurs! De toute manière, il avait le profond sentiment qu’elle rejetterait son offre.
Oui, le viking avait une façon assez glauque et tordue de faire de l’humour, mais hey! N’empêche qu’il venait de faire de l’humour!!

Aucun vampire à l’exception d’Eric? Oui, c’était une idée qui plaisait atrocement au grand blond. Il n’avait même pas la certitude que cet effet qu’elle avait sur lui serait commun à tous ceux de sa race, mais, pour tout dire, il s’en fichait complètement. Cette fille affolait littéralement tous ses sens et, égoïste, le viking ne souhaitait partager ça avec aucun autre suceur de sang. Cependant, à la mention de « recherche de vampires pour discuter » Eric fronça les sourcils. De deux choses l’une, il n’avait pas la moindre envie de mettre d’autres vampires là-dedans. Évidemment, elle faisait de l’humour, mais le blond ne semblait faire avec le côté humoristique que lorsque ça lui plaisait. Et la deuxième…

▬ C’est quoi meetic?

Oui, pardonnez-le, c’est que le géant des steppes n’est plus tout jeune et qu’il y a encore certaines choses sur ce vaste internet – pour ne pas dire plusieurs – qui restaient un mystère pour lui. Ça restait probablement risible aux yeux d’Eden qui était née dans l’air de la technologie révolutionnaire, mais bon… allait-elle oser se foutre de la gueule d’un vampire même si ce dernier lui avait assuré qu’elle ne risquerait jamais rien avec lui?

Niveau faculté, don ou peu importe le nom que vous donniez à ça, Eric restait persuadé qu’avec de la détermination elle serait en mesure d’arriver à faire taire les voix indésirables. Certes, il ne pouvait pas réellement comprendre ce que ça impliquait d’être sans cesse entouré des secrets les plus intimes de tout être vivant qui croisait sa route, mais le vampire avait pourtant dû apprendre à refouler ses propres choses.

▬ Rien que ça? Je te donnais au moins vingt-cinq ans pourtant…

Comme quoi tout était possible et Eric pouvait se tromper! Mais bon pour trois ans, à ses yeux à lui, l’erreur était minime. Sans compter qu’à cette époque les jeunes filles se débridaient si vite, il était devenu très difficile de leur donner le bon âge au premier coup d’œil.
Ceci ne l’empêcha pourtant pas de se prendre une petite note mentale dans le reste de son fouillis psychologique. Lorsqu’il aurait enfin trouvé ce qu’elle était, il verra à trouver un moyen pour qu’elle arrive à contrôler davantage ce don qui semblait être également une grande malédiction.

Cette note mentale prise, le vampire se moqua allègrement à la mention de l’ail et de ce fameux mythe confrontant les suceurs de sang à cette chose qui, somme toute, n’avait qu’une odeur irritante, mais sans plus. Et pour ce qui était des miroirs…

▬ Ah ça… j’en connais un qui ne s’en lasse pas de son reflet.

À comprendre ici le fils prodige qui se trouvait quelque part en Europe, mais, bien sûr, Eden ne pouvait pas savoir qu’Eric avait une progéniture particulièrement adoratrice de sa propre apparence et que ce cher William n’en manquait pas une pour le rappeler. Les cents premières années, ok c’était peut-être drôle, mais il approchait le cinq cents ans si la mémoire d’Eric était bonne…

Puis le grand blond hocha simplement de la tête. Alors donc, récapitulons, il devait trouver des informations sur des humains capables de pénétrer l’esprit de l’homme sans le moindre effort. À la base, il aurait été tenté de parler de sorcière, mais il n’en connaissait aucune qui avait ce talent particulier.

▬ Je trouverai ce que c’est.

Pourquoi le dire? Excellente question! Jusqu’ici, il était déterminé à mener sa petite enquête, mais pas forcément à inclure Eden dans cette idée. En fait… c’était sorti tout seul.

▬ Bien sûr, ça peut prendre du temps, mais je finirai par trouver.

Venait-il vraiment de faire une promesse – pas réellement définie ainsi, mais une promesse quand même – à une humaine? Il semblerait bien que oui!
Mais n’en parlons plus puisque le vampire venait de ralentir l’allure du pick-up pour quitter la route et s’engager sur l’accotement. Il quitta même celui-ci, mettant le véhicule à l’abri des regards dans le boisé. Ils ne pouvaient pas encore voir le lac, mais Eric sentait qu’il n’était pas loin. Sans compter qu’il ne voulait pas prendre le risque d’enliser le pick-up. Non pas qu’il lui serait impossible de le sortir de là, mais il n’avait pas envie de chamailler avec ce genre de détails. Il voulait se débarrasser de ces corps sans tarder et rentrer à Shreveport.

Arrêtant donc le moteur, le blond laissa les phares allumés, ayant une petite pensée pour l’humaine à ses côtés qui n’avait pas sa faculté de voir parfaitement dans le noir. Eric descendit ensuite du véhicule et se dirigea à l’arrière où il abaissa la portière. Dès qu’il le fit, un bras tordu et ensanglanté tomba mollement sur la portière maintenant à l’horizontale.

Charmant vraiment =.=

Il ne fallait pas s’attendre à autre chose n’empêche. Ils ne se trouvaient pas dans un film où les épées perçaient les corps sans être pleine de sang ensuite!

Détournant ses yeux de la route pour les poser à nouveau sur le viking, Eden avait levé un sourcil. Il lui proposait vraiment un truc pareil ? Ou alors c’était vraiment l’humour de deux mondes différents.
Depuis la révélation de leur existence, Eden ne s’était jamais posée cette question et elle considérait que ça en faisait une personne un peu moins stupide que les autres qui cherchaient à tout prix la jeune éternelle en partant à la chasse aux vampires.
Maintenant qu’elle avait fait la rencontre d’Eric… et bien, elle venait de la faire, raison pour laquelle la question ne se posait même pas et qu’elle ne l’avait même pas envisagé. Elle était plutôt du genre à vivre au jour le jour et ne prévoyait pas grand-chose.

- Oh chéri, ça va beaucoup trop vite entre nous. On devrait faire un break.

Plaisanter sur le sujet, une bonne manière de répondre à la question, ou plutôt de ne pas le faire de manière habile.
Son attention portée à nouveau sur la route, elle n’avait rien d’ajouter de plus à la plaisanterie d’une vie de couple. Vie de couple pour le moins assez courte vu le break proposé au bout de leur deuxième rencontre.
D’un point de vue plus sérieux, et de sa manière de voir les choses, il était vrai que tout allait rapidement. Elle n’était pas du genre à se comporter de cette manière pour si peu tout comme elle n’était pas du genre à s’attacher, et pourtant, au bout de quelques phrases échangées, elle se sentait en sécurité dans un pick-up, au beau milieu de la nuit, avec un vampire qu’elle ne voyait que pour la deuxième fois de sa vie.
De quoi sérieusement remettre en question sa manière de voir les choses quand on savait toute la méfiance dont elle pouvait faire preuve en temps normal.
Elle ne savait pas grand-chose de lui et elle se fiait uniquement à un espèce de feeling, un sentiment qui n’avait pas de raison pour le justifier.

Sujet sérieux, trop sérieux pour le moment, qui avait été rapidement balayé par une question du viking qui lui avait fait quitter brusquement la route des yeux. A l’air de la brune, on pouvait tout à fait voir qu’elle voyait s’il plaisantait ou non.
Et si elle avait laissé échapper un rire sur le moment, pensant peut être qu’il cherchait à plaisanter, un air plus sérieux était revenu sur son visage lorsqu’elle avait réalisé. C’est sur un ton choqué qu’elle avait finit par lui demander :

- T’es sérieux ? Tu connais pas meetic ?

Ok, peut être qu’à plus de mille ans, il ne voyait pas trop d’intérêt à ce genre de choses.
Tentant de garder son sérieux, probablement pour ne pas finir dans le coffre elle aussi, elle avait finit par lui apprendre l’une des bases du monde moderne :

- C’est un site de rencontres sur internet. Tu fais ton profil et …. Bref, tu sais que vous avez pas mal de fans dessus. Le nombre de niaises qui s’inscrivent dessus pour vous rencontrer a doublé ces deux dernières années.

Compliqué à expliquer pour un non-initié. De toute manière, il n’en n’avait probablement rien à faire. S’il ne connaissait pas meetic, c’est que se cultiver dans le domaine de la technologie informatique lui importait peu.
A l’estimation de son âge, Eden ne s’était pas vexée. 25 ans au lieu de 22, ce n’était pas un drame. Et puis, elle devait bien admettre qu’avec la vie qu’elle avait eut, elle ne se comportait sans doute pas comme les jeunes de son âge. Mis à part le côté fêtard qu’elle cultivait afin de chasser l’ennui de manière radicale, elle n’avait pas les mêmes préoccupations. Mais elle n’avait pas eu une vie qu’on pouvait qualifier de normal, rien d’étonnant à ça. Quand on était une bête de foire, avoir l’air plus âgée était sans doute l’une des conséquences :

- Alors on est deux à ne pas faire notre âge !

Dans le cas du pilote, il n’avait aucune chance de faire son âge un jour :

- T’avais quel âge quand tu… ?

Quand il était mort ? Quand il était devenu un vampire ? Mouais, il n’y avait pas de bonne formulation à ça dans sa tête, mais la phrase restait claire même sans la terminer.
En revanche, son commentaire suivant n’avait aucun sens pour elle si ce n’est qu’il parlait d’une connaissance à lui particulièrement narcissique. Raison pour laquelle, elle s’était contentée de hocher la tête sans y aller de son commentaire.

Visiblement surprise, Eden avait lancé un rapide regard au grand blond. Peu de personnes étaient au courant, elle avait plutôt tendance à jouer la discrétion sur don, et Eric venait de se rajouter à la courte liste. Le même soir, il lui promettait de trouver ce qu’elle était. C’était bien la première fois.
Sans avoir de raison particulière, sans trop savoir pourquoi, Eden lui avait simplement sourit. Elle avait finit par se faire une raison sur le sujet, pensant ne jamais avoir de réponse à ce qu’elle était car il s’agissait là d’une réponse introuvable selon elle.

- Bon courage ! Si tu veux mon avis, je suis une alien. Faudra chercher la réponse sur une autre planète !

Alien ? Toujours mieux que créature de Satan et autres. Des points de vue qu’elle avait pu avoir, alien restait le plus acceptable :

- Tant que tu gardes ça pour toi….

Lui faire confiance ?
Du suicide ! Elle devrait être en train de faire ses valises à l’heure actuelle.
Croyez-nous, si ça commençait à sentir le roussi, elle en reviendrait à ses bonnes vieilles méthodes.

Eric avait finit par ralentir une fois à destination. N’analysant que rapidement les lieux, Eden s’était simplement dit qu’ils se trouvaient au milieu de nulle part. Au milieu de nulle part avec un vampire ? Mouais, de nos jours les cordes et les médicaments, c’était démodant.
Descendant du pick-up, elle s’était avancée pour rejoindre le vampire à l’arrière, mais elle s’était arrêtée au niveau de la roue à la vue du bras en mauvais état…

- Ok… je vais rester là.

Ouais, respirer l’air frais, ne pas regarder l’était des autres corps, bonne idée.
Même si dans le fond, elle n’aurait pas d’autres choix que d’en voir plus :

- Tu sais, si un jour il te vient l’idée d’emmener une fille en promenade, oublies le côté cadavres à l’arrière. Parfois, il faut savoir revenir aux classiques !

Se décollant de l’arrière de la voiture, Eden avait douté qu’il ait besoin un jour de conseil pour un rendez-vous typique, mais elle s’était limitée à cette plaisanterie avant de s’engager sur le chemin. Prendre les devants sans connaître la route, c’était mieux que de voir le spectacle à l’arrière.

▬ Un break?

Hum, il faudrait peut-être qu’Eden se rappelle de temps à autre qu’elle discutait avec un vampire. Un vampire qui n’était pas très fortiche sur les relations et qui par conséquent se débarrassait assez vite de ses partenaires.

▬ Je suis peut-être pas un habitué, mais il faut pas avoir eu un peu de sexe au minimum avant de parler de break?

Nous y étions. Non pas qu’Eric était un obsédé sexuel – ou si peu obsédé! – mais il demeurait un vampire et mine de rien la vie des vampires était principalement composée de tueries, de sang et de sexe. Et là, il avait peut-être manqué un épisode – et nous espérons pour lui que non – mais à sa connaissance il n’y avait rien eu de tel entre eux.
… L’humour du viking était définitivement à un tout autre niveau que celui de la barmaid. Ou elle pouvait aussi y comprendre une proposition de jambes en l’air, c’était à elle de voir. Ce n’était pas comme si cette idée déplaisait à Eric, au contraire. Il avait eu envie de l’embrasser dès leur première rencontre.

Bref, la question de meetic posée plus tard, Eric eut franchement une tête de ‘‘bha quoi’’ lorsqu’elle lui demanda s’il était vraiment sérieux. Eric était un entrepreneur. Il faisait dans les bars, les domaines privés, les vignobles, bref, malgré son éternité il n’avait pas forcément le temps de s’arrêter à ces choses mystérieuses qui se trouvaient sur internet. Surtout que…

▬ Comment on peut rencontrer des gens à travers une machine? Les humains de ce millénaire sont vraiment étranges et stupides. Suffit pas de tomber sur un vampire pour qu’il te transforme.

C’est pourtant ce que tu laissais croire y’a pas deux minutes…

▬ Un lien très spécial se crée entre un vampire et son créateur. On ne choisit pas sa progéniture à la légère.

Et puis si les vampires transformaient tout ce qui bouge, il y aurait vite surpopulation de suceurs de sang et pas assez de sang! Certes, certains étaient moins sélectifs que d’autres, mais Eric, lui, l’était énormément et il n’avait qu’un seul vampire engendré à son actif. Bien sûr, lorsqu’on connait ce vampire, on comprend pourquoi un seul en mille ans est bien assez pour le viking, mais bon…

Quel âge avait-il lorsqu’il fut transformé en vampire? Bonne question. Le visage du blond se plissa légèrement, signe qu’il cherchait dans sa mémoire où il se trouvait, ma foi, beaucoup de choses et il était donc nécessaire de faire le tri.

▬ Je sais plus. Peut-être trente… trente cinq. Tu sais à mon époque on ne comptait pas vraiment. Lorsqu’un garçon était capable de tenir une épée et se battre, il était un homme.

Jetant un léger coup d’œil à Eden, il se mordilla la lèvre inférieure. Il avait envie de lui dire une chose qu’il n’avait pas révélée souvent au fil des siècles. Pourquoi avait-elle cet effet sur lui?

▬ Je serais mort de toute façon en fait. J’avais été mortellement blessé dans une bataille. J’étais prêt à mourir. C’était un grand honneur pour moi d’être mort au combat.

Il avait beau avoir plus de mille ans, Eric demeurait un viking dans l’âme. Un homme de combat qui affrontait la mort sans sourciller.

▬ Puis il est arrivé, il s’est penché au dessus de moi et m’a offert la vie éternelle. Je n’avais pas peur de la mort, mais je voulais vivre… alors j’ai accepté son offre.

Pourquoi venait-il de lui dire ça? Probablement pour la même raison qu’elle se trouvait là avec lui et qu’il avait tué six types ce soir. Pour la même raison qu’il voulait découvrir ce qu’elle était et la même raison pour laquelle il la trouvait si exquise. Il ne le savait pas.

▬ Je n’ai pas l’intention de le dire à qui que ce soit.

En temps normal, il se serait probablement confier à William sur ce cas particulier, mais son protégé était en cavale depuis six mois. Et puis, même s’il avait été là, Eric n’était même pas sûr qu’il lui en aurait parlé au bout du compte. Qu’Eden soit son petit secret, ça lui plaisait assez comme idée. Et puis il y avait d’autres façons de savoir si elle faisait cet effet à tous les vampires sans avoir à révéler sa nature à qui que ce soit. Il suffisait qu’elle se pointe au Fangtasia et ils seraient tout de suite fixés. Si Eric était là, elle ne courait aucun danger et encore moins dans son propre bar.

La conversation prenant fin avec leur arrivé à l’endroit voulu par Eric, celui-ci tirait sur la bâche qui cachait les corps lorsqu’Eden le rejoignit. Elle n’osait même pas jeter un œil au carnage, mais Eric s’en fichait pas mal. Ce pourquoi elle était là, était déjà chose accomplie. Le blond en savait plus sur ce qu’elle était et il avait maintenant une certaine piste de départ pour commencer ses investigations sur le sujet.

Attrapant le bras pendant sans le moindre ménagement, Eric tira dessus pour trainer le corps sur la bâche qui lui servirait pour transporter les cadavres jusqu’au bord du lac.

▬ Je ne me promène pas avec les filles.

Ça, elle l’avait probablement deviné toute seule.

▬ Je reste assis et les femmes viennent à moi.

Un grand challenge! Sans doute ce qui expliquait son intérêt pour la louve récalcitrante et cette appréciation du caractère d’Eden. Elle avait beau avoir quelque chose de biologiquement attirant, ça n’empêchait pas le viking de se douter qu’elle aurait été un peu intéressante même sans ça rien que par son comportement avec lui.

Tirant sur un autre corps, Eric les empila sur la bâche sans la moindre douceur comme s’il s’agissait de côtes de bœufs. Il ramena ensuite les côtés de la bâche et traina les corps, n’ayant besoin que d’un effort minimal, sur le sol en suivant Eden vers le lac qui se trouvait à une centaine de mètres dans le boisé. Une fois à destination, le blond relâcha la bâche et se pencha sur les corps, levant néanmoins la tête en direction d’Eden.

▬ Tu devrais peut-être regarder ailleurs…

Depuis quand avait-il de la considération pour un humain lorsqu’il jouait au sadique sans cœur? Même réponse que pour le reste, il ne le savait pas!

Un sourcil levé, Eden avait dévisagé le viking. Non, il était mal de lui dire que, sérieusement parlant, elle était d’accord avec lui sur le sujet. Elle n’était pas vraiment du genre prude, mais elle n’était pas non plus du genre à parler de break. C’était plus un soir, peut être deux, et inutile de se fatiguer à faire des adieux quand on avait l’impression d’avoir été clair depuis le début. Tout ça pour dire que sur la notion de sexe avant le break, elle rejoignait son avis. Il était inutile de stopper avant d’avoir « goûté ».
Mais, comme on le disait, il était sans doute inutile de rejoindre son avis sur la question.

- Pas obligatoirement. Vu qu’on est du genre chaste, on a décidé d’attendre le mariage pour ça, en accord avec ta mère.

Hum, sa mère était probablement morte. Seconde objection, un vampire n’était probablement pas du genre chaste. Et la troisième, elle ne l’était pas non plus. Mais si on partait dans la réplique la plus éloignée de la réalité, autant dire qu’elle rêvait d’une vie dans une maison qui sentait le vieux et entourée de dizaine de chats. A la limite, ce serait peut être plus crédible que le coup de la chasteté. Il y a bien longtemps qu’elle ne pouvait plus prétendre au « jamais avant le mariage ». Inutile de le nier.
C’était comme se mentir en se disant qu’elle n’avait aucune attirance pour lui. Il était clair qu’il y avait quelque chose, sans doute même quelque chose de plus pour qu’elle aille jusqu’à s’inquiéter comme une idiote.

Heureusement, le sujet meetic était beaucoup plus facile. A la réponse d’Eric, Eden avait hoché la tête. Elle n’était pas pro de la vampirisation et autres choses du même domaine, mais en ce qui concernait les rencontres sur internet, elle avait toujours trouvé ça ridicule.
Elle avait cependant balayé rapidement la conversation sur le site de rencontres, la partie « progéniture » retenant toute son attention :

- T’en as ? Des enfants ?

Ok, dit de cette manière, ça sonnait étrange dans sa tête. Et ce qui était plus étrange encore, c’était d’imaginer des enfants adultes avec l’apparence physique qu’il avait. Mais ça devait être plutôt répandu en réalité.
Quoiqu’il en soit, dès qu’il avait abordé le sujet, la question lui avait trotté dans la tête avant qu’il ne lui soit impossible de ne pas la poser. Trop curieuse ? Peut être. Mais puisqu’ils l’étaient tous les deux, autant ne pas se retenir.
Elle ne s’était d’ailleurs pas plus retenue sur le sujet de la transformation d’Eric. A bien le regarder, il semblait effectivement être dans les eaux de la trentaine. Mais avec le temps, la différence d’époque, on ne pouvait jamais estimer de manière précise.

Après l’âge, la curiosité s’était affairée à se demander la manière dont il était devenu un vampire. C’était peut être une trop grosse confidence pour qu’elle pose la question ce soir, mais elle n’en n’avait pas eu besoin.
Silencieuse, elle avait observé le géant blond au cours de son récit, sans le couper une seule fois au cours de celui-ci. Et même après, elle avait gardé le silence pendant un moment, comme si elle imaginait toujours une scène d’un autre temps.
Ce n’est qu’après qu’elle avait finit par reporter son attention sur la route. S’il n’avait pas accepté, ils ne se seraient jamais rencontrés. Avec plus de mille ans qui les séparaient, c’était l’ordre naturel des choses. Cette pensée en tête, elle n’avait peut être pas pensé à l’exprimer à voix haute, mais c’était la seule chose qui était venue après un récit qui semblait l’avoir captivé :

- Et je suis contente que tu l’aies fais.

Etait-il réellement nécessaire de s’expliquer davantage ? Sans doute pouvait-on être plus clair mais ce n’était pas dans la nature de l’être. En fait, ce n’était même pas dans sa nature de dire la première phrase.
« On s’est rencontrés grâce à ça ». Pitié, il n’y avait pas meilleur moment de tuer sa fierté, ça se résumait limite à du suicide. A croire que le viking avait un effet anti-Eden vu les choses qu’elle ne pouvait s’empêcher de sortir par moment.

Soulagée d’apprendre que son secret était visiblement bien gardé, elle lui avait simplement sourit. Comportement qui contrastait une fois de plus avec ses habitudes. Lui faire confiance, se sentir en sécurité avec lui et tout le reste… il n’y avait pas d’explications logiques à ça. Peut être que si, mais alors elle était introuvable.
Descendant finalement du pick-up pour garder ses distances avec la partie cadavres de l’engin, elle lui avait finalement conseillé d’autres virées s’il venait à « sortir » avec une fille. Celui-ci lui avait répondu d’une manière qui avait décroché un nouveau sourcil levé. Il ne doutait de rien hein ? Vu la manière sérieuse dont il lui avait répondu, ce n’était même pas de la vantardise poussée, mais bien une constation :

- Qu’il doit être difficile de trouver la bonne pose assise.

Et c’est après cette réponse des plus sarcastiques, qu’Eden avait décidé d’emprunter le chemin plutôt que d’attendre de nouvelles visions qui l’empêcheraient de dormir.
C’est une fois au lac qu’Eden avait eu le réflèxe idiot. Quand on vous conseille de regarder arrière sans vous donner la moindre raison, la première réaction naturelle est de regarder pour savoir pourquoi. Ce qu’avait fait Eden avant de fermer les yeux aussitôt pour tourner la tête dans une autre direction :

- Bonne idée, je vais faire ça ….

Quelle excellente idée elle avait eu de se rendre complice de ce massacre ce soir ! Les gens ne savaient plus comment s’occuper de nos jours

- Je passe une agréable soirée, on devrait se voir plus souvent. La prochaine fois, on pourrait planquer les corps dans du béton, ou les jeter du haut d’une falaise pour simuler un suicide.

Se voir plus souvent et faire un break ?
L’humour n’a pas de logique.

▬ Je vois…

Il voyait quoi? Parce que franchement, même de son vivant, Eric n’avait pas été très chaste et sa mère avait encore moins son mot à dire là-dans. Elle était une femme! Et à cette époque les femmes ne valaient pas grand-chose, désolé d’heurter les plus féministes parmi vous, mais ainsi allait la vie au neuvième siècle!

▬ … Mais on prend un break ou on se marie et on se fait un plan cul?

Était-ce réellement une façon de parler à une jeune fille? Le blond avait dans l’idée qu’elle survivrait à ça sans problème. Elle travaillait quand même dans un bar et pouvait entendre les pensées les plus perverses de cette bande de saoulons dégénérés. Elle avait en avait probablement vu d’autres et des bien pires! Puis, ça ne coûtait rien de s’assurer qu’il avait bien compris… l’humour de cette humaine était assez hors du commun, ou du moins personne n’agissait ainsi avec lui d’ordinaire. Sans compter qu’insister pour un peu de sexe ne pouvait pas nuire non plus. Dans le pire des cas, ça serait non après tout!

Mais en l’absence d’une confirmation ou d’une infirmation à ce sujet, passons directement au suivant, soit celui où Eric expliquait vaguement que le lien entre un vampire et son créateur était très puissant. Le genre de sentiment qu’elle ne pouvait pas comprendre, même s’il prenait la peine de mettre des mots là-dessus pour le décrire. Partager la vie de quelqu’un pendant cinquante ans? Soyons franc, c’était risible pour le viking! Il avait passé près de cinq cents ans en compagnie de William.

▬ Un seul... je suis plutôt sélectif.

Pour ne pas dire anormalement difficile, mais sans ce trait de caractère, Eric ne serait plus tout à fait Eric et il était un peu tard pour penser à le changer maintenant de toute manière. Surtout que par moment, il se disait même qu’il n’avait peut-être pas choisi avec assez de soins… Sa progéniture n’était hélas pas des plus reposantes lorsqu’elle se trouvait à proximité.
Et si la question de sa transformation était quelque chose qu’il se surprenait lui-même d’avoir abordé avec autant de facilité, c’était d’autant plus surprenant lorsqu’Eden souffla qu’elle était contente qu’il soit devenu un vampire.

Le viking n’avait rien dit, mais parfois le silence en dit beaucoup plus que les mots. Être surpris était un euphémisme dans ce cas-ci. Généralement les femmes qui lui sortaient ce genre de discours étaient plus aguicheuse et chercher clairement à obtenir quelque chose de lui. Que ce soit son attention, son corps, son sang, son fric, son aide… il y avait toujours une raison purement égoïste à apprécier sa nature de vampire.
Dans ce cas-ci, Eric sentait que ce n’était pas le cas. Du moins pas dans cette forme d’égoïsme direct. Le blond avait la forte impression qu’en disant ça, Eden ne cherchait pas à lui soutirer quoi que ce soit.
Cette jeune femme était décidément bien particulière. Sans nul doute l’humaine la plus intrigante – et ce à tous les niveaux – qu’il ait eu le loisir de rencontrer dans sa longue existence.


Une fois près du lac, Eric lui avait gentiment intimé de ne pas regarder ce qu’il s’apprêtait à faire. Se passant de la moindre explication, il attendit à peine qu’elle se couvre les yeux pour tirer sur un bras, puis l’autre, en poursuivant avec les jambes. Eric démembrait littéralement les cadavres un à un, question de rendre l’identification des restes le plus difficile possible pour les autorités qui finiraient par les trouver. Le son des os qui brisaient se répandait tout autour d’eux et peut-être que le viking aurait dû également préciser à la brune de se couvrir les oreilles… mais peu importe. Jetant les membres un à un dans le lac à bonne distance du rivage, Eric jeta tout de même un œil à Eden qui tournait une fois de plus son malaise en humour.

▬ Ce n’était pas mon intention que tu sois témoin de ça, mais il fallait qu’on parle.

Et très sincèrement, ça n’allait pas l’empêcher de fermer les yeux lorsque le soleil se lèverait au matin. Le jour où le blond éprouverait du remord était loin d’être arrivé!
Plongeant finalement la bâche dans l’eau pour en retirer le plus de sang possible, le vampire retourna au pick-up en compagnie de la brune, jetant la bâche à l’arrière, couvrant ainsi le sang qui s’y trouvait.

Le voyage du retour fut très silencieux. Ce qui devait être dit avait déjà été dit et s’il y avait bien une personne qui ne faisait pas la causette pour ne rien dire, c’était bien le shérif ici présent. Se complaisant d’ailleurs dans ce silence, il en profita pour bien se mettre en mémoire le parfum si enivrant de la barmaid. Ce n’était pas possible d’être aussi attirante et le géant du nord se promit de très vite se mettre à faire des recherches sur sa nature qui ne pouvait pas être seulement humaine. Une humaine ne pouvait pas avoir cet effet sur lui, il se le répétait chaque fois que cette contradiction le sidérait un peu plus. Lorsqu’il arrêta le pick-up dans le stationnement du bar où tout avait commencé, Eric se tourna ultimement vers Eden, le visage grave avec sa voix habituellement plus ordonnatrice qu’interrogatrice.

▬ Soit mon humaine.

C’est qu’il avait fini par demander même s’il la considérait déjà sienne sans même connaître son avis sur la question! Et malgré la réponse, l’idée d’Eric était déjà toute tracée. Quoi qu’elle dise, elle finirait par être à lui. Le grand guerrier viking atteignait toujours ses objectifs…

- Hum….

Oui, visiblement, elle comptait réellement répondre à cette question vu l’air songeur qu’elle affichait à présent. Normalement, elle aurait du lui en coller une ou quelque chose de ce goût là pour le langage et la proposition, mais Eden nous répondrait bien qu’elle n’était pas stupide. Loin d’elle l’idée de se casser le poignet pour lui faire l’effet de chatouilles. Et puis, loin d’elle l’idée de jouer sa mijaurée quand elle n’en n’était pas une. Préférant clairement rester dans le ton de la plaisanterie, elle avait lancé un regard à Eric comme si elle évaluait sérieusement la situation. Il aurait été plus ridicule de prendre un air choqué avant de fuir comme si on venait de tomber sur le plus parfait des démons. Soyons honnête, elle en avait vu d’autres et en avait fait voir d’autres :

- Les deux. On prend d’abord un break histoire de dire et ensuite on se rend compte qu’on ne peut plus se passer l’un de l’autre. Et parce qu’on est des pervers, tu me demandes en mariage histoire de protéger mon âme et de m’épargner un pêché. J’ai pas le temps d’aller me confesser avec mon boulot.

Eden Jones….
Quoi ? On peut bien plaisanter un peu. Ok beaucoup. Et il n’était pas non plus interdit de le chercher un peu parce que c’était amusant.
Certes, il était étrange de parler de pêcher alors qu’on venait de commettre celui de parjure, mais passons. Elle n’était jamais penchée sur les détails. Alors prétendre être une vierge qui attend le mariage, malgré le peu de crédibilité, ça semble possible pour elle. Tant qu’elle n’est pas réellement une de ces niaises qui se cachent la vérité et prétend pouvoir accéder au paradis une fois morte, tout allait bien.

On aurait beau lui faire remarquer qu’elle plaisantait avec un vampire qu’elle ne voyait que pour la deuxième fois, elle continuerait à le faire probablement. Il était étrange de constater que c’était devenu naturel. Peut être même ne prêtait-elle plus attention à la chose. Le temps du questionnement viendrait sans doute plus tard. Mais, une fois de plus, il ne servirait pas à grand-chose. Les réponses au sujet d’Eric ne semblaient pas se trouver si facilement.

En plus de 1 000 ans, Eric n’avait « eu » en tout et pour tout qu’un seul enfant. Effectivement, on pouvait dire sans se tromper qu’il était du genre sélectif, voir très sélectif. La curiosité sur sa progéniture n’avait fait que grandir en l’apprenant, et elle avouait même avoir pensé voir son « enfant » un jour.
Elle ne pouvait certes pas comprendre le lien qui unissait un vampire à sa progéniture, mais elle imaginait qu’il devait assez se rapprocher de celui de parent. Sa progéniture se trouvait-elle dans le coin ?
Peut être trop de curiosité pour un seul soir :

- Et puis, les enfants peuvent être fatigants quand ils le veulent !

Si elle plaisantait, elle était loin d’imaginer que, dans le cas d’Eric, la phrase prenait tout son sens. En fait, fort probable que la progéniture du vampire battait une colonie de vacances question fatigue. Peut être même deux. Vouloir le rencontrer devait en réalité se résumer à un acte suicidaire.

Une fois au bord du lac, Eden avait tenté d’en voir le moins. Elle avait déjà matière à faire quelques cauchemars, ne laissons pas plus de chances que ça aux mauvais rêves. C’était sans compter sur son ouïe. Pour la première fois de toute sa vie, et elle espérait la dernière, Eden avait souhaité être sourde… et aveugle. Si désormais elle avait décidé de ne plus se retourner vers le géant jusqu’à la fin des opérations, il était difficile de ne pas imaginer la méthode qu’il avait choisit pour se débarrasser des corps.
A en juger par les sons environnants, il n’avait pas besoin d’une tronçonneuse pour découper des corps.
Fermant les yeux plus fortement, comme si le faire la priverait également d’ouïe, elle avait finit par céder pour poser ses mains sur ses oreilles. Tant pis pour la fierté, c’était définitivement une scène dont il fallait se protéger. Moins de souvenirs elle pourrait en garder, mieux ce serait.
Malheureusement, l’opération n’était pas tout à fait utile et les bruits lui parvenaient toujours :

- D’accord… mais la prochaine fois, invite moi à prendre un café.

Un café, sans cadavres, sans bruits qui laissent imaginer qu’on les démembre, sans sang… sans trucs dégueulasses pour résumer.
C’est avec soulagement qu’elle avait accueillit le retour au pick-up dans lequel elle s’était empressée de monter. Elle n’était pas du genre sensible, mais, pour ce soir, elle n’avait définitivement pas d’apêtit. Elle remangerait dans un jour ou deux, peut être même trois.
Le trajet du retour s’était fait dans le silence. Si l’un le préférait sans doute, l’autre cherchait probablement à chasser de sa tête les divers bruits et images du bord de lac. Elle avait lancé à deux trois reprises un regard de reproches au vampire, mais elle aurait tout le loisir de le maudire plus tard quand elle ne trouverait pas le sommeil.

Une fois sur le parking du bar, Eden avait mis sa main sur la poignée de la portière, prête à regagner sa voiture quand Eric s’était de nouveau tourné vers elle pour lui présenter une requête qui avait déclenché en premier lieu un air sceptique. Il était sérieux ?

- Euh… non. Si tu veux un animal de compagnie, prends toi un chien comme tout le monde.

Quoi ? La laisse ne lui irait pas.

- C’est quoi votre problème ? Vous faites jamais rien comme les autres ?

On sait, parce que ce sont des vampires.
Mettons ça sur le compte de la magnifique nuit sans dormir qu’il venait de lui offrir. Et aussi de son caractère qui se réveillait toujours rapidement quand on voulait la dominer de quelque manière que ce soit.
Ouvrant la portière, elle était descendue du pick-up avant de conclure :

- Merci pour cette soirée.

Phrase pleine d’ironie même si elle était forcée d’admettre que pour une soirée qui lui filerait des cauchemars, elle avait également apprécié la conversation. Inutile de le faire remarquer.
Refermant la portière, elle avait fouillé dans son sac à la recherche de ses clés de voiture avant de se diriger vers celle-ci, sans se retourner, espérant sans doute qu’il n’insiste pas. Ce n’était pas de la plus grande intelligence de s’énerver contre un vampire, elle supposait, alors autant couper court.

Venait-elle réellement de refuser son offre d’être son humaine? Il semblerait bien que oui, à moins que les vampires puissent développer des problèmes de surdité passé un certain âge et qu’ainsi il aurait mal compris mais… nous en doutons fort hélas.
Mais qu’est-ce qui clochait avec cette fille? Il avait pourtant été sympa avec elle, il l’avait débarrassée de son père, il avait fait ce qu’elle lui demandait. Alors pourquoi non?! Sans compter qu’il n’était pas n’importe qui, il était Eric!! Le shérif de Shreveport, l’un des plus vieux vampires de Louisiane, le grand guerrier viking! On ne disait pas non au géant des steppes.

Et pourtant… pourtant le blond ne dit rien, ne laissa même pas paraître la moindre pointe de colère face à cette réponse. Il resta derrière le volant, regarda la belle brune descendre du pick-up et monter dans sa propre voiture. Il la regarda s’éloigner dans son véhicule et ce ne fut qu’une fois la voiture disparue de son champ de vision qu’il se remit en route pour un coin plus malfamé du centre-ville. Il s’était débarrassé des corps, il devait maintenant se débarrasser du pick-up.
Engin qu’il laissa sur un coin de rue, les clés sur le contact la porte mal fermée. Tout pour appâté un voleur qui ne prendra pas le temps de voir qu’il y avait du sang à l’arrière. Laissant donc la dernière preuve de son méfait là, Eric quitta la rue à vitesse grand V avant de ralentir le pas à la suivante. Il avait besoin de marcher et de prendre le temps de penser.

Bon, il avait surtout besoin d’éviter de laisser sa colère l’envahir et mettre cette ville à feu et à sang, mais l’un ou l’autre demandait de marcher. Elle lui avait dit non. il n’en revenait pas encore, mais tentait de rationnaliser. Elle ne savait pas réellement qui elle était. Sans compté qu’il ne lui avait pas fait part du grand argument de taille. Être son humaine était une protection. Le blond ne savait pas encore si elle était une tentation à vampires sur deux pattes ou tout simplement une tentation faite sur mesure pour le viking, mais Eric sentait que tous les vampires ne seraient pas insensibles à sa particularité. Il devait forcément y avoir un lien entre cette attirance et sa faculté d’entendre les pensées des êtres vivants. Et si c’était le cas, les autres de son espèce ressentiraient probablement la même chose.
Alors oui, avec le titre d’appât à vampire de l’année, être son humaine était une protection. Peu de vampires oseraient s’en prendre à elle en sachant à qui elle appartenait. Une raison qu’il aurait tout le temps de lui exposer et même de mettre en œuvre si elle se pointait au Fangtasia. Mais en attendant, n’en restait pas moins qu’elle lui avait dit non! Il était prêt à lui accorder une seconde chance, mais autrement…

▬ Elle va le regretter.

Sur ce et en sentant que le soleil ne tarderait pas à se lever, le viking mit la gomme pour retourner dans son antre.