Faire une virée à deux
Dès que Scott franchit la porte du bar, il sut qu’il n’y était officiellement plus employé, adressant un sourire bienheureux à Eden qui avait emprunté le ton de la condoléance. Enfin, si on voulait : elle arborait elle aussi un sourire qui en disait long, faisant écho à celui de Scott qui, en bon irresponsable, se foutait éperdument d’être maintenant chômeur. De quoi se plaindre ? Dès demain, il pourrait ne rien faire de ses journées et venir s’éclater au bar sans se soucier des regards en biais d’un patron trop coincé pour le comprendre. Jones elle au moins, savait comment parler à la bête et surtout quoi faire pour la distraire : de l’alcool, de l’aventure et des vannes graveleuses ! Recette pourtant simple que son ex-boss n’avait apparemment pas bien assimilées. Pfft, il le regretterait bientôt, c’était à parier.
Sortant précautionneusement la bouteille de whisky volée de sa veste, le roux avait relevé la tête pour manquer de lâcher la précieuse, sidéré par cette apparition presque divine. Cette voiture, c’était la sienne ? Certes, elle avait l’air d’avoir plus que bien vécu, mais en tant que fils de mécano lui même anciennement destiné à la profession, Scott ne pouvait pas rester de marbre face à la vieille décapotable. Son amour inconditionnel pour les voitures quelles qu’elle soit, sûrement. Et Eden qui lui avait donné un nom ? Ne manquait plus que la demoiselle ait, elle aussi, un certain intérêt pour les voitures.

« Wow ! Fais gaffe, tu marques des points, si tu continuess j’vais être obligé de te kidnapper avant la fin de la soirée. »

Après cette déclaration d’amour digne des plus grands Scotty bourrés, il ne s’était pas retenu pour parcourir la carosserie du bout des doigts, avant de se pencher pour gentiment caler la bouteille de whisky. Et il avait... Oui, il avait bel et bien pris son élan pendant que son ex-collègue ouvrait tranquillement sa portière, passant par dessus la sienne avec un saut vu et revu dans les plus grands films d’action. A l’exception près que l’atterissage avait abrégé le côté classe de la cascade, laissant ainsi MacFarlane se prendre les pieds dans la pauvre portière, se prenant le siège en pleine face. Se remettant à l’endroit, il avait eu le rire du crétin qui a loupé son coup, prenant la bouteille qu’on lui tendait pour la placer à côté de sa soeur, prêt à partir à l’aventure.

« J’te suivrai jusqu’au bout du monde ! »

Même si Eden ne connaissait probablement pas le coin, considération à des lieux d’inquiéter le bonhomme. Confiance totale avait-on dit !
Avec son air innocent et un sourire d’homme comblé, il avait tourné la tête vers la conductrice et lui avait tendu la bouteille de tequila nouvellement débouchonnée, les cheveux au vent, pour un toast à leur virée à deux.

« Bois un coup ! Faudrait pas que tu t’endormes au volant ! »

Question de sécurité bien entendu. Une fois qu’elle se fut executée, il y vola lui aussi une gorgée, ayant une légère grimace bien étonnante pour un alcoolique dans son genre ; il avait là l’impression de trahir son cher whisky, auquel il jeta un oeil pour vérifier qu’il n’était pas vexé. Qu’il ne s’inquiète pas pour autant ; si la tequila était loin d’être mauvaise, sa préférence allait toujours à l’autre bouteille qui ne ferait pas long feu. Hey, on était alcooliques ou on ne l’était pas !

Devant eux, le paysage urbain commença à s’effacer, dévoilant une Louisiane plus sauvage et humide, la vitesse rafraîchissant néanmoins le visage que Scott exposait au vent, accoudé à la portière avec un sourire béat. Le pied, c’était tout simplement le pied. Avec Eden, deux bouteilles et une voiture encore en état de marche, on avait là une recette gagnante pour le jeune homme, qui se doutait bien que leurs aventures ne seraient pas terminées de sitôt.

Quelqu'un qui admirait sa voiture était obligatoirement quelqu'un de bien. Voilà ce qu'avait pensé Eden en regardant l'expression de Scott puis en parlant de kidnapping. Un air fier était alors venu s'installer sur son visage. Peut être que sa voiture n'était plus toute jeune, mais elle suscitait encore l'admiration. Et les personnes qui étaient capables de s'extasier devant l'engin ne pouvaient être que des gens biens. Une manière sûre de juger les gens selon la brune.
En plus d'être un grand fêtard qui ne se prenait pas la tête, le roux était donc un admirateur de voiture. Une deuxième passion partagée qui lui donnait immédiatement le droit d'appartenir aux personnes qu'elle considérerait différemment dans cette ville :

- Si t'es un vrai dingue de voitures comme moi, crois moi, tu peux me kidnapper quand tu veux Scott MacFarlane !

Pourquoi si ? Elle le savait déjà non ? Certes, mais elle n'était sensée que le supposer.
Bref, les choses semblaient claires, ces deux là étaient manifestement faits pour s'entendre, on ne pouvait plus le nier. Et en bon duo naissant, il était désormais question d'une petite virée.
Virée qui, avant de débuter, avait vu un évènement des plus comiques. Et quand elle apprendrait à le connaître, elle avouerait que ne pas le voir tenter un truc pareil l'aurait déçu.
La tête du rouquin avait donc rencontré le siège passager de Sacha, et le rire d'Eden avait accompagné celui de son ex collègue jusqu'à ce que le temps pour le début de l'aventure ne sonne.
Le bout du monde ? ça faisait loin, et il n'était pas certain que cette vieille Sacha puisse tenir la cadence. Mais le bout de cette campagne, c'était déjà pas mal. S'enfoncer alors qu'on ne connaissait pas du tout le coin, c'était certes stupide. Mais l'aventure ne pouvait se faire sans stupidité.

- T'as raison, mieux vaut avoir une conduite prudente !

Certes, boire au volant n'était pas qualifié de conduite prudente par le commun des mortels, mais à chacun son point de vue.
Et c'est après cette phrase pleine d'ironie qu'Eden avait pris la bouteille des mains du rouquin pour en boire quelques gorgées sans quitter la route des yeux. Rendant la précieuse tequila quelques secondes plus tard, elle avait tourné, Shreveport s'éloignant déjà dangereusement d'eux. Le paysage avait défilé et Eden avait visiblement décidé de mettre la civilisation derrière eux.
Un road trip spécial film d'horreur ?
A la base, ce n'était qu'un road trip avec son nouvel ami. Mais un road trip qui comportait alcool et vieille voiture pouvait facilement prêter son scénario pour un nouveau film d'horreur au cinéma.

- Alors le tombeur, parle moi de toi. Alcoolique Non Anonyme depuis longtemps ?

Soyons honnête, il était évident que Scott n'était pas du genre à rejoindre le camp des anonymes pour ça. Il assumait pleinement sa passion pour la bouteille, alors autant tourner ses questions correctement. Le vocabulaire, c'était important et il fallait en faire bon usage.
Le temps semblait s'être légèrement couvert. Ils traversaient à présent plusieurs nappes de brouillard de temps à autre sans que ça ne semble déranger Eden qui adaptait son allure en fonction. Certain que ça n'avait rien d'inquiétant quand votre voiture marchait à la perfection.

- Manquerait plus qu'on tombe en panne ici pour se lancer dans la production d'un film d'horreur ah ah !

Oooh Eden, comme tu vas regretter cette phrase. Il suffisait d'être un minimum superstitieux pour t'accuser de porter la poisse quand, quelques minutes plus tard, Sacha s'était mis à faire un bruit étrange avant de se mettre à cracher pour les secouer plusieurs secondes et puis... plus rien.

- ....

Qui était le débile qui s'était imaginé que c'était un souhait ?

- Passe moi la bouteille.

Le coeur en fête d’avoir trouvé la compagne de route idéale, Scotty était présentement à des lieux de se douter d’un problème à venir, se figurant leur avenir comme pavé d’or et de bouteilles de Jack ; encore une fois, il avait listé mentalement les qualité d’Eden qui faisait qu’elle pouvait prétendre à ce titre honorable. Une descente d’enfer, les mots qu’il fallait, une passion pour les voitures –il avait failli tourner de l’oeil quand elle le lui avait annoncé plus ou moins directement, et la témérité nécessaire à de folles aventures. S’il s’était écouté, il l’aurait embarquée sur son épaule direction Vegas, mais il attendrait au moins le prochain topic pour la demander en mariage.
Calant les deux bouteilles sous le siège, l’écossais avait ensuite fouillé dans sa poche pour en ressortir le matériel nécessaire à plus de folie –test ultime qu’il s’imaginait déjà remporté haut la bas : un joint en plein air ? Pas de souci, il avait pris le pli lors d’un road trip vers Los Angeles plutôt mouvementé. Il s’était penché un peu plus pour ne pas prendre le vent, tenant bien sa feuille pour qu’elle ne s’envole pas à tout moment avec sa précieuse marchandise.
Mais parce qu’il était multi-fonctions :

« Pfft, alcoolique, c’est fort ! J’préfère dire que j’aime tâter de la bouteille mais ouais, ça doit bien faire depuis le collège que ça dure. Et toi ? Pourquoi t’es venue ici ? C’était pas bien le Texas ? »

Avec les blondes platines, les rodéos endiablés et les concours de Miss T-shirt mouillé. Un cocktail qui l’aurait pour sûr fait rester là-bas ! Mais Eden n’étant foncièrement pas un homme, il pouvait comprendre que de tels arguments n’étaient pas suffisants.
Ignorant le brouillard, Scott avait terminé son chef d’oeuvre en le plaçant entre ses lèvres, mettant feu au bout de papier entortillé, tirant dessus avec un sourire d’extase, reposant bien vite ses yeux sur la route... A tort sûrement. Sur le bas-côté, il y avait là-bas une silhouette, perdue au milieu du brouillard qui fit froncer les sourcils au rouquin : un auto-stoppeur en pleine campagne ? Il avait jeté un coup d’oeil à Eden qui n’avait pas bronché, regardant bien droit devant elle : au moment où ils dépassèrent l’apparition à pleine vitesse, le barman eut le temps d’apercevoir un visage cadavérique, trop blême pour être réel, laissant Scott se ratatiner dans son siège en tirant une bouffée supplémentaire, Jones plaisantant justement sur un éventuel film d’horreur. Coeur battant à cent à l’heure, il tenta de mettre le tout sur le compte de l’alcool et du cannabis à peine consommé, tendant le joint à Eden.

« Ahahah… Tu sais que t’es drôle hein ! Tiens, pour y voir plus clair dans ce brouillard ! »

Car malgré tout, tous les prétextes étaient bons.
Tandis qu’il se remettait à peine de l’apparition qu’il espérait humaine, Sacha contribua à son tour à son effroi, stoppant sa course sur le bas-côté, laissant un MacFarlane pas franchement rassuré.

« Ahah, très bon le coup de la panne, très bon ! Tu sais que t’arriverais presque à me foutre les jetons ? »

Un regard à Eden lui indiqua qu’elle ne plaisantait pas, lui demandant même du courage sous forme liquide. Devenu blême, Scott lui passa la bouteille, bombant le torse pour se redonner du courage. Ne pas paniquer, pas maintenant, pas ici, pas devenant sa nouvelle comparse ! Bravant l’inconnu, le bonhomme avait ouvert la portière pour se diriger vers le devant de la voiture, à l’affût du moindre bruit suspect : téméraire oui, mais moins à minuit en pleine campagne juste après avoir vu un fantôme ! ... Auto-stoppeur, c’était un auto-stoppeur !
Repoussant la peur qu’il sentait le gagner, il déglutit difficilement et souleva le capot, se faisant enfumer en un clin d’oeil. Mauvais ça, très, très mauvais. Et Scott n’avait pas envie de passer plus de cinq minutes ici, à quelques kilomètres de l’auto-stoppeur.

« Euh... Au cas où, t’as de quoi appeler une dépanneuse ? »

Alors ainsi Scotty n'avait pas qu'un seul vice, en plus de la bouteille, il était consommateur de fumette. Bizarrement, ou pas, ça n'étonnait pas notre brune qui n'avait lancé qu'un bref coup d'oeil à la préparation. Oui, que l'écossais ne le prenne pas mal, mais il avait tout à fait le style et l'attitude d'un fumeur de ce genre de marchandises. Et si Eden n'en n'était probablement pas à son point de consommation, elle avouait fumait de temps en temps pour certaines occasions. En l’occurrence, ce soir s'y prêtait plutôt bien. Et puis, Sacha en avait vu d'autres.
On sait, donner un nom à une voiture et en parler comme à une personne n'était pas compris par la majeure partie des personnes, et on ne s'attendait pas à ce que ce soit compris. Raison pour laquelle il était inutile d'en parler plus que ça.
Ecoutant attentivement la réponse de Scott, elle avait sourit avant de lui répondre :

- Et c'est pas moi qui irait te juger pour ça.

En même temps, elle aurait eu l'air con alors qu'elle l'accompagnait plutôt bien ce soir. Un duo de fêtards ne se composait généralement pas d'une personne moralisatrice dans le lot.
Pas bien le Texas ?
Elle y avait déjà mis les pieds plusieurs fois, avec son père et puis seule il y a peu, mais ce n'était pas le coin dont elle venait ni le dernier endroit qu'elle avait quitté. Bon de lui avouer un jour ? S'ils en venaient un jour aux réelles confidences et à une relation plus poussée, peut être qu'elle avouerait son petit mensonge qu'elle ne justifierait pas d'un "j'tai juste imité". Phrase qui trahirait son don qu'elle ne dévoilait pas à la légère.
Mais tout ceci, parce qu'elle n'avait pas encore conscience de la place qu'allait occuper le roux pour elle. Si elle savait déjà qu'il lui plaisait, si elle lui mettait déjà une bonne note, elle était loin de se douter qu'il serait le meilleur ami qu'elle aurait pu rêver d'avoir. C'est donc logiquement qu'elle était restée dans le mensonge :

- Je me lasse vite. J'avais envie de voir un peu de pays et pourquoi pas la Louisiane ? J'ai une amie qui vit dans le coin.

Ou pourquoi pas le Texas ? Pourquoi pas l'Arkansas ? Pourquoi pas tous les autres coins qu'elle avait fait pendant des années ?
Pas vraiment de raison à un voyage, mais autant rester dans le registre de la jeune qui profite de la vie. Après tout, c'est ce qu'elle tentait de faire. Avoir la sienne et simplement en profiter à sa manière. Ce qui était parfois plus compliqué que prévu. Mais ce soir était une soirée trop agréable pour partir dans un registre moins joyeux :

- Et puis le rodéo du Texas, je maîtrise. Les crocodiles, ça a l'air plus compliqué !

Ben voyons, la fourberie qui ramène le rodéo sur le tapis.
C'était toujours mieux que de lui faire peur en évoquant le paysage sympathique qui défilait. Bien sûr, ce qui n'était pas voulu à la base risquait de le devenir. Tournant les yeux vers son compagnon de route, elle n'avait pas pu en rajouter une couche, coupé par l'élan fêtard de son camarade.
Haussant donc les épaules plutôt que de parler d'un film en particulier, elle s'était emparée de la fumette magique pour en tirer une longue latte tout en gardant les yeux sur la route. Route qui avait brusquement défilé moins vite grâce à cette bonne vieille Sacha qui avait décidé de réaliser les phrases de sa conductrice.
Au rire de Scott, Eden avait tourné les yeux vers lui, un sourcil levé. Ceci n'était pas une blague, en fait elle aurait bien aimé et c'était sans doute son genre pour mettre un peu de piment, mais ici... Sacha avait décidé de les lâcher au milieu de nul part.
Lui répondant donc par un regard on ne peut plus sérieux, elle s'était saisie de la bouteille alors que le barman venait de comprendre.
Plusieurs gorgées plus tard, elle sortait rapidement de voiture :

- Woh ! J'espère que tu sais y faire, seul quelqu'un d'expérience peut prétendre à soulever ce capot.

Tout homme n'est pas sensé s'y connaître ?
La ferme ! On ne parlait pas de n'importe qui, on parlait de SA voiture. Et ce n'était pas rien.
Détournée de la défense de son territoire par la question du co-pilote, elle était retournée vers la voiture pour fouiller dans son sac :

- Bien sûr ! T'as peur ? J'vois pas de quoi... toute cette nature, cette brume qui facilite l'imagination d'apparitions...

Eden, n'en rajoute pas ou Dieu te punira.
Ce qui n'avait pas tardé, il avait suffit qu'elle sorte son téléphone pour constater qu'elle ne captait pas dans un coin pareil. Pas étonnant, mais les gens devraient sérieusement y penser. Les histoires d'horreur ne pouvaient se produire qu'à cause des mauvais opérateurs. En d'autres termes, on devrait les poursuivre en justice pour un acte aussi criminel.
Se redressant, elle avait tourné les yeux vers le capot avant de rejoindre Scott. Il n'allait probablement pas aimé la nouvelle, et elle avait décidé de lui annoncer avec sarcasme :

- Tu te souviens quand j'ai parlé de Highway to hell ? La prochaine fois, on se fait Highway to motel.

Et pour appuyer sa réplique, elle avait tourné l'écran de son portable vers lui avant d'ajouter :

- A moins que tu parviennes à la faire redemarrer, on va devoir marcher.

Ce n'était pas du sadisme pour changer, mais bel et bien la réalité.
Tournant les yeux vers la route, il fallait avouer que se la faire à pied au beau milieu de la nuit... ça n'avait rien d'attirant.
Tirant à nouveau sur le joint qu'elle avait ensuite tendu à Scott, sans doute pour lui donner du courage, elle avait fait passer le tout avec quelques gorgées d'alcool.

Eden était donc une aventurière en vadrouille, en Louisiane le temps d’un été ou de quelques mois, un peu comme lui avait effectué son pélerinage de Chicago jusqu’à Shrevreport sur les bons conseils de son actuel colocataire. Raisons apparemment similaires, que Scott goba sans broncher ; il partait du principe qu’il fallait prendre ce qu’on lui donnait, bonne excuse du bonhomme pour ne pas se prendre la tête en société, entre autres. Si Eden se disait ex-star du X en cavale ou espionne en mission, il l’accepterait telle quelle sans poser de questions –à part pour un autographe ou une démonstration de tir dans le deuxième cas. Pourquoi Jones mentirait-elle d’ailleurs sur ses origines ? ... Pour l’impressionner comme il l’avait fait un peu plus tôt dans la soirée ? Ok, il pouvait bien l’avouer ; d’ailleurs, il venait de remarquer qu’il avait lâché son accent depuis qu’ils étaient sortis du bar. N’avait-elle pas fait la différence ? Impossible, les intonations écossaises étaient trop appuyées –et sexy- pour qu’elle soit passée à côté d’un tel changement. Si elle venait à lui demander des explications, il répliquerait simplement qu’elle avait une mauvaise influence sur lui, avec ses tournures de pure américaine.

« Ouais le rodéo de crocodile, j’ai bien mis plusieurs mois avant d’y arriver ! C’est con, tu vas devoir rester longtemps dans le coin pour tout apprendre. »

Déclaration d’amitié en douce ? Il avait tendance à devenir sentimental passé une certaine heure de la nuit –et un certain nombre de litres de whisky, aussi.
Du cannabis, un fantôme et une panne plus tard, Scotty était bien loin de se trouver d’humeur quoi que ce soit, blême devant l’expression sérieuse que lui avait présentée la conductrice. Ce n’était pas une mauvaise blague de sa part : du brouillard, une humidité ambiante, et même un grattement non identifié dans le sous-bois bordant la route étaient loin de rassurer le bonhomme qui avait soudainement senti l’alcool redescendre d’un bloc. Rien de tel qu’une bonne trouille en pleine nuit pour vous faire déssaouler un homme.
Prenant la situation en main tel le roux viril qu’il était, il s’était extrait du périmètre sécurisé de la voiture, la longeant pour mieux tenter de soulever le capot en grand mécanicien de Chicago.

« T’en fais pas, la mécanique c’est une affaire de famille ! »

La bouteille aussi, mais il préférait ne pas se lancer dans cette voie-là pour le moment. Constatant l’étendue des dégâts dans les entrailles du valeureux Sacha, MacGyver avait préféré avoir recours à la technologie, demandant à Eden d’appeler au secours, fouillant lui-même dans sa poche pour constater une absence pas tant anormale de portable ; le bonhomme avait la fâcheuse tendance d’oublier son téléphone au bar, comme ce soir où leur fuite précipitée vers l’aventure lui avait sorti le petit bijou technologique sous le comptoir. Bah ! Il aurait tout le temps de le demander à Eden par la suite, pas franchement enclin à demander un service à son ancien patron. Et, surtout, ils avaient pour le moment un tout autre problème : un arrêt forcé en plein remake de « Souviens-toi l’été dernier ». Et la brune ne faisait qu’empirer l’état du pauvre Scott avec ses plaisanteries horrifiques, lui rendant les mains moites pendant qu’il examinait le moteur.

« Moi, avoir peur ? Les fantômes j’en bouffe par paquet de dix tous les matins ! Pas très digestif, mais ça entretient mon moral d’acier. »

Mensonge éhonté qui filtrerait sans gros problème, le rouquin flairant la trouille à plus d’un kilomètre à la ronde –ce con ajoutait même à sa peur en mentionnant lesdites apparitions. Et si l’autre revenait ?
Réprimant le frisson d’horreur qui se profilait, il posa les mains au bord de la voiture éventrée dans une pose de mécano professionnel, tourna la tête lorsque sa co-pilote vint le rejoindre de ce côté-ci, porteuse d’une nouvelle qui n’allait pas le ravir franchement. Cette fois, un soupçon de panique prit pied sur ses traits, ressemblant étrangement à un certain sorcier dans un certain film à succès ; elle n’était quand même pas en train de lui dire qu’ils devaient... Elle rendit son verdict immédiatement, annonçant qu’ils devraient marcher. Jusqu’où ? Dans ce brouillard épais peuplé de revenants ? Tentant de reprendre une contenance, il se râcla la gorge, ne lâchant pas la brune du regard par peur de perdre pied, avant de prendre le joint qu’elle lui tendait, légèrement tremblant.

« T’es sûr que ton portable passe pas ? On peut aussi attendre que quelqu’un passe par ici et... Rentrer à Shevreport... ... Ouais, laisse tomber. »

Tirant une longue bouffée sur le joint salvateur, Scott avait saisi son courage à deux mains, embrassant du regard la route d’une noirceur impressionnante. Le parfait décor pour se faire découper à la tronçonneuse selon lui, mais comme l’avait souligné Jones, ils n’avaient pas vraiment le choix.
Rapidement, il avait refermé le capot avant d’aller chercher la bouteille de whisky restante, se plantant devant Eden après quelques gorgées d’alcool, joint calé entre ses doigts. Il fallait qu’il retrouve cet état de bien-être, dépasser cette impression brumeuse et cette légère nausée provoquée par sa peur de l’inconnu.

« Prête pour affronter l’enfer ? On va se le faire ce highway to hell, j’parie même qu’on peut en sortir vivants. »

Bloqués au milieu de nulle part. Bon début pour une première soirée. Au moins, ils ne risquaient pas d’oublier de sitôt le soir de leur rencontre. Tout comme il était désormais certain que Scott MacFarlane ferait partie de ceux dont elle se souvenait. Elle n’imaginait même pas à quel point il appartiendrait à cette catégorie.
Pour le moment, elle était déjà bien assez occupée à défendre sa voiture contre une main potentiellement inexpérimentée. Pendant plusieurs secondes, elle l’avait fixé silencieusement à sa réponse, le dévisageant pour chercher l’honnêteté une non. Elle n’était pas intervenue, elle avait du juger qu’il était digne de jeter un coup d’œil au capot de Sacha, et elle l’avait confirmé dans un :

- J’veux bien te croire, mais si Sacha meurt, j’vais te montrer qu’on est des sauvages au Texas.

Premièrement, Sacha ne démarrait déjà plus.
Deuxièmement, le côté sauvage pouvait potentiellement l’exciter plus que lui faire peur.
Troisièmement, les menaces n’allaient pas les avancer à grand-chose dans leur situation.
Et c’est ce troisièmement qui avait concentré son attention sur son téléphone qui ne serait visiblement pas d’un grand secours pour eux ce soir.
Tapotant plusieurs fois son écran, elle avait écouté Scott se vanter d’un régime alimentaire pour le moins spécial. C’est en cherchant à passer un appel qu’elle s’était d’ailleurs mise à rire avant de le taquiner sans retenue :

- J’espère que t’as assez faim pour celui qui se trouve derrière toi alors !

Ne la blâmons pas, au moins elle admettait son côté sadique. Et ce n’était pas lui qui avait parlé quand elle avait annoncé la triste nouvelle du téléphone à son compagnon de route.
Ce soir n’était clairement pas un soir de chance. Scott qui se faisait virer, Sacha qui rendait l’âme au milieu de nulle part, et son téléphone qui décidait de ne pas capter…. Quoi ? Vous vous attendiez peut être à ce qu’elle nomme également son téléphone ? Dingue, mais pas à ce point là.
Poussant un soupir, elle l’avait rangé dans sa poche et avait finit par se faire une raison. S’ils voulaient rentrer ce soir, ils devraient visiblement compter sur leurs jambes.

- Ouais, il a décidé de se joindre au remake film d’horreur à son tour.

Attendre qu’une voiture passe ? ça faisait plusieurs minutes qu’ils n’en n’avaient pas croisé. En fait, elle ne se souvenait pas de la dernière qu’ils avaient vu. S’ils attendaient ici, ils pouvaient le faire pendant un moment.
La meilleure solution restait de partir à l’aventure. Ils croiseraient peut être quelqu’un sur la route, ou elle aurait une chance de retrouver du réseau. Ça lui semblait être le meilleur plan même si la route n’avait pas l’air particulièrement accueillante.

- T’en fais pas, j’te protégerai !

Sourire aux lèvres, Eden n’avait pas perdu sa confiance, du moins pas assez pour arrêter de plaisanter.
De nouveau, elle s’était dirigée vers sa voiture, en avait fermé la capote avant de prendre ses affaires pour ensuite fermer la portière. Sacha ne voulait peut être pas démarrer, mais hors de question de la laisser à la merci de voleurs è.é.
Amusée par la dernière réplique du roux quand elle l’avait rejoint, elle n’avait pu s’empêcher d’ajouter :

- Dommage que j’ai laissé mon flingue au motel !

C’était quoi le but ? Qu’il ait peur d’elle en plus de ça ?
Lui balançant une tape dans le dos, Eden s’était mise en route, bouteille de tequila en mains. On avait sans doute vu mieux comme aventuriers, mais hors de question de laisser une petite panne gâcher la soirée.
Buvant plusieurs gorgées, elle avait marché aux côtés de Scotty pendant plusieurs longues minutes d’un silence pesant. Etait-il bien utile de dire qu’elle appartenait à la catégorie qui ne les aimait pas trop long ? Ou celle des chieuses ?
Car quand brusquement elle s’était arrêtée dans un :

- T’as entendu ça ?

On était en droit de se demander si c’était réellement un bruit qui avait arrêté son pas.
Là, sur une route en plein milieu des bois avec pour seule compagnie les bruits de la nature, on pouvait dire que le moment était particulièrement mal choisit pour plaisanter sur une présence paranormale.

Scotty découvrait à ses dépends un côté fouteur de trouille chez la jolie brune, qui ne ternissait néanmoins pas l’image de l’équipière parfaite qu’il avait d’elle : par ses allusions aux fantômes et autres esprits, il se disait qu’elle allait endurcir ce côté faible qui lui faisait défaut. Sûrement parce que lesdites apparitions, lui les voyait en masse, et craignait d’en croiser encore dans ce coin éloigné de tout ; on avait dû choisir cet endroit pour régler des comptes, ou c’était un lieu privilégié pour les accidents de la route. Lui, avouer qu’il avait le pouvoir de voir les morts ? On n’en était malheureusement pas encore là ; il croyait encore dur comme fer que l’esprit d’il y a quelques minutes était effectivement un autostoppeur un peu palôt –ou du moins essayait-il de s’en convaincre, malgré les remarques effrayantes d’Eden qui ne l’aidaient pas à se tenir à son excuse.
Sachant pertinemment que Jones se fichait de lui en prétendant que Casper se trouvait juste derrière lui, l’écossais avait pris sur lui pour ne pas se retourner, sentant une sueur froide lui glacer la nuque. Et si c’était vrai ? Non mon grand, ressaisis-toi, pas de fantôme, juste une voiture en rade et une ex-collègue décidée à te donner le premier rôle dans un film d’horreur de seconde zone.

« Ahah, un film d’horreur ! Quand même, on est pas... Enfin y a pas... De cimetière, y a pas de cimetière. »

Oh Scott, comme tu allais regretter ces quelques paroles un peu plus tard.
A la recherche d’une miette de courage restante, il s’était accroché au sourire d’Eden tandis qu’il récupérait sa chère bouteille de whisky, en oubliant de tirer sur son joint. Quelle protection ! Avec un flingue ? Woah, elle était décidément parfaite. Loin d’être appeuré par la détention d’arme totalement légale de la belle, il fut au contraire rassuré, s’imaginant qu’elle avait peut-être en poche quelques techniques de combat, ou quelque chose qui puisse assurer leur défense en cas d’attaque.
Les quelques minutes de silence furent majoritement dûes à l’état d’alerte constante dans lequel le rouquin se trouvait, tournant la tête au moindre bruit suspect, ses sens exacerbés par une peur panique. Pourquoi cette saleté de joint ne faisait-elle pas encore effet ? Il l’avait pourtant généreusement rembourré, tiré bon nombre de lattes avant de le repasser à Eden avant de faire passer le tout avec quelques gorgées de whisky, bien décidé à affronter sa peur en regagnant sa condition d’homme ivre. Ce qui avait finalement fait son effet : la trouille s’était amenuisée, lui rendant presque son sourire ... Jusqu’à ce que sa compagne s’arrête soudainement, ramenant au roux toute la panique précédente.

« Entendu quoi ? »

Les yeux écarquillés, il la considéra un moment, coeur battant à la recherche du fameux bruit. Ne pas paniquer, ne pas paniquer, ne pas paniqu... Une pauvre bête eut le malheur de faire un mouvement dans les sous-bois ; une branche craqua, déclenchant la réaction immédiate de l’écossais qui attrapa le bras de la brune avant de détaler comme un lapin, bouteille en main.

« Cours pour ta vie, cours ! Ils nous auront pas cette fois ! »

Ils ? Des tueurs en série, des fantômes, des sangliers enragés, qu’importait au final : le danger était d’après lui derrière eux. Pendant une bonne minute, boosté par une adrénaline et malgré la traction effectuée sur Eden –qui devait de fait bien rire de la situation, il avait couru sans discontinuer –et surtout sans lâcher sa sainte bouteille, pour finalement stopper sa course sur un pan de route similaire à celui qu’ils venaient de quitter, se retournant pour vérifier qu’ils n’avaient plus raison de s’inquiéter, reprenant son souffle par la même occasion.

« On a… On a eu chaud ! Si j’avais pas réagi à temps... Ah, j’ferai pas ça… Pas ça tous les jours... »

Cette fuite digne des plus grands films d’action avait effectivement eu raison de son coeur d’alcoolique et de fumeur, entravant grandement sa récupération présente.

Bientôt, il serait rassurant de voir qu’elle n’était pas la seule à prononcer des répliques prophétiques qui portaient la poisse aussi certain que Scott n’avait pas mis les pieds en Ecosse de toute sa vie d’écossais.
Pour le moment, il était juste amusant de ne pas arranger la situation en le faisant stresser. Mais qu’on se rassure, la prochaine fois, le plan débile n’aurait rien à voir avec un potentiel rôle dans un film d’horreur. Ce serait plus un rôle dans un clip de rappeur ou quelque chose dans ce goût là. Ne gâchons cependant pas le suspens et poursuivons notre route. Route qu’Eden avait continué en se saisissant du joint tendu pour en tirer plusieurs lattes qui n’auraient pas le don de lui faire retrouver son sérieux. Si elle avait été toutefois sérieuse une fois au cours de cette soirée.
Objection votre honneur ! Pour sa défense, elle s’était rendue au boulot en souhaitant faire bonne impression.
Mouais… du mensonge à l’état pur que de jouer les saintes pour son nouveau patron, qui ne resterait d’ailleurs pas son patron bien longtemps.

- N’empêche, on aurait du prendre une camera. On aurait tourné le nouveau blair witch avant notre mort….

Quelle mauvaise ! On sait.
Pendant plusieurs minutes, elle avait cependant continué sa route sagement avant de commettre la plaisanterie qui lui ferait éliminer pas mal de calories.
Peu de temps après s’être stoppée pour parler d’un bruit imaginaire, Scott l’avait entraîné et elle avait été forcée de le suivre dans sa course. Imaginez donc un peu la scène. Un roux qui court, paniqué, traînant une brune par la main qui était actuellement en pleine crise de fou rire.
A un moment, elle avait bien pensé avouer l’affreuse vérité, mais les rires qui la secouaient à présent l’avaient privé du sens de la parole. Bien forcée de continuer à courir, elle n’avait pas pu récupérer son souffle avant que l’écossais se décide finalement à s’arrêter.
Posant une main sur son ventre meurtri par le trop long fou rire, c’est au milieu de quelques autres rires qu’elle avait tenté de récupérer sa propre respiration. Et quand elle avait finit par se calmer, elle avait tapoté l’épaule de Scott pour lui tendre le joint de l’autre main :

- J’crois que t’en as plus besoin que moi.

Quelle grande âme. Généreuse et demandant rédemption avec un Saint Joint.
Enfin, si elle avait réellement voulu demander le pardon, elle aurait profité de la parole retrouvée pour lui avouer qu’elle n’avait rien entendu. A la place :

- C’était peut être cet esprit de l’homme pendu qui hante le coin. On m’en a parlé quand je suis arrivée en ville ce matin….

Une âme clémente lui aurait fortement conseillé de ne pas se lancer là-dedans. Comme il était cruel de raconter une histoire d’horreur inventée de toute pièce sur le moment. Particulièrement quand vous vous trouviez au cœur du lieu de cette histoire factice.
Mais la Jones ne semblait pas avoir beaucoup de limites à son sadisme, la preuve quelques secondes plus tard quand elle avait lancé un regard faussement inquiet aux alentours :

- On dit qu’il s’est pendu après que son amant l’ait quitté… dans ces bois. Certains prétendent qu’il revient toutes les nuits à la recherche de son grand amour….

Un fantôme gay ? Vraiment ?

- Il ne s’en prend qu’aux hommes qui lui ressemblent. Vengeance, entraîner son ancien amant dans la mort pour ne plus être seul, on ne sait pas trop….

Pourquoi on se doutait de la suite ?

- C’est marrant, parce qu’on m’a justement dit ce matin que son amant était roux….

Même pas une petite pointe de honte ?
Même pas. Elle s’était contentée de boire quelques gorgées de tequila avant d’apporter le coup fatal :

- Peut être qu’il t’as pris pour lui et qu’il a décidé de nous suivre….

Ou peut être qu’il serait temps de se montrer plus sérieux, ici, coincés au milieu de ces bois :

- Tes parents vivent dans le coin ?

Quoi de mieux que de reprendre une conversation normale ensuite et jouer les gentilles filles ?

C’en était fini de Scott et de ses miettes de virilité pourtant bien ancrées : Eden venait de faire allusion au film qui avait hanté ses nuits, peuplé de suggestions maléfiques qui n’avaient jamais empruntées de visage humain ou même d’agissements concrets. « Le projet blair witch » était le mal incarné, la production américaine de trop pour le roux qui ne s’en était jamais remis. Qu’était-il réellement arrivé dans cette forêt ? Y avait-il une sorcière, un tueur, un yéti quelconque qui mettait les enfants au coin et les égorgeait ensuite ? Traumatisé tout jeune, le petit, et tous les Ring, les Scream et les Shining de ce monde ne parvenait pas à la cheville de ce chef-d’oeuvre horrifique, celui-là même que la brune avait choisi aujourd’hui. Pourquoi, pourquoi avait-il fallu qu’elle prononce ces mots ? Il se rappelait encore de la terreur muette avec laquelle il était resté scotchée au générique, gamin trop jeune pour pouvoir ce remettre des omissions éloquentes de la production, lui qui déjà côtoyait les fantômes à l’époque.
Alors il avait regardé Eden comme si elle était la Mort personnifiée, grande faucheuse à laquelle on ne pouvait plus échapper. Pâle comme un mort ? Ouais, mort, c’est ce qu’il allait devenir si elle continuait à lui faire frôler la crise cardiaque. Et non, il ne pétait pas de trouille, pas plus qu’il ne souhaitait pas rentrer chez lui au plus vite. Et sûrement pas en affrontant cette route morbide, couverte d’un épais brouillard avec pour seule compagne une fille certes géniale, mais bien décidée à lui conter toutes ses histoires de fantôme une à une.

« Tu rigoles, pas avec un décor pareil ! Ici, ça se prête plus au dernier épisode des Bisounours, ou des Feux de l’amour... Un film d’horreur dans ces conditions, pfft n’importe quoi ! »

Lui, s’enfoncer dans le déni ? Il faut bien pratiquer pour Hanna, et surtout pour le bien de son petit coeur effrayé. Qui n’allait pas tarder à être mis à mal par une nouvelle attaque de la fourbe serveuse, que Scott ne sut gérer cette fois-ci : explosant de trouille et de stress, il l’attrapa par la main –ne jamais laisser un soldat derrière soi, même dans les situations d’urgence- et détala comme un lapin sur plusieurs centaines de mètres, boostée par une poussée d’adrénaline qu’il n’avait pas espérée. Et Eden qui paniquait tellement qu’elle en riait à s’en rouler par terre ! ... A moins qu’elle ne se fiche de lui ? Pfft, impossible, il avait agi en homme vif et courageux, à n’en pas douter, d’autres l’auraient laissée en plan face à un fantôme fraîchement apparu. Reprenant son souffle, elle lui apporta sa récompense pour son sauvetage de dernière minute, lui tendant un joint dont il se saisit en tremblant, toujours aussi pâle, toujours autant embrumé par l’alcool et la drogue. Quand est-ce qu’il allait décoller, hein ? Sûrement quand elle cesserait de le faire flipper, s’il ne partait pas en bad trip avant.

A l’évocation de l’homme fantôme, Scott se raidit, pompant ostensiblement sur le joint ainsi offert –et malheureusement entièrement consommé : sans lâcher des yeux une Eden en plein conte d’horreur, cloué sur place par une peur ravivrée, il envoya le mégot sur le bas-côté, pour tenter de retrouver une contenance, quelque part. ... Un fantôme gay à la recherche de son amant roux ? S’ils avaient été dans la fameuse chambre de motel de la serveuse, alors nul doute qu’il se serait fiché d’elle –depuis quand faisait-on avaler des couleuvres pareilles à un type tel que lui ? Et pourtant, ici en plein coeur de la Louisiane, l’écossais avait tout gobé d’un trait, gagnant d’un cran dans la terreur : la proie officielle, c’était bien lui, le roux qu’on avait pris pour un autre.

« J-je… Non, mes parents sont à Chicago mais... T’es sûre ? Le type, il était pas blond vénitien ? Faut qu’on avance Eden, faut qu’on avance sinon je... »

Après avoir jeté un regard affolé derrière lui pour vérifier qu’aucun revenant ne s’y trouvait, l’homme de la situation prit les choses en main, chipa une gorgée de whiskey ou deux dans sa bouteille, et se remit en route d’un pas décidé, mué par cette peur indicible qui s’épanchait en lui. Marcher, marcher vite, jusqu’à un endroit habité où on leur permettrait de regagner leur chez-eux.
Après quelques minutes de marche, le bois laissa place à une clairière sur le bas-côté, où on distinguait, loin, beaucoup plus loin –sur une autre route qui croisait peut-être- une lumière salvatrice. Grisé par la découverte, Scott fit signe à Eden et il prit les devants en faisant quelques pas... Pour constater qu’il évoluait au milieu des pierres tombales.
Le cauchemar continuait.

Cette nuit resterait gravée à tout jamais dans la mémoire de Scott qui, sûrement, en rirait dans dix ans lorsqu’il raconterait ses aventures Edenesques à sa nombreuse marmaille –qui compterait mystérieusement un petit blond, mais ne nous avançons pas sur le sujet pour le moment. Il était la victime d’une brune bien déterminée à le faire flipper, ou à chasser sa propre peur ? Dans tous les cas, le rouquin avait l’impression d’être le héros du tout dernier « Massacre à la tronçonneuse », s’attendant à rencontrer tout un tas de corps sans vie sur sa route, ou même croiser le meurtrier qui se révèlerait être quelqu’un qu’il connaissait... Eden ?
Il tourna un regard suspicieux vers la serveuse qui reprenait quelques gorgées de tequila, se demandant si, sous l’effet sous-jacent de l’alcool et de la drogue, elle n’était pas en charge de l’assassiner et de faire disparaître son corps discrètement. D’abord le coup de la panne, puis ces allusions –indices ?- aux films d’horreur et aux fantômes... N’était-ce pas là le signe évident sur les plans futurs de la belle ? Il aurait dû s’en douter, tout avait été trop beau jusqu’à maintenant : elle était sur la même longueur d’onde que lui, incroyablement jolie, et pouvait rivaliser de buverie avec plusieurs de ses oncles écossais, trop de qualités qui l’avaient ébloui jusqu’à maintenant, et il réalisait désormais l’horreur de la situation : Jones serait sa meutrière.

Victime d’un véritable bad trip, Scotty considéra un instant la cigarette qu’on lui tendait, se demandant s’il s’agissait l’un d’un piège tendu. Une cigarette empoisonnée ? Une distraction pour mieux lui briser la nuque ? Dans tous les cas, il lui fallait faire comme si il ne se doutait de rien : poussé par une force invisible –soit les différentes drogues dont il était intoxiqué, il se saisit de la clope, l’alluma avec un nouveau frisson d’horreur. Cette histoire de fantôme était horrible... Mais s’agissait-il là d’un subterfuge pour lui annoncer qu’un complice guettait dans l’ombre ?
Scotty, tu peux nous dire pourquoi Eden voudrait te tuer et surtout, pourquoi elle te donnerait des indices avant de le faire ?
Ben... Il... Peut-être que... Son cerveau était tout simplement branché paranoïa, et le bonhomme se retrouvait convaincu qu’elle voulait sa mort. Peut-être avait-il déjà couché avec sa soeur, et elle était là pour la venger ? Ou alors, elle s’en prenait simplement aux roux de chaque état avant de fuir dans un autre pour perpétrer son oeuvre diabolique ?

« Pfft, les fantômes, ça existe pas de toute façon. Comme le type près de la route tout à l’heure, c’était juste un auto-stoppeur, rien d’autre ! »

Se convaincre lui-même ? Il le fallait pour sa santé mentale en cet instant. Il était quand même aux prises avec une serial killeuse reconnue au Texas ! A parier qu’elle n’avait jamais fait de rodéo de sa vie, et que les concours de Miss T-shirt mouillé était seulement un excellent moyen d’appâter les rouquins de ce monde.
N’écoutant que son courage, il s’était avancé dans le cimetière qui était étrangement peuplé ce soir. Etait-ce la fête des morts, ou les gens avaient-ils simplement décidé de rendre hommage aux défunts en cette nuit-là ? Quoiqu’il en était, les « personnes » qu’il rencontrait dans les cimetières étaient beaucoup plus apaisantes que celles qu’il pouvait croiser ailleurs, hors de ce contexte mortuaire –comme ce fameux auto-stoppeur qui n’avait rien à faire sur le bord de la route. Aussi, il n’avait présentement pas la trouille à cause du grand nombre de gens réunis ce soir-là, les saluait même en marchant résolument vers la lumière, un peu plus en haut, mais à cause de la serveuse psychopathe qu’il laissait derrière lui et du cadre plus que propice au meurtre. Y avait-il là une tombe encore ouverte où elle le pousserait dès qu’il ne ferait pas attention ? Il tira nerveusement sur sa cigarette, sentant l’angoisse le gagner, et la fausse Texane lui saisit brusquement le bras, déclenchant l’alarme trouille chez le bonhomme qui hurla. Immédiatemment, il lâcha sa clope et... Détala comme un lapin vers la maison qui lui apporterait le salut. Il courait là pour sa vie ! ... Enfin, jusqu’à ce qu’il se prenne les pieds dans une motte de terre sous les yeux étonnés d’un petit garçon –c’est lui, ou il était légèrement évanescent ?, et ne soit pris au piège par l’infâme tueuse sadique.

« Pitié Eden, me tue pas ! J’suis un type bien, j’ai rien fait, c’est pas ma faute si je suis roux ! Promis, je coucherai plus jamais avec qui que ce soit, j’suis désolé pour ta soeur, ta cousine, ta mère ou ta meilleure amie, mais me tue pas, j’le mérite pas ! »

On pouvait au moins dire que la situation avait l’avantage de les faire se rapprocher considérablement. Péter de trouille aux abords d’un marais en pleine nuit, ça avait de quoi ; du moins quand Scotty aurait dépassé le stade de l’Eden venue pour lui couper la tête en plein milieu de nulle part. Pour le moment, il était bien trop occupé à fuir, poussé par une bonne dose d’adrénaline, les yeux écarquillés et sa bouteille de whisky toujours en main. Heureusement pour eux –sait-on jamais que l’écossais ne finisse par se noyer dans un étang environnant, l’écossais trébucha et implora le pardon de son exécutrice, sans même remarquer que la bouteille de Jack avait valsé plus loin et était officiellement éclatée en plusieurs dizaines de morceaux. Preuve que le bonhomme avait une trouille qui dépassait l’entendement. Des autostoppeurs au bord de la route oui, une Eden qui veut l’étriper, non !

« Hein ? »

Il cligna des yeux plusieurs fois, sous l’emprise de Marie-Jeanne. ... Elle ne voulait pas le tuer ? Encore tétanisé par une peur qui s’estompait pourtant, la barmaid eut la bonne idée de le prendre par le bras pour qu’ils avancent. Scott ne savait plus quoi penser, incapable de réfléchir dans son état, et se retrouva à suivre la jeune femme en décidant de lui faire confiance pour le moment. Il voulait rentrer chez lui, que cet enfer finisse et... Plus jamais il ne boirait de la tequila, plus jamais ! Cette simple gorgée dans la voiture avait bien entendu été le déclencheur de tous ces évènements.
Et maintenant, les deux acolytes devaient pénétrer dans la maison où, dans un très mauvais timing digne des plus grands films d’épouvante, la lumière venait de s’éteindre. Signe du destin ou simple panne dans le secteur ? Impossible de savoir quand c’était la seule habitation du coin. Sentant la terreur revenir à grands pas, Scott pressa le sien, se retenant de jeter des coups d’oeil en arrière pour ne pas avoir à faire face à tous ces gens, et rejoignit rapidement Jones –malheureusement pas Indiana- sur le perron de la maison. Quelque chose d’étrange s’en dégageait, et l’écossais voulut reprendre une gorgée de whisky avant de se rendre compte que Jack s’était fait la malle. Pour sûr qu’il allait se rappeler de cette nuit pour encore longtemps... S’ils finissaient par s’en sortir.

Parce qu’il n’était pas sûr de vouloir retrouver la route ou même s’enfoncer dans les terres, Scott s’abstint de questionner l’entrée d’Eden dans la maison, la suivit même en déglutissant difficilement. Bon sang, c’était encore pire à l’intérieur ! Pour sûr qu’il s’agissait là du parfait endroit pour un meurtre ou d’un nid à fantômes –tsst, comme s’il y croyait ! Il sursauta néanmoins au grincement, sur les nerfs, et saisit fermement la main de la brune lorsqu’elle chercha la sienne, la soutenant dans son incertitude à cent pour cent... Jusqu’à ce qu’il n’aperçoive le cheval à bascule dans le salon.

« Eden, je… Je sais pas si c’est une bonne idée de... »
Un nouveau craquement le fit sursauter, cette fois dans la pièce d’à côté, et il retint son souffle sous le coup de la peur. Quoi faire ? Retourner dehors, affronter la route et ses auto-stoppeurs, ou continuer à chercher un téléphone dans cette maison aux allures inhabitées ?
Guidé par il ne sut trop quoi, il prit cette fois les devants, peu enclin à errer de nouveau sur cette route qui n’en finirait sûrement jamais. Un téléphone, rien qu’un coup de téléphone ! Scotty passa le salon, sa main toujours dans celle de Jones, et se dirigea vers la salle à manger avec mille précautions, avançant lentement, l’oreille à l’affût... Il entendit alors des chuchotements, se rapprocha toujours plus, la tension grimpant d’un cran à chaque pas effectué en direction de la cuisine.. Quelque chose, il y avait quelque chose dans cette pièce. Bon sang, il ne voulait pas mourir ici, même avec Eden, pas aujourd’hui, pas ce soir, pas aussi jeu...

« JOOOOYEUX ANNIVEEERSAIREE, JOOOYE… Hey mais c’est pas Rob ! »

La lumière s’alluma, et Scott découvrit avec une stupéfaction loin d’être feinte une famille réunie toute entière autour d’un gâteau et d’une banderole. ... Un anniversaire ? Il en resta comme deux ronds de flan, rendu amorphe par cet ascenceur émotionnel avec lequel Eden s’était amusée toute la soirée. ... Tout ça pour... Ca ?

« Hey mais t’as raison ! Vous êtes qui vous ? Et où est Rob ? »

« Bon sang, pourquoi il est roux lui aussi ? Je croyais que c’était lui moi, par la fenêtre ! »

« La prochaine fois, vérifie avant de dire des conneries ! Et s’il débarque maintenant, hein ? »

Le choc avait été d’autant plus grand que le mélange whisky/tequila/Marie-Jeanne faisait un effet monstre : l’écossais resta coi devant l’improbabilité de la scène, un immense soulagement et cette brume épaisse qui lui bloquait toujours les neurones, pupille dilatées à l’appui. Ils étaient à un anniversaire surprise ? ... Mais ils n’avaient pas été invités ! Seules les pensées du genre se frayèrent un passage dans le brouillard qui régnait en maître dans sa cervelle, intempérie rendant le pauvre rouquin encore plus inutile qu’il ne pouvait l’être. Au moins une chose était certaine : plus jamais une virée nocturne dans une voiture inconnue, plus jamais ! Ou alors, faire passer ledit véhicule au contrôle technique juste avant è.é
Alors qu’ils passaient du statut de squatteurs à stipteaseurs professionnels –dans l’état du bonhomme, il aurait été capable de s’y prêter sans broncher s’il n’avait pas eu cette envie tenace de rentrer, il capta miraculeusement le regard d’Eden qui le poussait vers le téléphone sacré. Le Saint Graal, la lumière dans cette nuit bien trop noire pour un Scotty drogué ! Cerise sur le gâteau : sa comparse venait d’obtenir l’autorisation du gérant des lieux pour l’utiliser. Il se rappelait encore cette fois où il avait voulu se servir d’un stylo sans demander et de la carabine du vieux cinglé qui habitait là, sûrement un raciste envers les roux è.é

« J’en ai juste pour deux secondes, m... »
« Hey, tu trouves pas que le roux ressemble à Ron Weasley ? »
« C’est peut-être un show Harry Potter ! Il est où le troisième ? »
« … Erci =.= »

Fuir vers le téléphone, c’était aussi la solution idéale. Scott s’empara alors du combiné, n’hésita que peu de temps sur la personne à appeller. Quelqu’un de confiance avec une voiture toute aussi sûre ; ni une ni deux, il composa le numéro de son colocataire adoré.

« Allô Mike ? C’est Scott ! … Ecoute, j’ai eu un problème et... Non je veux pas que tu viennes me chercher dans les toilettes du bar, écoute je... Non, je suis pas bourré non plus ! Ecoute, on est tombés en panne avec Eden et... Ah, une copine que j’ai rencontré au bar, mais... Oui elle est bien foutue, bordel Mike ! »

Quelques minutes plus tard, il raccrocha avec la promesse de Mike de venir les chercher sur le champ. Lui avoir promis le numéro d’Eden en échange ? Rhoo, il n’était pas si... Enfin... Bon ok, mais il en allait de leur survie è.é

« Mon pote va venir nous chercher, encore merci pour le coup de fil. »
« Oooh, vous nous quittez déjà ? Qui va assurer le show alors ? »
« Laisse, ils ont pas l’air très bons de toute façon. »
« Sinon vous pourriez servir d’escort à Rob ? Il a toujours été un fan de Harry Potter ! »
« … Je crois qu’on va aller attendre dehors =.= »

Glissant cette fois plus doucement une main dans le dos de Jones, il la guida jusqu’à la sortie sans regret : pas sûr qu’ils n’avaient pas atterri chez les fous, qui de sain d’esprit habiterait en plein milieu d’un cimetière ? Ils se retrouvèrent à attendre la voiture salvatrice au bord de la route maudite qui, heureusement pour eux, ne tarda pas à arriver. Enfin ils allaient pouvoir rentrer dans leurs quartiers ! Enfin...

« Dis Eden… J’peux venir dormir chez toi ce soir ? »

Et sûrement pas parce qu’il avait encore un peu peur, ça non è.é