Si on lui avait dit en quittant le Fangtasia ce soir qu’il allait s’embarquer dans quelque chose qui allait lui pourrir la non-vie pendant un bout de temps, probablement qu’Eric se serait contenté d’un regard glacé comme il en avait le secret. C’est bien connu, ce vampire là n’en fait qu’à sa tête! Pourtant, si une petite voix lui avait bel et bien dit de rester sagement dans son bar au lieu d’aller fourrer son nez dans celui des autres, il aurait eu mieux fait de l’écouter. Quoi qu’il en soit, il n’avait été prévenu de rien. Aucune voix n’avait joué au médium et Eric était sorti combattre son ennui perpétuel. C’était toujours la même chose dans ce bar. Des humains lamentables qui se laissaient croquer par le premier vampire venu parce que ça leur donnait l’impression de mettre un peu de piment dans leur triste, morne et si courte existence. Oui, l’homme est émoustillé par le danger… Ça, notre guerrier viking l’avait bien compris et depuis longtemps déjà.

Bref, ce blasement atroce était la raison de sa venue dans ce bar. Un autre bar que le sien. Un endroit si… humain. Jouer à moitié à l’espion venant subtilement voir de quoi avait l’air la concurrence semblait être un bon plan pour cette nuit. Semblait oui. Car en vérité, c’était aussi emmerdant que de regarder des putains au sang chaud se frotter contre le corps mort de ses congénères au rythme d’une musique techno atroce.
Bien sûr, ici il n’y avait ni corps mort – hormis le sien – ni putain au sang chaud pour s'y frotter. Ici, il n’y avait que des soulons bien normaux qui trouvaient plus sage de flamber leur fric en alcool que de prendre le risque de se faire mordre.

Ça puait autant l’ennui qu’au Fangtasia. Fais demi tour, va te promener dans la rue, ramasse un passant et fais-toi un petit casse-croûte. Oui, c’était une bonne idée… jusqu’à ce qu’il pose ses yeux sur elle.
Derrière son minable comptoir, elle servait un client. Taille moyenne, élancée, brune, elle était jolie. Un peu plus que jolie même. Fronçant les sourcils, plissant légèrement les yeux, Eric l’observa plusieurs secondes, les pieds à moitié retournés vers la sortie. Il huma l’air. Il pouvait sentir son parfum d’ici. Elle sentait bon le miel et les chauds rayons du soleil.

Voyons Eric! Tu n’as pas vu le soleil depuis un millier d’années, comme si tu pouvais encore savoir quelle odeur ses rayons avaient!

Eh bien oui, il s’en souvenait. Ou du moins, il avait cette forte impression. Ses plans de partir se nourrir dans la première gorge à portée de canines s’envolèrent aussi sûrement que son ennui de ce soir. Cette fille là avait quelque chose. Mais quoi?
En grand amateur de mystères qu’il était – et grand ça on pouvait le dire, 1m93 c’est balaise! – notre géant blond se dirigea vers le comptoir et prit place sur un tabouret, en laissant un de libre entre lui et celui que la brunette venait de servir.

Sans dire un mot, il s’accouda au bar, plantant ses yeux bleus dans ceux de la barmaid à l’odeur si alléchante. Hum, peut-être qu’il était en sorte de famine. Une humaine ne pouvait pas avoir autant d’attrait en un coup d’œil. Ça ne lui était jamais arrivé et Dieu sait que jamais est très long avec le viking. Plusieurs secondes, voir même une minute, s’écoulèrent sans qu’il ne dise quoi que ce soit, la fixant sans la moindre gêne. Lorsqu’on a l’éternité devant soi, il faut dire que les perceptions sur le temps se modifient au fil des siècles qui passent.

▬ Whisky. Et je t’offre ce que tu veux.

Bien sûr, comme si tu étais le premier à lui offrir un verre. Même sans ce « truc » elle était jolie, des types bourrés sont passés bien avant toi =.=

Mais Eric se fichait bien de ce que sa petite voix intérieure avait à lui dire. Cette fille avait quelque chose et il était déterminé à comprendre ce que c’était.

Dans un soupir, Eden venait de pousser un pichet de bière sur le bar qui venait s'ajouter aux... soyons honnête, elle ne comptait plus depuis la première heure. Les gens buvaient pas mal dans le coin, comme dans beaucoup d'autres endroits ailleurs, il était ridicule de s'adonner à ce genre d'occupations, même pour passer le temps. S'emparant du billet que venait de lui tendre Steeve, Bobby ou Brandon, peu importe son nom, elle l'avait remercié d'un sourire joué qui n'était venu que pour augmenter son pourboire. C'était pas grand chose, mais ça permettait d'augmenter le salaire. Alors avoir l'air d'une aimable et gentille barmaid, c'était pas trop cher payé quand on pouvait occuper sa fin de soirée à compter les pourboires. Et si elle était plutôt douée pour charmer, il ne fallait pas croire que ça l'emballait plutôt plus que ça.
Roulant des yeux en se retournant après avoir entendu cet idiot qu'il aimerait mieux la payer pour la voir lever ses jambes, elle avait soupiré. Si son don pouvait s'avérer bien utile, ça restait fatigant d'entendre des abrutis pensaient à longueur de journée. Parfois, elle l'avouait, elle rêvait de tomber sur le parfait idiot qui n'avait même pas assez de cervelle pour se fatiguer à penser. Malheureusement, cette faculté semblait ouverte à tous, aux pervers lourds comme aux analphabètes, il fallait se faire une raison, les miracles n'existaient pas. Oui, même si elle aurait du pourtant y croire en possédant son don. Etre une sorte de bête de foire ne la rendait pas pour autant naïve. ça ne lui donnait pas plus envie d'aller à l'église pour se prendre pour une conception de Dieu. Pas plus que de se voir comme un démon rejetée de tous. Même si on l'avait parfois considéré de cette manière dans sa ville natale.

S'emparant d'un pichet vide qui traînait sur le bar, elle l'avait posé sur le plateau d'un collègue passant par là et dont elle n'avait pas plus mémorisé le nom. Elle n'était pas dans le coin depuis longtemps, on pouvait lui pardonner de ne pas maîtriser les bases sociables au boulot. Un soir, elle irait sans doute boire avec un verre avec eux et parviendrait à avoir l'air de s'intéresser davantage pour le temps qu'elle resterait ici. C'était toujours moins ennuyant que de rester seule.
Bien sûr, elle avait déjà fait quelques connaissances dans le coin grâce à son côté fêtard. Et après on disait que passer son temps libre à s'amuser était mal. C'était pourtant bien ce qui lui permettait de passer le temps avec son téléphone quand le patron ne se mettait pas à râler. Pianotant sur l'appareil, elle avait cherché un nom de Shreveport, assez facile à repérer quand on faisait le tri de ses contacts régulièrement et qu'on classait le tout par lieu "visité".
Décidée à se rendre dans un coin sympa de la ville après son service, elle avait commencé un message alors qu'un lourdeau de plus l'avait interpellé dans un ridicule "hey bébé". Contenant pour le moment le mauvais caractère qui finirait, un soir ou l'autre, par lui faire chercher un nouveau travail, elle avait exagéré son sourire en relevant les yeux :

- Eden, mon prénom c'est Eden. Quatre lettres si faciles à prononcer quand on veut bien se donner la peine.

Ok, c'était sortit tout seul. Mais croyez-nous, c'était nettement moins pire que le "la prochaine fois que tu m'appelles comme ça, j'te les broie direct" auquel elle avait pensé en premier lieu.
Devant l'air médusé de l'autre imbécile, elle avait soupiré avant d'ajouter :

- Qu'est-ce que j'te sers ?

Vouvoyer le client ? Mouais, c'était pas franchement gênant, c'était le genre de type à aimer la proximité par ici.
Ne se vexant pas plus que ça de sa première réplique, le type avait tendu son pichet pour qu'elle lui remplisse. Se tournant pour saisir le tuyau, elle l'avait mit dans le pichet avant d'appuyer sur le bouton que les ivrognes voyaient sans doute comme le bouton magique.
C'est alors qu'elle avait relevé les yeux pour croiser son regard. Sans réellement s'en rendre compte, elle avait oublié l'autre lourd en une seconde, et sans aucun doute le reste. Probable qu'elle ne s'était pas aperçue tout de suite que son regard l'avait suivit alors qu'il s'installait au bar. Si elle l'avait fait, elle l'aurait détesté sur le champ pour la simple et unique raison qui l'avait fasciné. Question de fierté, il n'y avait pas si longtemps que ça.
Quand elle avait sentit une main serrer son poignet tandis que le géant avait pris la parole, elle avait finit par détourner les yeux. Ce n'était que l'autre qui retirait sa main du pichet pour éviter qu'il ne déborde, l'autre dont elle avait aspergé "légèrement" le pantalon avant de finalement penser à relâcher le bouton. Il s'était mis à gueuler quelque chose dans un accent de la campagne mais Eden n'y avait prêté que très peu d'attention, son attention s'était reportée sur le blond aussitôt après avoir tendu un tas de mouchoirs au client dans un vague semblant d'excuses qu'elle avait conclut en lui offrant le pichet. Il lui avait bien semblé entendre que ce pervers lui demandait de nettoyer, mais elle avait peut être pensé qu'il ne faisait que le penser justement.

- Trop aimable.

Oui c'était tout. Elle n'allait pas se mettre à rougir ou un truc niais du genre parce qu'il était évident que le fixer lui avait fait faire une connerie.
Elle était, de toute manière, sans doute trop occupée à se demander le pourquoi. Différent ? Evident qu'il était. Mais il y avait quelque chose de plus.
Rapidement, elle lui avait servit son verre avant de s'emparer d'une bière pour son compte, le tout toujours sans écouter l'autre qui n'en finissait plus de râler.

- Les bonnes manières se perdent de nos jours.

Elle oubliait sans doute les autres verres qu'on lui avait payé dans la soirée, mais c'était un moyen moins ridicule que "nouveau dans le coin ?" pour entamer la conversation. Surtout quand elle aurait eu l'air stupide. Elle ne bossait ici que depuis quelques jours, il était peut être déjà venu dans le coin. Les classiques ne marchaient pas à tous les coups.

Un regard accroché qui fut partagé si on en croit la bavure que commettait la barmaid au moment même où il se décidait enfin à commander quelque chose. Se sachant parfaitement responsable de ce qui venait de se produire, Eric ne fit pas un grand honneur aux bonnes mœurs en laissant l’esquisse d’un sourire en coin se dessiner sur son visage pâle. Se moquer du trouble de la brune pour masquer inopinément le sien? Pourquoi pas. De toute manière elle ne semblait pas être en reste non plus à sa façon de lui répondre.

▬ Je sais.

Tu offres un verre à une fille qui te répond par un simple « trop aimable » peu engageant et c’est tout ce que tu trouves à dire?

Qu’aurait-il bien pu dire d’autre? Déjà, il ne le savait pas et, en plus, l’autre ivrogne qui se trouvait à être son voisin de tabouret était trop bruyant pour que le viking se permette de réfléchir en paix. Soyons franc, si ce mec était déjà casse-couilles pour une ouïe normale, imaginez un peu la cacophonie pour un vampire aux sens surdéveloppé!
Il était donc parfaitement d’accord avec la demoiselle. Les bonnes manières étaient en perdition dans ce nouveau millénaire. Ils ne parlaient peut-être pas de la même chose, mais la pensée était la même d’une certaine façon.

Baladant ses yeux entre la barmaid et son client difficile, Eric finit par pousser un soupire. Différents scénarios se bousculaient dans son esprit. Démembrer cet abruti était peut-être un peu excessif pour ce qu’il avait fait. Le saigner à mort aussi, surtout qu’il n’avait rien d’appétissant. Lui briser la nuque sans qu’il n’ait même le temps de le voir bouger était un compromis intéressant. Sauf qu’il y avait la problématique des témoins et un shérif qui bute un ivrogne dans son district et sans une véritable bonne raison, ça fait assez tâche sur le CV. Il lui restait donc la solution pacifique, discrète et toujours efficace!

Se tournant sur le côté pour tendre le bras et s’emparer du poignet – fragile dirait-on, à voir les grandes mains du viking - de cet abruti qui n’égaillait pas vraiment la nuit du vampire, celui-ci planta ses yeux dans les siens avec une insistance peu orthodoxe. L’hypnose, un don si louangé à travers les siècles!

▬ Au lieu de faire une scène et de rendre tout le monde sourd – en particulier moi, tu vas rentrer te changer et tu vas décider que tomber ivre mort dans ce qui te sert probablement de canapé miteux est une excellente idée.
▬ Je vais rentrer pour me changer.
▬ Bonne idée. N’oublie pas le pourboire juteux à la dame qui a la patience de regarder ta sale gueule soir après soir.

Le type qui était déjà debout extirpa son portefeuille de sa poche arrière et laissa tout ce qu’il avait de billets sur le comptoir avant de s’éloigner vers la sortie. Ramenant son corps face au comptoir, Eric prit quelques secondes pour apprécier l’absence de l’ivrogne avant de reposer ses yeux bleus sur la barmaid.

▬ Parfois il faut juste rappeler les bonnes manières aux gens pour qu’ils pensent à les utiliser.

Bien sûr. Comme si elle allait avaler ça. De toute manière, ça crève les yeux que tu es un vampire.

Et alors? Ce n’était pas dans l’intention d’Eric de cacher sa nature. Il ne le faisait déjà pas très souvent durant ce mille ans où les vampires vivaient dans l’ombre, ce n’était maintenant que la race avait fait son coming-out qu’il allait jouer à l’humain.

▬ Et puis c’est sûrement pas ici que les clients doivent être très adeptes des bonnes manières. Tu sais… Si tu venais bosser pour moi, je te garantis que ces ivrognes te respecteraient davantage.

La tête glissant lentement sur le côté pendant que ses yeux de pervers glissaient sur le corps mince de sa vis-à-vis, Eric parlait vraiment de l’embaucher dans son bar sans même connaître son nom, oui. Elle était magnifique et attractive comme un aimant au pôle opposé au sien. Il la voyait depuis à peine cinq minutes que son instinct possessif lui criait déjà de se l’approprier. C’était indéfinissable, mais il faut bien avouer que c’était probablement la chose la plus intéressante qui ne lui était pas arrivée depuis plusieurs mois.

Dans environ cinq minutes, Eden se maudirait probablement pour avoir été troublé par le géant qui se tenait en face d'elle. Pour le moment, elle mettrait juste ça sur le compte d'un attrait physique ou quelque chose dans ce goût là. Ok, il était rare qu'elle aille jusqu'à renverser de la bière sur un client quand elle en regardait un autre qu'elle trouvait attirant, mais laissons là y croire pour les quelques minutes à venir.
Si le dialogue n'était pas très étoffée, c'était sans doute parce qu'elle ne cherchait pas réellement à faire la conversation pour le moment, trop occupée à le fixer visiblement pour mettre le doigt sur ce qui pouvait bien la troubler. Occupée au point de mettre le gros lourd à côté en colère.
Une chance, si le blond ne semblait pas très bavard au premier abord, il avait plus de bagou quand il s'agissait de faire taire l'autre imbécile qui s'était mis à hurler. Et oui trésor, ce n'était pas normal qu'on te renverse de la boisson dessus et qu'on ne fasse rien pour réparer la faute. Mais c'était Eden, et Eden semblait bien occupée ailleurs pour penser ou même vouloir mettre un terme à la situation gênante. Son client plus généreux, et donc plus sympathique pour le moment, avait de toute manière plus de capacité pour calmer le jeu visiblement.
Un sourire amusé s'était tout d'abord dessiné sur les lèvres de la demoiselle qui était prête à lui dire que ce n'était pas vraiment la bonne technique avec ce genre de clients. Elle avait plus d'expérience dans le domaine, et ce genre d'individus ne se contentait jamais de ça. En général, c'était même la réplique parfaite pour le mettre davantage en colère. En particulier quand elle était prononcée par celui qui avait eu le droit d'avoir un verre pendant qu'il tentait d'attirer l'attention sur ses malheurs.

Et pourtant, le balourd s'était exécuté sur le champ avant de vider son portefeuille sur le comptoir sous le regard étonné de la barmaid. Regard étonné qui n'avait pas duré bien longtemps.
Le sourcil levé, elle avait à nouveau fixé le blond avant de rouler des yeux dans un soupir. Oui, c'était bien le moment où elle avait compris qu'elle venait de tomber sur son premier client qui n'avait rien de vivant. Et si elle avait eu l'air pour le moins boudeuse sur le coup, c'était pour la seule raison qu'elle ne possédait pas franchement le syndrome twilight et le portait même en horreur. Pouvoir être comparée à toutes ces niaises qui tombaient en pâmoison devant le premier mort venu en criant des "Edward"... génial.
Nouveau soupir plus tard, et elle prétendait avoir son comptoir à laver.
En ce qui concernait les vampires, elle n'avait pas vraiment d'avis sur la question des droits et tout le reste. En fait, jusqu'à ce soir, elle n'avait fait que rester en dehors. Quand ils avaient eu l'idée grandiose de se révéler, elle escroquait une mémé qui voulait parler à son mari mort au combat. Et c'est en filant l'argent à son père qu'elle avait entendu la nouvelle.
Le coup de l'hypnose qu'il venait de pratiquer, elle avait pensé pendant un temps que c'était un mythe. Visiblement, ce n'était pas le cas.

- Tu viens de commander quelque chose que tu ne comptes pas boire non ?

Qu'est-ce que ça pouvait faire, tant qu'il payait pour ça non ?
Et il avait largement payé pour le tout à en juger par la liasse de billets qu'elle venait de ramasser. Ok, ce n'était pas de l'argent honnêtement gagné, mais elle avait plusieurs raisons pour la mettre dans sa poche plutôt que de se poser des questions de moral. Premièrement, elle avait empoché de l'argent de manière beaucoup moins honnête. En d'autres termes, elle était en progrès. Deuxièmement, elle avait une voiture qui rendait l'âme et il fallait savoir prendre ce que le bon dieu nous offrait... même si Dieu n'avait rien à y voir, on vous l'accorde. Troisièmement, on ne laissait jamais traîner un pourboire, c'était un principe de barman ancestrale :

- Enfin, je suppose que le mot correct pour rester dans le terme des bonnes manières serait un "merci".

Surtout quand on fait face à un vampire.
Dire qu'elle s'était laissée avoir dans ce classique là. Être troublée comme une pauvre pucelle qui lisait trop de bouquins. Rien que pour ça, elle aurait du l'arroser lui plutôt que l'autre. Pour mourir ensuite, peut être, mais il faut savoir prendre des risques.

- Désolée, j'ai arrêté le trottoir en première année.

Au regard qu'il venait de lui lancer, il était compréhensible de le comparer à un mac non ?
En fait, il n'y avait qu'à lire dans sa tête pour savoir qu'elle ne se trompait pas sur la nature de ses pensées et....
Balançant le chiffon qu'elle tenait dans la main, Eden avait pris le bras du vampire sans se soucier du côté correct ou non pour rapprocher son visage du sien d'une manière assez brusque. Les tendances suicidaires étaient fréquentes ce jour-ci, mais là n'était pas le problème.
Le problème était qu'il n'y avait rien.
Plissant les yeux pour se concentrer manifestement, le résultat qu'elle semblait chercher n'était pas venue pour autant.
Rien. Pas une pensée perverse.
Alors elle s'était trompée et alors ?
Non rien, dans le sens rien. Elle n'entendait absolument rien dans sa tête. Qu'on puisse le croire ou non, elle s'était alors demandée si ce n'était pas plutôt ça qui l'avait troublé sur le coup, ce silence auquel elle n'était pas habituée

- Ta couleur préférée ? Ton numéro fétiche ? Le prénom de ta grand-mère ?

Oui, elle était dingue, mais n'empêche qu'il n'y avait toujours rien.

Ah, cet endroit semblait soudainement plus agréable maintenant que l’autre abruti avait levé les voiles. Et cette petite altercation pacifique avait eu tôt fait de démontrer à la demoiselle ce qu’il était vraiment. Pourtant, au lieu de l’usuel « vous êtes un vampire » pour le moins inutile et évident, la brune choisit d’extérioriser la nouvelle d’une autre façon.
En effet, il avait commandé un verre auquel il n’avait pas encore touché et qu’il ne comptait pas toucher non plus. Jetant un œil à ce fameux whisky, Eric les releva sur la jeune femme en haussant simplement les épaules.

▬ Je te l’offre aussi si tu veux.

Il repoussa le verre dans sa direction à elle avec nonchalance. Maintenant, il allait s’en aller? Eh bien non. Il y avait quelque chose avec cette fille et il n’en avait pas terminé avec elle. Elle qui le remerciait d’ailleurs pour ce qu’il avait fait. Le coin de sa bouche s’étira en un vague sourire.

▬ Mais je t’en pris. De toute manière, je l’ai surtout fait pour mes oreilles.

Oui, il n’avait aucune honte à tout ramener à lui. De toute manière, c’était exactement ça. Si ce troufion ne lui avait pas cassé les oreilles, il l’aurait probablement laissé grogner contre elle pou le reste de la soirée. Cette fille ne devait pas le prendre pour ce qu’il n’était pas. Soit un espèce de vampire gentleman romantique et guimauve comme ceux qui font tant baver les adolescentes mielleuses par les temps qui courent. Oh non, Eric était loin d’être un gentleman. Lorsqu’il était aimable avec quelqu’un, c’était toujours dans son propre intérêt.

Même ce soir, en ce moment avec elle. Il jouait la carte de l’amabilité parce que sa présence l’intriguait et qu’il voulait reste en sa compagnie encore un moment. C’était également pour ça qu’il osait carrément lui offrir un emploi sans se gêner pour la lorgner de ses yeux gourmands. De là sans doute la méprise avec une soit disant carrière de proxénète.

▬ Je bosse pas dans le trottoir non plus.

Sortant un carton d’allumettes à l’effigie du Fangtasia d’une poche de son veston en cuir, le viking l’avait tendu en direction de la brune et ce fut à ce moment qu’elle lui avait attrapé le poignet. Leurs visages se retrouvèrent pratiquement nez à nez, mais aucune surprise ne se lut sur celui du vampire. En mille cent ans et des poussières, il avait appris à maîtriser ses réactions comme un chef! Mais ça ne l’empêchait pas d’être surpris. Surpris par elle qui lui demandait des choses bien étranges, mais surtout surpris par lui-même qui restait planté là sans réagir. Une autre personne qu’elle se serait retrouvée les pieds au dessus du sol à luter pour respirer en moins d’une seconde. Mais elle, il… savourait oui, c’est le mot… il savourait sa main tiède sur sa peau.

▬ Le rouge sang, évidemment. Le neuf et je dois bien admettre que depuis le temps j’ai oublié. Je n’ai pas connu ma grand-mère, l’espérance de vie était de loin plus courte qu’aujourd’hui à l’époque. Pourquoi ces questions?

Ce comportement lui montrait de plus en plus qu’il y avait quelque chose de spécial en cette fille. Et quoi que cette chose spéciale puisse bien être, c’était selon lui la raison pour laquelle il ne s’éloignait toujours pas de son visage, fixant son regard avec obstination. En fait, même s’il aurait voulu s’en détacher, il en aurait été incapable. Physiquement incapable, carrément. Qu’est-ce qu’elle était? Une espèce d’ensorceleuse de vampires? Pourtant, Eric avait connu son lot de sorcières et aucune n’avait eu cet effet sur lui.

▬ Et qu’est-ce que tu es au juste?

Voilà. Il avait posé la question. Et il avait besoin de savoir. De comprendre. Il avait envie de la mordre. Il avait envie de l’embrasser. Mais pas comme lorsqu’il avait simplement faim d’assouvir ses instincts de prédateur. Alors oui, il avait grand besoin de comprendre.

Baissant les yeux vers le verre qu'il venait de pousser dans sa direction, Eden avait arqué un sourcil, retenant probablement un nouveau "trop aimable". Quelques secondes plus tard, elle s'emparait du verre pour le poser sous le nez du voisin de gauche de son client pas franchement vivant. Un "cadeau de la maison" plus tard, et le regard de ce pauvre type allait de son verre à son voisin de bar. Visiblement, il avait écouté leur petite conversation et en était arrivé à ses propres conclusions. Conclusions qui avaient déclenché un "pas moyen que je boive ça". Il pensait sans doute que c'était contagieux, assez pour qu'un ivrogne de son genre refuse une consommation gratuite. Une seconde plus tard, il posait quelques billets sur le bar pour régler sa facture et quittait le bar beaucoup trop rapidement pour qu'on ne voit pas là une fuite. Probable qu'il s'était rendu compte que ce n'était pas le genre de choses à dire avec un vampire, allez savoir. Dans le cas d'Eden, elle avait préféré levé sa bière :

- Non merci, j'ai déjà ce qu'il me faut.

Vrai. Et en même temps, si elle en avait eu envie, on soupçonnait que Mère Fierté lui aurait conseillé de refuser le verre histoire de ne pas trop en devoir. Un pourboire élevé, une bière offerte, c'était bien suffisant pour le moment.
S'emparant donc à nouveau du verre de whisky qu'elle avait vidé dans l'évier, geste que Scott aurait probablement qualifié d'impardonnable, elle avait ajouté :

- On a du True Blood si tu préfères.

Peu convaincue, elle lui avait lancé un regard comme si elle pensait déjà qu'il n'en voudrait pas. Si ce type avait commandé un whisky en premier lieu, probable qu'il n'était pas particulièrement fan du sang synthétique qu'on servait de nos jours. Raison pour laquelle elle avait préféré encaisser l'argent du craintif qui n'avait laissé aucun pourboire. Ce radin avait eu le temps de compter en prenant le risque de se pisser dessus.
Au moins, il était honnête. Elle ne pouvait imaginer, mais c'est vrai que les braillements de l'autre devaient être encore plus pénibles dans leur cas.

- Alors merci pour le pourboire dans ce cas.

Evitant soigneusement son regard désormais, elle s'était répétée intérieurement qu'elle n'était pas atteinte du syndrome Twilight. Impossible dans son cas. En 22 ans, elle n'avait jamais manifesté le moindre signe de niaiserie, elle n'allait pas tomber dans les classiques ce soir parce qu'un vampire venait prendre un verre pour ne pas le boire.
Pourtant, la curiosité voulait qu'elle avait relevé les yeux à plusieurs reprises vers ce qui restait néanmoins un client. C'était la première fois qu'elle en rencontrait un, normal de se montrer curieuse. Dans son cas, peut être pas à ce point, mais il y avait cette fameuse chose sur laquelle elle n'arrivait pas à mettre le doigt. Et à chaque fois qu'elle cherchait à la trouver, elle pensait qu'elle était une imbécile sans nom et sans limites. Normal que ce soit différent, il était mort. Pas la peine de chercher autre chose là-dessous.

- Tu pourrais faire fortune pourtant.

Ce qui aurait pu passer pour un sarcasme avait pourtant été dit avec un sourire qui le faisait davantage passé pour une plaisanterie, plaisanterie qu'elle avait pensé à voix haute avant de prendre le carton d'allumettes qu'il lui tendait pour y jeter un oeil. Le fangtasia était l'une des premières choses dont on lui avait parlé dans le coin quand elle avait demandé les bonnes adresses. Evidemment, la personne qui lui en avait parlé n'avait pas semblé recommander le bar vivement sans en expliquer, mais d'autres plus étranges l'avaient fait. Alors pour une nouvelle venue, elle n'ignorait pas que c'était l'adresse des vampires dans le coin et qu'il fallait sans doute un désir de mort ou un grand besoin de danger pour s'y aventurer. L'envie de se foutre la frousse.
Oui, elle plaidait coupable, elle était particulièrement fan des situations dangereuses et n'était pas la plus douée pour éviter les comportements suicidaires. Cette fois-ci, elle préférait cependant avoir un comportement moins stupide. Et le comportement moins stupide était bien sûr de ranger le carton dans la poche arrière de sa jupe en jean. Non, elle n'y bosserait pas. Mais quand la curiosité vous prenait, fallait stocker les renseignements utiles. Et puis... savait-on jamais, aucun boulot n'était éternel.

- Non merci, je ne suis pas la nouvelle Bella du coin.

Et puis, rembarrer les clients ici, leur en coller une, c'était beaucoup moins suicidaire. Pourtant, si elle avait su sur le moment qu'elle n'était pas capable d'entendre leurs pensées, elle y aurait sans aucun doute réfléchit plus longuement avant de décliner l'offre. Pour le moment, elle contredisait sa première réaction un peu plus tôt qui avait été d'être pour le moins troublée quand il avait débarqué.
Et évidemment, rien n'était jamais trop beau en manière de contradiction. Se saisir de son bras à peine quelques secondes plus tard de manière aussi brusque n'allait probablement pas avec l'indifférence qu'elle plaidait en ce qui concerne les vampires. Elle ne les adorait pas, elle ne les détestait pas non plus, mais tenir le bras de l'un d'entre eux ne semblait pas poser de soucis. Une chance, elle n'était toujours pas la meilleure en manière de logique et elle pouvait toujours invoquer cette tare si on lui faisait remarquer.
Après sa série de questions, la série de réponses était venue.... à voix haute. Elle l'avait entendu comme n'importe quelle personne à sa place l'aurait entendu.
Aucun air déçu n'était venu sur son visage, à la place, elle s'était montrée davantage intriguée et n'avait pas lâché son bras même lorsqu'il lui avait demandé les raisons de ces questions. Question de sa part qui avait pourtant laissé place à une certaine hésitation. Oui, la prochaine fois qu'elle n'entendait pas les pensées du personne, elle cherchait d'abord une raison pour se comporter de cette manière avant d'agir

- ... pour rien. De la curiosité. Rouge sang hein ? T'avais pas plus original ?

Changer de sujet, une méthode ancestrale qui pouvait parfois marcher.
En tout cas, celui qui était responsable de la question la plus troublante entre les deux, c'était bien lui.
Lui relâchant le bras aussi brusquement qu'elle avait décidé de le prendre, elle avouait s'être demandée l'espace d'une seconde s'il ne savait pas. Si elle n'était pas capable de l'entendre, peut être que lui si.
Trouvant immédiatement cette pensée ridicule, il l'était moins en revanche de penser qu'il était capable de voir une différence. Ou que plus simplement, lui poser des questions de cette manière la faisait passer pour une folle. Si elle préférait la seconde option, elle restait néanmoins certain que le ton de sa question la rendait impossible :

- Un simple casse-croûte ? Mais je préfère le terme de barmaid, si ça t'embête pas bien sûr.

Très drôle, vraiment très drôle.

Qu’elle refuse le verre, il s’en fichait complètement. Sans sa présence derrière le comptoir, il ne serait pas resté plus de trente secondes dans cet endroit de toute manière. Il se fichait également de l’autre alcolo qui s’était refusé à prendre le verre lui aussi. Est-ce qu’Eric avait une tête de pestiféré? Surtout qu’hormis pour repousser le verre, il ne l’avait absolument pas touché ni même regardé. Une question intéressante, mais le viking ne s’interrogea même pas sur le sujet. Il avait l’habitude et c’était un peu de sa faute aussi si les gens réagissaient comme ça autour de lui. C’est que le grand blond n’avait pas franchement une tête sympathique à première vue.

Observant plutôt la beauté énigmatique verser le contenu du verre dans l’évier, ses lèvres s’étaient légèrement pincées lorsqu’elle avait proposé de lui servir une bouteille de True Blood. Cette chose qui ne portait absolument pas son nom? Eric n’avait que renifler ce semblant de sang abject pour décréter qu’il ne valait même pas la peine d’être goûté.

▬ Si je te disais que cette abomination est aussi délicieuse que vos surgelés minceurs qui essaient de se faire passer pour de la bonne bouffe, tu comprendrais?

Probablement oui. Et, accessoirement, elle aurait peur pour sa vie, mais Eric n’avait pas l’intention de la tuer. Bien sûr, elle ne pouvait pas en avoir la certitude et il faut bien admettre que le blond avait développé un penchant à terroriser son prochain. Puis, entretenir la peur était un don naturel chez lui.

La conversation dérivant sur une offre d’emploi sortie de nulle part, Eric était plutôt satisfait de la réponse qu’il obtenait. Elle avait du caractère. C’était certes très intéressant, mais toujours pas suffisant pour expliquer ce qui se passait.

▬ Je fais déjà fortune. Et puis, une fille comme toi, on la garde plutôt pour soi.

Cherchait-il à la charmer? Non, pas vraiment. En fait, cette remarque était plutôt sortie d’elle-même. Une vérité qui ne passe pas par la case « vérifions si ça se dit » avant d’être prononcée. En était-il gêné? Absolument pas! De toute manière, il venait carrément de la déshabiller du regard, alors sous entendre qu’il aimerait bien l’avoir pour lui tout seul n’était pas si terrible. Saluons plutôt la franchise à toute épreuve à laquelle nous avions droit ce soir.
Son offre se vit pourtant refusée. Pourquoi en était-il désappointé? Peut-être parce qu’il avait l’habitude qu’on fasse ce qu’il dit ou ne serait-ce que propose. Peut-être aussi parce qu’il la voyait déjà derrière le bar du Fangtasia, ayant ainsi la possibilité de la dévorer des yeux toute la nuit et nuit après nuit. C’était absolument démentiel.

▬ Loin de moi l’idée de te comparer à cette atrocité qui fait honte à notre race.

Twilight, pitié =.= Les vampires allant au soleil? Une simple morsure transformant en vampire? Mettre une humaine enceinte? Aberrant et stupide. Une longue discussion qu’il avait eu de nombreuses fois avec son associer. Regarder cette abomination un soir avait été la pire idée dans l’histoire des mauvaises idées de son cadet et la liste était pourtant très longue!

Pourtant, Eric oublia la référence à l’atrocité littéraire dès que la jeune femme lui saisit le bras. Ses questions n’avaient aucun sens et elles ne faisaient qu’attiser un peu plus la flamme du mystère qui ne cessait de se former autour de la barmaid. Derrière son expression de fille un peu folle qui voulait qu’on la prenne pour une évadée d’un hôpital psychiatrique, le viking devinait qu’il y avait plus. Quelque chose qu’elle avait pour habitude de cacher. Autrement, elle ne détournerait pas aussi rapidement le sujet. Il y avait de nombreux avantages à la vie éternelle et l’un d’eux était de devenir à la longue un expert en psychologie humaine.

▬ Je ne pense pas avoir la tête d’un type qui apprécie le fuchsia.

Une image certes intéressante, mais qui aurait fait honte à la virilité du grand guerrier. Plutôt mourir! Et au lieu de parler rose ou même de la grande mort, le blond était revenu à la charge posant l’ultime question. Qu’était-elle? C’était forcément spécial. Et ce qu’elle lui répondit n’était absolument pas toute la vérité. Eric était un maître dans l’art du mensonge, il pouvait les sentir à des kilomètres à la ronde.

▬ Il y a plus que ça.

Ses yeux se plissèrent légèrement à nouveau comme lorsqu’il lui avait porté son premier regard. S’il avait pu la transpercer, il en serait probablement venu à bout avec cette insistance à la regarder. Pourtant, ce n’était pas ça qui allait lui apporter des réponses. Et ce n’était pas maintenant qu’il allait en avoir non plus.
La porte du bar claqua vigoureusement et le viking se retourna pour jeter un œil à ce qui venait d’arriver. Un peu moins d’une demi-douzaine d’hommes venaient d’entrer. Le genre alcoolique chronique et bien assommant. Le genre qui donne envie de les étrangler sur place et qui est forcément dérangeant où qu’il aille.

▬ Un pichet ma jolie!

Le genre qui prenait les employées pour des objets au service de leurs moindres caprices. Un genre très détestable, inutile de poursuivre l’éloge.

▬ Eh bha eh bha eh bha, regardez ce qu’on a là! Un vampire!

Assurément, celui qui se prenait pour le chef de cette bande d’abrutis congénitaux voulait se la jouer gros dur qui ne craint pas les vampires. C’était à la mode en ce moment. Le problème avec ces mecs là, c’est qu’il fallait toujours employer la manière forte pour leur faire comprendre qu’ils n’étaient que des minables aussi faibles que des insectes face à sa race.

▬ T’as un problème contre les vampires peut-être?
▬ Aucun problème.

Le fixant encore plusieurs secondes de son regard à glacer même les plus courageux, Eric ramena les yeux devant lui, évitant de porter plus d’attention à ces idiots. Il avait mieux à faire que d’éduquer des causes perdues, comme poursuivre ses questions pour finir par tomber sur celle qui lui dévoilera ce qu’il voulait savoir.

Comme elle s'y était attendue, le sang synthétique n'était pas à son goût. Quel vampire aurait commandé un whisky pour ne pas le boire autrement ? Visiblement, il avait trouvé un autre moyen de se nourrir et Eden, qui se disait toujours si courageuse en affirmant n'avoir peur de rien ou presque, s'était mise à penser qu'il vaudrait peut être mieux ne pas faire de détour en rentrant. Oui, il pouvait toujours se trouver une pouffe à la Belle consentante sans avoir à la tuer, mais après tout ce qu'on pouvait dire sur eux, il était normal de penser à prendre quelques précautions.
Probable qu'au regard qu'elle venait de lui lancer, il avait été capable de deviner ses pensées sans pour autant avoir un don de télépathie. Rapidement, elle avait fuit son regard pour se concentrer sur sa bouteille de bière dont elle avait bu quelques gorgées. Déjà deux pour ce soir. Deux quoi ? Deux bonnes raisons de ne pas l'aimer par simple et pure fierté.
Premièrement, il l'avait fasciné.
Deuxièmement, elle avait ressentit une certaine crainte qui n'était pas habituelle pour elle. Ou au moins qu'elle masquait parfaitement d'habitude, ce qui n'avait pas été le cas ici.
Pestant, elle s'était ensuite reprise pour employer le ton de l'ironie :

- Parce que t'as déjà eu l'occasion de goûter des surgelés minceur ? Tu bois pas mon whisky mais tu testes les produits amincissants ? Alors là je suis vexée.

Hey ! Il y avait de quoi ! Il avait beau être acheté et pas de sa fabrication, il était forcément meilleur ici. Du moins, c'est ce que toute bonne barmaid se devait de dire.

- Et juste au cas où, je me nourris exclusivement de produits minceur. Je dois avoir un goût abominable. Tu préfèrerais le whisky, j'en suis sûre.

Qui ne tente rien n'a rien, et c'était toujours moins agressif que de lui sortir qu'elle n'était pas au menu du soir avant de lui tourner le dos. S'il y avait une chose qu'elle avait apprise sans même en rencontrer un seul, il fallait parfois savoir faire preuve de correction avec certains individus. Certes, elle ne le mettait pas toujours en application, mais elle ferait l'effort pour ce soir. Car, vu la manière dont il la regardait, elle avait l'impression d'avoir la tête du menu du soir.
Alors oui, elle n'était pas du genre à consommer des menus minceur et choses du genre, mais le principal était dit. S'il voulait manger quelque chose ce soir, ce ne serait certainement pas elle. Plus tard, quand elle aurait de plus grandes envies suicidaires, elle penserait peut être à lui si elle gardait cette boîte d'allumettes... la bonne blague, elle voyait ça d'ici. Débarquer dans son bar pour lui proposer un encas s'il n'avait pas déjà mangé.
Eden Jones, rien que pour avoir cette pensée là en tête, t'es sans doute bonne à enfermer :

- C'est vrai que j'ai entendu dire que les affaires marchaient plutôt bien. Enfin, dommage que je sois déjà raide dingue de mon patron. Je suis entièrement dévouée à lui.

"Lui" qui avait été remplacé dans ses pensées par un "cet immonde pervers incapable d'aligner deux phrases sensées à la suite".
Elle admettait avoir pensé au côté positif d'un tel job. Elle ne pouvait que plus l'apprécier en patron étant donné qu'elle n'entendait rien de ce qu'il pouvait penser. Mais c'était aussi intrigant. C'était bien la première fois qu'elle se trouvait à fixer quelqu'un en étant obligé de deviner ce qu'il pouvait penser. Quelque part, elle l'avouait, c'était en réalité plutôt agréable.
Et pour ce qui était de la dernière phrase du vampire, c'était rassurant. ça leur faisait au moins un point commun, elle n'avait jamais accroché au genre. Il fallait être obligatoirement niaise pour pondre quelque chose dans ce registre là. Un sourire amusé sur les lèvres, elle lui avait répondu :

- Tu me rassures. Vous auriez été fan, on verrait des Edward toutes les nuits.

Elle l'avouait qu'il ne lui ressemblait pas. Mais de là à avouer en plus de ça qu'il était plus attirant, voir beaucoup plus, ça irait merci. Un compliment, et un compliment léger, à la fois.
Elle se souvenait encore de l'après. Quand ils avaient anoncé leur présence parmi eux, le phénomène avait été en s'empirant. Combien de personnes au teint pâle elle avait vu dans les rues en pleine journée. Certains parlaient de Satan et autres. D'autres, en robe à fleurs, se promenaient limite avec leur exemplaire de Twilight entre les mains en parlant du nouveau profil meetic qu'elles avaient fait la veille pour rencontrer le vampire de leurs rêves. Et tout ça n'allait pas en s'arrangeant. Clans de gothique qui rêvaient de devenir des vampires et autres. On en voyait tous les jours. Et quand on pouvait entendre ce qu'ils pensaient, ce n'était pas plus brillant niveau intellectuel.
Poussant un soupir blasé, elle avait vite oublié ces pensées déprimantes en se rapprochant de lui.

- Pas vraiment... mais ça t'irais bien au teint.

Quoique... ok, définitivement pas du tout. Mais il fallait bien trouver une parade devant la curiosité qu'elle venait de déclencher avec un tel comportement.
Plus que ça.... C'était aussi son cas. C'était peut être le cas pour tous les vampires à vrai dire. Mais vu qu'il était le premier, il remportait la palme de la découverte. Découverte qu'elle n'assimilait toujours pas, cherchant encore à écouter des pensées qu'elle n'entendait toujours pas.

- Désolée de te décevoir, mais tu te trompes. Je suis assez banale dans le genre barmaid.

Comme si ça allait pouvoir le convaincre.
Elle était bien consciente de ne pas entrer dans la catégorie "barmaid banale". Elle n'était d'ailleurs que barmaid pour un temps. Dans un mois, elle servirait peut être des hamburgers dans un fast-food du Texas. Seul l'avenir le lui dirait, elle ne prévoyait jamais à l'avance. Trop compliqué, et impossible de s'y tenir de toute manière.

Leur conversation venait d'être coupée par l'arrivée des "idiots du village" comme on aurait pu les surnommer. Et il n'y avait qu'à leur creuser un peu le crâne pour voir qu'il n'y avait pas grand chose de bien malin là dedans. Poussant un soupir, Eden avait simplement hoché la tête pour se retourner ensuite et leur remplir leur fameux pichet.
Ce qui s'était déroulé ensuite, elle l'avait vu venir avant que ça se produise. Le type n'avait pourtant pas hésité bien longtemps avant de se lancer dans la provocation, provocation qu'elle avait tenté de couper comme elle l'avait pu en lui posant son pichet juste devant lui :

- Et voilà !

Un ton assez élevé et faussement enjoué qui n'avait rien changé à la suite :

- Moi j'en ai un !


Bon sang, imbécile numéro deux s'y mettait :

- J'vois que tu bois rien l'ami, et ça me dérange. Tu dois avoir soif ! Hey, ils en font pas au goût de rat. C'est bien de ça qu'ils devrait tous se nourrir, j'ai pas raison ?

La fin de sa phrase plus élevée que le début avait fait taire plusieurs groupes dans le bar. Il s'était d'ailleurs tourné vers les autres clients pour chercher de l'appui à sa stupidité. Plusieurs pensées dans le bar avaient prouvé qu'il en trouverait probablement s'il insistait.

- Vous avez votre pichet alors du vent.
- Je savais pas que t'étais du genre à apprécier la vermine. Dommage, toi et moi on aurait pu bien s'amuser.
- J'en doute.

Et cet idiot n'avait rien trouvé de mieux à faire que de serrer l'épaule du vampire comme s'il s'agissait d'un vieux pote. Aussitôt le regard d'Eden s'était tourné vers lui. La situation allait rapidement dégénérer, et pour changer son imbécile de patron avait choisit le bon moment pour compter sa précieuse réserve dans l'arrière salle.

Un sourire se planta sur les lèvres du blond à la mention du régime exclusivement composé de surgelés minceurs. Certes, il n’en avait jamais goûté, mais il en avait déjà vu et flairé de prêt et… ça avait l’air aussi délicieux que le sang d’un rat mort. Le côté amusant n’Était pas là, mais bien dans l’empressement de la brune à lui confier qu’elle était pour ainsi dire immangeable. Il fallait une certaine dose de cran pour oser faire ce commentaire avec autant d’adresse et Eric était amateur de gens de caractère.

▬ Relaxe, je vais pas te manger.

Littéralement oui. Curieux comme certaines expressions prenaient une toute autre signification lorsqu’on était un mort-vivant aux longues dents!
Mais peu importe. Il n’y avait plus grand-chose à dire sur la discussion Tru Blood. Préférant tenter sa chance à lui proposer carrément un job, le pauvre vampire se vit refermer sa porte grande ouverte en pleine figure. Bien sûr, elle adorait son patron! Un endroit fréquenté par des minables – du moins à vu de nez – ne pouvait être dirigé que d’une main de minable. Pourtant, le viking ne s’en formalisa pas. Elle ne le connaissait pas et il était un vampire. Deux bonnes raisons de ne pas trop se fier à ce qu’il pouvait bien lui dire ou lui proposer. Loin d’être pressé par le temps, Eric laissa couler en se disant qu’il pourrait toujours revenir à la charge à un autre moment. On finissait toujours par dire oui à Eric de toute manière. C’est qu’il avait un certain don pour atteindre ses objectifs quels qu’ils soient!

Préférant ne pas élaborer la question Twilight question de ne pas expérimenter une chose qu’il n’avait pas connu depuis sa mort – soit les nausées – le blond des steppes ne répondit rien, laissant simplement une légère grimace de dégoût parler pour lui.
Ce fut après que les choses devinrent réellement intéressantes. Une vérité cachée. Enfouie. Une vérité qui devait avoir une certaine valeur, autrement cette barmaid ne mettrait pas tant de soin à détourner le sujet et aller sur une toute autre voie. Une voie bien peu virile soit étant dit. La vision d’Eric portant du fuchsia n’était pas franchement réjouissante.

▬ Menteuse.

Son ton naturellement neutre portait cette fois-ci une certaine teinte de taquinerie. Sortez le champagne! Une telle chose dès le premier soir était aussi rare que la venue de Jésus sur terre.
Cependant, la diversion échoua. Un viking ne perdait jamais le nord, sachez-le! Posant la question ultime et insistant sur celle-ci en l’absence d’une réponse satisfaisante, Eric n’était toujours pas contenté et absolument pas convaincu. Il le sentait jusqu’au fond de ses tripes de mort-vivant, elle était spéciale comme fille.

▬ Non, je ne me trompe jamais.

Plutôt fendant, mais il faut bien admettre que les fois où son instinct lui avait fait défaut se comptaient sur les doigts d’une main. Ce qui en 1 189 ans était une sacrée bonne moyenne!

▬ Tu es loin d’être banale, ça se sent tout de suite.

Du moins ça se sentait pour un vampire. Les humains étaient dès êtres tellement fermés à ce qui les entouraient.

N’ayant malheureusement pas le temps de discourir davantage sur la question – sûrement au grand plaisir de la brune – ils se firent déranger par un arrivage de saoulons typiques qui ne tardèrent pas à mettre le feu aux poudres en reconnaissant en Eric un vampire.

Provoquer un vampire? Provoquer Eric? Un seul caillou pour deux pigeons, ma foi, plutôt sensibles. Eric ne supportait pas qu’on lui manque de respect. Déjà qu’un humain provoque un vampire était selon lui de la pure folie. Mais un bâtard d’humain ivrogne à moitié clochard et manquant cruellement de classe qui provoque Eric, vampire le plus âgé du district et l’un des plus âgés de tout l’état… Un néon rouge, une alarme et le mot warning devraient s’illuminer, piailler et flashouiller de toutes parts. Et même sans sa condition vampirique, Eric demeurait un guerrier viking puissant et redoutable. En clair, ce type venait de commettre la pire erreur de sa vie.

Lorsque la main de l’idiot congénital s’était posée sur son épaule, Eric avait croisé le regard de la brunette. Il resta sans bouger, plongé dans ce regard, pendant quelques secondes avant qu’une simple fraction suffise à ce qu’il attrape le poignet du type, se lève et retourne complètement la situation en coinçant le bras de l’imbécile dans son dos, plaquant son visage brutalement contre la surface du comptoir. Les crocs sortis, la gueule ouverte, il poussa le grondement typique des vampires.
Son pote chercha bien évidemment à lui venir en aide, mais Eric n’eut même pas besoin de se retourner pour l’attraper par le cou de sa main valide et de le soulever de terre de plusieurs centimètres.

▬ Leçon numéro un : un vampire peut vous tuer d’un simple claquement de doigt, alors évitez de les provoquer aussi stupidement.

Il rejeta celui qu’il tenait par le cou à l’autre bout de la pièce aussi facilement que s’il n’avait été qu’une simple petite peluche avant d’approcher sa bouche de l’oreille du plus idiot des deux qui l’avait ouvertement provoqué.

▬ Leçon numéro deux : quand une fille est un million de fois trop bien pour soi, la moindre des choses c’est d’être respectueux envers elle.

Pourquoi prenait-il la défense de la barmaid? La première fois, c’était un couillon qui lui casait les oreilles. Ça passait plutôt bien. Mais cette fois-ci? Assez désintéressé comme commentaire. Un effet de ce quelque chose d’indéfinissable sans doute.
Dans tous les cas, il envoya valser le second pour qu’il aille atterrir sur son ami qui commençait tout juste à tenter de se relever. Sortant par la suite son portefeuille de la poche intérieure de son blouson, le vampire déposa un billet de cent dollars sur le comptoir.

▬ Tu donneras ça à ton patron pour le remue-ménage.

Puis il en sorti un autre tout en se décidant enfin à porter un regard sur le badge de la demoiselle.

▬ Et ça c’est pour toi, Eden. Si tu me cherches, tu sais où me trouver. Demande Eric.

Puis, comme si rien ne venait de se produire, il rangea son portefeuille et s’éloigna vers la sortie pour finalement quitter l’établissement.

- C'est rassurant. J'ai le rêve secret de devenir présidente, et il serait dommage de mourir avant de l'avoir réalisé.

Autant dire jamais ?
Du moins, pas pour le moment. Mais il était toujours préférable de dire jamais quand on était au plus bas de la chaîne alimentaire du côté surnaturel.
Bref, pour faire sa confidence, elle s'était rapprochée et avait glissé cette idiotie dans un murmure. Oui, à croire qu'elle l'avait cru. Mais après tout, même s'il voulait réellement la manger, en faire la confidence n'aurait rien changé. Ils avaient certains avantages sur la race humaine qui faisaient qu'on devait sans doute se résigner à finir en un repas quand l'un d'eux avait décidé de combler son petit creux avec votre sang.
Se redressant, elle avait probablement prétendu bosser en jetant un coup d'oeil à la salle. En réalité, cette même salle bruyante de plusieurs manières pour elle n'avait pas grand intérêt à ses yeux. Si cette dernière était remplie de pensées stupides qui vous filaient souvent des nausées. La tête du vampire avec qui elle discutait pouvait être comparée à une oasis de verdure, ou autres comparaisons du genre. En d'autres termes, le calme qu'elle ressentait à tenter de le sonder était particulièrement reposant. Si bien qu'elle avait finit par se fermer pour se concentrer uniquement sur lui et goûter à un presque silence qui était parfois interrompu par quelques pensées des autres clients, ou des phrases qu'elle percevait sans le vouloir aux alentours.

Sa fascination du début n'était sans aucun doute pas disparue. En fait, elle était maintenant un peu plus grande. Quand elle espérait trouver quelqu'un qui pensait peu, elle n'avait jamais pensé à chercher du côté des vampires. Il y avait peut être un peu du charme qu'on leur prêtait, mais en bonne anti-Bella, elle se refusait à l'admettre.
Quoiqu'il en soit, malgré sa fierté piquée au vif au début, elle s'était remise à parler sans hostilités, ne prêtant pas attention à la sympathie qu'elle pouvait témoigner. Il ne valait mieux pas de toute manière.
Autant profiter de ces quelques minutes plus calmes que les précédentes sans trop en dire :

- ça ferait ressortir ton teint, j'tassure ! Tu devrais essayer !

Ok, elle admettait, elle plaisantait avec lui et en avait complètement oublié le reste et les autres personnes. Pour le moment, et pour encore pas mal d'années à son avis, voir pour toujours, les vampires n'étaient pas très bien vus chez pas mal de personne. Elle ne se faisait pas que des amis à lui parler comme un autre client, voir avec plus de sympathie que pour pas mal qui se trouvaient ici. En tout cas, elle ne la jouait pas pour être une barmaid cool et se ramassait plus de pourboires.
Elle n'entendait pas ses pensées, il se comportait bien et engageait même à en faire de même, alors pourquoi faire autrement tant qu'on restait sur ses gardes ? Plus tard, elle aurait sans doute des raisons. Mais pour ce soir, il avait habilement rattrapé la fierté endommagée de notre barmaid.

- C'est qu'il doit y avoir une première fois à tout !

Hum, et c'est pour appuyer ses dires qu'elle avait détourné les yeux vers une table ?
Plus fort qu'elle, à la regarder comme ça, elle avait l'impression d'être sondée. Il ne pouvait pas certes lire dans les pensées, mais il donnait l'illusion de chercher à le faire.
La discrétion. Son mode de vie depuis qu'elle avait décidé de prendre la route seule. Il n'était plus question de se donner en spectacle maintenant qu'elle avait le choix. Alors son don était devenu le secret absolu qu'elle ne mettrait plus en avant.

Pour les premières secondes où les abrutis étaient arrivés, elle avouait avoir pensé avec soulagement que le sujet ne serait peut être plus abordé.
Mais la pression était montée rapidement et elle avait déchanté tout aussi vite. Occupée à sonder les pensées des idiots, elle avait regretté de n'être capable que de les entendre.
La situation avait dégénéré plus rapidement encore et Eden n'avait pas eu le temps de faire un mouvement, ou même de penser à le faire, que l'un d'eux se retrouvait déjà la tête sur le comptoir.
Serrant sa bière qu'elle tenait toujours en main, elle n'avait pas quitté des yeux la scène. Pas même pour chercher son patron ou une personne capable d'intervenir. De toute manière, qui le pourrait ?
Si elle ressentait de la crainte à voir de quoi était capable un vampire de ses propres yeux, elle avait été également surprise qu'il prenne sa défense. Intérieurement, elle en avait sans doute été reconnaissante. Mais qui savait ce que le géant pouvait penser ? Pas elle, pour exception.

Le tout s'était terminé assez vite avec deux idiots dans le décor. Il avait sortit à nouveau de l'argent, et Eden l'avait pris sans un mot, hochant simplement la tête à sa dernière phrase, formant le mot "merci" sur ses lèvres.
Après son départ, le bar était restée calme pendant de longues secondes. Le brouhaha, plus bruyant qu'auparavant, n'avait repris que lorsqu'ils furent tous sûrs qu'il n'était plus dans les parages.
L'argent toujours dans sa main, Eden avait fixé la porte plusieurs secondes avant de finalement terminer sa bière d'une traite. ça, c'était une soirée qui sortait de l'ordinaire et la conversation des habitués du bar porterait sur le sujet pendant un moment.