Notting Hill in Shreveport

Premier jour en ville et déjà premier boulot. Au moins, on pouvait dire qu'Eden ne perdait pas de temps pour se trouver un job. Et quand il s'agissait de bosser au milieu des bouteilles, il n'y avait pas à réfléchir à deux fois. Ce qu'elle ignorait encore, c'est qu'un certain roux plus que roux s'était probablement dit la même chose quand il avait été embauché ici. Mais n'évoquons pas la suite en premier lieu et procédons par étape.
Plus tôt dans la journée, Eden avait rencontré son nouveau patron qui l'avait embauché en coup d'oeil. Probable qu'il avait pensé qu'une fille comme elle ramènerait des clients ? Certain, elle l'avait entendu juste avant qu'il ne pense qu'il lui donnerait bien un pourboire pour une petite danse privée. Les hommes étaient tous les mêmes, et elle n'allait pas désespérer des siècles pour ça. Il fallait bien l'avouer, elle était loin d'être une prude Sainte de son côté.
Bref, après avoir promis de passer plus tard dans la soirée pour qu'on puisse lui expliquer son boulot et le fonctionnement des lieux avant son premier soir qui serait le lendemain, elle était retournée au motel où elle avait pris une chambre. Soit le premier qu'elle avait croisé sur la route. Inutile de chercher trop longtemps, elle ne ferait après tout qu'y passer ses nuits. Et pour le peu qu'une barmaid dormait, ça n'avait que peu d'importance.

Rapidement, elle avait défait ses valises avant de s'accorder une courte sieste pour récupérer de la route de ses derniers jours. Il faudrait d'ailleurs qu'elle pense à accorder le même traitement de faveur à sa voiture, un petit tour au garage ne lui ferait pas de mal. Mieux valait éviter qu'elle ne rende l'âme maintenant, et au bruit qu'elle faisait ces derniers temps, ça ne saurait tarder si elle ne s'en occupait pas au plus vite.
Quand Eden avait ouvert les yeux, la nuit était tombée sur Shreveport depuis plusieurs heures déjà. Consultant l'heure sur son téléphone, elle avait jugé qu'elle avait le temps de prendre une douche et de se changer avant de retourner au bar. Ce qu'elle avait fait en une rapide demi-heure. Le temps de choisir une tenue à pourboires et de remonter ses cheveux et elle faisait démarrait sa voiture de l'enfer pour prendre la route du bar.
Quelques minutes plus tard, elle y entrait pour la deuxième fois de la journée, ou pour la première si on tenait compte de l'heure.
Du regard, elle avait cherché le boss et avait finit par le repérer près du comptoir qui devait servir à poser les commandes de la cuisine vu ce qu'il y avait dessus. Sans détailler le reste, elle aurait bien assez le temps de le faire à l'avenir et de juger de l'ambiance du coin, elle s'était dirigée vers lui et l'avait salué avec un air de jeune première qu'elle n'était pas le moins du monde. Jouer les innocentes timides, ça plaisait toujours et c'était toujours bon de le faire dans un premier temps.
Quelques banalités de conversation plus tard, le boss avait parlé du barman qui bossait ici et qui pourrait lui expliquer quelques trucs ce soir avant de lui demander si elle savait préparer les cocktails de base. Ce à quoi Eden avait répondu par un hochement de tête bien qu'elle ne possède pas réellement la formation de barmaid. Serveuse ? Elle avait déjà donné, on vous remercie.
Bref, le patron dont elle avait oublié le nom n'avait pas attendu plus longtemps pour beugler un :

- SCOTT !

... qui n'avait pas eu grand succès

- S'il est en train de virer mes réserves, cette fois je le tue pour de bon. SCOTT !

Sursautant une seconde fois, Eden s'était apprêtée à jouer les gentilles filles qui pouvaient bien voir par elle-même, mais il ne lui en avait pas laissé le temps et avait à nouveau hausser le ton, ce qu'elle pensait pourtant impossible :

- SCOTT AMENE TES FESSES TOUT DE SUITE OU LA NOUVELLE PREND TA PLACE !

...
Hum... lui dire que crier dans un bar bruyant n'était pas très utile ?
Ce serait pour dans quelques jours, quand elle jouerait moins les gentilles filles venues tout droit de la campagne.
Alors à la place, elle avait proposé :

- Je peux le trouver si ça vous arrange, il ressemble à quoi ?
- T'es un ange, on te l'as déjà dis ? Cherche une odeur de vomi, une tête de pochtron, ça devrait pas être trop dur à repérer. Et si ça peut t'aider, c'est le seul roux du coin.

Se gardant bien de lui dire qu'ange n'était pas la définition qui lui allait mieux, elle lui avait tourné le dos après avoir hoché la tête. Dans quelques secondes, elle penserait sans aucun doute qu'il aurait été plus simple de mentionner en premier lieu la chevelure flamboyante. Car celui qui était sensé la former ce soir était difficilement manquable, admettons le. Elle ne l'avait d'ailleurs pas cherché bien longtemps.
Un rapide coup d'oeil dans la salle et elle avait repéré un roux assis parmi des clients à une table. Si ce n'était pas sensé être la position d'un barman, elle n'avait cependant pas hésité à se diriger vers lui et à pousser celui qui lui faisait face pour s'asseoir en face de lui dans un :

- Scott le pochtron ? Eden Jones, t'es sensé être mon maître jedi ce soir.

Il y avait des jours où les heures semblaient s’étirer en longueur, rendant l’ennui insupportable, des jours moins drôles où rien n’arrivait par un malheureux hasard. Des jours pluvieux, des jours de tempête, des jours où l’on finissait par broyer du noir devant un téléfilm peu engageant sur la 6. Des jours comme ça, tout le monde en avait connu et en connaîtrait encore.
Tout le monde, sauf Scotty.

S’il avait effectivement lancé des coups d’oeil à son portable toutes les deux minutes, c’était surtout parce qu’il comptait les secondes avant l’ouverture du bar où il travaillait, planté devant la porte comme le plus fidèle des alcooliques. Lui, zêlé ? Hey, pas question d’être en retard pour tâter de la bouteille le premier ! Si Scott cumulait les défauts du mauvais barman, il avait au moins le mérite d’avoir toujours été sur les lieux avant tout le monde, précédant même son boss qu’il avait étonné de sa ponctualité dans les premiers temps. Ensuite, il avait fini par comprendre, ne prenant plus la peine de se dépêcher pour lui ouvrir : un sale alcoolique, voilà ce qu’il avait embauché.
Cul sur rembarde, il attendait sans se lasser comme le plus parfait des employés, excitation filtrant au travers de ses sourires béats –à moins que Marie-Jeanne n’y soit encore pour quelque chose ? Même la pluie fine qui s’était mise à tomber ne pouvait le déloger de son spot préféré, faisant rebiquer plusieurs mèches d’un roux vif, humidifiant son vieux blouson en cuir déjà malmené par les intempéries –alcoolisées, surtout.

Puis la porte s’était ouverte de l’intérieur, le patron y apparaissant bientôt. Scott s’était levé, prêt à rentrer, mais il lui barrait ostensiblement le chemin de son ventre proéminent, une expression trop bien connue sur le visage. Qu’est-ce que ça serait cette fois, un reproche sur son goût pour la boisson ? Les quelques verres cassés de la veille ? A moins qu’il ne le vire ? ... Naaah, impossible.
Sachant qu’il allait bientôt essuyer une véritable tempête, Scotty l’invincible vint se planter devant lui, grand sourire aux lèvres.

« Salut boss ! Quoi de neuf ? »
« Neuf, c’est le mot juste. »

Un sourire mauvais s’était glissé sur le visage gras de son patron, qui aurait dû faire flancher celui du rouquin s’il avait saisi le sens de sa phrase : il était perdu dans la contemplation du double col de chemise de son vis-à-vis, le fascinant par sa complexité. Un col dessous avec des motifs à rayures, et dessus...

« MacFarlane ! Tu m’écoutes ? Ce soir, tu vas avoir la charge d’une nouvelle, voir si tu vaux finalement quelque chose. »

« Une nouvelle ? » Il avait fallu le faire rêver pour le sortir de sa rêverie, comble de l’absurde. Un sourire s’épanouissant béatement sur ses lèvres –c’était maintenant avéré qu’il avait fumé un petite quelque chose sur le trajet, il avait ajouté : « Elle est jolie ? »


« T’avises même pas d’essayer, tu m’entends ? Garde tes sales pattes d’écossais dans tes poches et file bosser. »

Sans demander son reste, il avait filé doux, s’imaginant déjà tomber sur une bombe made in Texas –les filles de Lousiane, c’était pas franchement son truc, aux longs cheveux blonds et au développement mammaire avancé. Sans oublier le sourire blanc à l’extrême, le teint bronzé, et le QI d’huître qui lui permettrait d’arriver à ses fins. Parfait.
Le sortant de son fantasme qu’il s’imaginait déjà dans la poche, il s’était fait harranguer dès son entrée par des amis du patron déjà installés, non seulement pour leur servir un verre, mais pour s’en prendre un ou deux au passage. Sans se faire prier, il était aller s’installer avec eux, oubliant toute mission sainte quant à une nouvelle barmaid, se souciant peu de déléguer son travail sur les épaules de son collègue barman.

Un whisky, puis deux, puis un double ; une belle mise en jambe pour la soirée, secondée par des conversations animées à leur table, tournant majoritairement autour de l’alcool, des femmes et du dernier match de football américain dans la région. Alors que Scott se lançait dans la description de la nouvelle fille qu’il devait éduquer ce soir –celle de la blonde sexy, bien entendu véridique selon ses dires, une intruse s’installa à leur table, éjectant le pauvre Mike de sa chaise.
Hummm, maître jedi ? Scott se tut, sourire crétin aux lèvres, considérant la brunette en face de lui, sans un mot et restes de rire au bout des lèvres. Le temps que l’information face son chemin jusqu’à son cerveau embrumé.

« Allez Scotty, sois pas déçu, elle est sacrément bien roulée pour une brune ! »

Les rires gras fusèrent autour de lui, lui faisant tilter à qui il avait affaire ; ni une ni deux, il se leva sans remarquer que dans la mesure où elle était assise, c’était inutile, tendant une main collante de whisky vers Eden, un air avenant mâtiné d’une expression agréablement surprise. Byebye blonde sulfureuse, hola brune sensuelle ! Qu’est-ce qu’elle était canon ! On en faisait des comme ça à Shevreport ?

« Eden ! Ravi de te rencontrer. J’vois que ma réputation m’a précédé ! »

Et un accent écossais d’entrée de jeu, un. Comment ça il jouait de son charme exotique ? Mais pas du tout, c’était uniquement une technique marketing qu’il lui montrait là, et qu’elle pourrait utiliser par la... Oui, bon, elle n’avait pas le profil exact d’une écossaise. Si elle se teignait en rousse, peut-être ? Nah, trop bronzée, une carrure de moineau trop fine.

« Rassieds-toi bon sang, tu ressembles à un scot prêt à sauter sur son gibier ! »

Se rendant compte qu’effectivement, il était superflu de rester debout au milieu d’un groupe assis, Scott les rejoignit sans lâcher Eden des yeux, ne croyant toujours pas que le patron ait eu autant de goût. Il n’y avait qu’à voir les autres serveuses, de véritables vaches sur pattes qui rendaient le bonhomme sceptique, pour peu qu’il les regardât. Mais là, c’était clairement une toute autre affaire ! Et le meilleur de l’histoire, c’était qu’il serait son mentor pour quelques jours, s’imaginant déjà lui apprendre tout un tas de trucs dans la réserve.

« Leçon numéro un, boire pour mieux servir ! C’est important de savoir comment goûtent les choses, non ? »

Ni une ni deux, il avait saisi le verre inutilisé de Mike pour y verser une bonne dose de whisky, toujours sous les moqueries des amis du patron, grand sourire scotché aux lèvres. Récupérant le sien miraculeusement plein, il avait porté un toast en l’honneur de sa nouvelle collègue. Car les roux avaient des manières malgré tout !

« A la tienne ! Que mes enseignements te guident vers la lumière ! »

Première observation, observation évidente, son nouveau collègue et maître jedi semblait avoir largement abusé de la boisson. A moins que ce ne soit d'autres choses.
Le blâmer pour ça ?
Hey, on n'avait qu'une seule vie ici bas, et quand on était mortel, elle était beaucoup trop courte pour juger les autres. En particulier sur des penchants qu'elle avait l'habitude de pratiquer. Oui, pour d'autres choses, peut être se serait elle montrée moins clémente. Mais puisqu'il était bourré, grand bien lui fasse. Et le fait qu'il ne tienne pas à son job pour le coup ? Deuxième bon point.
A chacun sa manière de se faire une idée des autres. Et en ce qui concernait l'abruti "pour une brune", elle ne révélerait pas la remarque uniquement parce qu'elle était dans son jour "gentille bonne soeur". Certes, une gentille bonne soeur ne s'incrustait pas à une table de cette manière, mais sachez que les nonnes n'étaient plus ce qu'elles étaient de nos jours.
Quand le roux avait compris, il s'était redressé pour lui tendre une main qu'elle avait semblé examiner quelques secondes.
Ok, elle ne le jugerait pas sur son alcoolisme, mais en ce qui concernait la poignet de main :

- Désolée Scotty, jamais de contact physique le premier soir.

...
Pas de contact physique le premier soir mais on en était déjà aux petits noms ?
Fallait croire que oui.

- Sans vouloir te vexer, tu l'entretiens très bien tout seul.

Un rapide coup d'oeil à la table donnait le ton. Le nouveau patron ne semblait pas se tromper sur le terme de "pochtron", fallait bien l'avouer. Mais venu d'un pervers, il n'avait pas grand chose à dire selon son avis.
Pour le moment, laissons donc au roux sa chance et qui sait, peut être que collègue cool il y a à gagner.
Bien plus que ça, si tu savais fille du Kansas, l'écossais est fait pour toi.
Lançant un regard aux autres membres assis à la table, elle avait finit par les saluer d'un rapide signe de tête tandis que l'un d'eux faisait remarquer à son maître jedi qu'il serait bon de s'asseoir.
Et alors qu'il reprenait place parmi eux, Eden avait eu le droit au premier conseil du maître en ces lieux. Car il ne pouvait y avoir d'autre surnom pour cette personne. Le véritable patron ici, c'était lui. On pouvait aussi dire le futur viré, mais quelle importance ? Quand on dispensait d'aussi bon conseil, il n'y avait qu'à trinquer devant tant d'intelligence et de sa sagesse, le tout avec le fameux regard qu'on avait quand on réalisait qu'il y avait peu de chances qu'on ne s'entende pas avec la personne qui se tenait en face de vous :

- Oublies ce que j'ai dis sur le premier soir, tu me plais Scotty !

C'était quoi le but ? Faire un compliment ou le mettre mal à l'aise ?

- Toi et moi, on est faits pour s'entendre, crois moi.

Et c'est pour appuyer cette affirmation qu'elle avait finalement trinqué avec lui pour descendre ensuite son verre cul sec avant de le reposer sur la table dans un bruit sec. Verre qu'elle avait glissé en direction de Scotty :

- Je suis pas certaine d'avoir parfaitement assimilé la leçon 1. Je suis bonne élève mais faut m'expliquer longtemps.

Ok, c'était quoi le but. Se saouler pour mieux sympathiser ?
Parce qu'il fallait vraiment une raison pour se saouler maintenant ?
Esprits du mal, quittez ce topic sur l'heure, vous faites honte à la naissance d'un duo fantastique qui aurait probablement du mal à repartir d'une démarche parfaite ce soir.
Quoiqu'il en soit, sans avoir à donner de raison particulière, Eden Jones avait pensé que le Scott qui n'avait pour le moment de prénom était destiné à figurer dans le répertoire de son téléphone pour le temps qu'elle resterait à Shreveport.
Si vite ? Quand on bougeait beaucoup, inutile de prendre le temps de faire les choses lentement. Et puis, le roux avait l'air plutôt divertissant dans son genre. Une bonne descente, un dédain évident pour le règlement du Saint Patron. Trois bonnes raisons de choisir sa méthode de formation. Et qu'importe pour le nouveau boss. Il n'était pas capable de repérer un roux dans son propre bar, quelques verres passeraient probablement inaperçu. D'autant plus qu'elle n'était, pour le moment, que simple cliente. Officiellement, elle ne bossait pas ce soir.

- Alors dis moi collègue, écossais ?

Son accent y ressemblait en tout cas. Et pour voyager pas mal dans ces bonnes vieilles Etats-Unis, elle pouvait dire sans se tromper que l'accent ne venait pas du coin. L'avantage de ne pas avoir une vie de sédentaire, on identifiait facilement les régions.

L’alcool agissait-il déjà assez pour qu’il entende des propos déformés ? Ou la charmante Eden lui avait-elle annoncé d’entrée de jeu qu’il lui plaisait ? Un sourire d’autant plus niais se dessina sur ses lèvres ; en voilà une qui ne perdait pas de temps ! S’il avait été sobre, peut-être qu’il aurait saisi tout ce qu’impliquait cette phrase, le côté plus cowboy que cowgirl de charme qu’elle avait emprunté avec un ton amical. Mais pas ce soir, car de suite, Scotty préférait croire que ses charmes avaient fait effet, sans se rendre compte qu’elle se profilait déjà comme une partenaire de choc, avec qui il aurait subitement envie de rendre hommage aux défunts plutôt que de glisser dans une baignoire. Faits pour s’entendre ? De mieux en mieux ! C’est qu’elle avait de la gueule cette petite, en plus d’être barmaid et de lui faire confiance dès la première rencontre ! S’agissait-il là du Hutch qui lui avait toujours manqué ? Le tilt s’était fait quand il l’avait vue gober son whisky d’une traire, le laissant penaud –et bienheureux, son verre encore levé ; il avait tranché quand elle lui avait réclamé un deuxième service. ... Est-ce qu’on pouvait être meilleur copain avec les filles ?

Encore trop tôt pour le dire, et il fallait qu'il soit sobre pour répondre à une telle question existencielle, sous peine de se perdre dans des considérations absurdes. Comme le fait qu'une fille avait des seins, et était ainsi donc autrement plus vulnérable pour les défis du genre "se frapper dans le torse jusqu'à ce que mort s'ensuive" : fallait-il alors autoriser une protection spéciale pour l'équilibre des chances, ou lui laisser plusieurs coups d'avance ? Ca méritait réflexion. Et si la barmaid se confirmait être une bonne acolyte, alors Scotty verrait pour le titre de meilleure copine en chef, honneur des honneurs encore jamais accordé à une femme.

« Alors toi, t’as tout compris ! Si y avait pas cette table entre nous, j’t’aurais bien prise dans mes bras comme un homme ! Tu te serais pas appelée Jack dans une autre vie ? »

Reposant son verre sans le boire –exploit assez notable pour être souligné d’un aparté, il s’était emparé de la bouteille de nouveau, servant Eden sous l’oeil amusé des autres hommes de la table, parti dans il ne savait quel genre de conversation : ses oreilles à lui ne semblaient entendre que les bonnes paroles de la demoiselle, telle Marie la sainte. Eden, c’était pas le nom d’une sainte, justement ? Dès demain, Scott militerait pour qu’il le soit, parce qu’elle aurait fait une icône pour les alcooliques dans son genre.
A la demande suivante, il se félicita d’avoir déjà avalé sa dose de whisky pour ne rien avoir à recracher, faisant face à la question qui fâche dès la première minute. Il ressemblait à un écossais, avait de fortes origines écossaises, parlait écossais, mais n’avait jamais mis le pied en Ecosse. Alors quoi, mentir comme il l’avait fait à d’autres, ou se montrer honnête dès le départ pour une relation saine et bien comme il faut ?

« Affirmatif, un vrai de vrai ! J’ai pas apporté mon kilt et ma cornemuse ce soir, tu me pardonneras ! »

Bon menteur pour un homme ivre, l’habitude, sûrement. Malheureusement pour lui, il ignorait qu’Eden avait le pouvoir de fouiller dans son crâne comme à ciel ouvert, qu’elle dénicherait le mensonge en un clin d’oeil ; aussi continua-t-il de sourire en se resservant un verre, relevant bien vite les yeux sur la barmaid.

« Et toi alors, d’où est ce que tu débarques ? »

Elle n’avait pas le profil des filles d’ici, et en quelques années, il aurait eu tout le temps de la croiser dans un bar du genre, vu comme elle semblait aimer la boisson. Et puis merde, il avait décidé qu’elle venait d’ailleurs, ... Comme du Texas tiens ! C’était cool le Texas, et ça lui permettrait d’avoir une part de vrai dans son fantasme de cowgirl blonde. Peut-être avait-elle même déjà fait du rodéo ?

Brillante, elle était brillante. Avait-il affaire à un génie de l’alcool ? Quelqu’un capable de rivaliser avec le sien, une sainte alcoolique qu’on lui envoyait du ciel –ou du Texas ? Mieux valait cependant ne pas tirer de conclusion hâtive au vu de son état empirant de minute en minute, le whisky montant peu à peu au cerveau de l’écossais ; combien de fois n’avait-il pas été déçu dans les heures qui avaient suivi, tombant sur des candidats prometteurs qui s’écroulaient avant l’aube, ou ne saisissaient plus ses allusions passée une certaine dose d’alcool dans le sang. Ce soir serait le premier et dernier test pour miss Jones, qui réussirait ou échouerait ultimement sans possibilité d’y remédier par la suite, chance unique pour la demoiselle qui se douterait pour le coup des plans de l’homme roux.

Quelque part dans un coin de son esprit, Scott se rappela qu’il était sensé être en service, en plus de devoir former Eden pour ce soir ; il avait tourné la tête quand il avait entendu la douce voix de son boss, se concentrant pour épingler l’image de son gros tas de patron au milieu d’un bar flou et dansant étrangement devant ses yeux. Faire un effort, arrêter la descente de la bouteille qu’il s’était appropriée et retourner au bar ? Il l’aurait fait un jour normal, un jour où l’amas de gras qui lui donnait des ordres ne lui serait pas sorti par tous les orifices, où le ras-le-bol d’être traité comme un déchet n’aurait pas été aussi fort. Certes, il méritait amplement ce titre quand il se mettait dans des états minables, à boire au goulot devant des clients à qui il avait servi la même bouteille ; problème étant qu’on l’engueulait maintenant quand il était sobre, qu’on le considérait comme un moins que rien tout juste bon à éponger les tâches de whisky collantes au sol. Et, en bon grand crétin croyant encore au Père Noël, Scotty avait toujours espéré un supérieur compréhensif, lui offrant même des canons en rigolant dès qu’il se pencherait pour tout dégurgiter. Alors le cauchemar ambulant qui lui postillonait dessus à chaque occasion avait fini par le porter sur les nerfs, parce qu’il tentait de le priver de sa plus grande liberté : boire un coup quand il en avait envie.

Tournant rapidement la tête vers la table avant que Mr. Fatty ne le repère et s’en prenne à lui, Scott avait eu un sourire étrangement niais à la réplique d’Eden, comme s’il avait toujours rêvé qu’on le dise un jour que le kilt était sexy à voir. Ok, il s’imaginait bien qu’elle n’était pas sérieuse mais franchement, combien de fois dans sa vie une nana de son acabit lui sortirait une telle chose ?

« Fallait pas me dire ça, maintenant je vais plus pouvoir me promener en kilt devant toi ! »

Comme s’il se ramenait effectivement tous les jours en jupe à carreaux, et qu’il avait en plus peur de l’allumer avec. Et on ne pouvait même pas blâmer les grammes –litres ?- d’alcool se baladant gentiment dans son sang à l’heure actuelle ; c’était tout à fait le genre de conneries qu’il pouvait sortir en étant parfaitement clean.
Trinquant à leur santé avec son verre vide –une pause voulez-vous, il avait ensuite assisté au départ précipité d’Ethan pour les toilettes, où il s’endormirait probablement par la suite. Jetant un oeil à leur table, il se rendit compte qu’ils n’étaient plus que trois, croisant le regard embarrassé du dernier client encore assis là, et qui regarda bien vite le fond de son verre, peu enclin à interrompre la conversation des gamins. Bah, tant pis pour lui ; revenant à Eden, Scott n’y avait plus fait attention, sa bouche formant désormais un « Oh ! » muet d’exclamation, alimenté par les deux énormités qu’elle lui avaient balancées ensuite : une Texane fan de rodéo et d’origine russe ! Le trio gagnant ? Plus que ça même ! C’était à se demander si elle avait le pouvoir de lire dans les pensées et d’y dégotter les fantasmes les plus fous. Aaah, si tu savais Scotty ! En ce moment même, elle est même capable de voir que tu te l’imagines en tenue de cowgirl sexy sur le plus féroce des taureaux. Tu parles d’un fantasme d’écossais pur souche.

« Ca alors ! Tu fais dans l’original, j’me disais bien que t’étais pas du coin. »

Sourire béat, verre encore vide en main. Le troisième larron s’était excusé et était aller fumer dehors, sous prétexte de vouloir prendre un peu l’air –et surtout les laisser discuter. Le problème que Scott n’avait pas repéré, c’était que, quand le client un peu enrobé s’était levé, il avait dégagé la vue sur le rouquin et la brunette, les offrant en sacrifice au patron qui ne tarderait pas à rappliquer. Mais ça, l’alcoolique en chef était loin de s’en douter, continuant de bavarder gaiement avec la jolie Jones.

« Si tu veux, y a des tonnes de crocodiles à dompter dans les marais. Ou moi, au choix. »

On rêve ou tu cherches à la draguer ?
Ben quoi ? Il était fait comme pas permis, elle était extrêmement canon et brillait par son génie du whisky. Et puis, il avait aussi tendance à draguer gauchement tout ce qui bougeait dès qu’il touchait à une goutte d’alcool... Soit la plupart du temps.

Finalement, quand on y pensait, la suite de l'histoire serait plutôt une chance. Loin de nous l'idée de vous priver du suspens, mais il était évident qu'un roux tel que Scott ne pouvait pas faire long feu dans ce bar. Dans le cas contraire, imaginez un peu le tableau.
Laissez leur une ou deux nuits, peut être même que celle-ci, et ils s'entendraient déjà comme un duo destiné à devenir culte selon leur propre avis. Et quand deux personnes comme eux passaient du temps ensemble, ils étaient évident que le lieu de travail n'était pas un bon endroit pour ça. Des conneries à deux, glander sous le nez du patron, piquer dans la réserve pour ensuite se faire une fiesta improvisée, de belles images qui ne pourraient donner lieu qu'à un second licenciement. A moins que le patron espère encore pouvoir se taper l'employée, ce qui n'arriverait jamais dans ce monde, ni dans un autre d'ailleurs.
Résultat de l'opération : deux braves gens à la recherche d'un emploi.
En même temps, à ça, Eden aurait répondu qu'il valait mieux se faire virer à deux. Des boulots, il y en avait plein la rue. Alors que le collègue parfait, c'était si rare. Et si elle l'ignorait encore, Scott alias Scotty pour les intimes, ne serait pas que le collègue le plus parfait qu'elle ait jamais eu.
Bref, tout ça pour dire que ce soir épargnerait sans doute un boulot éclair à la brune. Mais passons sur le sujet pour nous focaliser sur la présente action qui était de faire connaissance.

Pourtant, ils ne se comportaient pas comme deux parfaits inconnus. Il fallait dire que, de son côté, c'était tout ou rien. Elle l'appréciait ou détestait souvent dès le premier regard. Ce qui était facilement compréhensible avec son don. Malgré les pensées perverses du roux, celui-ci lui avait déjà fait forte impression par rapport aux autres personnes qu'elle avait pu rencontrer au cours de sa première journée dans cette ville.
En général, quand elle appréciait, elle était rapidement à l'aise. Ce qui était probablement du au fait qu'elle était une éternelle migrante. Pour le temps qu'elle passait dans un endroit, autant ne pas le perdre en formalités de base. Et même sans ça, il était probable qu'elle ne se fatiguerait pas à jouer les timides pour passer pour une fille sage et respectable. Plus personne n'en n'avait rien à foutre du respect de nos jours.

- Pourquoi ?

Pourquoi pourquoi ?
Un homme en kilt, ça n'avait rien d'attirant, alors rien que le dire était ridicule à la base.

- J'ai dis que ça m'excitait, jamais que c'était mal.

Eden, fille du mal. Mais ce qui était bon là dedans, c'est qu'elle l'assumait parfaitement. Il était trop amusant de jouer, même avec une personne qui faisait un bon départ dans votre estime, pour s'en priver.
Particulièrement fière de sa réplique, elle s'était apprêtée à être parfaitement à l'écoute des pensées suivantes. La fourberie est sans doute quelque chose de mal, mais ça ne veut pas dire que ça n'a rien d'amusant pour la personne qui la pratique.
Et il était tout aussi amusant de se voir en plein rodéo dans la tête du barman. Un sourire avait étiré ses lèvres tandis qu'elle les trempait de nouveau dans le breuvage sacré :

- D'ailleurs, je suis sûre que t'aimerais le Texas. Tous les samedis, au bar du coin, on faisait un concours de t-shirt mouillés après le rodéo. Je gagnais à tous les coups !

Non, elle n'avait pas terminé. En fait, elle ne faisait que commencer.
Et alors que l'un des "invisibles" de la table sortait, elle avait pris la bouteille pour remplir le verre du seul compagnon de table auquel elle s'adressait :

- ça va pas du tout, tu ne suis pas tes propres conseils. C'est mon premier jour à Shreveport, et pour cette occasion, j'exige que tu te prennes une cuite Scott... Scott comment ?

Effectivement, il était toujours bon de demander le nom de famille de la personne qu'on s'apprêtait à saouler bien qu'il ne devait pas en être à ses premiers verres. C'était une genre de tradition dans une partie du monde... partie du monde qu'on inventerait prochainement.

- Crois moi, si tu savais à quoi t'exposes... tu préfèrerais que je choisisse les crocodiles.

...
Hey, il avait commencé le premier !
Ou alors c'était elle....
Peu importe, il était responsable du coup des crocodiles.
Trop dans la conversation pour remarquer que le patron venait de les repérer, elle avait terminé la cigarette de l'autre avant de l'écraser dans le cendrier.
Peut être qu'elle ne ferait pas bonne impression, mais le sourire de fille niaise qui se laisse entraînée, elle connaissait. Et puis, elle ne bossait pas, il était normal de faire connaissance avec les gens du coin et donc les futurs clients.... Ok, Scott était un collègue, mais devait-il être négligé pour autant ?
Excellente question dont nous ne connaîtrons jamais la réponse. L'approche du grand maître de ces lieux était suffisant pour couper tout raisonnement, de manière provisoire au moins.
Calmement, mais avec un air furieux sur le visage, il s'était installé en bout de table et s'était mis à fixer Scott du regard qu'on pouvait nommer, sans originalité, le regard qui tue.

- Scott... mon petit Scotty. Je peux savoir ce que tu fais ? Manifestement, tu n'es pas en train d'expliquer le boulot à la nouvelle.
- Et donc, tu dis qu'il faut verser le jus après ?

Toute technique était bonne à tenter pour la survie du roux.

C’était tout de même étrange de se dire qu’en cinq minutes, Eden et Scott entrevoyaient déjà ensemble un avenir grandiose, certes légèrement pavée de pensées perverses pour le jeune homme –comportement majoritairement dû à l’alcool ingéré ce soir-là, qu’il dépasserait lorsqu’il aurait compris que Jones serait le wingman qu’il attendait depuis des mois, mais respectable dans sa globalité. S’il la considérait avec un sourire niais depuis qu’elle avait accroché son regard, c’était parce qu’il avait encore du mal à croire qu’une fille pouvait remplir tous les critères du meilleur ami en chef, grand macho dans l’âme qui n’avait jamais pu envisager qu’une femelle puisse avoir autant d’importance. Dans son esprit, les filles étaient soit de simples copines, soit des jolis petits lots à mettre dans son lit ; sûrement pas un super pote sur qui compter en toute occasion et avec qui boire des canons en se tapant dans le dos.

Le problème qui s’imposait maintenant était la durée de vie du présent job de Scotty qui s’étiolait de plus en plus, entravant leur brillante amitié qui naissait tout juste. A la limite, il aurait pu tout arrêter là, maintenant, et se plier aux exigences du chef pour garder son job encore quelques jours ; mais dans l’état d’exaltation et de ras-le-bol combiné qui était le sien, il avait pris une toute autre décision, qu’il imaginait salvatrice pour leur partenariat.
Décision qui fut soufflée par une histoire de T-shirt mouillé, retardant l’échéance d’encore quelques minutes.

« Pfft, j’suis sûr que j’te battrais à plat de couture si on en avait des concours comme ça ! »

Idée de génie qu’il mit dans un coin de sa tête. Certes, il n’était pas une fille, certes, il n’était pas aussi musclé que ces beach boys californiens, mais Scott aimait les conneries, surtout s’il pouvait y avoir l’air ridicule –quoiqu’une horde de fans en furie pouvait toujours débarquer d’on ne savait trop où et lui arracher son T-shirt bêtement trempé.
Au reproche d’Eden quant à son verre vide, il baissa la tête en constatant qu’il était effectivement aussi sec que le désert de Gobi, l’approchant avec un grand sourire. Information à retenir par la même : c’était son premier jour à Shrevreport, et elle se comportait déjà comme une bonne citoyenne. Un bon point et une confirmation qu’il fallait se l’approprier en tant que co-pilote avant que les autres ne lui tombent dessus.

« Aaaah, un bon point pour toi ! Leçon numéro deux, toujours se préoccuper du verre des autres et ne pas les laisser à la traîne ! Scott MacFarlane qu’on m’appelle, un pur nom d’écossais. »

Même s’il avait pour le coup sûrement une marge d’avance. Mais hey, il tenait sûrement mieux l’alcool qu’une Eden taillée comme un moineau, non ? Il se conforta dans cette idée de machiste, trempant les lèvres dans le doux breuvage auquel il était accro.
Un sourire éloquent se glissa sur ses lèvres lorsqu’il reposa son verre, conquis par les répliques de la belle qui touchaient juste. C’était étrange, ce flirt tellement gros qu’il n’en était presque plus un, ce côté amical qui s’y était finalement glissé sans même que le roux ne s’en rende compte. Première fois qu’il n’y comprenait plus rien.

Une cigarette qu’on écrase, un nouveau convive à leur table. Perdant son sourire d’un bloc à la vue de l’expression furieuse du patron, Scotty sentit que le vent avait tourné. Salement tourné. Tellement tourné qu’il ne serait sûrement plus employé ici le lendemain. Affrontant la première salve étrangement douce, Eden avait rempli à merveille son rôle de second de génie, tentant de sauver les meubles là où tout semblait perdu. Sentant un sourire se glisser sur ses lèvres de nouveau, boosté par ce soutien, il avait affronté son boss, se souciant peu du nombre de bouteilles sur la table.

« Je lui inculque les valeurs de la maison et je discute avec les clients... Enfin, là ils ont tous déserté, mais ils vont revenir patron ! »

« Et tu crois que je vais avaler ça ? Ecoute-moi bien Scotty... Cette fois, tu dépasses les bornes. Tu sais que jusqu’à présent, j’ai été bien clément avec toi. »

« Ouais. Enfin, si on veut. J’imagine qu’avec Jones, vous allez être clément à votre façon, hein ? »

La réplique rebelle de trop, pour un boss déjà furieusement énervé. Serrant ses poings gras, le patron l’avait foudroyé du regard, se levant avant de poser un ultimatum, moment qu’il avait dû attendre pendant longtemps, se retenant parce que le môme était drôlement apprécié dans le coin.

« Si tu n’es pas à ton poste dans cinq minutes, t’es viré. »

Menaçant, ça oui. Clair aussi. Pour toute réponse, Scott avait souri comme un bienheureux, exaspérant d’autant plus son interlocuteur qui s’était dangereusement approché, pour mieux se tourner vers Eden, le visage autrement plus bienveillant. Pfft, s’il avait été une fille canon lui aussi, pour sûr qu’on l’aurait jamais viré, picole en cachette ou pas.

« J’ai eu tort de te mettre dans les pattes de ce bon à rien. Si tu veux, viens plus tôt demain pour que je t’explique un peu comment on fonctionne. »

De son même oeil de crétin que rien ne pouvait atteindre, l’écossais avait suivi l’américain du regard, avant de revenir bien rapidement à la brunette, peu ébranlé par ce qui lui tombait sur le coin du nez. Retourner à son poste dans la seconde ? Et puis quoi encore ? Il s’était résigné à son sort de futur chômeur, et n’avait pas envie de faire le moindre effort. Attrapant la bouteille encore bien pleine de whisky, il avait eu l’oeil pétillant d’une toute nouvelle connerie, balançant la sauce comme si tout allait bien.

« Bon et sinon, qu’est-ce que tu dis d’une petite visite guidée de Shevreport by night ? »

Hum, il y avait des personnes douées pour vous casser l'ambiance, y'avait pas à dire. Aussitôt le patron débarqué, et les sujets concours t-shirts mouillés, rodéo de crocodiles et bonnes leçons d'un barman étaient clos.
Retenant un soupir parce qu'elle avait besoin de ce boulot pour un temps, elle avait tenté au mieux pour sauver son nouveau collègue visiblement sans grand succès. Et si elle avait hoché la tête à la proposition du patron, elle s'était ensuite attendue à ce que Scott retourne bosser pour préserver le peu de chances qu'il avait encore de garder son boulot.
Mais aussitôt le patron éloigné de la table, le roux avait en quelque sorte présenté sa démission. Hésitante les premières secondes, elle avait faillit lui demander s'il était sûr de lui. Mais à en juger par l'air qu'il affichait et ce qu'elle avait pu entendre, c'était une question bien inutile.
Bah... des boulots de barman devaient y'en avoir plusieurs dans cette ville. C'était juste dommage de perdre un si bon collègue avant même d'avoir commencé de bosser avec lui. Voyons le meilleur, ils étaient toujours dans la même ville. Raison pour laquelle, elle avait finit par lancer dans un sourire :

- J'ai mieux. En avant MacFarlane !

Mieux ? Pourquoi ce mieux ne pouvait pas inspirer confiance à des personnes qui avaient déjà passé au moins une soirée de ce genre avec la brune ?
Excellente question à laquelle nous n'avons pas le temps de répondre.
S'emparant de sa veste, et plus discrètement d'une bouteille de tequila, Eden avait quitté la table pour se diriger vers la sortie après un signe de main à son patron qui avait affiché un air perplexe. Il assistait à la démission de son barman et se demandait sans doute pourquoi la nouvelle partait avec lui. Ce qui était certain, c'est qu'ils avaient pu entendre un rugissant "MacFarlane" à leur sortie.

- J'ai été ravie de travailler avec toi.

Ironie dites avec le sourire tout en fouillant dans la poche de sa veste pour en tirer ses clés de voiture. Engin qui se tenait juste devant eux. Une vieille décapotable des années 80 qui était probablement chez les Jones depuis cette période. Une relique dans tous les sens du terme. Elle ne comptait plus ses visites chez le garagiste, mais larguer son père dans une foutue foire et le faire en prenant la voiture, sa plus belle réussite.

- J'te présente Sacha. Sacha voici Scott !

Si, elle l'avait fait, elle avait donné un nom à sa voiture. Et non, elle n'en n'avait pas honte, même si c'était le genre de choses qu'une fille ne faisait pas. Dans le cas d'Eden, elle adorait tout ce qui touchait aux voitures. Elle était peut être même capable de sortir avec un type ou lui faire croire qu'ils sortaient ensemble juste pour sa voiture, au moins le temps de la conduire. Désespérant oui.
Montant à l'intérieur, la porte avait "légèrement" grincé quand elle l'avait refermé. Une fois la clé dans le moteur et l'engin miraculeusement démarré, elle s'était tournée vers son compagnon de route pour lui lancer un :

- J'temmène à l'aventure. Highway to hell !

Oooh Eden Jones, crois-nous, tu vas regretter cette phrase.
Tendant la bouteille à son voisin, elle avait finalement pris la route pour se diriger vers la sortie de la ville. Il aurait bien le temps de lui faire visiter le coin, alors pourquoi ne pas partir en vadrouille au hasard ?
Mauvais pressentiment ? Elle entendait les pensées des gens, elle ne voyait pas l'avenir et ne communiquait pas non plus avec sa voiture. Autrement, elle ne serait pas en train de conduire en direction d'un coin paumé.