Ce soir je serai la plus belle pour aller danser

A bien y repenser, Grace n’avait jamais participé de son vivant à ce que l’on pouvait appeler fête. Certes, il y avait bien eu ces dimanches où on lui avait autorisé de boire un peu de vin et un bal auquel elle avait un peu dansé dans sa robe en mousseline rose, mais rien qui puisse se rapprocher un tant soit peu de ce que William allait lui faire découvrir ce soir-là : une véritable fête d’Halloween, qui plus était dans un bar de vampires. De quoi aiguiser l’appétit de la blonde, qui n’avait pas encore eu beaucoup l’occasion de faire connaissance avec la faune environnante. Pas de parents pour lui imposer une permission de 22h, pas de règles à suivre, une nuit de liberté devant elle dans un milieu totalement inconnu et qui pourtant déjà lui plaisait. Adieu les faux airs de Sainte-Nitouche, le souci de la tenue impeccable et ses tracas de jeune vierge livrée aux mâles : Grace faisait désormais partie de l’espèce dominante qui ne devait plus craindre que quelques types armés de pieu et ce soleil qui il y avait quelques mois encore lui était si cher.

Ainsi donc aussi excitée qu’une adolescente participant à son premier bal des débutantes, elle s’était empressée d’entamer les préparatifs pour son costume au réveil, faisant de sa chambre un véritable capharnaum à force de chercher LE fameux pantalon en cuir, un fer à friser et la paire de chaussures qui ferait d’elle la véritable Sandy de Grease –entre autres inombrables babioles. Tout était prévu pour que ce soir soit une réussite, passant principalement par le soin qu’elle prenait à se préparer –ainsi que sa capacité à ne pas dire de bourdes devant Eric, créateur de son créateur et donc papy officiel ? Tant de soucis qui n’étaient en soi pas franchement insurmontables sous peu qu’elle n’abuse pas de Tru Blood B négatif, risque d’autant plus réduit qu’elle n’arrivait toujours pas à se faire au goût plus acide du sang artificiel. Se nourrir directement sur l’un des invités de la soirée ? Avec un peu de chance, aucun humain un minimum appétissant ne viendrait ce soir... Avec beaucoup de chance, en fait.

Toute à sa coiffure, elle n’avait pas pris le temps d’aller titiller le William dans sa tanière, sûrement par peur d’être distraite par son immense connerie et de ne pas arriver au résultat escompté par sa faute. Et il devait déjà avoir assez de travail avec sa banane –de cheveux, précisons-le pour les quelques esprits tordus errant sur ce topic- pour venir l’emmerder, non ?
Aaah Grace, tant d’innocence malgré ta transformation. A parier que dans les minutes à suivre, le vampire bondirait pour l’entretenir sur la dernière blague de blonde à la mode ou lui proposer une jupe d’écolière pour mieux la punir. On pouvait au moins lui accorder le fait qu’elle n’aurait pas le temps de s’ennuyer avec lui en une éternité. Une des raisons pour laquelle elle lui avait demandé, à lui, de la transformer ? Première leçon : n’accorder aucun mérite à Collins sans une bonne raison.
La blonde eut miraculeusement le temps d’entamer le maquillage, encore enroulée dans son peignoir, lorsqu’un grincement de porte se fit entendre. Frapper à la porte ? Ca ne se faisait apparemment pas avec sa progéniture –surtout quand cette dernière n’avait rien sur le dos, étrangement.

« Attends un peu, c’est jamais bon de voir son partenaire costumé avant la fête ! è.é »

Ce qui était applicable aux mariages l’était également aux fêtes d’Halloween, non ?
Elle avait dit le tout sans tourner la tête, trop occupée à fignoler le premier oeil, et son froncement de sourcil inopiné lui fit rater son trait d’eyeliner. Etouffant un juron pour lequel elle aurait été sévèrement punie de son vivant, elle alla réparer son erreur et, en toute bonne foi :

« Voilà, qu’est-ce que je t’avais dit ! Sandy va devoir batailler pour rattraper ta bourde maintenant è.é »

Son créateur avait beau être un modèle de chieur qu’elle se devait de suivre –après tout, il était chargé de son éducation, non ?, Grace lui envoya un regard qui en disait long dans le miroir, suite à sa réplique qu’il avait balancée sans même se préoccuper de son oeil raté. Elle ne comptait bien entendu pas sur le vampire pour se soucier de quoi que ce soit d’aussi superficiel mais... Les chaussures sur le lit, c’était obligé ? Ok, on se détend Sheperd, tu n’es plus à Bristol avec une mère maniaque au possible, tu peux salir ce que tu veux ici, de préférence avec du sang frais. Elle aurait tout le temps à se faire à cette nouvelle vie de liberté en une éternité.
Le regarder d’un air de blasée telle la Yéyé d’une autre vie à sa tirade de charmeur ? Pas pour une blonde plus chieuse qui faisait face à l’affection qu’elle avait pour le vampire : elle lui fit un charmant sourire au travers du miroir, peut-être trop charmant pour qu’aucune réplique ne suive dans la foulée, alors qu’elle rangeait le mascara fraîchement utilisé.

« Tu veux dire, le machin qui pourrit dans ta poitrine depuis cinq siècles ? Pas très glamour pour une phrase d’accroche. »

Elle était certainement très mal placée pour y redire quelque chose : avait-on vu une seule fois la blonde en exercice de drague ? Détournant les yeux pour se saisir du rouge à lèvres, elle évita l’écueuil du sourire charmeur. Elle y avait eu droit de nombreuses fois, à ce fameux sourire, en avait même été la victime le soir où elle s’était donnée à lui. Le tout, c’était de savoir écarter les images et sensations déplacées quand elle y faisait face, ou de prétendre ne rien avoir vu : les souvenirs étaient encore trop frais, son expérience en matière d’hommes trop nulles pour qu’elle puisse prétendre jouer l’indifférente.
Perverse ? Ne pas relever la tête, ne pas lui envoyer un regard surpris et interrogateur telle la sainte-nitouche, faire appel aux instints de vampire. Oublier qu’on n’était plus humaine, ça n’était pas si facile que ça au final. Alors elle termina rapidement de colorer ses lèvres d’un rouge vif, se leva et fit volte-face, une moue presque déçue aux lèvres.

« C’est dommage, moi qui ai tant soif de connaissance. Tout à l’heure sur le bar, peut-être ? »

Elle allia le geste à la parole en déliant le noeud qui entourait sa taille, et fit glisser le peignoir à terre sans gêne aucune de se retrouver en sous-vêtements devant son créateur. Après tout, il était son « père » et qui plus était l’avait déjà vue –plus d’une fois ?- dans une tenue encore moins décente. Et puis franchement, demander à William de sortir pour qu’elle puisse s’habiller ? Sans perdre plus de temps, elle attrapa le pantalon qu’elle avait posé un peu plus tôt sur la commode et commença à l’enfiler, l’air un peu songeur.

« Quand est-ce que tu vas dire à Eric que je suis ta progéniture ? J’ai toujours voulu avoir un grand-père nordique avec qui parler viking ! »

C’est vrai que si on comparait Collins premier du nom avec son grand-père pantouflard... Ca n’avait pas grand chose à voir. Et quelque part, Grace avait particulièrement envie de découvrir sa « nouvelle famille ».