Safe from pain and truth and choice and other poison devils, see, they don't give a fuck about you, like I do.

Aujourd'hui était un beau jour. Pas particulièrement parce que la météo était bonne – il pleuvait, et limite c'était l'apocalypse avec les orages – mais c'était un beau jour, parce que Kyle avait décidé d'aller tester la foi de Karen. Et aussi parce qu'il avait particulièrement envie d'un petit déjeuner avec un café dans sa pâtisserie – accessoirement, lui parler, c'était qu'optionnel. Ca se trouvait elle ne serait même pas présente. Enfin, en tout cas, la jeune femme était une des victimes préférées de Kyle qui se faisait un malin plaisir de la poursuivre sous sa forme de corbeau rien que pour l'énerver, et, de forme humaine, se faisait un malin plaisir à la faire flancher sur ses convictions de membre de la Confrérie anti-vampires.

Anti-vampires. N'importe quoi. Les vampires ont été là depuis plusieurs millénaires, juste sous leurs nez, et d'un seul coup, maintenant qu'ils sont connus du monde entier, il faut créer un petit groupe d'antis. Ecoutez, si ça leur fait plaisir de se rassembler et de prier Dieu, pas de soucis, du moment qu'on laisse les gens tranquilles. Pour Kyle, c'était de la masturbation du cerveau tout ça, c'était stupide. Et un peu de la procrastination aussi. M'enfin, en tout cas, il faut dire que Karen l'amusait et qu'elle représentait un défi assez agréable. Parce qu'il aimait bien la contredire et la mettre mal à l'aise – c'est fou, comme les gens qui sont dans la confrérie ne savent pas toujours ce qu'ils y font. Parce que ça faisait prestigieux ou parce qu'ils avaient rien d'autre à faire. Stupide. Complètement stupide.

Pas qu'il s'en souciait, Kyle en avait rien à faire des vampires, ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, du moment qu'on le laissait tranquillement en paix. Et, de toute façon, si les choses devenaient trop compliquées, il pouvait toujours filer à l'anglaise et aller faire un tour au dessus des nuages, le temps que les esprits se calment.

Il poussa la porte de la pâtisserie avec un sourire aux lèvres. Vous savez, le genre de sourire qu'ont les mecs qui savent qu'ils vont faire chier le monde et ils sont contents de savoir qu'ils vont faire chier le monde – c'est le genre de sourire qu'on a simplement envie de gifler et d'arracher. Mais bon, un Kyle de bonne humeur est un Kyle un peu moins cassant. Il s'approcha du comptoir – bizarrement, il n'y avait pas de queue ce matin, lendemain de fête, probablement, tous ces imbéciles qui se beurraient la gueule à l'alcool c'était stupide, il restait fidèle à son pepsi et c'était tant mieux. Il tapota sur le comptoir, avant de prendre la parole. « Y a quelqu'un ou vous vous êtes tous noyés dans la cuvette des WC à dégueuler vos tripes cette nuit? »

La classe, hein ? On sent tout de suite la haine envers alcools et drogues. En voyant Karen arriver, son sourire s'élargit et il enchaîna tout de suite d'un grand « Ah, j'me disais, j'aurais été surpris que tu sois pas là. Ah moins que tu aies été confiée une mission top secrète par tes guides spirituels à la confrérie? » Il leva les mains et agita les doigts pour faire style c'était un fantôme, en faisant 'oooooh', moqueur. Puis il se mordit la lèvre et le piercing qui s'y trouvait, avant de retrouver son sérieux et s'appuyer sur le comptoir. Il se racla la gorge.

« File moi trois bagels, et un café. Tu veux quelque chose, j'te l'paye et tu viens t'asseoir avec moi, je veux écouter tes dernières péripéties passionnantes. » Il n'était qu'à moitié sarcastique. Il voulait bien payer quelque chose à Karen – elle était dans sa pâtisserie, mais bon, tant pis, il n'y avait presque personne et elle avait certainement une autre caissière à disponibilité, non ?

Après, le 'péripéties passionnantes' ça sous entendait qu'il se ferait un malin plaisir de la réfuter et de lui briser toutes ses illusions. Un Kyle qui s'emmerde est Kyle coupant, en général. Pas étonnant qu'il ait été animateur radio, en fait. Ouais non, parce que comme il était, rien ne semblait jamais l'atteindre – et franchement, on se demande comment une femme ait pu dire oui à sa proposition de mariage et même, imaginer le Kyle sur un genou avec une boîte contenant une bague, ça fait presque peur à imaginer. Mais ça s'était produit, pourtant. M'enfin, ça n'allait pas l'empêcher d'aller voir ailleurs en attendant le mariage, la belle était journaliste sur le terrain en Afghanistan. Raison de plus pour suivre les informations.

Ouais, non, parce que les vampires et les métamorphes et Dieu sait quoi encore, ils ont beau avoir fait leur grande révélation, les guerres religieuses continuent là bas hein.

Tapotant sur le comptoir en observant tous les moindres faits et gestes de la belle Karen, Kyle esquissa un sourire. C'était trop drôle de la voir flipper quand il la suivait en tant que corbeau. Et si facile de la déstabiliser, dans ces cas là. Ouais, bon. Pauvre Karen, on dira.

Parfois, il y a des jours comme ça. Tout va bien, on ose même espérer que cela se poursuivra toute la journée. Et puis patatra, une tuile vous tombe sur le coin de la figure. Et là, on se dit "bah ouais, c'était trop beau". C'est plus ou moins ce que Karen ressentit en entendant la voix de Kyle résonner dans son magasin. La brunette se trouvait dans l'arrière-boutique pour faire le point sur diverses petites choses quand il débarqua et beugla dans toute la pâtisserie. Aussitôt, elle poussa un soupir, sachant très bien qu'il ne l'entendrait pas. Pendant une demi-seconde, elle s'imagina restant là, cachée à attendre qu'il parte. Elle n'avait pas envie qu'il la bassine avec ses idées si parfaites à ses yeux, qu'il la pousse à se contredire comme souvent et parte, un sourire satisfait sur les lèvres et elle un goût amer en bouche. Mais ça ne se faisait pas. C'était un client régulier et, rappelons-le, Karen avait besoin d'argent. Mieux valait éviter qu'il ait un prétexte pour jacqueter un peu plus. Alors, elle sortit de là derrière et s'efforça de lui sourire. Elle regretta intérieurement d'avoir agi à la seconde où elle le vit ; il avait l'air en forme... Elle arqua légèrement un sourcil, histoire d'éviter de grimacer, quand il parla de la Confrérie. Pour rester polie (et dans l'espoir vain de l'empêcher de parler), elle répondit :

"Non, j'étais simplement derrière, à gérer mon magasin, tu sais."

Au fond, il n'avait pas tort. Elle ne le reconnaîtrait jamais, attention. Mais Karen savait pertinemment qu'elle était piégée dans la Confrérie et que si on exigeait qu'elle fasse quelque chose, elle devrait le faire, point barre. Fort heureusement, il n'insista pas sur le sujet et commanda des bagels. Qui sait, il allait peut-être repartir avec sous le bras. Mais il écrasa cet espoir en lui demandant de prendre ce qu'elle voulait pour s'asseoir avec lui. Pas d'autre client à l'horizon, rien à faire d'urgent, bref, aucune excuse. Alors, elle n'eut d'autre choix que de sourire et hocher la tête avant de s'exécuter. Elle savait déjà qu'il prendrait un malin plaisir à la contredire ou à décrypter le moindre de ses mots. Sans un mot, la jeune femme attrapa les trois bagels qu'elle posa sur une assiette avant de la lui tendre. Elle lui servit ensuite un mug de café et s'en prit un également. Voilà, à présent, impossible de reculer alors elle sortit de derrière le comptoir pour le suivre et s'asseoir avec lui. Il voulait qu'elle lui parle de ses dernières péripéties, hein. Comme si sa vie était si passionnante que cela. Le jour où elle serait totalement libre de ses faits et gestes, peut-être que ça irait mieux. Quelque chose qu'elle n'avouerait jamais à haute voix, cela dit. Car elle se doutait bien que la Confrérie n'était pas tendre avec ceux qu'elle considérait comme des traîtres. Et, comme on dit, les murs ont des oreilles. Elle s'assit donc et adressa un sourire un poil sarcastique à Kyle.

"Je sais que tu ne trouves pas ma vie passionnante alors tu veux que je te dise quoi ? Tu vois, le même train-train, rien de neuf sous le soleil. Toujours un fichu corbeau qui se retrouve régulièrement sur ma route."

Oui, parce qu'elle en était sure à présent. Il s'agissait d'un seul corbeau et non de curieux hasards comme elle le pensait au départ. Elle fronça les sourcils en serrant son mug dans les mains.

"Tu crois que les vampires peuvent se transformer en corbeau ?"

Là, elle tendait le bâton pour se faire battre ! Mais autant le laisser sauter là-dessus pour qu'il évite de trop creuser sur les sujets qui lui déplaisaient. Par exemple, elle ne lui dirait pas qu'elle avait pris récemment que son propriétaire était un vampire. Ou encore qu'elle ne serait pas là en fin de semaine parce que la Confrérie exigeait sa présence à elle ne savait quel genre de soirées. Petits fours et sourires de façade au programme, le train-train, vraiment. Elle ajouta rapidement :

"Te fatigue pas, je sais que c'est pas possible. Je dois juste avoir une poisse pas possible, un mauvais karma ou un truc du genre..."

Elle le fixa quelques secondes : Kyle était exactement le genre de personnes qui la poussaient parfois à se demander ce qu'elle avait fait pour mériter ça. Mais au moins il était rentre dedans et grande gueule, ce qui la changeait vraiment des hypocrites qu'elle avait l'habitude de fréquenter (et qu'elle était devenue). Peut-être que c'était pour cela qu'il la mettait autant mal à l'aise, en fait.

A voir Karen débarquer de l'arrière boutique, il faut dire que le sourire de Kyle s'était étiré largement sur ses lèvres. Non seulement, il était foncièrement content de la voir, mais ça voulait aussi dire qu'il n'allait pas s'ennuyer ce matin. Ah, quand on dit de quelqu'un comme Kyle qu'il est chiant, ce n'est pas un mensonge. Lorsqu'elle lui rappliqua sur ce qu'elle voulait raconter, et qu'elle enchaîna sur le corbeau, le sourire de Kyle s'étira d'autant plus. Bah oui, il la faisait chier sous forme humaine ET sous forme animale, si c'était pas le pied ça...

Il mordit dans l'un des trois bagels, avant de l'entendre demander si les vampires pouvaient se transformer en corbeaux... Oh, la vilaine. « Ils t'apprennent que dalle dans ta confrérie ou quoi ? Si tu sais pas tout sur les vampires à force d'y être, ça sert à quoi que tu y soies ? A écarter les cuisses pour un pasteur ?  »

Oui, oui, la grande gueule de Kyle, si vous ne la connaissiez pas encore, la voilà qui venait de faire une magnifique apparition, alors qu'il remettait un bout de bagel dans la bouche, en mastiquant grossièrement. Il posa ses mains à plat sur la table. Lorsqu'elle parla de karma, Kyle émit un rire sarcastique. « T'es défaitiste, Karen. J'suis sûr que ton corbeau il te veut rien. Même qu'un jour, si tu veux, j'te raccompagnerai chez toi pour voir si j'peux pas le choper le corbeau.  »

Il fixa ensuite le mug de la jolie propriétaire de pâtisserie, avant de reprendre, enchaînant sur le sujet : « Ou sinon tu as des hallucinations et tu devrais aller demander au pasteur un exorcisme. T'es peut-être chtarbée, en fait. » Il se tapota la tempe à la manière d'Obélix lorsqu'il lâche son 'ils sont fous ces romains', avant de porter sa tasse de café à la bouche. Ah, rien de mieux que du café pour bien commencer la journée ! Puis il reprit encore une fois : « Vous avez pas du matos super développé pour détecter les trucs surnaturels ?  » Puis il secoua la tête, en rajoutant un « Ah non, c'est vrai, vous vous tenez la main en récitant des prières en espérant que Dieu vous vienne en aide. » Il lui tira la langue.

Non, Kyle n'était pas croyant. Il croyait peut-être au karma, un peu, mais pas en Dieu, et il se voyait de toute façon mal aller dans une église, alors qu'il préférait aller traîner avec les vrais corbeaux dans le cimetière. C'était vrai, un corbeau c'est super drôle, surtout quand tu sais t'exprimer en corbeau. Il claqua à nouveau des dents, en ayant fini de siroter son café, toujours à la manière d'un corbeau – c'était un tic, maintenant – puis il reprit la parole : « Et puis c'est pas vrai que je m'intéresse pas à toi, t'es marrante. »

Il fallait absolument et UNIQUEMENT le prendre comme un compliment, parce que Kyle, il aimait les gens drôles et marrants. Il se laissa aller contre le dossier de sa chaise en gardant une main autour de sa tasse, et se passa l'autre main sur les yeux – il n'avait pas vraiment dormi, dormir c'est pour les loosers, d'où le café au passage – puis il lança un coup d’œil autour de lui. Il n'y avait pas grand monde. Heureusement qu'il était un client fidèle à la pâtisserie, il devait faire une bonne partie du pourcentage de son chiffre d'affaire.

Il mordit à nouveau dans son bagel – le finissant au passage, heureusement qu'il en avait pris trois, il lui en restait deux – en reprenant la parole, parfaitement classe, la bouche pleine : « Sinon j'irais voir dans une autre pâtisserie, mais t'es sympa toi. »

Marrante et sympa. Deux mots que Kyle n'avait pas l'habitude de sortir dans le petit blabla quotidien. Punaise, mais imaginez le dans un studio de radio quoi, avec un politicien ou un truc du genre en face de lui – au lieu de faire le mouton et de suivre le rythme des autres milliers de personnes, non, Kyle aimait aller dans le sens inverse. Il faut mettre du noir à l'enterrement ? Il ira en blanc. Il faut envoyer un petit mot gentil à l'anniversaire ? Il enverra un truc du style 'et ouais, un an de moins avant que tu crèves' et ce genre de chose.. Comment est-ce qu'il faisait pour vivre, ce mec quoi ? Bah avec son gabarit, personne ne le faisait chier, on va dire...

Franchement, Karen devait avoir un grain, ou être un brin machiste. Elle se retrouvait tout le temps liée de près ou de loin à des gens qui lui parlaient comme à un chien ou la traînait dans la boue. Kyle faisait pâle figure à côté de certains de ses anciens amants (et les vampires qu'elle avait fréquenté n'étaient pas les pires) ; elle avait dû bouffer trop de magazines féminins à la con qui descendaient à bloc l'image de l'homme-gentil-qui-se-laisse-trop-marcher-sur-les-pieds. Ouais bah parfois, elle aurait bien aimer qu'on lui dise qu'elle était une princesse et pas qu'elle n'avait qu'à dégager si ça ne lui convenait pas. Enfin, au moins, elle n'était pas en couple avec Kyle et ne devrait jamais le supporter chez elle. Espérons, du moins. Et puis bon, il aurait le mérite d'occuper une bonne partie de sa matinée (vu qu'elle ruminerait pendant un bon moment ce qu'il lui aura dit). Elle l'écouta donc parler en s'efforçant de ne pas broncher (elle avait appris que lui couper la parole n'était pas la meilleure tactique pour le faire taire). Il la traita tour à tour de défaitiste, chtarbée et en profita pour faire un bon nombre de commentaires sur la Confrérie. Ça, elle l'avait bien compris, qu'il n'aimait pas la Confrérie et qu'il ne comprenait pas ce qu'elle y fichait. Mais à bien y réfléchir, elle n'était pas certaine qu'il ait déjà parlé de quoi que ce soit qu'il aimait. Elle n'arrivait pas à savoir s'il n'aimait vraiment rien ou si c'était juste un genre qu'il se donnait. Un peu des deux, certainement.

Karen était justement en train de penser à cela quand il lâcha en l'espace de deux phrases qu'il la trouvait marrante et sympa. Marrante et sympa. Eh bien dis donc, que de compliments de sa part en si peu de temps ! Mais au lieu de se sentir flattée, la jeune femme le fixa, incertaine, se demandant où il voulait en venir. Après tout, rien n'était jamais gratuit, elle l'avait compris depuis longtemps. Quelques secondes passèrent avant qu'elle ne se décide à sourire ; rien ne venait contrebalancer ses propos, pas de "mais" ou de "tiens, d'ailleurs". Et puis, elle se souvint qu'en face d'elle se trouvait la dernière personne capable de faire cela. Il n'était pas suffisamment calculateur pour agir ainsi et ça lui arracherait certainement la langue de dire quelque chose qu'il ne pensait pas. Mais elle ne put s'empêcher de lancer toutefois :

"Wow, marrante et sympa ? Quelle mouche t'a piquée au juste ?"

Elle ne put s'empêcher de jeter un œil aux bagels qu'il dévorait allègrement. Peut-être qu'il y avait un lien de cause à effet du genre bon bagel égal bonne fille. Ouais bof, ce n'était pas un chien à qui elle venait de donner un sucre quand même. Et puis si elle se mettait à trop douter, il serait capable de retirer ses paroles. Alors, elle s'empressa de dire :

"Si tu viens, je suis sure que le corbeau ne se montrera pas. C'est malin, ces bêtes-là."

Et puis surtout, qu'un corbeau la suive sans cesse, ça ne lui paraissait pas franchement net. Après tout, on dressait des perroquets ou des pies alors pourquoi pas un corbeau ? Enfin, qui pourrait bien s'amuser à dresser un corbeau pour qu'il la suive... Mieux valait ne pas évoquer cette possibilité face à Kyle, ou à n'importe qui, si elle ne voulait pas passer pour une véritable paranoïaque. Mais bon, pour qu'il la croit, elle pourrait toujours le prendre en photo la prochaine fois. Ou mieux, l'attraper. Après tout un oiseau, ce n'était pas malin au point de pouvoir lui échapper. Enfin, ce fichu corbeau n'allait quand même pas être leur seul sujet de discussion.

"Et puis, ce n'est pas parce que tu ne supportes pas la Confrérie qu'il ne faut pas les prendre au sérieux. J'ai beau ne pas tout savoir, je pense qu'ils ne se contentent pas de prier que Dieu leur vienne en aide."

Ça, les dirigeants de la Confrérie avaient de l'ambition. Et trouver une arme pour identifier les êtres surnaturels faisait certainement partie de leur top-priorité. Karen fronça légèrement les sourcils en pensant à quelque chose et elle ne put se retenir de dire à haute voix :

"Tu crois qu'il y a d'autres... êtres surnaturels ? A part les vampires, je veux dire. Comme des loups-garous. Ou d'autres choses."

Elle ne put s'empêcher de grimacer à cette idée. Ce serait légèrement terrifiant, comme vivre l'une de ces histoires qui la terrorisaient petite. Mais si les vampires existaient, plus rien ne garantissait que d'autres créatures ne se cachent pas dans le noir. Ça ferait jaser la Confrérie à coup sûr...

Karen était vraiment une femme drôle. Pour Kyle, elle était drôle mais elle était aussi naïve. Enfin, peut-être qu'elle avait ses raisons d'être dans la confrérie, mais il devait s'avouer que toutes les personnes enrôlées dans la confrérie, il les trouvait bêtes. Mais marrantes aussi. Lorsqu'elle lui demanda si une mouche l'avait piqué, il se contenta de lui faire un large sourire à moitié hypocrite. Elle enchaîna sur le corbeau, et il mordit encore dans un bagel, nonchalant. Bah. Tant pis, sa faute si elle croyait que le corbeau ne se montrerait pas, il n'allait pas lui imposer sa compagnie. Quoique si. C'était bien ce qu'il était en train de faire, non ? Tant pis.

Elle enchaîna sur la confrérie. Ouais, ça, des ambitions, ils en avaient. Un peu comme les témoins de Jéhovah qui venaient toquer à la porte ou un truc dans le genre, Kyle n'aimait pas les enrôlements et les choses semblables. Il préférait la liberté d'esprit et de parole et de pensée. Cependant, alors qu'il se passait le doigt dans la bouche pour détacher un morceau de bagel de la dent, elle posa une question intéressante. Si les autres créatures surnaturelles existaient ? Il haussa un sourcil en mâchant le vide pour se débarrasser du bout de pâtisserie qui était coincé dans sa molaire, puis il prit la parole : « Bah, j'pense qu'au point où en est, doit y avoir des loup-garous, des sorciers, même peut-être des goules et des fantômes. A la limite, j'suis même sûre que y a des gens qui se changent en animaux, que y a des gens qui parlent aux animaux et tous les trucs chelous que tu vois dans les films fantasy. »

Il lui adressa un regard à moitié sérieux. Il était en train de s'éclater à la faire flipper, puis il enchaîna : « Non, franchement, si les vampires existent depuis tellement longtemps et qu'on les a jamais remarqués, j'suis sûr que y a d'autres trucs qui se cachent, mais ça... Va falloir aller à la pêche. » Il posa ses mains à plat sur la table tout en se laissant aller contre le dossier de la chaise. Puis il lança un regard sur Karen, songeur.

« Pourquoi t'es dans la Confrérie, Karen ? T'as assez de jugeote pour t'en sortir seule. Ils te demandent quoi au juste? » Non mais que ça l'inquiète, c'était juste une question comme une autre quoi. Il laissa sa tête tomber en arrière pour regarder la porte alors qu'un autre client entrait dans la pâtisserie et se mettait à regarder les différents étalages. Kyle ramena le visage vers l'avant et lança un coup d’œil à Karen. Lorsque la clochette retentit pour indiquer que le client avait choisi, Kyle tira la langue à Karen avant de se retourner pour fixer le client.

Un gros balourd, qui avait l'air d'être mal à l'aise. Et il sentait bizarrement. Pas que Karen puisse le sentir, cette fois c'était Kyle qui le sentait de son état de métamorphe. Mouais, non, le mec, pas clair. Probablement un addict au Vi. Il se renfrogna avant de regarder Karen. « Crache dans son café, il le mériterait bien. »

Puis, il empoigna son bagel et se retourna à nouveau pour fixer le client d'un regard qui se voulait très cassant. Montrant ostensiblement ses poings, sur lesquels étaient tatoués les mots drug free, d'ailleurs. Rien que pour mettre le client mal à l'aise. Mâchant la bouche ouverte, Kyle ne se retint pas de faire un sourire encore plus hypocrite au client, en attendant que Karen le serve. Bah. Quel imbécile.

A mesure que Kyle balançait des noms de créatures surnaturelles, Karen se sentit pâlir de plus en plus. Avant de sourire nerveusement, persuadée qu'il la menait en bateau. Ses mains se serrèrent autour de son mug et instinctivement, elle porta la tasse à ses lèvres pour boire une gorgée de café. Karen ne put s'empêcher de grimacer en l'entendant poursuivre. Il avait certainement raison, et au fond elle le savait très bien. Si ça se trouvait, elle voyait des dizaines de créatures différentes chaque jour. Peut-être même qu'il y en avait à la Confrérie, ça ne serait même pas étonnant, tiens. Pour autant, l'idée d'aller "à la pêche", comme il disait, ne la tentait pas plus que cela. Qu'ils restent où ils étaient et s'ils étaient trop près, qu'ils ne le lui avouent jamais. Ça mettrait bien trop de bazar dans sa vie, elle était prête à le parier. Et se rajouter du bazar par dessus celui qu'elle avait déjà, c'était bien la dernière chose qu'elle souhaitait. Mais Kyle passa rapidement sur un autre sujet, tout aussi glissant si ce n'est plus que le précédent : la Confrérie. Ou plutôt, pourquoi elle y était. Un goût amer se fit sentir dans sa bouche alors qu'elle se retenait de lui balancer qu'elle n'y était pas de son plein gré, qu'elle leur devait simplement bien plus d'argent que ce qu'elle avait. Elle le fixa quelques secondes, de plus en plus tentée de partager ce secret avec lui (allez savoir pourquoi !). Mais la porte du magasin s'ouvrit et un client entra, la ramenant sur terre. Elle sourit poliment en saluant l'homme qui venait d'arriver.

Il lui fallut quelques secondes pour remarquer que quelque chose clochait chez ce type. Et apparemment, Kyle l'avait vu aussi. Karen était parfaitement placée pour savoir qu'il s'agissait d'un drogué. Au Vi, certainement, vu que c'était la dernière drogue à la mode... Le cœur de la jeune femme se serra quand elle se dit qu'elle devait ressembler à cela, il y a tout juste un an. Au moins, à lui seul il constituait une bonne raison de ne pas replonger (s'il lui en fallait une, bien sûr). Elle fixait le client avec une certaine appréhension et se leva à la seconde même où il fit tinter la sonnette. Elle entendit Kyle lui dire de cracher dans son café et, pour seule réponse, elle lui adressa un sourire nerveux. Elle passa derrière le comptoir et servit les donuts qu'il lui commandait. Il la paya, les mains tremblantes, à croire qu'il était déjà en manque, puis sortit aussitôt sans adresser un merci ou un au-revoir. Sans même avoir eu besoin de le regarder, elle savait pertinemment que Kyle n'avait pas perdu une miette de la scène et elle regretta soudainement qu'il soit là. Elle n'aimait pas sa manière de tout vouloir décrypter avant de tourner tout en dérision. Par moment, il l'agaçait énormément et pourtant elle continuait à lui parler ; à croire qu'elle tendait le bâton pour se faire battre et qu'elle aimait ça, en plus. C'était un peu l'histoire de sa vie, en fait... Consciemment ou non, elle prit plus de temps que nécessaire derrière le comptoir avant de retourner à la table. Elle s'assit face au métamorphe et mesura ses mots pour répondre à sa question précédente.

"Tu veux savoir pourquoi je suis à la Confrérie ? Disons qu'ils m'ont aidée quand j'en ai eu besoin. Et je leur dois bien ça, après ce qu'ils ont fait."

Voilà qu'elle paraissait presque convaincue. Encore quelques conversations comme celle-ci et elle finirait par vraiment y croire. Dette ou pas dette, il est vrai que sans la Confrérie, elle serait certainement encore à la rue, prête à tout pour avoir une goutte de Vi. La jeune femme fixait les mains de Kyle et plus particulièrement les lettres qui étaient inscrites sur chacun de ses doigts. Elle les désigna finalement de la tête en demandant :

"Tu es un ancien drogué ?"

Ces tatouages, c'était la première chose qu'elle avait remarquée chez lui. Mais elle n'avait jamais osé lui demander pourquoi il arborait ce "Drug Free" de manière aussi voyante. Et avec le temps, elle avait appris que cet homme était plein de surprises alors elle était bien curieuse de savoir pourquoi il s'était fait tatouer ces mots.

Lorsque la très charmante propriétaire de pâtisserie servit le client sans rien faire pour le mettre mal à l'aise ou le juger ou lui faire savoir son erreur, Kyle fronça les sourcils. Ca lui rappelait les gens qui, par exemple, dans le métro refusaient de dire aux autres imbéciles qui écoutaient de la musique sur haut parleur de baisser leur PUTAIN de musique, ou de dire aux idiots qui fumaient dans des lieux non fumeur que c'était, justement, NON FUMEUR. Les gens étaient devenus d'une telle lassitude, ces derniers temps. Pas envie de s'attirer des ennuis. N'importe quoi. Elle aurait dû lui dire ses 4 vérités en face. Il secoua la tête, déçu de son attitude. Lorsqu'elle revint face à lui, il l'observa, et lorsqu'elle lui répondit, il écouta. « Tu veux savoir pourquoi je suis à la Confrérie ? Disons qu'ils m'ont aidée quand j'en ai eu besoin. Et je leur dois bien ça, après ce qu'ils ont fait. » Euh, d'accord. Il haussa un sourcil. Il s'aventurait dans un territoire plombé de mines. Mais, le fait qu'elle ait accepté de lui dire ça le motiva. Il voulait en savoir d'avantage, du coup.

Sauf qu'il n'eut pas réellement l'occasion de lui répondre quoi que ce soit – ni à propos du client drogué ni à propos de la Confrérie – que déjà elle enchaînait sur un sujet qui était très cher à Kyle. La signification de ses tatouages DRUG FREE sur ses mains. Il haussa un sourcil lorsqu'elle lui demanda s'il était un ancien drogué. Il fit non de la tête.

« Nope. Je suis straight edge, c'est pas pareil. C'est un mouvement de sous culture punk, où on refuse de se laisser dominer par l'alcool, la drogue, la cigarette et pour certains, on y rajoute le sexe. » Il esquissa un large sourire, avant de reculer la chaise sur le sol de la pâtisserie, et, sans prévenir, il souleva son t-shirt pour dévoiler son estomac (Photo). Montrant le tatouage qui s'étendant en demi cercle au dessus de son nombril, il laissa retomber le tissu avant de reprendre la parole.

« La drogue, l'alcool, la cigarette, c'est vil.. » Il se renfrogna comme s'il avait senti une mauvaise odeur, avant de secouer la tête en riant. « Les gens qui se droguent ou qui boivent ou qui fument sont des imbéciles. »

Bon, il ne savait pas réellement que Karen était une ex-droguée – non, correction, il ne le savait même pas du tout – et donc, forcément, il lui parlait comme d'un égal à égal. Kyle détestait les gens qui fumaient, buvaient, ou qui prenaient de la drogue. Rien de plus stupide. Pour le sexe par contre... Disons simplement qu'il ne se privait pas des plaisirs charnels lorsqu'il en ressentait le besoin – de toute façon, il n'était pas un sex-maniac non plus. Si une jeune femme se proposait pour un plan cul, il ne dirait pas non. Mais ça, il n'allait pas s'étaler avec Karen. Il avait, de toute façon, trouvé la parade la plus parfaite à toutes divagations sur le sujet du sexe : « Je suis fiancé, pour ce qui compte du sexe. »

Comme quoi, lancer Kyle sur sa passion de subculture punk, ça le passionnait tellement. Il croisa les bras à niveau du torse en formant un X, en souriant largement à la propriétaire de la pâtisserie. « Les X ça représente les X qu'on met sur les mains des gens de moins de 21 ans à un concert ou une soirée pour que les barmans ne leurs servent pas à boire. C'est un symbole. »

Il renifla bruyamment et en toute délicatesse, avant de se relancer : « Tu te drogues, tu fumes, tu bois? » Il laissa décidément le sexe de côté. Il faut aussi dire que bon, ce n'était pas réellement le débat. L'alcool, le tabac et la drogue, l'être humain peut s'en passer – les animaux ne boivent, ni ne fument, ni ne se droguent, hm ? Alors que le sexe, c'était une autre histoire. Enfin. Ce n'était pas du tout le débat.