Le travail avait fini à la nuit tombée, comme d'habitude pour Tyson. Une fois qu'Eric sortait du cercueil, Tyson n'avait pas vraiment besoin d'être présent sur les lieux et sur le domaine du Fangtasia, puisque les vampires prenaient le relais pour vérifier l'entrée et les sorties du bar. Il avait donc pu quitter son espace de travail et avait également pu retrouver sa fille. Il avait pu se doucher, passer un moment avec la petite face à la télévision, puis il l'avait couchée. Et, une fois qu'elle s'était endormie, il avait prit la voiture pour aller faire les courses pendant le seul moment de la journée où il avait le temps pour le faire : de nuit. Heureusement que les commerces avaient compris que les vampires ne pouvaient vivre de jour et avaient modifié leurs horaires d'ouverture. Ca arrangeait Tyson, qui passait en réalité tout son temps libre d'humain terré au Fangtasia et qui n'était libéré qu'une fois que les vampires étaient autorisés à sortir par le soleil. Du coup, il vivait un peu comme eux, sauf qu'il ne dormait pas réellement suffisamment ni dans les horaires adéquats. Tant pis.

Il arriva au supermarché avec une liste de petites choses à prendre : des yaourts pour la petite, des légumes, de la viande, des pâtes, mais aussi un jouet que la petite avait vu à la télévision et qu'elle voulait. Il allait donc prendre un panier pour porter les courses, et, une fois qu'il avait passé le rayon des jouets et posé la poupée spéciale dans le fond de son panier, il se dirigea vers les rayons frais pour trouver ce qu'il lui manquait. Puis, alors qu'il regardait sa liste, il vit quelqu'un manquer de lui rentrer dedans, et ne releva même pas la tête pour voir qui ou pourquoi. Ce ne fut que lorsqu'elle lui adressa un 'toi' surpris qu'il releva le regard de la liste. Il fronça les sourcils en reconnaissant la jeune fille – enfin, jeune vampire d'après ce qu'il avait compris. Il mit quelques secondes à analyser la situation, et, pendant ces secondes il se souvint d'avoir envoyer un pseudo dealer de drogue valser parce qu'il voulait voler du sang à la jeune vampire dans l'espoir de le revendre, et, qu'en guise de remerciements, la vampire l'avait saigné pour quelques gorgées de sang avant de prendre la fuite – c'était la deuxième fois qu'il venait en aide à un vampire et qu'il se faisait sucer en conséquence. Il allait finir par devenir l'un de ceux qui ne viennent jamais en aide à personne si ça continuait comme ça. Puis, elle lui posa une question qui le surprit. Mais il n'était pas réellement énervé, plus surpris. D'autant plus qu'elle semblait gênée. Ce qu'il faisait là ? Il écarta les bras comme pour montrer l'évident : il avait un panier de courses dans une main et une liste dans l'autre. Il ne faisait pas un ping pong avec le pape... Il précisa néanmoins par la parole.

« J'fais mes courses, comme tout le monde... » Il laissa la phrase en suspens, avant de laisser le panier reposer à ses pieds. Il observa la fillette, comme pour vérifier qu'elle n'était pas blessée – ce qui était stupide vu que les vampires guérissaient dans l'immédiat, alors que les humains devaient se trimballer les hématomes pendant des semaines après le choc initial. Pour ça, Tyson était légèrement jaloux. Enfin, on ne pouvait pas tout avoir. Alors, du coup, il haussa les épaules et désigna la bouteille de Tru Blood que la vampire portait en main. « Comme toi... » Il lui adressa un sourire amusé. « Tu respectes la loi cette fois. » Ce n'était pas vraiment un reproche, plutôt une constatation. Il n'en voulait pas à la jeune vampire d'avoir réagit comme ça – en le voyant après avoir été attaquée, normal qu'elle ait voulu du sang et il avait dû ressembler à un garde-manger sur pattes sur le moment. Mais bon, il aurait bien voulu qu'on lui demande son avis avant qu'elle ne le morde. Surtout que ça faisait mal, ce truc. Il ne comprenait pas comment les filles et les hommes pouvaient se dire 'donneurs' ou même se laisser mordre volontairement. C'était suicidaire. Il croisa les bras, tenant toujours la liste entre son index et son majeur. Puis il reprit, avant que la situation ne devienne difficile à supporter.

« Et c'est pas grave pour l'autre fois, ok ? Tu étais blessée, j'étais sous la main, je comprends. » Il lui adressa un sourire fraternel, avant de reprendre. « C'est pas grave, j'ai vécu pire, rassure-toi. » Il ne mentait pas, il avait vraiment vécu pire : au moins, la bébé vampire avait été plus ou moins propre en ne le mordant qu'une fois et le maîtrisant plus ou moins, elle ne l'avait pas balancé contre le pavé, n'avait pas massacré sa gorge de 4, voire 5 coups de dents. Elle avait été plus ou moins propre, et, à choisir, il préférait largement la façon donc la bébé vampire s'y prenait plutôt que l'autre sadico-barbare à qui il avait eu à faire quelques semaines plus tôt et qui l'avait laissé fatigué pendant plusieurs semaines. Il lui adressa encore un sourire censé la rassurer, mais il n'avait pas vraiment d'idée de savoir comment elle allait réagir. Il lui disait que ce n'était pas grave. Et, il avait dans son panier la preuve que ça aurait pu être bien plus grave : si la bébé vampire ne s'était pas finalement maîtrisée pour le laisser en paix, elle aurait tué un père et laissé une gamine orpheline. Mais tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, n'est-ce pas ? Alors, elle n'avait pas d'inquiétudes à se faire.

Dans l’idéal, il aurait fallu que la conversation s’arrête aux excuses et que chacun parte de son propre chemin. Mais, apparemment, la petite semblait plutôt avoir envie de continuer la conversation, alors, pendant qu’elle s’approchait de lui pour lui préciser que oui, elle aurait pu le tuer, Tyson fourra la liste des courses dans la poche de sa chemise, et lâcha simplement la poignée du panier, afin de croiser les bras. C’était une position qu’il avait l’habitude d’avoir – il était toujours debout comme ça quand il travaillait, comme pour renforcer le cliché du ‘je suis un body-guard, donc j’ai les bras croisés’. Puis, elle demanda s’il avait une fille. Il fronça légèrement les sourcils, comme pour tenter de comprendre d’où est-ce que cette question sortait et ce qu’elle avait à faire dans la conversation, mais elle enchaîna en lui disant de ne plus venir en aide aux vampires. Cela le piqua au vif à son tour : est-ce que c’était de sa faute qu’il prenait toujours les vampires pour des jeunes filles en détresse ? La première fois, la femme avait été à la limite de se faire violer/tabasser par trois zigotos, la seconde fois, de loin on aurait dit une agression, et, ouais, peut-être que de près il aurait compris qu’elle allait s’en sortir, mais il avait préféré intervenir en balançant son poing dans la tempe du pseudo-dealer de drogue. Il secoua la tête, pour montrer son désaccord. Puis il se justifia par la parole.

« Je travaille pour des vampires, donc je sais très bien à quoi m’attendre de vous, » commença-t-il, avant de continuer sur sa lancée, les bras toujours fermement croisés à niveau du poitrail – ça le rassurait d’être dans cette position de toute façon. « Et, je suis désolé, mais je n’ai pas encore complètement accepté le nouveau monde peuplé des vampires et Dieu sait quoi d’autre, donc quand je vois une fille qui est en train de se faire agresser par un mec, et qu’elle a l’air de ne pas s’en sortir, je ne passerais pas mon chemin en faisant comme si de rien n’était. » Il inspira profondément, sentant légèrement l’irritation faire son apparition. S’il avait fait attention, il aurait aussi remarqué que son pouls s’était accéléré. « Alors, ne me dicte pas ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire, d’accord ? » Puis il décroisa les bras, ce qui aurait signifié une sorte de menace physique s’il n’avait pas fourré ses mains dans les poches de son jean. Il reprit la parole sans laisser le temps à la fillette de lui répondre. « Pendant que les autres humains comme moi vous voyaient envahir la télévision, j’étais derrière les barreaux, alors je suis un peu en retard, comme qui dirait. » affirma-t-il, en faisant le geste des guillemets lorsqu’il prononça le mot ‘retard’ pour s’expliquer. Et puis, comme pour changer le sujet ou au moins mettre les choses à plat, il crut bon de rajouter encore une phrase.

« Et oui, j’ai une fille, et nous nous en sortons très bien. » Il aurait bien aimé rajouter les différentes péripéties qu’ils avaient survécus tous les deux – lui avait vu plus que beaucoup, vu qu’il avait vu la prison, le programme de protection des témoins par la police judiciaire américaine, il avait sacrifié presque toute sa vie d’avant dans l’espoir d’offrir un futur clair à sa gamine, il avait fait de la prison, divorcé, il avait envoyé un drug lord en prison, alors, excusez le si les vampires n’étaient pas la première chose sur sa conscience. Cependant, un sourire fit irruption sur son visage. « Et puis, tu as l’air forte comme ça maintenant, mais tu serais probablement un tas sanglant par terre si je n’étais pas intervenu. Donc ne fais pas comme si tu n’étais pas reconnaissante. » Il pencha la tête sur le côté, comme pour se remettre droit sur les rails, et il écarta légèrement les jambes pour se planter plus droit. Vu qu’il n’allait probablement partir chercher la suite de ses courses tout de suite, autant se placer à l’aise en position debout. Par contre, l’idée même que la fillette soit une nouvelle-née ne lui frôla pas l’esprit – les relations hiérarchiques qui existaient entre les vampires, il ne s’y intéressait pas. Tant que ça lui fournissait un revenu assez élevé pour payer le loyer et donner un fond d’études pour la petite, ça lui suffisait. Autant profiter, histoire de ne pas se soucier d’être rattrapé par le passé… Non ?

On aurait dit qu’il avait à faire à une adolescente. C’était surprenant, vu que d’habitude quand il parlait avec des vampires, ils étaient âgés de – minimum – 10 fois son âge, et que là, le fait qu’elle semble un peu perdue, ça le faisait un peu réagir. Surtout comment elle réagissait. C’était… pas digne d’un vampire. Alors, dans son esprit, se posa la question de l’âge : est-ce qu’elle avait 100 et quelques années ? Ou est-ce qu’elle était aussi jeune qu’elle le paraissait ? Il fronça les sourcils. Puis, sans prévenir, elle lui balança que ouais, elle était désolée, elle lui présenta ses excuses, puis elle marmonna qu’elle aurait mieux fait de s’en foutre comme tous les autres vampires, et, d’un seul coup, elle se mit à marcher et lui passa droit devant sans chercher la suite de la conversation. Tyson resta immobile quelques secondes, bras croisés à fixer le vide. Son cerveau travaillait : il y avait un truc qui clochait. Il y avait un truc qui clochait dans l’attitude de la vampire. C’était pas normal. Surtout, que, déjà aussi, il lui avait dit qu’il voulait pas qu’elle s’excuse : il lui avait dit tout à l’heure qu’il l’avait pardonnée et que ç’avait été dans sa nature à elle de l’agresser pendant qu’elle était blessée. Ca sonnait un peu bizarre. Ou sinon, il cherchait juste à compliquer le simple. Il lança un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir que, comme tout le monde, elle faisait la queue pour payer sa bouteille de Tru Blood. Il enfonça sa main dans la poche arrière de son pantalon, sans se retourner vers la jeune vampire, sorti son porte-monnaie, tira un billet dont le montant s’élevait suffisamment pour payer la bouteille de la vampire. Puis, il se baissa, attrapa le panier des courses, et s’approcha de la vampire – une chose était sûre, c’était qu’elle avait forcément dû l’entendre arriver, ou sinon l’avoir senti arriver. Il posa sa main sur son épaule et attendit qu’elle se retourne pour lui tendre le billet.

« Ecoute, je sais pas d’où tu viens, ni quel âge tu as pour de vrai, mais je veux pas que tu files à l’anglaise comme ça. Alors, prends ça. » Il marqua une pause en attendant qu’elle prenne l’argent, puis il reprit. « Je sais pas comment tu t’appelles, mais moi c’est Tyson. Si jamais tu as des problèmes, viens au Fangtasia, je travaille là bas, d’accord ? » Il lui adressa un sourire – c’était impressionnant comme le fait qu’elle ait une apparence d’une femme de la petite vingtaine le fasse réagir comme un aîné et un grand frère. Or, il savait très bien qu’elle pouvait avoir on ne peut plus d’années au compteur que lui, mais peu lui importait. Il n’avait pas envie de la lâcher comme ça, et si elle voulait partir et payer sa bouteille pour aller la déguster en se sentant coupable, elle pouvait le faire, et puis sinon, elle pouvait accepter de faire la conversation tranquillement avec lui sans se sentir coupable. Ou, sinon, carrément l’accompagner s’asseoir dans la galerie marchande du centre commercial et parler un peu. Ou sinon, elle l’envoyait bouler pour de bon et il irait trouver son yaourt et ses autres courses légèrement énervé. Surtout que ça le faisait un peu chier qu’il ne sache pas l’âge de la vampire, il ne savait pas s’il devait la respecter, s’il devait se sentir inférieur – un peu comme il se sentait inférieur à Eric – ou s’il y avait au moins une petite chance qu’elle ne soit pas un truc de plus de 100 années. Il reprit la parole.

« J’insiste. » Il lui tendit à nouveau le billet monétaire, dans l’espoir qu’elle ne songe pas à ce qu’ils avaient vécu ensemble dans cette ruelle noire, il y avait de ça quelques semaines. C’était vrai quoi, il n’y avait pas vraiment photo, pour lui, ce n’était pas la même fille, celle qu’il avait vue était vulnérable, agressée et fragile, ici, maintenant, ce n’était pas du tout pareil. Alors il préférait reprendre à zéro. Ca arrivait à tout le monde de faire des erreurs, alors il ne fallait pas qu’elle s’inquiète. Même si elle s’était excusée alors qu’il lui avait dit qu’il ne voulait pas qu’elle s’excuse parce qu’elle n’avait rien fait de mal – on n’a jamais vu de lion végétarien, c’était dans la nature des vampires de sucer le sang, donc, normal, non ? Bof. Tant pis, si elle ne voulait pas du billet pour payer le Tru Blood, c’était tant pis pour elle.

En la voyant tendre la main pour accepter le billet, Tyson ne put pas s'empêcher de sourire. Elle avait l'air de bien vouloir accepter son aide et de ne pas rester sur la défensive. C'était au moins une chose de faite, en réalité. Il lui adressa un coup d'oeil quand elle remballa le billet dans sa poche, puis il l'écouta. Erin ? C'était un joli non. Il rajusta le panier des courses sur son bras – pour ne pas bloquer la circulation du sang à niveau du coude – puis il observa les gens devant Erin dans la file. Il y avait encore de quoi faire, parce que la personne avec les petites pièces semblait ne pas avoir le bon compte. Assez de quoi se tirer les cheveux – si on en avait, au moins... Puis, le temps qu'il se ressaisisse et retourne son attention sur la petite vampire, elle lui avait déjà posé quelques questions. S'il donnait toujours de l'argent à des filles qu'il ne connaissant pas ? Il secoua la tête, négatif. Puis il prit la parole.

« Non, pas vraiment.  » Il regarda ensuite la bouteille de Tru Blood, en se demandant quel sang elle avait choisi. Ca devait être comme manger avec des gellules ou par transfusion, ou un truc dégueulasse dans le genre. Il se souvint d'une aventure à l'hôpital après un accident de voiture où il s'était cassé la clavicule, où il avait légèrement endommagé sa trachée – trop de pression ou un truc du genre – où ils avaient enfoncé un tube dans son œsophage pour lui donner à manger comme ça. C'était infect. Il s'en souvenait vaguement, vu qu'il avait été sous morphine à l'époque. Mais bon, ça devait être le même infect de boire du Tru Blood pour un vampire. Tout ce qu'il savait en travaillant pour Eric, c'était que tous les vampires ne respectaient pas la règle. Il avait été attaqué par deux fois maintenant, et ça ne l'étonnerait pas d'être attaqué encore. Tant pis. S'il détestait Erin ? Il secoua encore la tête.

« Y a des gens que je déteste, tu sais, mais tu as rien fait qui puisse faire que je te déteste. T'as juste pas réussi à te contrôler, ça nous arrive à tous. » Il parlait en connaissance de cause, vu que certains médecins lui avaient diagnostiqué un léger penchant pour le Trouble Explosif Intermittent, une espèce d'équivalence de rage partielle pendant un moment de folie. Le genre de truc qu'on ne veut pas avoir en face de soi en réalité. Il se souvenait, certes, de quelques black outs, où, après avoir repris connaissance, il avait vu certains de ses collègues à moitié emplafonnés, mais c'était tout. Il n'avait jamais voulu prendre de rendez vous avec un médecin spécialisé, et, il avait finalement réussi à se forcer à aller à deux trois anger management classes où il avait appris qu'il lui fallait un truc pour exorciser toute la colère qu'il pouvait emmagasiner. Ca dépendait des fois, en fait. Alors, le manque de contrôle d'Erin, ça ne le choquait absolument pas.

Puis, elle enchaîna sur le Fangtasia. Quand elle dit ne pas l'avoir vu, il eut un petit rire en rajustant encore une fois le panier sur son bras. Il lui répondit le sourire aux lèvres : « C'est parce que je n'y reste pas quand les vampires sortent, en fait. Je travaille de jour, si tu veux. C'est moi qui est sur place quand le soleil – votre pire ennemi – est haut dans le ciel pour m'assurer que tout se passe sans encombre et pour permettre aux vampires qui dorment de se reposer en paix. Pour éviter les saignements, si tu veux. Si y a des vandales ou des indésirables, je les envoie dans les poubelles. Et, dès que le soleil se couche, je suis libéré de mes fonctions et je rentre directement chez moi pour être avec ma fille. Ça doit être pour ça que tu ne m'as jamais vu. » Il avait dit tout ça en riant doucement, trouvant ça logique. C'était vrai, il ne restait pas toujours le soir et préférait ne PAS rester, d'ailleurs. Dès que le soleil se couchait, le Fangtasia perdait tout son calme. De jour, c'était un endroit parfaitement paisible. Il lui était déjà arrivé de s'endormir sur l'un des sofas couverts de velours, d'ailleurs. Mais bon, il valait mieux ne pas dormir sur le lieu de travail. Mais faire une veille de l'aube au crépuscule, en été, au solstice d'été avec la journée la plus longue, ça faisait très long même. Il finit éventuellement par poser le panier à ses pieds. Il payerait ce qu'il avait dedans en même temps qu'Erin, et il irait terminer les courses une autre fois, ça pouvait attendre, le frigo n'était pas vide à la maison, il y avait largement de quoi faire. A son tour de poser une question.

« Dis moi, tu as quel âge ? J'arrive pas à te caser. » Il croisa à nouveau les bras, c'était sa position préférée, les bras croisés en fait. La plus simple. Si tu ne sais pas quoi faire de tes bras, tu les croises. Et, avec une corpulence comme la sienne, ça pouvait faire impressionnant. Cela dit, il ne s'en rendait pas forcément compte. Et, s'il arrivait à battre n'importe quel autre humain en corps à corps (ou presque), il n'avait pas encore eu la chance – ou la malchance plutôt – de devoir se battre avec un loup ou avec un métamorphe. Mais ça l'intéressait de savoir l'âge d'Erin : au moins, il serait fixé sur l'attitude à avoir avec elle.

Lorsque la vampire affirma que ça devait être passionnant d’attendre qu’ils se réveillent tous, Tyson hocha la tête. Combien de fois s’était-il retrouvé à jouer à toutes sortes d’applications sur son téléphone dans l’espoir de faire passer le temps ? Combien de fois, avait-il demandé à la femme qui s’occupait du bar s’il pouvait l’aider, et s’était retrouvé à nettoyer les fenêtres ? Il connaissait toutes les marques par cœur dans le bar, il savait exactement comment se positionner dans tous les canapés pour être le plus à l’aise… Bref, le Fangtasia, il connaissait chaque petite parcelle de son territoire. Suffisamment, en tout cas, pour savoir quand est-ce que quelque chose avait bougé. Puis, elle lui dit que ce n’était pas poli de demander l’âge. Même pour une vampire. Il fronça les sourcils, légèrement gêné, ses joues virant un peu rose, même, mais rien de bien choquant. Mais il n’aimait pas ne pas savoir. Aussi bien, elle se fichait de lui depuis plusieurs minutes. Aussi bien, c’était de la comédie, le fait de n’avoir pas pu se contrôler, et elle riait intérieurement de son incrédulité. Il haussa les épaules. « Euuuuh… Je sais pas moi. » Et vint la réponse. Il haussa les sourcils, surpris. Oui, il était surpris. 23 ans ? Donc, ça voulait dire qu’elle avait été changée il n’y a pas si longtemps, vrai ? puis, elle rajouta un commentaire comme quoi elle avait vécu la révélation. Il sourit. Au moins, ELLE, elle l’avait vécu la révélation, à la télé ou en vrai d’ailleurs. Lui, il croupissait en prison au moment le plus important de la race humaine depuis Christophe Colomb. Il était dégoûté que les choses se soient passées comme ça, mais bon. Il ne pouvait rien y faire, et, à être employé par un vampire, ça aidait forcément à rattraper son retard. Puis, elle posa sa bouteille de Tru Blood sur le tapis de caisse, et elle désigna le panier de Tyson. Il haussa les épaules.

« Oh, c’est pas grave. J’ai de quoi faire, à la maison. On n’est que deux, et la petite dormira probablement quand je serais à la maison, alors il n’y aura que moi. J’irais prendre un fast food si j’ai vraiment trop faim. » Il fit un sourire à Erin. C’était vrai, qu’à être avec des vampires tout le temps, on oubliait de manger. Mais, il n’avait pas réellement perdu de poids depuis qu’il était arrivé à Shreveport – il avait même pris un peu. Mais ça ne se voyait pas tant que ça. D’ailleurs, quand il y pensait, si Erin n’avait pas été une vampire, elle l’aurait considéré comment ? Parce que, avouons-le. Tyson était du genre le mec qui sort de la foule. Au moins, quand il allait au zoo avec Eileen, en la mettant sur ses épaules, elle ne pouvait rien rater du tout, puisque lui-même ne ratait rien, de part sa grande taille. « Tu rentres quelque part, tout à l’heure ou tu vas aller errer dans Shreveport ? » Oui, il n’allait pas lui demander si elle rentrait se coucher, elle venait probablement de se lever. Lui, il sentait la fatigue de la journée. Parenthood : if you’re not tired, you’re not doing it right. Jamais cette phrase ne lui avait semblée aussi correcte. En tout cas, il inspira profondément en déposant les quelques trucs qu’il avait dans le panier sur le tapis défilant.

« Ou tu vas aller au Fangtasia ? » Il posait ça, dans l’hypothèse qu’elle ait un créateur ou un truc du genre à rejoindre. Lui, se languissait un peu du moment où il passerait la porte de son chez soi, et poserait les clés sur le comptoir, avant de monter les marches pour aller vérifier qu’Eileen dormait paisiblement. Lui, il ne voulait absolument pas s’approcher du Fangtasia ce soir. D’autant plus, qu’il avait fait des heures supplémentaires la nuit d’avant, donc il commençait à en avoir sérieusement besoin, de s’éloigner du bar de vampires. Il adressa un sourire à Erin. Puis il reprit sur la conversation de son âge. « Donc, je suis plus vieux que toi. C’est la première fois que je vois un vampire qui est plus jeune que moi. » Il n’avait pas l’habitude encore, avec les âges. Surtout qu’il y avait des vampires, ils ressemblaient à des enfants, et en fait, ils étaient déjà là à la chute de Rome – mais, le cours d’histoire, Tyson sècherait volontiers. Ca ne faisait pas partie de ses soucis primordiaux, dirons-nous.

En suivant Erin dans la queue pour payer ses quelques emplettes, Tyson se demanda s'il l'avait vexée en disant qu'il était plus vieux qu'elle. Mais, aussi, les hiérarchies vampires ne faisaient pas partie de ses soucis – tant que les vampires s'en tenaient à ce qu'ils devaient faire et respectaient Eric, ça lui suffisait amplement. Qu'elle se sente trop petite ou trop jeune, ce n'était pas ses problèmes, mais ceci dit, le fait qu'elle ait été transformée après la Grande Révélation l'avait mis légèrement mal à l'aise. Comme si, maintenant que les vampires étaient mainstream, plus personne n'allait être changé. Ca lui donna la chair de poule, d'ailleurs, et, heureusement que ses tatouages camouflaient les poils hérissés. Si jamais on le changeait de force – Dieu sait pourquoi cela arriverait – il ne pourrait pas s'occuper de sa fille, il ne vieillirait jamais. La plus gros souci, ce n'était pas de ne jamais mourir, c'était de voir sa fille grandir et de la voir mourir ensuite – avoir un papa vampire, ça ne le ferait pas. Alors, quand beaucoup priaient et mordaient et hurlaient pour être changées, Tyson, lui, s'en tenait à sa condition d'humain et il assumait largement et suffisamment. Ce n'était pas ses priorités. Il se demanda si Erin l'avait voulu ou si on l'avait changée de force. Ceci dit, elle paya, et elle enchaîna sur d'autres pensées moins morbides, le sortant de sa réflexion. Rentrer chez lui retrouver sa fille ? Un sourire fit irruption sur son visage, et il rangea ses quelques courses dans un sac en papier, tout en répondant à Erin.

« Bonne soirée, Erin. Rentre bien, fais attention à toi, d'accord? » Il lui adressa un petit regard, dans le genre, ça, c'était l'habitude d'être un père et d'être un adulte responsable qui avait parlé, surtout aussi parce qu'elle avait été agressée par un pseudo dealer et elle n'aurait probablement pas pu s'en sortir s'il n'était pas intervenu, mais ça, il ne voulait pas recommencer à en parler. De toute façon, on ne voyait pas les marques des dents dans sa gorge, et, donc, de fait, ça ne s'était jamais produit. Il gardait plutôt en tête l'épisode avec Alena, plus qu'autre chose, où elle l'avait violemment charcuté, à plusieurs reprises, et où il avait accusé le coup beaucoup plus violemment qu'il ne l'aurait pensé. Dieu sait si jamais il tombait sur un vampire une autre fois. Il ne réussirait probablement pas à le battre. Il ne comprenait pas comment faisaient les chasseurs pour faire, les vampires étaient indestructibles – à part, bien sûr, de les enchaîner de jour et les voir cramer. Mais voilà, bonjour le bordel que ça fait.

Puis, le temps qu'il récupère sa carte de crédit, Erin avait disparu. Ah oui, ils faisaient ça, les vampires, être là une seconde, puis la suivante, hors de vus. Fichue vitesse de malade. Il soupira et lança un coup d'oeil à la caissière, cherchant du support, mais elle était aussi expressive qu'une porte, alors il secoua la tête en saisissant les hanses de son sac en papier, avant de se diriger vers l'extérieur. Allez, il allait rentrer, il ferait à manger pour Eileen qui était restée chez Jeremy toute l'après-midi...