How much more grievous are the consequences of anger than the causes of it.



« Tu pensais que tu pourrais te cacher à tout jamais, Tyson ? » La question fuse. Ce n'est pas vraiment le moment de jouer dans la provocation. Certes le mec en face, ce n'était pas un petit de rien du tout, mais face à un Tyson déjà énervé au préalable, jouer avec le feu, c'était se garantir une brûlure. La mâchoire serrée, il s'approchait déjà petit à petit du bonhomme qui venait de le provoquer.

Revenons deux heures en arrière. Le téléphone de Tyson venait de recevoir un texto alors qu'il était en train de mettre Eileen au lit. Il avait vérifié, mais le numéro avait été inconnu, ou masqué, ou peu importe, indisponible. Alors, croyant à une publicité, il n'avait pas vraiment fait attention. Et pourtant... Lorsqu'il vérifia le texto quelques minutes plus tard, une fois qu'Eileen était endormie, il serra les poings et manqua de balancer un verre contre le mur. La rage. Elle prenait Tyson comme une crise d'épilepsie et le laissait dans un état second – pas pour rien qu'il suivait des séances de anger management alors qu'il était en prison, sessions de contrôle de rage offertes par l'infirmerie de la prison. Sinon, il se retrouvait en cellule d'isolation. La rage. Et pourtant, un simple texto qui avait tout chamboulé. Apparemment, la fuite de Minneapolis jusqu'à Shreveport n'avait servi à rien, puisque l'un de ses anciens collègues l'avait retrouvé. Un ancien collègue qui n'avait pas été explosé à la dynamite ou jeté dans le fleuve glacé. Un ancien collègue qui venait avec un message. Rendez vous dans une petite ruelle, à l'abri des regards, à l'abri de toute sorte de jugements. Et voilà, vous savez tout.

« Non, mais je peux me cacher aussi longtemps que possible. » WHAM. Coup de poing dans la mâchoire, et les couleurs commençaient déjà à se disloquer les unes des autres. Tremblements ? Un peu, peut-être. La peur, la panique, la rage et la colère, suffisamment de sentiments pour provoquer en Tyson une réaction qu'il préférait pourtant éviter. La testostérone, l'ego, le malheur et la peur de devoir fuir à nouveau : non, il avait une vie à Shreveport maintenant. Alors, comme ce pauvre dealer de drogue n'avait vraisemblablement pas encore commis l'irréparable en alertant Shawn – l'ancien drug lord pour qui Tyson travaillait – des coordonnées de Tyson, il n'y avait qu'une façon d'agir. Se débarrasser du dealer. Un deuxième coup de poing dans la mâchoire, et cette fois, le crac retentit de façon nette, claire, et précise dans la ruelle.

C'était vrai quoi : Tyson faisait le double du poids du bonhomme, pratiquement, et trois fois sa corpulence. Il aurait dû réfléchir. Cependant, le petit sembla se redresser, et, comme pour montrer qu'il n'était réellement pas prêt à quitter, il balança un coup de pied dans l'abdomen de Tyson qui se pencha en avant pour amortir le choc, et un deuxième coup de pied dans la tempe, ce qui l'envoya à genoux. Posant une main à terre, un rire sur le bord des lèvres. Ah, un combat, un vrai. Et cette fois, il allait devoir sortir le grand jeu, parce que apparemment, le petit dealer de rien du tout avait quelque chose dans le sang qui provoquait une duplication de sa force. Comme quoi, les apparences... Se relevant brutalement, Tyson attrapa le pied du gamin (enfin, gamin, du petit dealer), et d'un geste calculé, abattit son coude sur le tibia du jeune homme, et cette fois, le second crac retentit plus fort que le premier. Surtout que l'os avait transpercé le jean, et cette fois, la fracture, pas possible de la rater. Fracture ouverte du tibia. Et vas y que y a du sang de partout, et le hurlement du jeune homme, qui se prend la jambe à la limite des pleurs. Tyson sent le sang qui lui pompe aux tempes, il ne voit pas trop la différence entre le rouge et le noir, ni entre le gris et le noir, ni rien... Il n'y a que cette pulsion. Besoin de tuer le jeune homme pour se protéger, pour protéger Eileen.

Vous pensiez qu'il n'y avait que les vampires qui avaient des pulsions meurtrières ? Je vous rappelle que Tyson a fait de la prison pour meurtre, entre autres. Homicide volontaire, involontaire, violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner... Et tout le patatras. Sortez son dossier juridique, et vous comprendrez rapidement de quoi l'homme est capable. Encore des doutes ? Demandez vous pourquoi exactement est-ce que Eric l'a choisi comme bodyguard, portier ou responsable de sécurité...

Et, alors que Tyson allait pour balancer encore deux, trois, quatre coups de poing dans la tête du jeune homme qui ne demandait en réalité qu'à repartir, et qui n'aurait probablement plus l'envie de le dénoncer à Shawn, il y eut un bruit. Un bruit qui permit au jeune homme de s'enfuir de façon plus ou moins réussie. D'autant plus que Tyson ne fit pas de course poursuite. Il se suffit de serrer les poings ensanglantés, sans relever la tête. Non, parce que ce genre de bruit, on ne s'y méprend pas à force de côtoyer les vampires. Parce que ouais, c'était bel et bien un vampire qui avait provoqué ce bruit. Il releva finalement la tête. Peut-être qu'il s'attendait à quelque chose d'un peu plus... impressionnant ? Une baby vamp'.

Une petite baby vamp' de rien du tout. Qui l'avait saigné devant sa fille, à qui il avait demandé d'hypnotiser la petite pour qu'elle ne s'en rappelle pas. Dans l'état actuel des choses, il vaudrait mieux conseiller à la petite de filer. Parce que la rage qui habitait Tyson n'était pas des plus prévisibles. Et si un baby vamp', aussi récent soit-il, serait capable de maîtriser Tyson en quelques secondes... Voir un mec taillé comme Tyson qui vient de péter le tibia à un autre homme, à lui briser la mâchoire et, probablement à lui fêler voire casser des côtes. Ca fait peur. Inévitablement. Une petite pensée à l'avenir. Imaginez un Tyson sur une dose de Vi. Le carnage que ça serait...

Encore une fois, William avait laissé Grace pour se rendre elle ne savait trop où –le Fangtasia, à tout hasard ? Et, encore une fois, elle avait préféré sortir plutôt que de rester devant la télévision à regarder une énième diffusion du « Grand Perdant », quitte à saigner quelqu’un d’autre ce soir encore. L’aventure, la soif de découverte, vous vous rappelez ? Et la jeune vampire n’osait pas encore se rendre seule au Fangtasia, terrain inconnu qui plus était gouverné par son grand-... Créateur ? Bref, Eric Collins, grand machin blond qu’il valait mieux éviter jusqu’à la grande révélation... Voire après. N’était-elle pas la « connerie » de William, au final ? Le truc gênant qu’il valait mieux cacher, l’enfant indésirable qui n’aurait jamais dû voir le jour ? Pour peu, le viking aurait pu jouer le rôle de la mâratre, perruque et robes à franfreluches à l’appui ; à cette image, elle esquissa un sourire alors qu’elle suivait le chemin hors de chez eux, direction le centre-ville, simplement vêtue d’un jean, d’un simple T-shirt et d’une veste légère, bien que le vent frais ne soit plus un souci pour elle. Les vampires devaient avoir une sorte de couche d’isolant dans la peau, ou quelque chose du genre imperméable qui facilitait autrement la vie, mais Grace gardait pour le moment ses habitudes d’humaine, par automatisme.

Quoi faire en cette nuit d’automne ? Se promenant maintenant dans les rues animées de la ville, passant les enseignes de bar sans pouvoir résoudre à s’y arrêter, Grace passa en revue les quelques personnes qu’elle avait rencontré. ... Pas grand monde au final, et rien d’étonnant pour une vampire qu’on n’avait pas encore emmenée voir les siens –elle se méfiait encore particulièrement des humains, eux qui ne lui avaient rien inspiré de bon dans ses dernières années de vie. Pister Ahren ce soir encore ? Il fallait qu’elle varie un peu ses activités nocturnes, ou elle risquait de se brûler les ailes avant l’heure. Et puis, lui rendre visite tous les deux jours lui donnerait la certitude qu’elle se pavanait à ses pieds, qu’il n’avait qu’à tendre la main pour... A cette simple idée, elle eut une légère grimace, stoppa sa route devant un restaurant encore ouvert, lut le menu en diagonale. Ah, qu’est-ce qu’elle n’aurait pas donné pour goûter encore à quelque chose de consistant... Une crampe la saisit à l’estomac, trace d’une faim sensée avoir disparu depuis quelques semaines, vieux réflexe de son corps qui s’envolerait lui aussi bientôt.

« Alors ma jolie, on cherche quelque chose à becqueter ? »

Celui qu’elle avisa être le patron était sorti, homme rondouillet à l’air avenant. Grace eut un sourire crispé, encore mal à l’aise avec cette autre race qui avait été la sienne, peut-être un peu nostalgique aussi.

« Non merci, je regardais juste. »
« Allez allez, c’est bon et pas cher ! Vous êtes taillée comme une asperge, faudrai rengraisser tout ça ! »
« Au revoir. »

Cet imbécile avait réussi à lui faire regretter un bout de cette vie qu’elle haïssait pourtant, soupçon de mélancolie d’autant plus amère qu’elle s’était toujours retenue de tout, boire, manger à outrance, commettre des erreurs et hurler sa colère entre autres choses. Mais il n’était pas trop tard, loin de là ; c’était simplement un blues passager que chaque nouveau vampire devait ressentir, juste après sa transformation. Elle saisit un « Revenez quand vous voulez ! » avant de tourner au coin de la rue, toujours sans destination. Peut-être passer acheter un pack de Tru Blood avant que le manque ne lui fasse agir de façon irresponsable ?

Trop tard : l’odeur métallique du sang lui parvint, éclipsa le goût articiel du sang synthétique. Et sans qu’elle puisse le commander, ses jambes la guidèrent vers le lieu du crime, où, tapie dans l’ombre pendant quelques secondes, elle assista à une violence inouïe... Avant qu’on finisse par la repérer, que le type ensanglanté n’en profite pour s’enfuir, que son agresseur se retourne finalement vers Grace. ... Lui ? Les yeux de la blonde s’écarquillèrent de peur lorsqu’elle croisa son regard furieux, le sang qui tâchait ses vêtements. Elle avait beau avoir une force physique légèrement supérieure –c’est qu’elle venait de naître, le tas de muscles n’en restait pas moins impressionnant, particulièrement dans un tel état de rage. Non seulement lui avait-elle pompé de son sang la dernière fois avant de le laisser à moitié agonisant, mais elle avait permis ce soir à sa proie de s’échapper... Fuir pour mieux se faire oublier aurait été la meilleure des solutions. Que pouvait-elle faire à part attiser un peu plus sa colère ?
Seulement, sa culpabilité et donc son envie de se racheter avait parlé : elle fit un pas pour se retrouver sous la lumière jaune d’un réverbère, se présenta à lui en tremblant légèrement.

« Ce type… Tu ne devrais pas t’occuper de moi, le rattraper. Son sang pue la mort à trois kilomètres. ... Il a fait quelque chose à ta fille ? »

Un voile d’inquiétude s’agrippa à ses traits, dévoila son remords. De quoi énerver un peu plus le colosse ?

Elle. Elle, la vampire qui l'a sauvagement attaqué alors qu'il se promenait tranquillement avec Eileen à bout de bras. Elle, à qui il avait demandé d'hypnotiser la petite pour qu'elle ne s'en rappelle pas. Elle, qui avait appelé une ambulance après avoir pris la fuite. ELLE. La même. Là, devant lui. S'il n'avait pas réellement songé à sa réaction s'il lui arrivait de la re-croiser, dans l'état présent des choses, il n'y avait qu'une seule chose qui comptait.

Lorsqu'elle se présenta, se plaça sous le réverbère, et qu'il la reconnut, son regard se fit lointain. Non seulement elle osait se présenter à lui. La crainte qu'elle lui saute dessus encore une fois – déjà, parce qu'il saignait de la tempe et ensuite, parce qu'il avait le sang de l'autre bonhomme de partout sur ses vêtements – le poussa à serrer les poings. Cette fois, Eileen était loin, il pouvait faire ce qu'il pouvait. Et on ne le prendrait pas par surprise. Erin l'avait pris par surprise, Grace aussi. Deux petites baby-vampires de rien du tout. Oh, il souhaita qu'elle ait fui. Pourquoi n'avait-elle pas pris ses distances ? HEIN ? Tremblements. Ses poings tremblaient, et il sentait le besoin de frapper.

Puis elle parla. Il en comprit pas tout, et bascula simplement sa tête sur le côté, lui adressant un regard indiquant qu'il pensait qu'elle se foutait de lui. Fronçant les sourcils. Et en plus, elle osait mentionner sa fille. Sa fille. Pourquoi est-ce que tout le monde parlait toujours d'Eileen ? Pourquoi est-ce que tout le monde faisait attention à elle, tout le temps, hein ?! Il avait été saigné trois fois en deux mois, il avait littéralement été passé à tabac, il avait fait tant de choses pour la petite, et tout ce qu'on arrivait à lui donner comme commentaires c'était qu'il ne faisait pas son boulot de père. Oui, non, parce que le 'est-ce qu'il a fait quelque chose à ta fille' résonnait dans sa tête comme un affront. Bien sûr que non il n'avait rien fait à Eileen. Et Tyson aurait pu en avoir le cœur net s'il avait réussi à lui briser la nuque, mais non, il avait fallu que la petite vampire de rien du tout vienne s'insérer dans le conflit. Tremblements. Encore.

Se rapprochant à grands pas de la position de la vampire, il tendit le bras vers elle et attrapa sa gorge. Rien à branler qu'elle soit un vampire capable de lui arracher la tête. Il voyait rouge. Il voyait tout en rouge, comme une espèce de folie passagère. Une pulsion suicidaire, une pulsion paternelle, une pulsion d'auto-défense. Il la plaqua contre un mur. Dents serrés, il susurra un « Laisse ma fille hors de ça, compris? » rageux, avant de serrer les doigts sur la gorge de la vampire. C'était ça le problème.

Les vampires ils ont l'air d'être des humains normaux, mais ils ne respirent pas. Alors, il avait beau serrer, il ne réussirait probablement pas à l'asphyxier. Cependant, il continua à serrer. S'il ne la tuait pas, elle pouvait au moins sentir la douleur à niveau de la trachée. Il la souleva d'un bras avant de se rapprocher brutalement d'elle, à la limite de lui foutre un coup de boule.

Au moins, on pouvait dire de Tyson qu'il était vénérable de ne pas craindre les vampires. C'était peut-être inconscient. Il avait lui même souffert aux mains des suceurs de sang, mais sur le moment, il ne semblait pas être tout à fait lui même. Peut-être que le fait de travailler jour après jour, après jour, et encore après jour, le fait de ne plus aller à ses sessions d'anger management avaient petit à petit croqué une partie de son inconscience, partie qui explosait maintenant, dupliquée de façon exponentielle. Il reprit la parole, tenant toujours son front contre celui de la vampire, afin qu'elle le fixe droit dans les yeux. Il était sérieux. Profondément sérieux.

« Tu n'as aucune idée de ce dans quoi tu te mêles! » Ca remontait trop loin dans l'esprit de Tyson. Ca remontait à sa fratrie – ils étaient 8 frères au total, chez les Hunters – ça remontait jusqu'à sa jeunesse dans la rue, ça remontait jusqu'à son premier deal, ça remontait jusqu'à... jusqu'à sa moëlle.

Qu'une petite inconnue de rien du tout – enfin, rien du tout, une vampire, rien que ça – vienne se mêler des histoires qui ne la regardaient pas...

Il lâcha brutalement la gorge de la vampire avant de s'essuyer grossièrement la bouche. « Et tu t'inquiètes pour ma fille pour quoi ? T'assurer qu'elle soit encore en vie afin que tu puisses la bouffer plus tard, c'est ça? » Il alla pour donner un coup de poing à la vampire, mais finis par abattre son poing dans le mur contre lequel il avait plaqué la vampire. Son poing craqua. Mais c'était tant pis. Dans sa tête, tout tournait en rond, trop vite, toujours trop vite. Et, il avait effacé de sa conscience la nature de la blondinette. Etrangement, d'ailleurs. Parce qu'il ne savait que trop bien combien les vampires pouvaient être dangereux.

Mais une chose qu'il ne savait pas par contre, c'était depuis combien de temps la petite blonde était vampire. Si c'était quelques années, elle le maîtriserait sans soucis. Si c'était quelques mois... La chose serait complètement différente...

La certitude se fit autrement plus poignante lorsqu’elle croisa son regard distant : elle aurait dû faire demi-tour et s’enfuir sans demander son reste. C’aurait été plus simple, plus raisonnable, plus réfléchi... Moins douloureux pour l’humain ? Une nouvelle vague de remords l’assaillit. La culpabilité la faisait s’enfoncer un peu plus, agir de façon stupide : quel réconfort pensait-elle pouvoir apporter au géant ? Il était ridicule de sa part de vouloir l’aider en quoique ce soit... Il était un parfait inconnu, elle l’avait saigné une fois, les avait abandonnés lui et sa fille dans une mare de sang. A partir de là, ne plus leur faire face aurait été la meilleure des solutions, pour enterrer cette histoire, reprendre le cours normal des choses. Mais non, Grace avait voulu tout remettre sur le tapis, égoïstement, parce qu’elle n’avait pas la conscience tranquille. Alors quand il avait fait un pas vers elle, elle n’avait pas bougé, à peine une expression inquiète. Quand il l’avait saisie à la gorge, elle n’avait pas tenté de se défaire de sa poigne, malgré un hoquet de surprise et une inquiétude sourde au creux de son estomac. Elle l’acceptait sans broncher, c’était là la punition qu’elle méritait, le juste retour des choses en quelque sorte. Elle était vampire et par conséquent, elle représentait une menace pour la famille Hunter.

Les doigts autour de sa gorge se resserèrent et bientôt ses pieds ne touchèrent plus le sol, poids plume que le colosse soulevait sans effort. Comme Tyson l’avait prévu, Grace ne suffoqua pas, souffrit simplement de cette main qui appuyait sur sa gorge et de la brûlure de son regard, qu’elle ne pouvait malheureusement pas ignorer. Elle sentait son souffle chaud, sa respiration accélérée par la rage, sa force de géant malgré son statut de vampire : en cet instant précis, elle n’était qu’une jeune femme perdue, appeurée par la masse de colère qui la tenait au piège. Il suffisait qu’il se saisisse d’un bout de bois, et elle était finie. Mais non, à la place, il lui avait lancé une autre phrase pleine de rage en plein visage, avant de la relâcher. Nouvelle salve d’accusation, Grace se tassa un peu plus sur elle-même, soutenant difficilement le regard du bonhomme. Elle était un monstre, un animal sauvage soumis à des pulsions meurtrières, sacerdoce de tout vampire ?
Lorsqu’il arma son bras, elle ne fit encore rien pour l’en empêcher, se punissait encore d’avoir fait le pas de trop vers lui : elle se protégea à peine le visage de ses mains dans l’attente d’un coup qui ne vint pas, ouvrit doucement les yeux pour réaliser que, dans un bruit horrible, il avait préféré planter son poing dans le mur. Pourquoi ? L’émotion qu’elle croyait pourtant réservée aux humains –et cette odeur de sang frais ?- la submergea tandis qu’elle faisait face au titan, malgré la peur encore bien présente. En ouvrant la bouche, elle risquait encore d’aggraver son cas. Mais elle ne pouvait plus se taire, malgré les tressaillements de sa voix et les tremblements qui couraient dans ses doigts, sa nuque.

« Je ne veux bouffer personne. C’était un accident, jamais j’ai voulu vous faire du mal. Ni à toi, ni à elle, ni... A personne. »

Les mots sonnaient mal malgré toute la sincérité qu’elle y mettait. Aucune expression, aucune tournure ne pouvait traduire son mal être sans qu’elle ne donne l’impression de se poser en martyr, d’implorer sa pitié. Ce qu’elle voulait, c’était simplement lui faire comprendre à quel point elle était désolée. Et de cette frustration étaient nées deux larmes de sang, sur lesquelles elle passa une main qui ne fit que barbouiller ses joues de rouge. Paraître forte, au moins le temps des explications qui pourtant s’embrouillaient.

« T’as raison, ce sont pas mes affaires, j’ai rien à faire dans cette histoire et pourtant, je... Ta façon de la protéger, et ce que je vous ai fait... Je suis désolée. »

Ne rien ajouter pour ne pas avoir l’air de se donner des excuses : elle avait cédé à l’appel du sang, aurait pu s’en empêcher. Son « désolée » paraissait terriblement maigre. N’y avait-il pas de mot plus fort pour exprimer ce qu’elle ressentait ?
Honteuse, Grace avait légèrement baissé la tête, incapable de faire face à ces yeux électriques plus longtemps. Car pendant quelques secondes, elle avait pensé à l’hypnotiser pour mieux lui faire tout oublier et disparaître discrètement.

Mais.. ! Elle était complètement stupide ou quoi ? Elle ne voulait bouffer personne ?! ELLE SE FOUTAIT DE SA GUEULE OU QUOI ? Dans un élan de rage il la rattrapa à la gorge et se colla à elle, plaquant son torse contre celui de la jeune fille, avant de la bloquer par le bras et non pas la main, se servant de son bras comme d'une barre de fer pour bloquer sa respiration et la tirer vers le haut. Vous avez déjà tenté de vous faire soulever par la gorge ? Non ? Je ne vous le souhaite absolument pas.

Et en plus, maintenant elle chialait. Parfait ! Absolument parfait ! Il avait à faire à un pauvre petit bébé qui avait besoin de pleurer pour se sentir mieux. Mais c'était quoi ce monde, bordel ?! En raffermissant son bras contre la gorge de la vampire, il passa son pouce libre sur les traces de sang, sans appuyer, et essuya les larmes sur la chemise de la vampire. Par respect ? Surtout pas. Juste parce qu'elle devait avoir honte de pleurer. C'était elle qui était en faute ! Et pleurait ne changerait pas du tout le fait qu'elle l'avait saigné devant sa fille ! Elle n'avait qu'à réfléchir avant d'agir.

Et elle était désolée, c'est ça ? Elle était désolée ? Il appuya encore plus sur la gorge, se contre fichant de l'effet non létal que ça aurait sur la vampire, et la forçant à le regarder, il reprit la parole, pour cracher un « Tu sais que t'es pathétique? » Puis il ramena sa main libre jusqu'au visage de Grace pour appuyer sur ses joues et la forcer à ouvrir la bouche, rien que pour la martyriser encore plus. Il ne réfléchissait plus, agissait de pulsion en pulsion. Et ça allait finir mal, que ça soit lui ou Grace, mais l'un d'entre eux allait finir par exploser pour de vrai et pour de bon. Alors, il se forçait à appuyer sur les joues de la vampire pour la forcer à montrer ses crocs.

« La prochaine fois, tu vas tuer quelqu'un et tu diras que c'était un accident encore, hein ? Bande de salauds que vous êtes! » Il lâcha brutalement le visage de la vampire, sans pour autant se reculer. Il reprit la parole. « Vous avez le droit de tuer, de vous défendre en disant que c'était un accident, et ça passe, mais nous, non, quand on veut se défendre et sauver sa peau, quand on tue, on finit en taule et on perd des années de sa vie. »

Ca devenait du gros n'importe quoi, dans la tête de Tyson. Du gros n'importe quoi. Une espèce de soupe aux pois, comme si d'un seul coup, tout se mélangeait. Ce qui était, ne nous mentons pas, un peu le cas. Et puis, comme si d'un seul coup, quelqu'un avait appuyé sur un bouton, il se rapprocha à nouveau du visage de la baby-vamp' pour reprendre la parole. « C'est à cause des gens comme toi que j'ai toujours peur que ma fille, comme tu dis, finisse par disparaître et qu'on la retrouve trois semaines plus tard sur les bords de l'eau, le corps bouffé par les poissons. Tu te rends compte des cauchemars que vous provoquez?! »

Là, c'était la fatigue probablement. Il appuya de nouveau une fois sur la gorge de la vampire, comme si ça ne suffisait pas. Comme si, d'un seul coup, Grace était le bouc émissaire de tous les vampires de Shreveport, tous les mêmes, autant Eric que Erin, que Grace ici présente que tous les autres. C'était injuste. Et encore, c'était sans compter les métamorphes et les autres créatures complètement horribles qui menaçaient la petite. Les dealers de drogue, les institutrices viles, les serveurs pervers... tout ça, Tyson pouvait s'en occuper sans soucis. Mais quand on le mettait face à un vampire, quand on lui disait que les loup-garous existaient, quand on lui apprenait que tous les animaux qui l'entouraient étaient de possibles et probables métamorphes... Ca devenait beaucoup, et la paranoïa finissait par s'emparer de lui. Non pas qu'il ait peur pour lui. Mais Eileen était sa raison de vivre, la raison seule pour laquelle il avait tenté de tuer toute la clique de ses anciens employeurs, la seule raison pour laquelle il avait fait 18 mois de prison ferme dont 6 en isolation totale, la raison pour laquelle il avait divorcé de Daisy, la raison pour laquelle il avait tout sacrifié pour venir à Shreveport.


Si on lui prenait, Eileen, Tyson serait dévasté. Il n'avait pas peur de grand chose. La seule chose qui suffirait à le faire plier, à le dominer, à le faire se soumettre, c'était de lui prendre Eileen. Il mourrait pour elle. Il ferait tout pour la petite. Et, face aux vampires, il se sentait tellement impuissant... Oui, Eric avait juré la protection de la petite. Mais ça ne rassurait pas Tyson du tout. Après tout, Grace ne lui avait-elle pas écorché la gorge devant la petite ?! Et si elle avait sauté sur la petite plutôt que lui ? Hein ?

Tyson finit éventuellement par défaire sa poigne sur la gorge de Grace pour la laisser respirer, une chose dont elle n'avait pourtant pas besoin. Il détourna le regard, comme pour voir si l'autre imbécile de dealer à qui il avait pété le tibia était encore dans les parages, mais non, il avait disparu. Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire, hein ? Qu'est-ce qu'il pouvait faire... Rien. Il ne pouvait absolument rien faire. Et c'était ça, le problème.

Son intervention mâtinée de larmes sanguines ne fit que de mettre de l’huile sur le feu : Grace se retrouva de nouveau à quelques centimètres du sol, le bras coincé et la gorge en souffrance, entièrement dominée par sa force herculéenne. Croyait-elle vraiment pouvoir aider le tas de muscles, pensait-elle vraiment que ses intentions dignes de Laura Ingalls allaient pousser le géant à se confier, à éclater en sanglots dans ses bras ? Si William se prenait pour Dieu, alors elle était la madone. Réussir à le repousser et filer rapidement, c’était ce qui lui apparaissait comme la meilleure solution encore une fois ; n’aurait-elle pas dû se montrer à l’humain dès le début ? Crétine, imbécile, vampire à la manque ! La colère, contre elle-même, contre ses réactions stupides la faisait se rallier aux reproches qui tonnaient à quelques centimètres d’elle, et plus il crachait son venin, plus elle se sentait parfaitement... « Pathétique », oui. Elle s’était jetée dans la gueule du loup sans réfléchir avec ses arcs-en-ciels et sa robe Vichy, prête à aller porter son petit pot de beurre à sa grand-mère. Ce soir lui aurait au moins appris qu’elle ne vivait définitivement pas dans un monde de merveilles, comme le lui avait appris son père, et que désormais, elle se trouvait officiellement du mauvais côté de la barrière. La pression sur ses joues lui meurtrit la mâchoire et ses crocs se rangèrent du côté du bonhomme en sortant sans qu’elle puisse le contrôler. Malgré ses torts, malgré sa bêtise encore trop humaine, Grace sentit poindre en elle de l’injustice, l’impression qu’on ne la punissait pas seulement pour la petite, mais pour tous les torts des autres.

Les insultes continuèrent, prirent une autre tournure, confirmant ce sentiment qui grimpait au fur et à mesure : il lui infligeait cette torture pour l’ensemble des vampires, peut-être plus. Alors la colère commença à gronder, se traduisit par des sourcils qui se froncèrent, une expression moins apeurée. Le contact qu’il lui infligeait l’énervait de plus en plus, les postillons qu’il lui crachait au visage l’agaçaient lentement, mais sûrement. Elle n’était pas les vampires, se sentait insultée d’être mise au même niveau que des meurtriers purement humains, même des suceurs de sang particulièrement violents. Sa plus grande peur était justement de ne plus arriver à se contrôler, de tuer quelqu’un pour de bon : connaissait-il seulement les pulsions terribles dont elle était régulièrement la proie ? Peut-être bien, peut-être que lui aussi avait un démon qui le rongeait de l’intérieur, mais Grace était aveuglé par sa condition de vampire, par la période difficile qu’était la transformation et que les humains rendaient encore plus compliquées à vivre pour l’ancienne puritaine qu’elle était.
Puis il l’avait relâchée, prenant même le risque de regarder ailleurs alors que la vampire continuait de le fixer, puant la frustration à dix kilomètres. Parce qu’on l’accusait de tous les maux du monde, qu’il ne comprenait pas, qu’elle voulait simplement l’aider, tout remettre en ordre, et vivre une vie normale... Chose impossible pour les bestioles nocturnes dans son genre ; elle sentait que quelque part, Tyson était loin d’être le plus terrible.

« C’est bon, ou tu as aussi quelques catastrophes naturelles à me refiler sur le dos ? »

Cette fois, elle ne se laisserait plus prendre par sa colère, était prête à bondir si jamais il tentait de la saisir à nouveau par la gorge. Remontée, énervée, lasse, frustrée : tout ce qu’elle voulait, malgré cette pique qu’elle n’avait pu empêcher, c’était couper court à leur conversation, partir sans demander son reste. Car discuter plus aurait été assurer une explosion mutuelle, comme en témoignait ses crocs toujours bien présents.

« C’est la dernière fois que tu me vois. Je t’oublie dès que j’ai tourné le dos. »

Elle esquissa un mouvement pour filer, le lâcha finalement des yeux. Dernier au revoir ?

Il valait peut-être mieux la laisser partir, non ? Peut-être que l'idéal serait de la laisser filer et d'aller se calmer dans la voiture, de conduire un peu jusqu'au marais, ou jusqu'au bord de l'eau. Il serait bien plus sûr de rester seul. Car si jamais Tyson finissait par réellement exploser – non, là, avec Grace, il était encore plus ou moins conscient de ses actes, quand il faisait une crise de trouble explosif intermittent, c'était réellement du tous aux abris, hein – il valait mieux pour lui que ça soit contre un mur ou un rocher. Des fois on se demande comment un homme comme Tyson fait pour être un père comme il l'est pour Eileen, parce que des fois, il est grandement probable que la question n'ait pas de réponse, tout simplement.

Parce que Tyson était un énergumène au passé tourmenté et qui faisait du mieux qu'il le pouvait pour se soigner un tant soit peu de ses problèmes. Lorsque Grace lui demanda s'il avait quelques catastrophes naturelles à lui mettre sur les épaules, il se passa la main sur le visage, prenant conscience de ce qu'il venait de lui dire, de lui cracher au visage. Elle n'y pouvait rien, en réalité, elle n'était qu'une petite vampire, elle n'avait probablement même pas encore appris comment hypnotiser les gens. Et il la traîtait en bouc émissaire de sa race. C'était du gros n'importe quoi. Tyson devrait s'en prendre aux vampires comme Eric pour ce genre d'accusations, et non pas à Grace. Tant pis. Il osa lui lancer un regard, voyant qu'il l'avait forcée à sortir les crocs, et là, ça le toucha profondément. Il était complètement cinglé de s'en prendre à une vampire – et une vampire qui l'avait déjà saigné, devant sa propre fille. Non, il valait réellement mieux la laisser partir.

Et, lorsqu'elle lui tourna le dos pour filer, il n'ouvrit pas la bouche pour la retenir. Il lança un coup d'oeil au mur contre lequel la vampire avait eu le dos bloqué, et, sans réfléchir plus que ça, il balança son poing contre la brique, et le craquement qui retentit couvrit le gémissement qu'il émit. C'était sûr, ses doigts et joints avaient dû se briser sous le coup. Cependant, il réitéra le geste, puis joignit l'autre poing à la danse contre le mur. Et ne cessa que lorsqu'il se sentit calmé. Ce n'était pas un punching bag, mais au moins... Il s'était défoulé.

Et, Dieu soit loué, la vampirette ne l'avait pas dévoré, alors qu'elle aurait pu. Il lança un coup d'oeil dans la direction par laquelle elle s'était enfuie, puis il baissa le regard. Il devait absolument apprendre à se maîtriser. Sinon, Dieu sait ce qui pourrait lui arriver...