Depuis la visite rendue à Pandora quelques jours plus tôt, Tyson s’était légèrement demandé ce que ça avait fait à leur relation. Est-ce que ça l’avait améliorée ? Après tout, Pandora avait ouvert son cœur et il avait fait de son mieux pour lui remonter le moral. Aujourd’hui, il avait un jour de congé : il avait décidé de rester à la maison avec Eileen, jouer avec elle, se consacrer entièrement à la fillette. Ils avaient besoin de ce temps ensemble, entre père et fille, depuis le temps. Le temps que la petite lui raconte les rencontres à l’école, les anecdotes, et tout un tas de choses. Du vrai temps de famille, en réalité. Histoire de rattraper un tout petit peu le retard accumulé cet été, à cause du travail notamment. Mais, aujourd’hui, c’était lui et la petite. Alors, entre jouer aux playmobiles avec elle, même à la Barbie – rendez-vous compte – et les dernières lubies, il avait tout sacrifié.

Il avait même préparé son repas préféré, et lorsque la petite avait fait sa sieste, il en avait profité pour ranger les jouets du matin. Il faisait trop froid dehors pour que la fillette insiste pour sortir – nous étions en hiver, rappelons le – et du coup, ils étaient cantonnés à regarder la télévision ou à jouer. Alors qu’Eileen dormait à moitié sur le canapé, Tyson avait fini par s’asseoir à côté d’elle, en la mettant sur son ventre, alors qu’il zappait de chaîne en chaîne. La fillette attrapa le collier de Tyson et s’y accrocha, avant de se rouler en bouler. Il la rajusta afin que sa tête repose dans le creux de son cou.

Eileen finit par prendre la parole. « Papa ? Ca te manque la prison ? » Fronçant les sourcils, Tyson baissa le regard vers sa fille, avant de mettre le volume de la télévision sur muet. Il secoua la tête avant de passer sa main dans les cheveux blonds de la fillette. « Non, pas du tout. Pourquoi tu demandes ça ? »

Elle se redressa doucement, en s’asseyant sur l’une des cuisses de son père, en le fixant de ses yeux bleus interrogateurs. « Tu avais pas des amis, en prison ? » Il hocha la tête, avant de se redresser à son tour, en attrapant la petite et en la posant sur son bras, en se levant pour aller dans la cuisine prendre quelque chose à grignoter. « Oui, j’en avais, mais je ne les vois plus. » Il marqua une pause, avant d’asseoir Eileen sur le comptoir de la maison, en attrapant une tablette de chocolat qu’il brisa en deux avant d’en tendre une moitié à la fillette. « Tiens. Tu veux jouer à quoi après ? »

La fillette haussa les épaules en prenant le chocolat et le fourrant dans la bouche. Tyson se saisit de la petite et la ramena dans le salon en la posant doucement par terre. Il tira l’une des boîtes sur roues qui se cachait sous le canapé, puis il l’ouvrit. Là, une panoplie d’ours en peluches se révéla à la fillette qui en attrapa un en forme de biche, et le serra contre elle. Un sourire attendrit fit son apparition sur les lèvres de Tyson, qui mordit dans son chocolat, en vérifiant et surveillant qu’Eileen n’en mette pas partout. La fillette attrapa un ours en peluche en forme de serpent et le lança à son père. Puis, d’un seul coup, les deux Hunter firent basculer leur regard sur la porte, car on venait d’y toquer. Fronçant les sourcils, Tyson posa le reste de sa tablette de chocolat sur la table, et, en se levant, il passa ses doigts dans les cheveux de la petite qui resta accroupie sur le tapis.

Tyson se dirigea jusqu’à la porte, et l’ouvrit sans réellement vérifier l’identité de la personne qui se trouvait dehors. Il était encore tôt, en début d’après-midi, alors, il ne voyait pas trop quel danger il pouvait courir. Il entendit les pas d’Eileen, qui indiquaient qu’elle venait accueillir l’invité elle aussi. En découvrant Pandora sur le pas de la porte, il eut un grand sourire. « Ah, Pandora ! J’peux faire quelque chose pour toi ? » Il s’écarta pour laisser la légiste entrer dans la maison, et sentit Eileen lui attraper la jambe, en se cachant derrière, en fillette timide qu’elle était. Le regard bleu de la petite se posa sur la légiste, interrogateur. Elle tenait encore sa peluche en forme de biche contre elle, sous l’un de ses bras, agrippant le jean de son père de l’autre main. Passant une fois de plus sa main dans les cheveux de la fillette, Tyson eut un sourire et reprit la parole, à l’intention de Pandora : « Je sais pas si je te l’ai dit ou pas, mais voilà Eileen, ma fille. » Il donna une petite pousse dans le dos de la fillette pour l’inviter à s’avancer, mais cela n’eut comme résultat que le recul de la fillette, qui se cacha le visage derrière la peluche. Il releva le regard vers Pandora.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » La question se posait : qu’elle ait fait le déplacement jusque chez lui, il espérait que ce n’était rien de grave. Mais, normalement, c’étaient d’autres personnes qui venaient lui annoncer des mauvaises nouvelles, alors, ce que Pandora faisait là, il voulait réellement le savoir.

« Pandora. J'ai l'impression qu'il te plaît bien, le grand tas de muscles qui est venu chez toi l'autre jour, je me trompe ? » Voilà comment une aïeule morte depuis quelques dizaines d'années déjà peut se mêler de votre vie sentimentale. La légiste poussa un petit soupir et se redressa sur son canapé pour faire face à Adélaïde, sans cesser de gratter le ventre de Corail. « Ce n'est pas faux, grand-mère. Pourquoi cette question de votre part ? » La grande femme aux yeux vert vif plissa légèrement le nez, les mains croisées sur son ventre. Elle semblait mal à l'aise, ce qui était presque impossible quand on s'appelait Adélaïde Rosebury. « J'ai été interroger quelques-uns de mes... amis, dans l'au-delà, qui sont en lien avec sa famille, et je dois avouer que ce que j'ai entendu ne me réjouit pas nécessairement. Tu sais que je ne veux que ton bien, ma petite, n'est-ce pas ? » Cette fois, c'était Dora qui s'inquiétait. Et elle écouta bien sagement ce que voulait lui avouer son ancêtre. Et ça semblait drôlement important, puisque le visage de la vivante se décomposa peu à peu.

Voilà pourquoi elle se retrouvait garée devant le domicile de Tyson, ce soir-là. Elle se mordilla nerveusement la lèvre, le regard posé sur la maison de l'autre côté de la rue. Elle hésitait encore à débarquer comme ça, sans prévenir, mais elle finit par sortir de l'habitacle en arrangeant un peu ses cheveux que, pour une fois, elle avait laissés au naturel – c'est à dire qu'ils tombaient en lourdes boucles façon anglaises sur ses épaules. Elle traversa rapidement la portion de route, grimpa les trois marches du perron et donna deux coups sur le panneau de bois, l'autre main enfoncée dans la poche de son gilet, le bas du visage mangé par son épaisse écharpe en laine rouge vif. « J'espère que vous êtes dans le vrai, grand-mère, sinon je vais avoir l'air complètement stupide. » Adélaïde n'eut pas le temps de répondre puisque, déjà, la porte s'ouvrait sur un Tyson tout sourire quand il reconnut notre brunette. Celle-ci ne put s'empêcher de lui rendre son sourire. « Salut. J'espère que je dérange pas ? »

Elle finit par passer le seuil de la porte en se frottant les mains. Le temps se rafraîchissait de plus en plus, il fallait le dire, même s'ils étaient dans le sud des États-Unis. Surtout que la nuit était tombée depuis un petit moment déjà... « Je sais pas si je te l’ai dit ou pas, mais voilà Eileen, ma fille. » Pandora baissa les yeux sur l'adorable gamine blonde qui restait bien planquée derrière les jambes de son père, son regard bleu fixé quelque part au-dessus de l'épaule de la légiste. « Je crois que la petite me voit, Dora. Les enfants sont toujours plus réceptifs aux émanations surnaturelles que les adultes... » La jeune femme hocha la tête et fit signe à Eileen de s'approcher, avec un sourire doux qui contrastait de son habituel visage froid qu'elle arborait en public. Une fois que la petite se fut approchée, elle reprit la parole. « J'ai un secret pour toi. » Avec un petit clin d'œil, elle approcha sa bouche de l'oreille de la fillette pour chuchoter. « La grande dame toute pâle que tu vois derrière moi, c'est mon arrière-arrière-grand-mère Adélaïde. C'est un fantôme mais ne t'inquiète pas, elle est très gentille et elle ne te fera pas de mal, ni à ton papa. D'accord ? » Elle passa sa main dans les cheveux blonds qui lui chatouillaient le nez et posa un baiser sur son front, avant de se redresser. « Mais ça reste entre nous ! »

Enfin, seulement, son attention se reposa sur Tyson. Elle passa une main nerveuse dans ses boucles foncées, pour rejeter ses cheveux en arrière. « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » Un petit soupir passa ses lèvres. Bon sang, comment amener le sujet ? Sans rien dure sur son propre pouvoir, surtout ? Elle se mordilla la lèvre inférieure, mal à l'aise. « Est-ce qu'on pourrait parler ? Seul à seule, ce serait mieux. J'ai... enfin... C'est compliqué et on se doit chacun des explications précises, je pense. » Oui parce que bon, à bien y réfléchir, tout balancer à Tyson sans lui parler de son don de nécromancie, c'était quasiment impossible. Le contact froid de la main d'Adélaïde sur son épaule fut presque réconfortant, et elle inspira à fond pour calmer un tant soit peu son cœur un peu trop affolé à son goût. Ses yeux bleus se reposèrent ensuite sur Eileen et elle lui adressa un nouveau clin d'œil. « Je te pique ton père un moment. Après, si tu veux, on jouera toutes les deux. Rien qu'entre filles, d'accord ? » Comment ne pas craquer devant cette tête blonde ? Et, surtout, elle commençait à douter des révélations de son aïeule. Comment un homme qui semblait si attentionné avec une fillette pouvait avoir fait péter à la dynamite une maison pleine de gens et écopé de dix-huit mois de prison ferme ?

En voyant Pandora réussir à attirer Eileen jusqu’à elle, Tyson ne put réprimander un sourire qui vint se figer sur son visage. Lorsqu’il se rendit compte que Pandora murmurait quelque chose à la petite, il tendit les bras et lâcha un « Oh, un truc de filles, je vous laisse, je vous laisse… » et en profita pour fermer la porte. Il revint vers Pandora qui se tenait les bras et semblait frigorifiée. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien foutre là à cette heure ? Surtout avec le froid dehors ? Elle avait l’air tendue, en plus.

Lorsqu’elle se mordit la lèvre en demandant s’ils pouvaient se parler en seuls à seuls, Tyson fronça les sourcils. Il sentit Eileen revenir vers lui et lui agripper la main, réclamant qu’il la soulève. Il s’exécuta, en détachant son regard de Pandora, l’espace de quelques secondes. « Viens, attends, je vais te mettre Dora l’Exploratrice, d’accord ? »

Il n’avait pas spécialement réagit à la demande de Pandora, mais il lui adressa un regard signifiant qu’il écartait Eileen de la conversation. Ceci dit, la petite, bien lovée dans les bras de son père, garda son regard bleu sur la silhouette derrière Pandora. Ouais, la petite fillette voyait bel et bien les esprits, et ce n’était d’ailleurs pas la première fois. Lucrezia, possédée par une fantôme, elle l’avait déjà vue. Cette fois ci, c’était différent, pourtant. Mais, la petite ne dit rien, en se contentant d’agripper sa peluche et se laisser asseoir sur le canapé, pendant que son père branchait la télévision sur le DVD qui se trouvait dans le lecteur, pratiquement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Dora l’Exploratrice, le grand amour de la gamine. Il posa la télécommande à côté de la fillette, puis se pencha fin de lui déposer un bisou sur le front. « Tu appelles si jamais tu veux quelque chose, d’accord, chérie ? » Il lui caressa la joue, et la fillette releva un regard curieux vers le père. « Elle est drôle Pandora. » Tyson esquissa un large sourire, avant de se redresser et se passer la main dans la nuque, montrant son malaise. Qu’est-ce qui avait poussé Pandora à venir jusque là ? Il fronça les sourcils en revenant vers la cuisine.

A tous les coups, et c’était probablement la seule explication, elle avait dû taper son nom sur Google. Et là, c’était sûr et certain, elle avait dû tomber sur bien des choses. Qui n’étaient pas prêts de la rassurer. Il revint vers Pandora et tendit les bras, en se proposant de lui prendre sa veste. « Tu veux quelque chose de chaud à boire ou … ? » Il ne savait pas trop comment s’y prendre. Peut-être qu’elle avait simplement trouvé un autre collègue, ou peut-être qu’elle avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer, ils avaient retrouvé Siobhán morte, ou quelque chose dans le genre. Mais elle aurait pu appeler ? Non, il doutait que c’était peut-être autre chose. Il lança un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer qu’Eileen était encore dans le canapé. Elle s’était mise à l’aise sur les coussins et était à moitié allongée devant la télévision, en tenant sa biche en peluche contre son poitrail. Tyson ramena son regard vers Pandora, les sourcils froncés. Il croisa les bras, par simple habitude. Être dans cette position le rassurait, aussi. Il avait l’habitude de se tenir comme ça.

« Quelque chose ne va pas ? » Il préféra engager la conversation de la sorte : peut-être qu’elle n’avait rien lu du tout, en fait. Peut-être qu’elle voulait juste passer parce qu’elle se sentait mal ou qu’elle avait eu un mauvais jour au travail. Après tout, elle était l’une de celles qui travaillait le plus à l’hôpital et à la morgue, peut-être qu’elle avait eu besoin de se changer les idées. Tyson tira un tabouret haut et le tapota pour indiquer à la légiste de s’y asseoir. Puis, il alla se placer de l’autre côté du comptoir, et s’appuya contre l’évier et posa son regard sur celui de la légiste. Elle allait bien finir par lâcher le morceau d’elle-même, non ?

Eileen émit un rire cristallin qui semblait étrangement contrasté par rapport à Pandora et Tyson. D’ailleurs, le père de la fillette se racla la gorge. Bon sang, elle voulait quoi ? Elle n’avait pas été attaquée au moins ? Ou sinon elle voulait peut-être autre chose ?

Pandora laissa Tyson s'occuper de sa fille en premier lieu – le sens des priorités changeait quand on devenait parent, mais elle devinait aussi que c'était pour mettre la fillette hors de portée de leurs voix. Adélaïde, dans le dos de la jeune femme, adressa d'ailleurs un petit signe de la main à la blondinette, un léger sourire aux lèvres. « Adorable petite. Et jolie comme un cœur, en plus de ça. » Sa descendante se contenta de lever les yeux au ciel – Adélaïde avait la mauvaise habitude de trouver tous les enfants adorables. Enfin, elle finit tout de même par retirer son gilet et son écharpe, découvrant ainsi une robe noire à manches longues passée sur une paire de collants rouge vif, particulièrement seyante qu'elle avait enfilée pour une conférence à laquelle elle avait participé le matin-même. Elle n'avait pas vraiment pris le temps de se changer, pour tout dire, et puis elle aimait particulièrement cette robe, alors... Espérons simplement que Tyson ne prenne pas ça pour une tentative de drague. Bref.

Dora se permit de passer dans la cuisine, glissant sa main trop fine le long du comptoir en bois verni. L'intérieur était décoré avec goût, elle devait avouer que ça la changeait agréablement de son appartement toujours bordélique – les seuls endroits dégagés étant le coin piano et sa chambre. Même s'il y avait un certain désordre dû à la présence d'une enfant jeune, c'était agréable. Vivant. Dieu que ça pouvait lui manquer, parfois... En effet, elle avait bien besoin d'un homme dans sa vie. Un petit soupir passa ses lèvres et elle se retourna en entendant les pas du bodyguard dans son dos. Elle lui tendit bien sagement son gilet et son écharpe. « Tu veux quelque chose de chaud à boire ou … ? » Léger hochement de tête, qui fit rebondir ses lourdes boucles brunes autour de son visage légèrement creusé par le manque de sommeil et de nourriture. C'était vrai qu'elle ne dormait ni ne mangeait assez. « Je veux bien du thé, si tu en as. » On ne change pas les habitudes chez les Anglais. Du thé, n'importe quand, n'importe où. Ca faisait partie des traditions.

« Quelque chose ne va pas ? » Ah, ça, si tu savais ! Elle se percha finalement sur le tabouret que lui avait désigné Tyson et passa une nouvelle fois ses mains dans ses cheveux bouclés, vraiment mal à l'aise. Trouver un moyen d'aborder le sujet, maintenant... « Dora, ma petite, peu importe le moyen mais fais-le ! Sinon c'est moi qui le ferai. » Adélaïde se tenait toujours aussi droite dans sa robe à col haut, installée à la droite de Tyson, le menton fièrement relevé. Sa descendante lui renvoya un regard noir. « Grand-mère Adélaïde, j'apprécierais que vous me laissiez faire, maintenant – pas que je n'apprécie pas votre aide mais... » Elle s'interrompit en interceptant le regard étrange que lui renvoyait Tyson. Oh putain de bordel de merde. Elle se prit la tête entre les mains. Pandora Rosebury, sombre idiote ! « J'ai parlé à voix haute. Pour l'amour de Dieu, il a donc fallu que je fasse une erreur aussi stupide... » Elle se serait refilé des claques, pour la peine. Un petit gémissement désespéré lui échappa. « Bon, Tyson, écoute, t'auras tes explications plus tard sur le pourquoi du comment mais... Est-ce que c'est vrai, que tu as fait de la prison ? Et par pitié n'essaie pas d'échapper à la question parce que sinon, je fais un malheur, d'accord ? »

Lorsque la belle lui demanda du thé, Tyson se retourna vers l’un des placards et ouvrit l’un des battants, en tirant un paquet de thé classique. Sans répondre ou lancer de regard à Pandora, il remplit la bouilloire d’eau et la plaça sur le système qui permettrait de faire chauffer l’eau. Pour sa part, il ne buvait pas de thé, mais en gardait toujours à la maison – Eileen adorait le thé glacé. Alors, tant qu’à faire… Lorsqu’il se retourna en attendant que l’eau bouille et qu’il lui demanda ce qu’il se passait, la légiste eut une réaction tout à fait singulière.

Elle parla à … hein ? Tyson fronça les sourcils, pas certain de comprendre. Adélaïde ? Hein ? Elle parlait à qui là ? Y avait personne qui s’appelait Adélaïde là, dans la maison ? Il lança un coup d’œil autour de lui, mais ne vit strictement rien. Cependant, elle s’arrêta presque aussitôt et se reprit immédiatement. Et puis, comme il l’avait un peu redouté, elle revint sur ses paroles : des explications plus tard, d’accord mais… « Est-ce que c'est vrai, que tu as fait de la prison ? Et par pitié n'essaie pas d'échapper à la question parce que sinon, je fais un malheur, d'accord ? » Tyson soupira longuement en croisant les bras. Il baissa le regard, comme s’il avait honte. Mais non, il n’allait absolument pas esquiver la question, elle devait avoir ses raisons pour lui poser la question cash comme ça. Même s’il devait se l’avouer que l’histoire de l’Adélaïde ça l’avait un peu choqué quand même. Il ne releva pas le regard, continua d’observer ses pieds, les bras croisés à niveau du poitrail. Il répondit néanmoins assez rapidement : « Ouais, j’ai fait de la prison. J’ai pris 10 ans, à la base, mais je suis resté que 18 mois – un an et demi – parce que j’ai coopéré avec les forces de l’ordre après avoir passé mes 6 premiers mois en isolation. » Là seulement il releva le regard, un petit air de défi scintillant dans son regard. Non pas qu’il provoquait Pandora à la bagarre, simplement il voulait savoir si elle allait oser lui porter son passé de taulard devant le nez. Il avait purgé sa peine, il avait pris pour plus de 10 ans, mais c’était déjà ça qu’il n’ait fait que 18 mois au total. Il porta l’une de ses mains aux lèvres et se mordit l’ongle du pouce, avant de reprendre, en demandant « Si tu me poses cette question, tu dois déjà savoir pourquoi j’ai fait de la prison, non ? » Il lança un coup d’œil à Eileen, toujours occupée à regarder Dora l’Exploratrice. Il ramena son regard sur Pandora.

Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir lui dire, hein ? Il avait pris 10 ans – et déjà, c’était parce qu’il avait fait appel des 20 qu’il devait prendre à la base – mais il n’était resté que très peu de temps, au final, parce qu’il avait livré tous les employés du drug lord pour lequel il travaillait à la police. Et encore, il avait été mis sous le service de protection des témoins, ce qui l’avait entravé, et, une fois la procédure de divorce bouclée, il avait pris la fuite de Minneapolis jusqu’ici, à Shreveport. Le plus au Sud possible. Avec Eileen dans les bagages.

« J’suis désolé, Pandora. Si tu t’imaginais que j’étais un mec parfait, t’as eu tort sur bien des points. » Quoi, parce qu’il avait fait péter une maison à la dynamite, une maison qui contenait femmes et enfants en plus d’hommes, d’amis, de collègues ? Parce qu’il avait coupé les freins d’une voiture qui avait fini sa course dans l’un des grands lacs glacés en plein hiver, enfermant les passagers dans un mur de glace ? Parce qu’il avait tenté de tuer plusieurs personnes en sang froid parce qu’elles avaient échappé à l’explosion ? Ouais non.

Ce n’était pas parce qu’il était un papa poule maintenant que Tyson avait toujours été l’exemple modèle du mec parfait. Il en était encore loin, d’ailleurs. Dieu seul sait ce que Pandora savait encore à son sujet : est-ce qu’elle savait qu’il avait servi de go-fast, c'est-à-dire transporteur de drogue et d’autre choses ? Est-ce qu’elle savait qu’il avait été l’un des gorilles au service d’un homme de force, un de ceux qui démontent la porte d’entrée et réclamait l’argent impayé en brisant les bras ? Un de ceux qui traumatisaient les femmes dans l’espoir de se faire du plaisir ? Il espérait que non. Mais quelque chose lui disait qu’elle en savait bien plus qu’elle ne le laissait paraître.

Une chanson dans Dora l’Exploratrice rompit le silence, et il entendit la petite voix d’Eileen chanter en synchronisation avec la télévision. Il baissa à nouveau le regard. Est-ce que Pandora savait pourquoi il avait divorcé ? Que sa femme était une addict au Vi alors qu’elle avait une gosse sur les bras ? Que Tyson avait été déshérité et renié du clan des Hunter à 15 ans ? Est-ce qu’elle savait quel rôle il avait endossé en prison, en devenant l’un de ceux qui tient les nouveaux arrivant par la peau du coup ? La loi du bâton et de la dent, c’était la seule règle qui régissait les cours de prison. Est-ce qu’elle savait tout ça ?

Les souvenirs frappèrent le père de famille de plein fouet, et il serra les poings. Il avait tenté d’enterrer ce passé, mais apparemment, on ne le lâcherait pas avec. Et le pire ? Est-ce que Pandora savait qu’il avait fait ses 18 mois de prison à la prison Sing Sing ? L’une des dernières prisons à la sécurité maximum des Etats-Unis ? Il espérait, même il PRIAIT pour qu’elle n’ait pas creusé ses recherches plus que ça. Elle allait le prendre pour un psychopathe. Et, entre nous. N’était-ce pas ce qu’il était, en réalité ? Avec une gamine de 3 ans pour cacher toutes les horreurs qu’il avait bien pu perpétrer ?

« Ouais, j’ai fait de la prison. J’ai pris 10 ans, à la base, mais je suis resté que 18 mois – un an et demi – parce que j’ai coopéré avec les forces de l’ordre après avoir passé mes 6 premiers mois en isolation. » Un gémissement désespéré échappa à Pandora. Elle laissa tomber sa tête entre ses bras croisés sur le comptoir, fourragea un moment dans ses boucles brunes, mais finit par se redresser avec un petit soupir de déception. « Et merde, j'ai perdu mon pari. » Elle avait effectivement parié avec Adélaïde que ses informations seraient fausses. Du coup, elle devrait passer sa prochaine journée de repos avec l'aïeule – laquelle, d'ailleurs, faisait une sorte de danse de la joie particulièrement étrange et déplacée, vu son âge. Son regard bleu se reposa sur le visage de Tyson. « Si tu me poses cette question, tu dois déjà savoir pourquoi j’ai fait de la prison, non ? » En guise de réponse, elle se contenta de hocher la tête. Oui, Adélaïde avait été parfaitement bien informée des délits perpétrés par le bodyguard. « Impliqué dans un réseau de trafic de drogues, meurtres et tentatives de meurtres... J'ai eu un bon moyen d'information. » Elle haussa les épaules. Merci mamie.

« J’suis désolé, Pandora. Si tu t’imaginais que j’étais un mec parfait, t’as eu tort sur bien des points. » La légiste écarquilla les yeux, mais retint difficilement le gloussement nerveux qui lui montait aux lèvres. « Personne n'est parfait, Tyson ! Je ne suis pas naïve. » Elle avait l'impression de se retrouver face à Kyle, d'un seul coup. Elle secoua la tête, laissant ainsi ses cheveux bouclés rebondir comme des ressorts sur ses épaules. « Tu avais tes raisons. Je ne vais pas dire que c'était juste de faire ça, ou je ne sais quoi, enfin... Merde, t'es quand même allé en taule pour ça ! » Elle se rongea l'ongle de l'index. Elle n'avait jamais été douée avec les mots. Elle n'arrivait pas à mettre en forme le fond de sa pensée et ça l'agaçait. « Ce que je veux dire c'est que tu devrais pas te laisser bouffer par ça. D'accord, t'as fait des sales trucs, t'as passé du temps à Sing Sing – sois pas surpris, je t'ai dit que mon informateur était très bon – mais je pense que t'as eu ton compte. Sincèrement. » Un nouveau soupir passa ses lèvres.

« Personne n'est parfait. Je ne le suis pas plus que toi. » Certes, ça remontait à son enfance pour elle, mais ça ne changeait rien. Elle frotta nerveusement son épaule gauche, là où courait une longue cicatrice très fine, presque invisible si ce n'était pas sous une lumière violente. « Je te dois des explications, je le sais, mais ça risque d'être long. Pour ça, je dois te raconter à peu près toute ma vie et Dieu sait qu'il s'y est passé pas mal de choses... Tu ferais peut-être mieux d'amener la petite ici pour pouvoir t'en occuper en même temps. Pas comme si elle pourra comprendre grand-chose à l'immense bordel qu'est le passé de Pandora Rosebury, après tout. » Un sourire amer étira ses lèvres. Ah, oui, un sacré bordel que sa propre vie. Parfois elle ne s'y retrouvait pas elle-même, c'était pour dire ! Mais avant toute chose, elle sauta de son tabouret pour s'approcher de Tyson et serrer une de ses larges mains dans les siennes, qui paraissaient encore plus minuscules que d'habitude en comparaison. « Je ne sais pas ce que tu te reproches, Tyson, mais il serait temps que tu te pardonnes à toi-même, tu ne penses pas ? »

Son … pari ? Elle avait fait un pari ? Mais avec qui ?! Tyson fronça les sourcils. Déjà qu’il venait de lui répondre cash, elle s’exclamait qu’elle avait perdu un pari ?! Contre qui ? L’Adelaïde inconnue à qui elle avait parlé quelques minutes plus tôt ? Puis elle hocha la tête lorsqu’il demanda si elle savait pourquoi il avait fait de la prison. Elle en rajouta une couche. Un bon moyen d’information. Internet, non ? Il serra les mains sur le bord de l’évier, puis il finit éventuellement par se retourner. Non, le fait d’y songer, maintenant, là, alors que quelques minutes avant l’arrivée de Pandora il était en train de rire avec sa fille… Non, il ne voulait pas y penser. Lorsqu’elle mentionna ‘Sing Sing’, l’esprit de Tyson laissa dévaler tous les souvenirs de la prison : l’arrivée, menottes aux bras et aux pieds, la combinaison orange enfilée de force, puis les présentations avec les caïds, les rapports de force, les premiers combats, la première explosion de rage, six mois seuls, dans une cellule, avec comme seul contact celui des gardiens de prison, puis qu’on le relâche dans la masse… Au moins, les 6 mois de prison avaient rendu son nom connu dans la prison : les gens le laissaient paix. Dans les prisons, celui qui passe 3 mois d’isolation, il faut les laisser seuls, parce que c’est les imprévisibles.

Il baissa la tête, en courbant l’échine. Il sentait les souvenirs lui fendre la tête. Elle voulait lui expliquer sa vie à elle ? Mais il n’en avait rien à foutre à la base de la vie de la légiste ! Bordel ! Il l’entendit s’approcher, puis elle lui prit la main. « Je ne sais pas ce que tu te reproches, Tyson, mais il serait temps que tu te pardonnes à toi-même, tu ne penses pas ? » Il serra la mâchoire.

Qu’il se pardonne ? Qu’il se pardonne de quoi ? D’avoir tué des gens ? Ca il n’en avait rien à branler. Ce fut lorsque les petits pas d’Eileen lui parvinrent qu’il inspira profondément, en sentant la douleur de la séparation revenir. La fillette lui tira le pantalon et il détourna le regard, afin de poser ses yeux bleus sur la petite qui levait vers lui un regard curieux. Elle leva les bras vers son père, qui la prit délicatement dans ses bras et la serra fort. La fillette lova sa tête dans le creux du cou du père et il dû se forcer pour retenir les larmes qui tentaient pourtant d’exploser les barrières de ses yeux. Il inspira profondément, une inspiration tremblotante. Puis il reprit la parole.

« Comment tu veux que je me pardonne, Pandora ? » Il serra Eileen contre lui, et la fillette serra ses bras contre le cou de son père, sans rien dire. Ils en avaient longtemps parlé, de ça. Entre père et fille. « Ils m’ont foutu en prison le premier juillet. Eileen est née le douze. » Il baissa le regard, serrant la petite encore contre lui, de peur qu’on lui arrache soudainement. Elle avait été l’unique raison pour laquelle il avait tenu les 6 mois d’isolation ! Si on lui prenait Eileen, il deviendrait fou. Complètement fou.

« J’ai pas pu la toucher avant qu’elle ait un an et demi, Pandora. J’ai pas pu la tenir dans mes bras quand elle n’était qu’un bout de truc tout rose tout mignon. J’ai pas vu ses premiers pas. Entendu ses premiers mots. » Il baissa le visage pour fourrer son nez dans les cheveux de la petite, avant de s’accroupir pour la poser par terre et lui sourire. Il sentait les larmes revenir. Il se releva, alors qu’Eileen s’accrochait à l’une de ses jambes en fixant Adélaïde de ses yeux perçants. « Comment tu veux que je me pardonne que la première fois qu’elle ait vu son père, c’était à travers une vitre blindée, et que la seule chose qu’elle ait pu faire c’était poser sa main à plat contre la vitre pour que je la mette de mon côté, à plat, aussi ? Que la première fois que j’ai entendu sa voix, c’était à travers une espèce de téléphone pourri ? »

Et, cette fois ci, alors qu’Eileen serrait son étreinte autour de la jambe de son père, il dut lutter une fois pour cracher le morceau : « Qu’elle ait grandi avec une mère accro au Vi parce qu’elle a pas trouvé d’autre échappatoire ? »

C’était ça le pire. Que Daisy ait sombré dans le Vi à la grande révélation parce qu’elle ne supportait pas l’idée d’élever Eileen seule. Qu’Eileen ait dû souffrir dès son plus jeune âge, parce que Tyson avait agi bêtement et impulsivement en espérant s’en sortir. Il secoua la tête, comme pour se rassurer que non, il ne pourrait jamais se pardonner : « J’peux pas me pardonner, Pandora. J’ai buté des gens, des femmes, des gamins même. Mais je pourrais jamais me pardonner d’avoir raté la naissance d’Eileen. Jamais. »

Il sentit une larme forcer le barrage, et, il dut l’essuyer du revers de la main, rapidement, pour éviter qu’on le voit, mais c’était trop tard. Et puis, comme pour le rendre encore plus sentimental, Eileen prit la parole en rajoutant un « Je t’aime, papa. » timide, incertain, mais qui le força à s’accrocher à l’évier et éviter de commencer à sangloter.

Ca non. Il ne se pardonnerait JAMAIS d’avoir raté les premiers 18 mois de la vie de la fillette. Jamais.

« Comment tu veux que je me pardonne, Pandora ? » C'était à son tour de parler, et la jeune femme en avait bien conscience. Elle se recula donc pour se hisser sur le comptoir, ses jambes pendant dans le vide, les sourcils froncés et l'expression grave. Tyson était une véritable énigme pour elle, et c'était le moment d'obtenir des réponses. C'était triste à dire dans un moment pareil mais son esprit de scientifique revenait au galop. « Ils m’ont foutu en prison le premier juillet. Eileen est née le douze. » Elle ne sut que répondre. Comme d'habitude, elle était à court de mots, bloquée par ce handicap qui était le sien. Elle avait toujours été incapable de parler correctement. C'était son héritage. Alors elle se contenta de baisser légèrement la tête, mal à l'aise, ses boucles brunes obscurcissant sa vue. « J’ai pas pu la toucher avant qu’elle ait un an et demi, Pandora. J’ai pas pu la tenir dans mes bras quand elle n’était qu’un bout de truc tout rose tout mignon. J’ai pas vu ses premiers pas. Entendu ses premiers mots. » Elle sentit à peine Adélaïde se rapprocher d'elle et poser une main sur son genou en guise de soutien. Il était vrai que les mots de Tyson trouvaient un écho douloureux en elle, même si sa propre situation était bien éloignée de celle du bodyguard.

« Comment tu veux que je me pardonne que la première fois qu’elle ait vu son père, c’était à travers une vitre blindée, et que la seule chose qu’elle ait pu faire c’était poser sa main à plat contre la vitre pour que je la mette de mon côté, à plat, aussi ? Que la première fois que j’ai entendu sa voix, c’était à travers une espèce de téléphone pourri ? Qu’elle ait grandi avec une mère accro au Vi parce qu’elle a pas trouvé d’autre échappatoire ? » Au travers de ses mèches de cheveux, Pandora vit son aïeule se mordiller la lèvre, réflexe dont elle avait hérité. Elle était mal à l'aise, elle savait qu'elle s'était profondément trompée au sujet de Tyson. « Il faut croire que je faisais fausse route, ma petite. Prends soin de lui, il en a plus que besoin, j'ai l'impression. » La jeune femme n'eut pas le temps de la retenir que déjà, elle s'évaporait doucement pour rejoindre l'ailleurs. Son attention fut de nouveau attirée par le mastodonte, qui reprenait la parole d'une voix un peu trop mal assurée à son goût. « J’peux pas me pardonner, Pandora. J’ai buté des gens, des femmes, des gamins même. Mais je pourrais jamais me pardonner d’avoir raté la naissance d’Eileen. Jamais. »

Dora laissa échapper un petit soupir. C'était à elle de jouer le rôle de l'épaule sur laquelle pleurer, maintenant ? Bah, sûrement un juste retour des choses, après l'autre jour où elle s'était permis de craquer comme une gamine. Elle sauta de son perchoir et, doucement, elle souleva Eileen du sol pour l'installer à sa place avec un petit clin d'œil. « Je m'en occupe. » Ce fut seulement une fois ceci fait qu'elle s'empara des mains du bodyguard pour leur faire lâcher leur prise sur le bord de l'évier et l'obliger à s'installer sur un tabouret. « Inspire à fond, grand. Prends le temps de te calmer d'abord. » Elle prit ensuite le temps de lui servir une bonne tasse de thé brûlant avec une cuillère de miel et, enfin, elle passa ses bras autour de son cou et l'attira contre elle, calant sa tête à la naissance de sa poitrine. Maternelle. « Ce qui compte c'est qu'elle soit ici et maintenant avec son père qui l'aime. Je me doute bien que tu t'en veux de l'avoir laissée avec une addict du Vi pendant un an et demi, mais... » Elle s'interrompit d'elle-même, poussa un petit soupir tout en frottant doucement le dos du géant de sa petite main fine. « Pense plutôt au jour présent. Aujourd'hui, c'est toi qui t'occupe d'elle. Pas sa mère. Et je pense pouvoir affirmer que tu es un bon père, sinon je doute qu'elle serait venue te voir aussi naturellement pour te dire qu'elle t'aime. »

Eileen sentait qu’on parlait d’elle, alors elle fronça les sourcils en serrant sa peluche en forme de Bambi. Elle se laissa soulever par Pandora et laissa ses jambes pendre dans le vide, tout en fixant son père, dont les mains serraient le bord de l’évier. Elle ne s’en souvenait pas vraiment des premières fois à la prison. Mais elle savait que son père l’aimait beaucoup. Ce fut d’ailleurs au moment où Pandora le força à lâcher l’évier que Tyson parvint à se calmer en inspirant un bon coup. Il baissa le regard, fixant la limite entre le meuble et le par terre. Un truc palpable. Loin de ses souvenirs. Il se mordit la lèvre, serra les poings. Il fallait absolument qu’il se calme. Il releva le regard vers Eileen qui avait calé sa tête contre celle de sa peluche et qui lui souriait. Oh, la fillette savait que son père luttait lui aussi. A trois ans, la petite savait bien des choses.

Il sentit ensuite la main de Pandora se glisser dans sa nuque, et elle le força à s’asseoir sur un tabouret. Elle lui baissa la tête pour qu’il sente son front toucher la gorge de Pandora. Il garda les yeux fermés l’espace de quelques secondes, le temps qu’elle le réconforte. « Et je pense pouvoir affirmer que tu es un bon père, sinon je doute qu'elle serait venue te voir aussi naturellement pour te dire qu'elle t'aime. » Il eut un petit rictus. Un peu défaitiste. Il releva le regard vers Pandora en prenant la tasse qu’elle lui offrait.

Décidément. Elle était venue demander des réponses, elle les avait eues. Il se racla la gorge et en gardant son regard posé sur Eileen, il prit la parole : « T’es vraiment optimiste, Dora. » Il porta la tasse à ses lèvres, et peu lui importait qu’il se brûle. Il fronça les sourcils. Du miel ? Pas bête.

Il soupira doucement en se reprenant peu à peu. Pandora s’était lâchée l’autre jour en s’endormant contre lui au final, il venait de se lâcher. Un partout, non ? Il eut un regard timide vers la légiste. « C’est qui Adélaïde ? »

Boum. Quoi de mieux pour renverser la situation, non ? Il avait lâché ça, comme ça, préférant ne pas enchaîner sur autre chose en rapport avec son passé difficile. Il lança un coup d’œil à Eileen qui avait porté une main à la bouche, presque choquée qu’il pose la question, et il pivota son regard d’Eileen à Pandora en fronçant les sourcils. Ca y est, Tyson reprenait un peu du poil de la bête.

« Parce que j’suis à peu près sûr qu’on soit que tous les trois dans la cuisine. » Bon, une chose déjà : pas d’écureuil dans les parages, DONC pas de Siobhán – non parce que Eileen avait adopté un écureuil au parc qui par hasard se trouvait être la métamorphe qui avait raté sa transformation et s’était retrouvée nue sur Tyson et lui avait foutu la peur de sa vie. Donc, il ne comprenait pas réellement d’où elle avait parlé d’une Adélaïde.

Il regarda Pandora avec un regard interrogateur. Il ne voulait absolument pas revenir sur son passé de taulard : si elle voulait des infos, elle avait internet et vu qu’elle avait une bonne source d’après ses propres dires, elle pouvait aller demander à celle-ci. Eileen se balança en avant, histoire de faire un sourire à son père. Puis elle laissa la peluche reposer sur ses cuisses pendant qu’elle regardait Pandora, comme si elle lui exigeait le droit de dire à son père qui était cette Adélaïde qu’il ne semblait pas voir. D’ailleurs, la fillette s’était étonnée de voir la vieille dame disparaître, mais elle n’avait pas réagi, préférant vérifier que son père ne finisse pas par pleurer. Parce que pour elle, son père, c’était le plus fort ! Et il n’y avait aucun doute dans son esprit à ce sujet, d’ailleurs. Demandez lui, cash. La fille de Tyson se redressa doucement, et tapa des talons contre le comptoir, comme pour montrer son impatience…

Pour parachever sa phase « je réconforte le géant », Pandora lui plaqua un magnifique baiser sur la joue, qui laissa d'ailleurs une légère trace rouge – vestige du maquillage qu'elle portait depuis le matin. Elle prit ensuite le temps de se servir une tasse de thé à son tour. « T’es vraiment optimiste, Dora. » Un sourire amusé étira les lèvres de la légiste. « T'es bien le premier à me dire ça. Et ce n'est pas de l'optimisme, simplement une constatation. Tu l'aimes et tu veux le meilleur pour elle, n'est-ce pas ? C'est ça qui fait de toi un bon père. » Elle lui adressa un petit sourire plus doux cette fois, tout en portant sa propre tasse à ses lèvres. « C’est qui Adélaïde ? » A la question, elle avala de travers et faillit s'étouffer. Mais elle se contenta de partir dans une quinte de toux particulièrement impressionnante pour une femme aussi mince qu'elle. A croire qu'elle allait finir par cracher ses poumons sur le sol. « Parce que j’suis à peu près sûr qu’on soit que tous les trois dans la cuisine. » Bon, c'était le moment des explications apparemment... La jeune femme inspira à fond, les mains bien serrées sur sa tasse.

« Adélaïde Rosebury est mon arrière-arrière-grand-mère. Elle est née en... Euh... » Elle fronça les sourcils. Voyons, rapide calcul mental... « Elle est née en 1866. Et elle est décédée en 1940, pendant la Seconde Guerre Mondiale. » Elle s'interrompit un moment, laissant le temps à Tyson de digérer l'information. Elle ne fit pas attention au regard réprobateur d'Eileen qui semblait lui en vouloir de lui avoir volé la vedette. A la place, elle s'adossa au comptoir, le regard perdu dans le vague. Amener le sujet épineux. « Je ne suis pas... normale, Tyson. Je ne descends même pas d'une famille normale. J'ai des... gènes, ou je ne sais quoi, qui font de moi une sorcière. Une nécromancienne, plus précisément. » Avec un petit soupir, elle commença à expliquer de façon plus exacte ce dont elle était capable, à grands renforts de gestes. Elle n'était jamais à l'aise pour parler de son don. Elle en avait trop souffert durant son enfance.

« Pour le moment je peux... voir les fantômes des personnes décédées, les envoyer dans l'ailleurs ou les en tirer pour parler avec eux. Je suis aussi capable de les toucher. » Pandora reprit une petite gorgée de son thé, la tête basse, ses yeux trop clairs fixés sur la poignée de la porte du four. « J'ai découvert ce don quand j'avais neuf ans – un soir, j'ai vu le fantôme de ma mère au pied de mon lit... Comme pour les autres je parlais toute seule, j'ai vite été considérée comme la tarée de l'école et on m'a souvent cherché des noises à cause de ça. Une fois, j'ai voulu me venger. J'ai appelé un esprit violent, qui a massacré trois de mes camarades avant que mon père réussisse à le maîtriser et à le renvoyer là où il était... Depuis, je passe mon temps à travailler. » Le travail... A croire qu'elle n'était vouée qu'à ça. Dora se mordilla légèrement la lèvre inférieure et leva le visage vers le plafond, laissant ainsi ses lourdes boucles brunes cascader le long de sa colonne vertébrale.

« J'aurais préféré... tu sais. Être juste normale. Il arrive que le don de sorcellerie saute une génération dans les vieilles familles de sorciers comme la mienne. Manque de bol, j'ai hérité d'un pouvoir assez compliqué à gérer. Je suis totalement incapable de me couper du monde des morts et j'ai parfois... beaucoup de mal à dissocier les deux faces du voile. » Elle haussa vaguement les épaules, un léger sourire aux lèvres, mi amusé mi douloureux. Être obligé de vivre à cheval entre deux mondes était particulièrement éprouvant, certains jours. « Sans compter les ancêtres ultra protecteurs qui viennent te visiter n'importe quand. Comme Adélaïde. C'est elle qui m'a... donné toutes ces informations à ton sujet. Elle était inquiète pour moi. » Faites qu'il ne demande pas pourquoi, surtout. Parce que là, elle serait juste incapable de lui mentir, et elle se voyait très mal lui dire qu'il lui plaisait un peu beaucoup.

Il ne voulait que le bien de sa fille ? Ouais, peut-être. Au point de faire péter les gens à la dynamite. Ce qui, apparemment, n'avait pas eu l'air de choquer Pandora plus que ça, d'ailleurs. Enfin. Il se contenta de soupirer longuement en sirotant le thé, et en regardant Eileen et Pandora qui semblaient complices à propos de cette même Adélaïde si mystérieuse. D'ailleurs, la question manqua de faire étouffer Pandora, et Tyson hésita à se lever et lui donner des coups dans le dos. Quand elle se calma d'elle même, il se contenta de l'observer et l'écouter.

Ce qu'elle annonça ensuite le fit hausser les sourcils, le visage exprimant parfaitement l'expression 'what the fuck ?'. Il ne comprenait pas trop. Si la femme était morte en 1944, elle... hein ? Une sorcière ? Nécromancienne ? Et vas-y que le monde du surnaturel n'arrêtait pas de s'incruster chez lui ! Entre les vampires – bon, ça, ça allait – et les métamorphes et les loups, voilà maintenant qu'il y avait des sorciers ? Bon sang de bonsoir. Quelle horreur. L'aveu qu'elle fit ensuite le fit se redresser, avant qu'il ne lance un coup d’œil à Eileen, qui elle semblait au courant, puisqu'elle souriait simplement. Puis, il songea aux films d'horreur : en général, les enfants voyaient mieux les esprits que les adultes. Elle avait peut-être dû voir ladite Adélaïde ? Il adressa un regard interrogateur à la fillette, qui détourna le visage toute fière d'avoir été au courant avant son père.

Puis elle ajouta la raison du pourquoi. L'ancêtre était inquiète pour elle ? Pourquoi ? Il se pinça les lèvres, peu impressionné – il ne se souciait plus trop de qui était quoi à présent : « J'vois pas pourquoi elle s'inquiéterait, c'est pas comme si on était proches plus que ça.. » Il termina sa tasse de thé avant de se lever et alla attraper Eileen sous les aisselles et la colla contre son torse, en l'asseyant sur son bras.

« Et toi t'étais au courant avant moi que Pandora elle avait des fantômes qui la suivait, vilaine. » Il lui pinça légèrement le nez, avant de poser son regard sur la légiste. La fillette prit la parole : « J'ai vu Adélaïde quand tu as ouvert la porte, tout à l'heure. Elle est jolie. » Eileen porta les mains sur les oreilles de son père et colla son front contre celui de son père avant de se reculer brutalement, en manquant de chuter, avant de basculer vers Pandora, tendant les bras vers la légiste, la réclamant pour elle.

« Vous avez fini de parler maintenant ? Tu as dis que tu allais jouer avec moi quand vous aviez fini de parler! » Tyson se rapprocha de quelques pas de Pandora afin qu'elle puisse attraper Eileen sans trop de mal.

« T'es pressée, Eileen. Tu veux lui montrer quoi, tes jouets, tes peluches, tes jeux? » Parce que de tous les objets que possédait la petite, il y avait de tout. Absolument de TOUT.

En réalité, il n'avait pas réagi plus que ça vis à vis du don de sorcellerie de Pandora – parce que il y avait Eileen. Il n'allait pas lui demander ce qu'elle pouvait faire devant une gamine de 3 ans qui avait peur de presque tout ce qu'elle voyait, non ? Pas la peine de lui donner des cauchemars...

Apparemment, Tyson ne semblait pas plus choqué que ça par l'aveu de Pandora. Tant mieux, dans un sens, ça lui évitait toute la passade « mais non je suis pas folle mais oui les sorciers existent » qui était plus qu'agaçante. Non, tout ce que le bodyguard trouva à dire fut « J'vois pas pourquoi elle s'inquiéterait, c'est pas comme si on était proches plus que ça.. » Cette remarque amena un petit sourire vaguement déçu sur le visage de la jeune femme, qui baissa presque immédiatement la tête sur sa tasse de thé quasiment vide, le bout de son escarpin faisant de petits ronds sur le sol. « Ouais. On peut pas vraiment... dire qu'on est proches... » Elle vida son thé d'un trait pour reprendre contenance. Ouais, parce que bon, la brunette aimerait bien qu'ils soient un peu plus proches, il faut le dire... Mais ça ne dépendait pas que d'elle. Un nouveau sourire, plus doux cette fois, étira ses lèvres à la remarque d'Eileen au sujet de son aïeule. « Je lui dirai que tu la trouves jolie, ça lui fera plaisir. En tout cas, grand-mère Adélaïde te trouve adorable. » Et il fallait le dire, la petite était vraiment adorable. A croquer.

Joli tableau de famille. Elle avait envie d'une famille, d'un seul coup, la sienne rien qu'à elle, avec un mari, des enfants, une grande maison et un chien. Cliché, me direz-vous, mais pour le moment... C'était à peu près la seule chose à laquelle elle pouvait penser. Tout ça lui rappelait son enfance à Manchester. Jusqu'à ce que la famille quitte l'Angleterre pour Shreveport. Son pays natal lui manquait soudain, et elle se fit la promesse d'y retourner avant le mois de juin. Pourquoi pas avec Tyson et la petite ? C'était pas comme si elle avait beaucoup de gens à qui demander... Hormis Jeremy... Mais il semblait avoir bien trop de problèmes avec la meute pour penser à voyager. « Vous avez fini de parler maintenant ? Tu as dis que tu allais jouer avec moi quand vous aviez fini de parler! »

Ce fut la petite voix aiguë d'Eileen qui la tira de ses rêveries. Adroitement, elle la récupéra dans ses bras pour bien la caler contre sa hanche (ben, Dora n'était pas aussi grande ni aussi musclée que son père, faut bien compenser) et passer une main douce dans ses cheveux blonds. « On peut y aller, blondinette ! Voyons ce qu'on pourrait bien faire avec tes jouets ! » Et pendant qu'Eileen babillait pour faire la liste de tout ce qu'elle possédait, le regard bleu pâle de Pandora se reporta sur le visage du père. « Profites-en pour t'occuper de toi. Un bon bain bien chaud, y'a rien de mieux. Je m'occupe de ta fille... Et je t'expliquerai toute cette histoire en détail plus tard, d'accord ? » Un dernier sourire et, tout en discutant activement avec la petite, elle disparut à l'étage.