clap your hands if you believe !... or not.

L'appartement était glacial. Un frisson violent traversa le dos de Pandora, qui se recroquevilla un peu plus sous sa couette. Elle savait pourtant que la tristesse avait tendance à attirer plus facilement les fantômes. Et que beaucoup de fantômes à un même endroit rendaient l'atmosphère particulièrement froide. Comme à ce moment. Elle referma les yeux, mal à l'aise. Elle pouvait presque sentir les regards scrutateurs des esprits sur la boule qui déformait la couette. Sa patience était mise à rude épreuve. Tant et si bien qu'elle finit par éclater. « Dégagez, tous autant que vous êtes, putain ! » La voix froide et méprisante de la nécromancienne fit son effet et, bien vite, son appartement fut déserté de toute silhouette vaguement transparente, ce qui lui fit pousser un soupir de soulagement. Elle se laissa lourdement tomber sur le dos. Un ronronnement et le frottement doux d'une petite tête surmontée de deux oreilles pointues contre sa joue attira son attention. « Hey, salut Corail... Tu dois désespérer de voir ta maîtresse déprimer comme ça, non ? » L'animal, un magnifique chat siamois femelle, poussa un petit miaulement et se roula en boule contre le cou de la légiste qui eut un petit reniflement piteux. Ses yeux gonflés lui faisaient mal.

Tout avait commencé ce fameux soir à l'hôpital où Tyson avait eu la bonne idée de lui réclamer un câlin, qu'elle avait fini par lui accorder. Mauvaise, très mauvaise idée. Elle n'avait pas déprécié ce câlin, bien au contraire, mais les bras du mastodonte lui avaient un peu trop rappelés ceux de son père et, depuis trois jours, elle était prise d'une vague de mélancolie profonde qui avait viré en véritable crise de larmes la veille. Elle avait pris sa journée, passé tout son après-midi à vider ses pots de glace et autres fonds de Nutella, avant d'aller se planquer sous sa couette, tout ça sous le regard perçant des fantômes qui avaient débarqué, attirés par sa tristesse comme des mouches par un tas de fumier. Elle n'avait quasiment pas dormi, basculant entre des phases de somnolence peuplées de rêves plus étranges les uns que les autres et des réveils en sursaut, trempée de sueur et des larmes sur les joues. Elle n'avait pas voulu appeler Declan. Elle savait qu'il était trop occupé avec son boulot et son mariage approchant.

Mariage... Son grand frère allait se marier. Ca aussi, ça l'attristait. Oh, elle était heureuse pour son frère, évidemment, sans compter que sa fiancée était absolument adorable, mais ça lui renvoyait en pleine face sa propre solitude. Elle était la dernière de la famille à être seule dans sa vie. Abby était mariée depuis cinq ans déjà, et Hazel filait le parfait amour avec son cher et tendre depuis presque dix ans. Elle, à vingt-huit ans, elle n'avait qu'un plan fesses régulier en la présence de Charles et un jeunot de trois ans son cadet qui voulait à tout prix la mettre dans son lit, sans plus. Merveilleux. Encore une fois, elle renifla et retint tant bien que mal les larmes qui pointaient le bout de leur nez humide. Du calme, Dora. Elle frotta son visage des deux mains. Pas le moment de pleurer.

La nécromancienne sursauta violemment et faillit tomber de son lit quand le bruit strident de la sonnette de sa porte d'entrée résonna. Elle laissa échapper une flopée de jurons particulièrement vulgaires, souffla d'agacement et, tout en passant une main dans ses longs cheveux bruns emmêlés, elle décida d'aller ouvrir la porte. Si c'était encore son voisin de pallier qui venait la faire chier pour savoir si tout allait bien, elle le tuerait. Ce fut donc d'une voix agressive qu'elle balança, tout en ouvrant la porte : « Ecoute-moi bien, Harvey, je vais PARFAITEMENT bien donc... » Elle s'interrompit d'elle-même, passa une main fatiguée sur son visage aux yeux rouges et cernés. Merde. « Tyson. Qu'est-ce que tu fiches ici ? » C'était bien le grand tas de muscles aux magnifiques yeux clairs qui se tenait dans l'encadrement de sa porte. Elle ne l'avait pas vu depuis qu'elle lui avait fait ses soins.

C'était étrange. Dans un sens, Tyson se sentait content d'avoir eu un câlin de la part de Pandora, et en même temps, il se sentait coupable, et pour une raison qu'il ignorait, il était sûr et certain que le câlin qu'il avait donné à la légiste l'avait chamboulée. Il avait commencé à y réfléchir alors qu'il jouait avec Eileen dans le salon, et, ce ne fut que lorsqu'il la déposa à la garderie qu'il se posa des questions. Il ferait mieux d'aller voir comment se portait Pandora, non ? Il décida donc d'aller jusqu'à l'hôpital, voir si elle était de service. On lui répondit que non, elle était à la morgue. Il alla donc jusqu'à la morgue, mais là on lui répondit que ça faisait trois jours qu'on n'avait pas vu la légiste, et que ça commençait à faire un peu beaucoup.

Cela poussa Tyson à réfléchir. Qu'est-ce qu'il avait bien pu faire, hein ? Rien de mal, espérait-il. Il demanda donc à la collègue de Pandora son adresse. Il irait voir comment elle se portait, et qu'elle ne soit pas morte dans son appartement, pour Dieu seul sait quelle raison. Il mit quelques minutes à trouver la bonne route, et, en quelques minutes de plus, il trouva l'immeuble dans lequel elle vivait. Il passa la porte, après avoir garé la voiture, puis il monta des quelques étages qui menaient à celui de la légiste. Il ne croisa pas une mouche dans les couloirs, et c'était silencieux comme pas possible. Ce ne fut qu'au dernier moment qu'une vieille dame sortit avec ses poubelles, qu'il dû s'écarter pour la laisser passer, avec un grand sourire. Il finit par trouver l'appartement, et, contrairement à ce qu'il pensait, il y avait bel et bien une sonnette.

Il appuya donc son pouce dessus en regardant autour de lui, pour se familiariser avec l'environnement. Ca changeait de la maison qu'il louait pour lui et Eileen, en réalité. Un appartement, c'était une chose qu'il détestait par dessus tout – à avoir grandi à 8 gamins dans un appartement destiné à une famille de 4, ça marque forcément un peu. Il s'appuya contre l'un des pans de la porte, en attendant qu'on lui ouvre. Lorsque la porte s'ouvrit, ce fut une voix enrouée et une agression sonore qui l'accueillit, et, haussant les sourcils, il attendit que Pandora se rende compte à qui elle parlait. Il en profita pour vérifier son attirail – un pyjama qui consistait en un t-shirt trop petit et un pantalon trop grand. Ah ben, pour une fois qu'il ne la voyait pas sous une blouse blanche. Et, niveau pyjama, elle était déjà plus habillée que lui – il dormait en général soit dans un short, soit simplement en caleçon. Pas de t-shirt, non. Il avait trop chaud sinon. Lorsqu'elle lâcha son « Tyson. Qu'est-ce que tu fiches ici ? » le bodyguard haussa un sourcil.

« Je viens vérifier que tu es encore vivante. Tu m'as inquiété l'autre soir, tu sais. » Il se redressa, et lança un coup d'oeil dans le couloir, personne. Puis il focalisa son regard sur la légiste, avant de reprendre la parole, doucement.

« T'as les yeux gonflés, on dirait Eileen après un cauchemar. Tu étais pas en train de pleurer, au moins? » Et ça y est, Tyson qui passait en mode papa poule – oui, non, parce qu'une fille qui pleure, pour Tyson, c'est la pire chose qui existe au monde. Et, les yeux enflés de la légiste la trahissaient : elle avait pleuré. Pour un père, c'était sûr et certain. Et, elle n'allait pas avoir le droit de lui claquer la porte au nez, puisqu'il avait subtilement avancé son pied dans le chemin de ladite porte, donc si elle claquait, elle claquerait sur ledit pied. Tant qu'à faire, hein, autant faire le boulot à fond. D'autant plus que les collègues de la légiste avaient un peu peur pour elle. Et, Tyson aussi se faisait du souci pour Pandora.

Raison de plus de rester, donc. Il reprit la parole. « T'es pas allée au boulot, ils s'inquiètent pour toi. » Si, si. Même une anglaise à la langue bien pendue, ça finissait par manquer aux gens. Il avait encore les points de suture à l'arcade – en trois jours, ça aurait été trop rapide – alors, donc, du coup... Il haussa les sourcils, dans le genre de regard qui signifie qu'elle n'avait pas intérêt à tenter de lui mentir. Tyson avait un sixième sens depuis qu'il était le seul parent d'Eileen, qu'il avait divorcé de Daisy. Et, dans le cas présent, il s'agissait d'une bonne amie. Comme quoi, aller identifier des cadavres, ça peut servir pour se faire des amis. Enfin, dans le cas présent, une amie. Peut-être qu'elle avait des soucis amoureux ? Il se ferait un plaisir d'aller casser la gueule à un pauvre gamin qui aurait fait du mal au cœur de la légiste. Ce dont il doutait, elle ne semblait pas du genre à se laisser avoir par une amourette masculine. Ca devait être plus profond, c'était obligé.

« Je viens vérifier que tu es encore vivante. Tu m'as inquiété l'autre soir, tu sais. » Wow. Pour une fois que quelqu'un s'inquiétait pour elle... Bon, d'accord, Pandora était ingrate pour le coup. Son père s'était toujours bien occupé d'elle, son frère et ses sœurs aussi. Même s'ils s'étaient tous éloignés les uns des autres au fil des ans. « T'as les yeux gonflés, on dirait Eileen après un cauchemar. Tu étais pas en train de pleurer, au moins? » Elle faillit bien lui claquer la porte au nez. Mais bon... Il avait pris la peine de venir la voir alors qu'ils ne se connaissaient finalement pas tant que ça. Elle ne pouvait décemment pas simplement refermer la porte et l'envoyer paître. Un pauvre sourire étira ses lèvres, bien loin de ceux qu'elle lui adressait habituellement. « C'est si visible que ça ? Rentre, reste pas sur le paillasson. » Elle en profita pour attraper Corail qui tentait de se carapater dans le couloir et cala l'animal contre sa poitrine, tout en refermant la porte du pied, une fois que Tyson fut rentré. « Désolée pour le bordel... Ca fait trois jours que je comate dans mon canapé ou au fond de mon lit, j'ai pas pris le temps de ranger. » Et pour cause, des bouteilles vides – pour la plupart, de l'alcool fort – et divers pots de glace tout aussi vides traînaient ça et là dans le salon, allant même jusqu'à envahir le piano qui trônait près de la baie vitrée. Elle se frotta les yeux, frissonna violemment puisque l'appartement était encore victime du froid. Corail poussa un petit miaulement plaintif. « Ca va, toi, je vais te faire ta gamelle, t'excite pas. »

« T'es pas allée au boulot, ils s'inquiètent pour toi. » La bouteille que Dora avait attrapée s'écrasa par terre. « Fait chier putain de bordel de merde sa mère la pute. » Autant dire que si elle se mettait à jurer autant, c'était qu'elle n'était pas de bonne humeur. Elle se baissa pour ramasser rapidement les morceaux de verre avant que quelqu'un – elle, en l'occurrence, elle était la seule pieds nus – ne se blesse. Une expression amère habitait son visage. « Il s'inquiètent surtout parce que je suis la seule à bosser trois cent soixante-cinq jours par an sans me plaindre. Je suis la seule à rester quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l'hôpital, et ils en profitent bien, cette bande d'hypocrite de mes deux ! » Un long soupir passa ses lèvres et elle fourra les mains dans sa crinière brune pleine de nœuds, le regard fuyant, ses iris bleu glace assombris par un voile mélancolique. Un sourire dur ourla ses lèvres. « Ca fait trois putains d'années que je bosse comme une acharnée, sans prendre de vacances, à faire parfois plus de cent heures par semaine. J'peux pas me plaindre, j'aime mon boulot, mais en trois ans les seules conversations que j'ai avec cette bande de trous du cul se restreignent à un domaine purement professionnel et maintenant, ils sont inquiets pour moi ? Laisse-moi rire. » Trois ans déjà... Elle secoua la tête. L'hypocrisie du monde n'avait pas tant changé. Elle préférait encore le mépris d'Eric et Ducan, au moins il était sincère.

« Désolée de t'avoir inquiété, sinon. C'était pas volontaire. » A grands coups de fourchette, elle écrasa la pâtée pour chats qu'elle venait de verser dans une petite assiette et plaça le tout sur le comptoir de la cuisine, juste sous le nez de Corail qui se désintéressa immédiatement des deux humains. « C'est juste que... Je sais pas... T'as les mêmes bras que mon père. Enfin... Je sais pas trop comment m'expliquer. Mon père était agriculteur tu vois, donc il était taillé comme un catcheur, un peu comme toi, il était aussi grand... Et il était pas vraiment du genre à câliner ses gosses. On n'est pas vraiment du genre tactiles dans la famille, comme Maman est morte quand j'étais petite, c'est Papa qui nous a élevés tout seul et... Il était bourru, taciturne, plutôt du genre à nous envoyer paître quand on voulait un peu de réconfort, tu vois ? Alors les rares fois où il m'a prise dans ses bras, je les gardes précieusement et... J'ai eu l'impression de me retrouver dans la peau d'une gosse de six ans dans les bras de son père, l'autre soir. » Dora gratta doucement le siamois entre les oreilles, puis prit une inspiration tremblante. C'était sans doute la première fois qu'elle parlait autant de sa famille à Tyson. Elle aurait aimé que ça se passe autrement. Sans elle en train de pleurer comme une gamine. « Il me manque. Ca fait trois ans mais il me manque. »

Lorsque la légiste lui ouvrit la porte et l'invita à rentrer, Tyson lança un coup d'oeil au minou qui semblait vouloir prendre la fuite mais qui se retrouva coincé contre la poitrine de la belle. Pas rangé ? Si elle voyait le bordel que foutait Eileen en quelques minutes et que Tyson mettait plusieurs semaines à ranger, elle pouvait aller se coucher sans soucis. On dit souvent que les hommes qui vivent seuls sont incapables de faire la vaisselle, laver le linge et ranger, faire le ménage, mais c'était faux, archi faux même : Tyson le faisait très bien. Bon, d'accord, s'il ne le faisait pas, Eileen risquait gros et il préférait qu'elle grandisse en apprenant la propreté. De toute façon, elle avait vécu dans un appartement pourri avec sa mère suffisamment longtemps.

Cependant, lorsqu'elle lâcha la bouteille par terre, Tyson se pencha pour attraper les plus gros bouts de verre et les poser sur l'un des meubles de l'entrée, avant de – sans demander son avis à la légiste – la soulever par les genoux et sous les aisselles, à la manière d'une princesse. Elle était pieds nus, hors de question qu'elle se coupe, il allait s'en occuper. Elle lui raconta sa vie pendant qu'il la ramenait vers le canapé : trois ans ? Il eut un petit sourire en coin. Si on remontait le temps de trois années dans sa vie à lui, ça serait son entrée en prison, après le passage au tribunal et la sentence à plusieurs années. Si on remontait le temps de trois années, Eileen n'existait que dans le ventre de Daisy et Tyson venait de tuer en sang froid une petite dizaine de personnes. Bah. Si on remontait de trois ans, on ne savait même pas que les vampires existaient!

Lorsqu'elle parla d'acharnement professionnel, il haussa un sourcil. Il connaissait : il bossait de l'aube au crépuscule pour Eric, et ça, 7 jours sur 7, tant qu'il ne demandait pas de vacances. Et avec Eileen, ça lui faisait plus ou moins un jour toutes les deux semaines, mais pas plus. Rythme de dingue, mais qui diminuait, maintenant que l'hiver arrivait : les jours raccourcissaient, ce qui signifiait moins de travail pour Tyson. Puis, lorsqu'il la déposa sur le canapé, elle enchaîna.

Taillé comme un catcheur ? Comme son père ? Il s'assit à côté de la légiste, en fixant ses mains et serrant les poings. Il n'y avait jamais pensé, taillé comme un catcheur. C'était pas mal comme description, et il le prenait comme un compliment – toutes les soirées catch qu'il passait avec Scott à gueuler sur la télévision... ! Lorsqu'il vit une larme perler sur la joue de la jeune femme, il se redressa, et alla attraper un mouchoir dans l'une des boîtes qui jonchaient le sol avant de revenir se placer face à Pandora, assis sur la petite table de salon et lui passa délicatement le mouchoir sur la joue, un regard inquiet.

« Eh, t'es pas seule, tu sais, Pandora. Tu as de la chance d'avoir un père qui s'occupait de toi, et faut pas que tu t'arrêtes là dessus. » Pour Tyson, l'histoire était différente. Sa mère l'avait renié très tôt – entrer dans le deal de drogue à 11 ans, ça fait mal – puis son père avait fini par le déshériter à 15 ans et l'envoyer paître dans la rue de Minneapolis. Les 11 premières années, c'était la bagarre avec ses 7 frères – Trent, John, Kyle, Liam, Mike, André et Glen – et puis sinon... Oui, elle avait eu de la chance d'avoir une famille qui semblait s'occuper d'elle, un tant soit peu.

« Je suis désolé si mes bras ont fait ça... C'était pas voulu. » Un petit sourire timide qui vint s'installer sur ses lèvres montrèrent que Tyson cherchait à faire apparaître un sourire sur le visage de la légiste. Il lui tendit finalement un second mouchoir avant de lancer un coup d'oeil à l'appartement, où gisaient bouteilles et papiers de bonbons. Quel foutoir ! Il adressa un regard à Pandora, avant de reprendre : « Tu veux que je t'aide à ranger tout ça, ça va te changer les idées. Je te sors après, si tu veux, d'accord ? J'suis en voiture, on peut aller où tu veux. »

Il lui donna un petit coup dans l'épaule pour la remotiver. Il n'aimait pas la voir comme ça – surtout pas elle en plus : c'était une des femmes les plus fortes qu'il avait vu de toute sa vie ! Et, ça, c'était dire pas mal de choses...

Voilà qu'il se permettait de la soulever façon princesse, maintenant ! En temps normal, Pandora aurait certainement bataillé pour descendre de l'étreinte ferme du mastodonte, quitte à lui refiler des coups qui ne lui auraient sans doute pas fait mal. Mais elle était trop déprimée et fatiguée pour essayer de se débattre, et surtout Tyson lui offrait une épaule solide. Elle se permit d'ailleurs de laisser tomber sa tête juste au creux que formait la jonction entre le cou et l'épaule avec un petit soupir. Et, tout naturellement, elle se mit à parler de son père. Il était vrai qu'au niveau du physique, le bodyguard lui rappelait vraiment son père, mais son caractère était radicalement différent, et ce n'était peut-être pas plus mal... « Eh, t'es pas seule, tu sais, Pandora. Tu as de la chance d'avoir un père qui s'occupait de toi, et faut pas que tu t'arrêtes là dessus. » Elle eut un pauvre sourire mais le laissa bien sagement s'occuper d'elle. C'était plutôt agréable, en un sens. « Je sais... Je sais que j'ai eu de la chance. Je veux dire, même si ma mère est morte depuis longtemps et que mon père n'a pas été toujours des plus présents, au moins j'avais une famille... C'est juste... Au jour d'aujourd'hui, mes deux parents sont partis et j'ai l'impression de perdre ma fratrie. Ils sont tous un peu trop occupés avec leurs propres familles... Entre Declan qui va se marier, Abby qui vient de tomber enceinte et Hazel qui veut faire le tour du monde avec son cher et tendre... » Elle s'interrompit d'elle-même, les joues d'un beau rouge vif. De la honte. « Je suis vraiment égoïste. » Elle n'avait pas le droit de leur demander d'être présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre juste pour sa petite personne. Elle se mordit violemment la lèvre, jusqu'à ce que le sang perle et coule le long de son menton. Ca faisait mal, en plus.

« Je suis désolé si mes bras ont fait ça... C'était pas voulu. » Dora sourit plus franchement cette fois et secoua la tête, tout en acceptant bien sagement le mouchoir qu'il lui tendait pour tamponner d'abord ses joues, puis sa lèvre sanglante. Il s'excusait, en plus... « C'est pas de ta faute. J'suis un peu trop émotive ces derniers jours... » Elle releva ses grands yeux bleus cerclés de rouge vers son visage pour l'observer avec attention, la tête légèrement penchée sur le côté. « Tu veux que je t'aide à ranger tout ça, ça va te changer les idées. Je te sors après, si tu veux, d'accord ? J'suis en voiture, on peut aller où tu veux. » Elle fit un petit non de la tête, le nez froncé, une petite moue d'enfant sur les lèvres. « J'ai une meilleure idée. On range, je commande chinois et on passe toute l'après-midi à regarder des sketches d'humoristes à la télé. J'ai pas la tête à aller faire du shopping, et j'ai franchement une trop sale tête pour sortir. Sérieusement, t'as vu ? On dirait un vampire dans ses mauvais jours. »

Soudain, prise d'une inspiration subite, elle se pencha en avant pour lui coller un énorme baiser sur la joue. C'était la moindre des choses. Il avait pris la peine de venir la voir et il s'occupait d'elle pour lui rendre le sourire. Peu de gens en auraient fait autant, c'était le moins qu'on puisse dire, et elle appréciait le geste à sa juste valeur. Finalement, elle lui donna un petit coup sur la cuisse. « Tu veux me faire plaisir ? Enlève-moi ce t-shirt, là. Rassure-toi, je vais pas te violer, ni te disséquer vivant, d'accord ? » Encore heureux ! Plus sérieusement, Pandora supposait une musculature impressionnante sous la peau du papa poule. C'était l'occasion de vérifier ça...

Au moins elle avait une famille ? Il trouvait ça drôle, qu’elle dise ça. Au moins elle avait une famille. Lui aussi, il avait trouvé une figure paternelle. Peut-être pas la meilleure, mais au moins, il avait eu quelqu’un qui lui servait de père et qui lui avait appris la bagarre et la vengeance. Mais c’était vrai, de ce qu’il comprenait de Pandora, elle avait peur d’affronter la vie seule. Pourtant, elle allait bien devoir s’y faire, non ? Il lui adressa un petit sourire lorsqu’elle se qualifia elle-même d’égoïste. Si elle était égoïste, qu’est ce que ça faisait de Tyson ? Il avait fait péter la maison de son ancien patron et père par procuration à la dynamite et avait mordu la poussière en allant en prison sur un coup de tête alors qu’il avait une fille qui allait naître et qu’il était marié : c’était plus que de l’égoïsme là. C’était du narcissisme pur et dur. Alors, si Pandora ne voulait pas que les autres s’en aille, il trouvait ça logique. Lui, il avait raté les 18 premiers mois de la vie d’Eileen, n’avait pas vu ses premiers pas. Enfin si. A travers une vitre de prison, des fois. Quand elle posait sa petite main contre la vitre, et qu’elle le regardait de ses petits yeux bleus, sans comprendre pourquoi elle ne pouvait pas toucher son père… Le fait d’y songer créa une boule dans la gorge de Tyson, qu’il se dépêcha de détruire en toussant un petit coup. Mal à l’aise. Repenser au visage d’Eileen, si incompréhensif, qui réclamait le contact de son père. Ca lui rappelait des mauvais souvenirs, la prison. Elle lâcha ensuite qu’elle était trop émotive. Il haussa un sourcil. Il aurait voulu lui lâcher un ‘tu as tes règles ?’ mais il songea que ça ferait mal, étant donné les circonstances.

Lorsqu’il lui proposa de la sortir, elle fit non. Un vampire dans ses mauvais jours ? Il haussa un sourcil, dubitatif : « Nah, je suis pas d’accord. T’es pire qu’un vampire dans ses mauvais jours, Dora. » Il lui adressa un clin d’œil, il se voulait taquin. Mais il était d’accord pour le chinois, de toute façon, Eileen était dehors pour la journée. « Yep, chinois alors. On peut aussi mater le NASCAR ou le Basketball, non ? » Comment ça, c’était typiquement masculin ? Il préférait regarder du sport et crier aux athlètes d’aller à gauche bien qu’il ne les entende pas. Mais si Dora voulait se plier de rire devant un humoriste, pourquoi pas.

Elle enchaîna avec un bisou sur la joue. Surpris, Tyson se redressa et fronça les sourcils, genre ‘non mais c’était quoi ça ?’ avant de se rajuster, coudes posés sur ses cuisses. La demande qu’elle lui adressa le surprit encore plus : enlever son t-shirt ? Non mais elle était voyeuse celle là ! Franchement ! Cependant, il en voyait pas pourquoi il ne s’exécuterait pas, alors il se leva, et, empoignant son t-shirt au niveau du col, il le retira nonchalamment, avant de le balancer sur la table.

« D’habitude j’aurais pris ta demande bizarrement, mais là franchement, si quelqu’un doit violer quelqu’un, ça serait plutôt moi. » Il plia l’un de ses bras pour gonfler son biceps, avant de lui adresser un sourire coquin. Le fait d’avoir enlevé son t-shirt révélait aussi ses nombreux tatouages – 50 heures passées chez le tatoueur, quand même, si ce n’était pas de la passion ça – et il fronça les sourcils en se passant les mains sur les bras, comme si d’un seul coup il se sentait mis à nu. Bah, techniquement… Torse nu dans l’appartement d’une femme en pleine crise de larmes… Tu m’étonnes.

« Maintenant dis moi pourquoi je devais enlever mon t-shirt ? » Il se pencha en avant pour attraper une des bouteilles vides qui gisait au sol, afin de la poser sur la table. Non pas qu’il ait particulièrement peur de la légiste, mais en réalité, il se demandait exactement ce qu’elle avait espéré de le voir se déshabiller de la sorte. Et, vu qu’elle lui avait demandé, est-ce qu’il avait le droit de lui demander d’enlever son débardeur de toute façon trop petit ? Nah, c’était pas bien ça. En plus, profiter d’elle dans son état. Il préféra attraper deux autres bouteilles et les poser sur la table à leur tour. Il sentit son collier se décoller de son poitrail, mais il ne le retint pas. Avec la plaque militaire qui s’y trouvait accrochée, ça donnait un style. En sachant que sur cette plaque militaire se trouvait la date de mariage avec son ex-femme, ça faisait perdre le style. Ouais non, divorcé, mais il conservait quand même cette babiole. Toujours pas tourné la page ? Pas réellement, non. Mais il essayait du mieux qu’il le pouvait.

« Nah, je suis pas d’accord. T’es pire qu’un vampire dans ses mauvais jours, Dora. » La légiste lui renvoya un regard faussement outré, les sourcils froncés et une moue vexée aux lèvres. Et ben niveau tact, c'était pas encore ça, hein ! Mais finalement, elle préférait ça à une réponse dégoulinante d'hypocrisie. « Merci beaucoup, Tyson Hunter, j'apprécie le compliment ! » En guise de réponse à son clin d'œil, elle lui tira la langue, avant de proposer un programme tout à fait simple : bouffe asiatique et après-midi devant la télé. Pas mal, non ? D'ailleurs le bodyguard semblait parfaitement d'accord. « Yep, chinois alors. On peut aussi mater le NASCAR ou le Basketball, non ? » Elle fronça les sourcils. « Me semble que y'a du baseball cet après midi. Les Mariners de Seattle contre les Red Sox de Boston ! » Mais avant toute chose... Elle se pencha pour plaquer un baiser sur sa joue et esquissa un léger sourire en guise de réponse à son regard intrigué. Ensuite, elle lui demanda de retirer son t-shirt. A sa grande surprise, il s'exécuta sans protester, et la jeune femme pencha la tête sur le côté, les sourcils légèrement froncés.

« D’habitude j’aurais pris ta demande bizarrement, mais là franchement, si quelqu’un doit violer quelqu’un, ça serait plutôt moi. » Pandora remonta son regard couleur glace sur le visage de Tyson et lui sourit paisiblement. « T'oserais pas. Jolis tatouages, au fait, je te l'avais jamais dit je crois. » Elle finit par se lever pour se rapprocher de lui et s'accroupit entre ses jambes, l'air totalement fascinée par la musculature qu'il portait, il fallait le dire, divinement bien. « Maintenant dis moi pourquoi je devais enlever mon t-shirt ? » Elle se mordilla la lèvre, ses petites mains aux ongles rongées glissant déjà sur le bras droit du mastodonte, ses sourcils froncés lui donnant un air particulièrement professionnel. « Je crois que je n'ai jamais vu une musculature aussi impressionnante. On peut voir le moindre de tes muscles directement sous la peau... Pas une once de graisse... » Son index retraça le contour d'un de ses tatouages, doucement, un effleurement digne d'une plume. « Ce qui fait de toi mon meilleur sujet anatomique encore en vie. »

Ses mains fines s'égarèrent finalement sur son torse, lentement, avec un certain respect, retraçant la ligne des pectoraux, tout en murmurant de façon quasi inaudible le nom de chaque muscle sur lequel elle tombait. Mais sa drôle de transe finit par se briser quand elle arriva au niveau de la ceinture et elle piqua un fard monstrueux, la tête rentrée dans les épaules. « Désolée. J'ai tendance à... enfin... à trop penser au boulot. Bref. » Elle se racla nerveusement la gorge, le temps pour elle de reprendre contenance, et un petit sourire taquin étira ses lèvres. « Si tu me demandes de faire la même chose, je ne crierai pas à la perversité, hm. » Pour tout dire, le concept de pudeur ne la branchait pas trop, et elle avait tendance à parler tout haut de sujets plus qu'intimes, alors bon. Autant dire les choses telles qu'elles sont, non ?

Du baseball, eh ? Il haussa un sourcil, le bodyguard, avant de lancer un coup d’oeil à la television. Mouais, il préférait regarder du football américain alors. Ou du NASCAR. Le baseball, c’était bof. Mais bon, si Pandora voulait mater du baseball, il la laisserait faire. Lorsqu’il se fut déshabillé – enfin, débarrassé de son t-shirt – elle lui lâcha un compliment sur les tatouages, et il ne put s’empêcher d’avoir un sourire satisfait. C’était pas tous les jours qu’on lui disait ça, et du coup, ça lui faisait plaisir que ça vienne d’une légiste. Lorsqu’il lui demanda de lui expliquer pourquoi il avait dû se mettre plus ou moins à nu, la voir s’approcher et passer ses doigts sur son bras, Tyson releva la tête un peu gêné. Non, il avait l’habitude qu’on le tâte de la sorte et ça ne le gênait pas. Mais ce qu’elle lui raconta sur le coup : « Je crois que je n'ai jamais vu une musculature aussi impressionnante. On peut voir le moindre de tes muscles directement sous la peau... Pas une once de graisse. […] Ce qui fait de toi mon meilleur sujet anatomique encore en vie. »

Ah, c’était une sorte de commentaire qu’il prenait comme un compliment. Jamais vu un truc aussi impressionnant ? Impressionnant ? Nah, il n’était pas impressionnant. Enfin, il ne se trouvait plus très impressionnant, puisqu’il avait été maîtrisé par des vampires. Il se sentait un peu blessé dans son orgueil. D’habitude, ses 111 kilos et son mètre 93, ça suffisait à impressionner, mais depuis que les vampires étaient apparus, ça faisait mal à l’orgueil de se faire maîtriser par des plus petits que soit. Et le ‘encore en vie’ qu’elle lâcha lui arracha un petit rire. Encore en vie ? Ouais non, parce qu’en tant que légiste, elle pouvait tripoter les patients sans se soucier de leurs réactions, ils étaient morts.

Il baissa le regard lorsqu’elle se mit à passer son doigt sur chacun des muscles de son torse. Pectoraux, abdos, biceps, et tous les autres. Il connaissait les noms à cause des exercices de musculation, pas par curiosité anatomique. Elle, elle avait dû apprendre tous ces muscles par cœur dans ses études. Lorsque la main de la légiste toucha la ceinture de Tyson, néanmoins il eut un petit mouvement qui marqua sa petite gêne – ouais, fin non, mais bon – il se mordit la lèvre inférieure. Allait-elle oser aller plus bas ? Non, parce que, ses jeans cachaient très bien la taille de ses cuisses, il ne fallait pas se mentir. C’était vrai quoi : ses cuisses étaient énormes.

Puis elle s’excusa en retirant sa main. Trop penser au boulot ? Alors il devait être un sujet d’étude, mais il n’était pas mort. Pffff. Puis elle lui lâcha un commentaire : faire la même chose ? Hein ? Elle venait de lui proposer de tripoter ses formes à elle. Il secoua la tête, pour lui signifier que non : « Nah, c’est bon merci. J’ai été marié, tu sais, je connais suffisamment l’anatomie féminine, je ne veux pas réviser. » Il lui tira la langue – et puis, de toute façon, à faire le bain à Eileen tous les soirs, il avait fini par connaître les différences sans soucis. Il se détacha de Pandora sans trop de commentaire, avant d’attraper une boîte qui traînait et d’y balancer toutes les bouteilles qu’il trouva à sa portée, avant d’aller vers l’entrée et poser la bouteille face à la porte. Il posa ses mains sur ses hanches et lança un coup d’œil à la légiste, comme pour s’assurer qu’elle avait arrêté de le mater comme ça. Non, parce qu’une fille qui vient de dire qu’elle n’allait pas le disséquer mais qui venait de le faire de façon verbale, ça l’avait foutu un peu mal à l’aise. Même si bon… Qu’on admire son corps, il aimait bien. Surtout quand c’était une femme aussi bien foutue que Pandora, il se devait de l’avouer. Il la trouvait presque aussi belle que son ex-femme, et c’était beaucoup dire.

« Tu appelles le chinois, alors ? » Ne nous égarons pas du sujet de conversation à la base : remonter le moral à Dora, et pour Tyson, cela signifiait surtout NE PAS le faire par le biais du sexe. Surtout qu’il se doutait si elle réagissait bien de façon logique et non pas de façon impulsive… Comme c’était mignon. Un homme qui se défend du sexe. D’habitude, c’est l’inverse. Si jamais Tyson se retrouve une petite amie, elle devrait le garder bien à elle, hein. Y en aura pas dix comme lui…

« Nah, c’est bon merci. J’ai été marié, tu sais, je connais suffisamment l’anatomie féminine, je ne veux pas réviser. » Marié, hein ? Nouvelle chose à ajouter dans le dossier Tyson Hunter. Pandora se sentait d'autant plus étrange, décalée. Aucune relation stable dans sa vie, que des coups d'un soir et des sexfriends, pas de gosses... Pourtant, c'était pas l'envie qui manquait. Elle aimerait bien être comme ses frère et sœurs, avoir un peu plus de stabilité dans sa vie... Un vague sourire un peu amer se dessina sur son visage et elle passa une main dans ses longues mèches brunes pour les ramener en arrière, avec un petit soupir. Finalement, elle se détourna pour faire sa part de ménage et, cinq ou dix minutes plus tard, il n'y avait plus la moindre trace de bouteilles vides dans l'appartement. Une bonne chose de faite. « Tu appelles le chinois, alors ? » Elle acquiesça en balançant les derniers papiers dans la poubelle de la cuisine. « Yep, bien sûr. »

Encore une petite demi-heure et ils étaient tous les deux affalés dans le canapé, Dora particulièrement occupée à hurler contre l'arbitre – finalement le choix de notre brunette s'était porté sur un match de football américain plutôt que du baseball. Un impressionnant assortiment de cartons de restaurant asiatique s'étalaient sur la table basse, pour la grande partie vides, et la jeune légiste bataillait avec ses nouilles aux crevettes. Comme souvent, elle s'en était mis plein la panse et elle menaçait d'exploser. Ce fut en poussant un petit soupir satisfait qu'elle abandonna sa boîte de nouilles à moitié pleine sur la table et qu'elle s'essuya rapidement la bouche, avant de se laisser aller contre le dossier du canapé. Finalement, après un petit moment d'hésitation, elle appuya sa joue contre l'épaule du bodyguard et se lova contre son flanc à la façon d'un chat, ou même à la façon d'une gamine.

« Tu sais... » Elle s'interrompit, se mordilla nerveusement la lèvre et lui jeta un petit coup d'œil, pas franchement à l'aise. Elle n'avait jamais été vraiment douée pour exprimer ses émotions, à l'image de son défunt père – et finalement de toute la famille, si on oubliait Hazel qui était une vraie pile sur pattes beaucoup plus douée avec les mots que n'importe quel autre Rosebury. « Merci, pour aujourd'hui. J'en connais pas beaucoup qui auraient fait la même chose. » Pandora poussa un petit soupir, puis se frotta les yeux du dos de la main. La fatigue commençait à se faire sentir, et puis finalement l'épaule de Tyson faisait un oreiller parfaitement convenable. Sans oublier Corail qui venait de se rouler en boule juste contre ses cuisses et ronronnait comme un vieux moteur, la berçant aussi sûrement qu'une chanson toute douce murmurée au creux de l'oreille. Personne ne lui en voudrait, si elle s'endormait... Pas vrai ?