today is not a good day to try to be with me

Il l’avait vue. Il l’avait bel et bien vue. C’était ce que Charlie n’avait cessé de ce dire tout du long qu’il avait dû marcher jusqu’à son logement. Cette nuit, en sortant de ce bar, après des jours à se demander s’il devenait fou, il l’avait vue. Neilina. Sa femme qu’il croyait morte et enterrée depuis sept ans. La première fois qu’il l’avait vue, quelques jours au par avant, il avait cru à un mirage, lui qui était ivre. Mais cette nuit, il n’avait pas bu une goutte. Cette nuit, non seulement il l’avait vue, mais il avait pu la toucher. Il l’avait même embrassée. Elle n’était pas un mirage, elle était bel et bien vivante… ou du moins aussi vivante qu’un vampire pouvait l’être. Cette réalité le choquait un peu, évidemment. Il avait passé sa vie et perdu sa famille pour défendre son pays contre ces suceurs de sang et voilà que sa femme était l’une des leurs? Oui, ça le choquait, mais pas suffisamment. Qu’elle soit vampire n’était rien comparé au bonheur de l’avoir retrouvée. De savoir qu’elle était quelque part dans cette même ville que lui et que, peut-être, il pourrait la revoir au couché du soleil.
Ce fut donc avec un sourire que Charlie s’endormit ce matin-là en posant la tête sur l’oreiller. Le brun dormit plusieurs heures et quand il ouvrit les yeux, il ne savait pas l’heure qu’il était. Tôt, tard, il savait seulement que le soleil éblouissant lui avait fait refermer les yeux tout de suite. Un poil de mal de tête dansait dans son crâne. Le manque de sommeil assurément, il s’était couché après l’aurore. Puis, il réalisa qu’on frappait à sa porte.
Qui? Quoi? Qui? Trois excellentes questions! Des questions qui n’en étaient pas. Personne qu’il connaissait dans cette ville n’oserait venir jusque chez-lui pour le déranger. On l’aurait appelé et puis c’est tout. Non, la seule personne qui était suffisamment folle, vile, diabolique et même abjecte pour faire une chose pareille, c’était …

▬ El diablo o.o

L’infâme concierge! Celle-là même qui passait sa vie dans son peignoir mauve délavé et des bigoudis sur la tête. Celle-là même qui en voulait au corps de Charlie et à ses fesses de dious. Celle-là même qui devait passer ses journées à échafauder des plans de viols. Le petite cœur d’écossais ce mit à battre très vite. Il était trop fatigué pour lutter contre cette femme. Si ça continuait comme ça, il allait finir par céder à la tentation de l’inviter à boire un verre dans son appart et de mettre du poison à rat dedans è.é
Un plan. Pas un bon plan, mais tout de même un plan! Oui, Charlie était doué pour ce genre de choses. Cependant, il fallait bien répondre à cette maudite porte un jour, non? Eh bien faire le mort était une idée somme toute séduisante, il faut bien le reconnaître. Mais Charlie était un ancien James Bond! Il n’avait pas peur des concierges nymphomanes! Il allait l’affronter et en sortir vainqueur è.é
Vraiment? é.è
Oh que oui!
… C’est vraiment obligé?
OUI è.é Soit un homme Charlie!

Un homme qui prit soin de mettre un t-shirt, cette fois-ci, avant de quitter sa chambre, les cheveux en batailles et le pli d’oreiller encore en travers de la figure, pour se diriger vers le vestibule. Ne pensant même pas à regarder à travers cette invention magnifique qu’était le judas – un jour, nous believons, Charlie pensera à apprendre de ses erreurs et se servir de cette chose – l’écossais ouvrit la porte, se frottant les yeux d’une main.

▬ Écoutez Francine, si vous voulez me violer, faites ça vite qu’on en finisse…

Mais ce n’était pas Francine la concierge. C’était Pandora la médecin légiste sexy et bavarde avec qui le brun avait l’habitude de s’amuser lorsqu’il avait envie d’une sympathique compagnie féminine. Elle représentait aussi la relation la plus stable que Charlie avait eu avec une femme depuis très longtemps même s’ils ne faisaient qu’avoir du bon temps. Était-ce un signe? Pourquoi, précisément aujourd’hui, Pandora décidait qu’elle avait envie de passer du temps avec lui? Car, en la voyant, toute cette nuit lui revenait. Les heures assis au bar à fixer un verre dont il ne but pas la moindre goute. Le moment fatidique où il s’était dit qu’il avait rêvé et où il était préférable d’abandonner. Sans oublier ce grand moment où elle était ressurgie d’entre les morts. Neilina, sa bien aimée femme trop longtemps disparue. Dieu jouait définitivement un mauvais jeu et Charlie était la petite mouche victime de ce jeu. Vous savez, celle qui se faisait arracher les ailes… ouais, c’était bel et bien Charlie =.=

▬ Dora! Qu’est-ce que tu fais ici?

Dah! Élémentaire mon cher Watson!
Oh la ferme, on essaie de gagner du temps là è.é

Pourquoi le brun portait une main à son cœur? Parce qu’il était soulagé, évidemment! Entre se faire violer par la concierge au vieux peignoir mauve délavé ou par la jeune et sexy médecin légiste, le choix était vite fait! Quoi que nous ne sommes pas certain que dans cette deuxième option le viol soit vraiment de mise… mais vous savez comme nous que la définition des mots, c’est tellement surfait de nos jours! Bref, tendant le bras pour faire signe à la jeune femme d’entrer, l’ancien soldat ferma la porte derrière elle, prenant bien soin de regarder quelques secondes à travers son judas pour s’assurer que la concierge n’était pas en embuscade derrière la porte. Il venait tout juste de la fermer non? Il savait qu’il n’y avait personne dans le couloir à l’exception de Dora, non? Un homme prit pour cible sexuelle par une concierge sans le moindre sex-appeal n’était jamais trop prudent è.é Et paranoïaque, mais laissons les bilans de santé mentale à plus tard, de toute manière l’écossais devait déjà en passer un ne serait-ce que pour savoir s’il n’avait pas sombré dans la démence. Avait-il vraiment vu sa défunte femme ou l’avait-il simplement hallucinée? Une partie de lui souhaite que la première hypothèse soit la vraie. Une autre, souhaitait que ce soit la deuxième. Dans le premier cas, ça signifiait qu’il avait perdu tout ce temps à la croire morte. Dans le second cas, ça voulait simplement dire qu’il débloquait complètement ce qui, dans les faits, ne le surprenait pas plus que ça. Avec la vie qu’il avait mené jusqu’ici, devenir maboule serait une finalité en soit.

Ce dirigeant dans la cuisine, Charlie écouta la raison qui amenait Dora chez-lui. Ça faisait un bail que quelqu’un n’était pas venu le voir juste pour « glander » ou pour passer le temps. En fait, le chasseur n’avait plus un rythme de vie très humain avec les relations interpersonnelles qui allaient de paire avec ce rythme. Il vivait de nuit, fréquentait principalement d’autres chasseurs et des femmes pour étancher son besoin de luxure et basta. Tout le reste de ses relations était composé de gens pas très humains et ces relations n’impliquaient absolument pas de se pointer à l’improviste pour passer le temps ensemble x_x

▬ C’est pas grave, je survivrai.

Il ne savait pas exactement combien de temps qu’il avait dormi, mais il avait assurément connu pire. Au front, on ne pouvait pas toujours se permettre de faire une simple sieste alors bon… le brun en avait vu d’autres. Sans compter qu’il était reconnu pour être un insomniaque notoire, alors non, que dora l’ait réveillé n’était absolument pas grave!

▬ Tu veux un truc à boire?

Ouvrant la porte de son frigo, l’écossais se frotta encore un œil récalcitrant à se décoller convenablement tout en se penchant pour jeter un œil à ce qu’il pouvait offrir à son invitée surprise.

▬ J’ai de la bière… de la bière… et de la bière! … … Sinon y’a de l’eau.

Oui parce que ce n’était pas tout le monde qui avait un passé d’alcoolique =.= Et puis comme il n’avait toujours pas la moindre idée de l’heure qu’il était, juste offrir de la bière aurait pu faire mauvais genre x_x
Mais peu importe l’heure qu’il était, quelque part dans le monde il était assurément l’heure de trinquer! Alors l’ex James Bond s’empara d’une bouteille et la décapsula pour son propre compte. De la bière au levé, sérieusement? Nous avions dit qu’il y avait des résidus d’alcoolique dans cet écossais de malheur =.=
Il semblait ne pas avoir beaucoup dormi? Le bonhomme eut un petit sourire en coin. Manquer de sommeil était son lot quotidien, comme précédemment expliqué, alors cette remarque ne pouvait que l’amuser. Il vivait sur à peine quelques heures depuis ses dix-huit ans, alors bon. Peut-être qu’un jour il allait mourir de fatigue et ce jour-là serait seulement le plus beau depuis sept ans! Parce que oui, en plus d’avoir un poil d’alcoolique, il était totalement suicidaire! Joli cocktail, non?

▬ Je suis rentré après le soleil, pour tout dire. C’est un interrogatoire? Je dois appeler mon avocat?

Quel avocat?
S’en fiche, c’est pour le principe =.=

Ayant posé à la question à la blague, avec un sourire, il y avait pourtant un tout petit rikiki poil réfractaire dans le ton de sa voix. Il avait vu, parler avec et embrassé sa femme supposément décédée depuis sept ans. Femme dont Pandora ignorait jusqu’à l’existence. Il n’avait aucune envie d’embarquer sur ce terrain là maintenant alors qu’il n’était même pas certain de ce qui c’était passé x_x

Plutôt lent, les réflexes d’ex super agent secret ne purent rien pour sauver la bière de l’écossais contre les mains avides de son invitée. Clignant lentement les yeux à quelques reprises, la mine hébétée, l’ancien soldat tira une tête de « mais c’était ma bière ça é.è » pendant environ une vingtaine de seconde avant de rouvrir la porte du frigo pour prendre une seconde bouteille et la décapsuler, balançant le bouchon dans l’évier en acier inoxydable. Prenant une gorgée avant que la légiste ne se décide à lui piquer celle-là aussi – sait-on jamais il y a des gens plus alcolo que d’autres è.é … et si vous vous dites que ce type est complètement parano, vous avez raison – le brun s’appuya une main sur son comptoir de cuisine sans se douter le moins du monde que le spectre de son fils espionnait cette conversation anodine qui ressemblait de plus en plus à un interrogatoire.
N’ayant pas une grande propension à envoyer bouler les gens, même lorsqu’il manquait de sommeil ou qu’il était juste de mauvais poil – et tomber face à face avec sa femme que l’on croyait morte depuis sept ans peut en effet déboussoler un homme, même le plus solide – Charlie regretta la bride d’irritation qu’il avait laissé filer dans sa voix dès qu’il eut terminé de prononcer sa phrase. Duncan n’était pas un type difficile à vivre et n’était pas du genre à décharger ses états d’âmes sur le premier venu. Évidemment, personne n’était parfait et ça lui arrivait, à lui comme à tout le monde, de s’en prendre à quelqu’un sans le vouloir.

▬ Oubli. Met-ça sur le compte du manque de sommeil… il est quelle heure d’ailleurs?

Aucune horloge? Aucune qui indiquait la bonne heure en tout cas. Charlie n’était pas du genre à vivre selon un horaire particulier. Depuis sept ans, il avait oublié ce que c’était de se lever à une heure précise pour aller travailler. Diner à une heure toute aussi établie, rentrer à la maison et etc. Non, l’écossais mangeait quand il avait faim, se couchait quand la fatigue était insupportable et le reste du temps, soit il était dans un bar, soit il chassait, soit il s’arrangeait pour se faire un peu de fric au noir. Parce que oui, vivre n’était pas gratuit même s’il vivait plus ou moins sur ce qu’il avait obtenu de la maison et des assurances vies à la mort de sa famille. Ou plutôt de son fils. Un vampire était-il véritablement mort ou pas en fait? Il n’avait jamais cherché à comprendre comment un être cliniquement mort pouvait être en mesure de vivre quand même.
Et ce ne serait pas aujourd’hui non plus qu’il allait trouver réponse à cette question que des tas de scientifiques cherchaient probablement à élucider en ce moment même. Non, pas aujourd’hui. Pas maintenant que Pandora se transformait soudainement en petite amie o.o Quoi de neuf? Il y avait combien de temps qu’on ne lui avait pas posé cette question? Dix ans… peut-être même plus x_x Même sa femme, quand il rentrait après des semaines, ne lui posait même pas la question sachant pertinemment qu’elle se heurterait au classique « top secret. »

Fronçant les sourcils, prenant une gorgée de sa bière, le brun passa son poids d’un pied à l’autre. Mal à l’aise? Un peu, oui. Qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre à ça? « Bha écoute tu devineras jamais! J’ai croisé ma femme cette nuit! Ouais je suis marié… en fait je l’étais… ou je le suis? Parce qu’elle est rendue une vampire, le mariage est encore valide du crois? Faudrait que j’appelle un avocat pour savoir… » Quelle conversation mes amis! … =.= Non, Charlie n’allait assurément pas répondre sérieusement à cette question.
Son inconfort durant dans les faits que quelques secondes, le brun battit l’air d’une main avec insouciance, faisant craquer les orteils de son pied droit.

▬ Je vais pas t’ennuyer avec mes histoires de taverne.

Se faire passer pour un alcolo bien crade était somme toute un plan. Pas un bon plan – pour reprendre la philosophie de vie d’un loup gigolo – mais ça restait un plan. Avec du bol, il allait heurter les goûts de Dora en matière d’hommes, elle se dépêcherait de finir sa bière et elle trouverait un prétexte pour s’en aller et ne plus jamais revenir! Un peu excessif? Peut-être, mais comme nous venons de le faire remarquer, son plan n’était pas un bon plan!

▬ Parle-moi plutôt de toi. Tu dois pas t’ennuyer dans ta morgue!

Le classique de l’homme qui ne voulait pas s’impliquer. Éviter toute question qui le concernait, les retourner continuellement à la femme qui lui faisait face. Encore une fois, son plan n’avait rien d’un plan, mais c’était tout de même un plan. Ce fut au tour des orteils de son pied gauche de craquer et l’écossais s’enfila une énième gorgée de bière, atteignant déjà la moitié de sa bouteille. En si peu de temps? Hey, il avait joué à l’alcoolique pendant près d’un an, il était un professionnel dans l’art de siffler des bières maintenant!

Charlie avait le chic, y’avait pas à dire, pour s’attirer des ennuis. Que ce soit en face d’un baron de la drogue, d’un vampire, d’une femme… d’un chien =.= Il finissait toujours par faire ce petit quelque chose qu’il ne fallait pas. Comme maintenant et se la jouer femme dans sa période du mois à ne pas embêter. Mais bon, pour la défense du brun, nous dirons simplement que Pandora n’avait pas à se pointer comme ça moins de dix heures après qu’il ait repris contacte avec sa femme qu’il croyait décédée dans le véritable sens du terme. Un peu bancal comme défense? Peu importe! Ce n’était pas comme si cette fille était sa copine, quoi qu’elle semble en croire puisqu’elle jouait pas mal à la petite amie avec ses questions. Ça où comme son chef un matin où il s’était bourré la gueule la veille alors qu’il n’était pas en permission. Dans un cas comme dans l’autre, Charlie n’était pas des plus à l’aise. Il n’avait pas vraiment eu le temps de faire le ménage dans sa tête, pour ne pas dire pas du tout, et c’était un sacré problème. En théorie, il se serait vu en tête à tête avec lui-même, cherchant, pour commencer, à savoir s’il venait de mettre le pied dans la folie. Ensuite, et seulement ensuite, il en serait venu à la question des femmes. Ces femmes dans lesquelles il cherchait un peu de la sienne depuis des années. Maintenant qu’il savait qu’elle était là, quelque part, qu’est-ce que ses tendances volages devenaient? Toute une question hein? C’était bien pour ça qu’il aurait dû avoir cette délibération tout seul assis sur son canapé avec un flingue, un couteau de chasse et une bouteille de whiskey! – et là-dessus on vous rappelle que le gars est suicidaire, alors ne vous étonnez pas de la méthode de cogitation =.=

Bref, tout ceci pour dire que oui, le bonhomme était un poil grincheux et il tentait par tous les moyens de détourner la conversation quitte à n’avoir aucune classe. Dans le meilleur des cas, elle s’en irait en claquant la porte pour ne plus jamais revenir – dommage certes, mais il y survivrait sans peine – et dans le pire scénario elle trouvait son couteau de chasse et décidait de l’écorché vif… En fait, il n’était pas sûr de savoir lequel était le meilleur entre les deux *.*

Laissant échapper un petit soupire, l’écossais posa sa bière au trois quart avalée sur le comptoir. C’était exactement pour ce genre de conneries – et aussi pour tout un tas de raison qu’un psychologue se ferait grande joie d’analyser, mais ceci n’est pas le sujet qui nous préoccupe – que Charlie refusait de s’engager sérieusement depuis son statut d’homme veuf. T’es pas content de me voir? Qu’est-ce qui cloche c’est moi? Et blablabla =.= Dieu merci, Neili n’avait jamais été comme ça. Non, elle préférait lui en mettre une derrière la tête dès qu’il était trop grognon sans aucune raison en lui rappelant qu’il avait de la chance qu’elle patiente six mois toute seule pour ensuite devoir lui faire sa lessive et le voir massacrer l’éducation de leur fils alors il faisait mieux d’être plus aimable! Ah des femmes comme ça, il ne s’en faisait plus <3 Et celle qu’il avait en face de lui n’était visiblement pas comme ça, hélas.

▬ Mooo, mais c’est pas ça, tu me chopes au dépourvu c’est tout, je m’attendais pas à te voir ici.

Et surtout pas pour subir un interrogatoire, mais au moins il avait eu la délicatesse de ne pas le dire à voix haute. Ce qui le sauva sans doute d’une scène de ménage qui n’avait strictement aucune place entre eux. Pandora étant visiblement la plus intelligente des deux – ce qui n’est pas surprenant vu le type en question nous en serons tous d’accord – elle opta pour quitter tout de suite l’appartement. Un peu à la masse entre son arrivée impromptue et ce départ précipité, Charlie ne fit que lui rendre son baiser sur la joue, la mine désolée.

▬ Je te téléphone quand je serai plus aimable et je me ferai pardonner, promis.

Mensonge ou pas? Ça dépendrait sûrement de ce qui allait résulter de sa super cogitation qui allait probablement lui coûter une bouteille de whiskey et un mal de crâne phénoménal au levé demain matin. Tout de même soulager de voir la légiste se diriger vers la sortie, ne nous le cachons pas, le brun s’empara à nouveau de sa bouteille de bière pour boire d’un trait le quart de breuvage qui dormait en son fond. Grossière erreur. Non pas que c’était mauvais, mais plutôt parce qu’une Pandora qui se retourne d’un coup et vous balance que vous étiez marier et père en prime – l’usage de l’imparfait étant un plus non-négligeable – ça avait de quoi surprendre. Surprendre assez pour s’étouffer solidement avec sa gorgée de bière et assez pour que le brun lutte pour sa survie pendant quelques secondes. Tousser, se taper un peu sur le torse, les yeux se remplissant d’eau, il fallut un petit moment à l’écossais pour retrouver son calme et être en mesure de réagir plus convenablement.

▬ D’où tu sors ça?

La surprise était lisible dans sa voix tout autant que la colère. Comment avait-elle pu être au courant? Personne ne savait. Strictement personne à l’exception de son neveu et d’Ahren, personne en ville ne savait et il doutait fortement que ces deux là aient vendu la mèche. Scott ne pourrait jamais faire ça, il était un grand bavard irresponsable, mais il avait quand même des valeurs familiales qui assuraient à Charlie qu’il ne ferait jamais ça. Ahren? Ahren était un sadique complètement cinglé et assoiffé de sang, mais il était son ami et on ne faisait pas ça à un ami. Dévisageant profondément Pandora, complètement immobile, l’émotion était définitivement visible au fond de ses yeux bleus d’ordinaire si légers et joyeux. Mais tout homme avait ses limites. Voir Neilina, lui parler, l’embrasser et pouf disparue à nouveau comme si elle n’avait jamais été là. Puis, maintenant ça. Une confrontation avec une femme qu’il fréquente à l’occasion et avec qui il se sent bien. Le genre de choses qu’il avait toujours cherché à éviter. Le meilleur moyen de s’attirer la pitié d’une femme, c’était de lui raconter que l’amour de ta vie était mort par ta faute. Ce qu’il y avait dans les yeux des femmes à ce moment là, c’était atroce et ça faisait mal. La pitié, Charlie ne la supportait pas plus qu’il se supportait lui-même depuis sept ans. Il se savait suffisamment coupable, pas la peine d’en rajouter.

▬ Ce qui est passé est passé et c’était pas de tes affaires.

Ça, c’était en réponse à cette mine mécontente. Comme si elle lui en voulait. Il avait droit d’avoir ses secrets après tout. Il avait trente-cinq ans, ce n’était pas comme s’il n’avait pas vécu avant de tomber sur elle, pas comme s’il lui devait quoi que ce soit non plus. Ils prenaient du bon temps et voilà, fin du contrat. On ne raconte pas sa vie à des gens qu’on fréquente uniquement pour le sexe, il nous semble que c’est un fait avéré, non?

« Mooo, mais c’est pas ça, tu me chopes au dépourvu c’est tout, je m’attendais pas à te voir ici. » Mouais... Heureusement que Dora n'était pas aussi naïve, hein ? Intelligente, la légiste. Une autre idiote écervelée y aurait cru et serait restée bien tranquillement, à causer de tout et de rien sans prendre garde à l'état d'âme de son amant. Mais pas Dora. Elle voyait bien que sa visite imprévue n'était pas faite pour plaire au brun et, heureusement, elle n'était pas non plus vraiment du genre à trop insister – sauf quand quelque chose la turlupinait vraiment, là elle pouvait se montrer aussi têtue qu'une mule. Bref, elle prit bien vite la décision de quitter l'appartement de Charles pour rentrer dans ses propres quartiers et aller dormir un coup, puisqu'elle n'avait rien d'autre à faire, quoiqu'elle hésitait encore entre ça et retourner à l'hôpital... Bref, elle le laissa bien sagement lui rendre son baiser, fronçant légèrement le nez sous la légère piqûre de son début de barbe. « Je te téléphone quand je serai plus aimable et je me ferai pardonner, promis. » Elle se contenta d'un petit haussement d'épaules. « Comme tu veux. C'est pas comme si j'allais péter un plomb si tu voulais plus qu'on se voie. » Cette remarque avait été prononcée sur un ton presque trop plat, avec un regard particulièrement perçant. C'était comme si la jeune femme avait pleinement conscience que quelque chose était sur le point de changer du côté du brun. Malheureusement, d'ailleurs, parce qu'elle aimait bien leur parties sous la couette, elle... Mais passons. Elle allait donc quitter l'appartement pour de bon cette fois, mais l'intervention du mini fantôme fit toute la différence. Elle fit volte face et, sans prendre de pincettes, posa la question.

Ce qui eut pour effet de provoquer un étouffement en règle chez Charles. Pandora attendit bien sagement qu'il reprenne un rythme respiratoire normal pour lui renvoyer un regard aigu, particulièrement stressant quand on avait les yeux aussi pâles que les siens. Charles avait les yeux bleus, lui aussi, mais d'un bleu plus doux, plus chaud, qui se rapprochait de la couleur de la mer. Elle, ses iris pouvaient facilement faire penser à de la glace. Déstabilisant. « D’où tu sors ça? » Elle éluda la question d'un vague signe de la main, puis croisa les bras sous sa poitrine, un sourcil haussé. En attente. Elle résoudrait cette fichue énigme nommée Charles Duncan ou elle ne faisait plus partie de l'illustre famille sorcière Rosebury, nom de Dieu de bordel de merde ! « Ce qui est passé est passé et c’était pas de tes affaires. » Oh... La fameuse culpabilité de celui qui reste. Pandora secoua légèrement la tête, apparemment agacée de toujours rencontrer le même schéma. « Laisse-moi deviner... Voyons. Ta femme et ton fils sont morts sans que t'aies pu y faire quoi que ce soit ? » Le fantôme du garçon hocha vigoureusement la tête pour marquer son approbation. Cette fois-ci, elle leva carrément les yeux au ciel. « Complexe du martyr. Typique. Je veux tout garder sur mes épaules comme un grand parce que c'est de ma faute. Wake up, Duncan, t'es pas tout seul, y'a des gens qui sont là pour toi ! Nom de Dieu. »

Passant une main dans ses longues mèches brunes pour les ramener en arrière et libérer son visage, elle reporta son regard pâle sur Charles et le dévisagea longuement. Lâcher la bombe ou pas ? Bah, tant qu'à faire, un peu plus ou un peu moins, c'était pas ça qui allait changer la donne... « Au fait. Ta femme est, je cite, 'toujours là' et elle risque fort de vouloir... revenir. Enfin, c'est pas moi qui le dit, c'est ton fils. » En haussant les épaules, Pandora enchaîna. Autant tout balancer maintenant et le laisser digérer ensuite, peut-être que ça lui en boucherait un coin, comme ça ! « Oui parce que ton fils est là, juste à côté du canapé, et que je peux le voir et lui parler, même le toucher si je veux, parce que je suis une fichue sorcière spécialisée dans la nécromancie. Je peux même te passer un message de sa part si t'en as envie. Alors ? » Encore un qui était mis au courant de sa véritable nature. Bon sang, ça commençait à faire un peu trop de monde. Jeremy, Collins, Sullivan, maintenant lui... Ce serait qui, le prochain ? L'adorable pépé du l'arrêt de bus dans le centre ville qui lui tapait la causette de temps en temps ? La secrétaire de l'hôpital ? Pourquoi pas un des humains du Fangtasia tant qu'on y est !

Le syndrome du survivant? Oui, il était évident que Charlie en souffrait. Il y avait toujours été plus ou moins sensible d’ailleurs, que ce soit durant ses années dans l’armée ou même dans les services secrets. Mais tout ça, Pandora l’ignorait. Elle ne savait strictement rien de lui sinon ce qu’elle pouvait deviner. Il n’était pas d’ici, une déduction facile à faire vu son accent écossais prononcé, mais le pourquoi du comment, ce qu’il avait fait, ce qu’il avait été, elle n’avait aucun moyen de le savoir. Alors comment avait-elle su? Et si elle savait tant de choses comme elle se plaisait à le montrer en invoquant la psychologie en sainte savante, pourquoi diable fallait-il qu’elle remue le couteau dans la plaie? Une personne réellement intelligente n’aurait pas fait ça. Il faut croire qu’il s’était trompé sur son compte. Peut-être s’était-il trompé tout court. Un amas de connaissance de faisait pas des gens des êtres intelligents. Peut-être même que ça les rendait plus stupide parce que ça les endormait dans l’illusion d’être intelligent!

▬ Oh merci docteur Freud!

Sa voix avait éclatée tout autant que lui-même et possédait une bonne dose de sarcasme. Elle pensait quoi sérieusement? Qu’en faisant son petit diagnostique elle allait tout régler comme par magie? Que lui dire ce qu’il savait déjà allait miraculeusement lui faire accepter la mort de sa famille? Il n’y avait que les gens qui ne savaient pas ce que c’était pour croire ce genre de conneries.

▬ Tu penses peut-être qu’une séance de canapé va tout régler? Tu penses vraiment que se dire : oh je me sens coupable parce que j’ai ce truc de syndrome du survivant, je n’ai pas à me sentir coupable!

Prenant une grande inspiration sous ce rôle énormément exagéré, l’écossais leva les mains au ciel avant de les laisser retomber lourdement contre ses flancs.

▬ Voilà je suis guéri!

La colère du brun était plus que palpable. Pandora venait de violer son intimité. La seule chose qu’il ne partageait pas. La seule chose qu’il tenait plus que tout au monde à garder pour lui. Elle s’était infiltrée dans son jardin secret et, comme un enfant, elle ne regardait pas où elle mettait les pieds. Elle écrasait tout sans faire attention.
Qu’elle soit nécromancienne ne lui donnait pas ce droit. Absolument pas. Si Charlie était surpris d’apprendre qu’elle était une sorcière? Un peu, oui, mais pas suffisamment pour que ça influe sur sa colère grandissante. Il n’avait jamais rencontré de nécromancien au par avant, mais il y avait déjà quelques sorciers au MI-6 dans son département des « affaires surnaturelles. » Ce fichu département top secret dont même le reste du MI-6 ignorait l’existence. Ce foutu département qui lui avait tout coûté. Non, Charlie ne remettait pas toute la faute sur lui-même, voyez!

▬ Mon fils?

Ça c’était la partie qui le prenait de court. L’âme de son fils, ici, dans cet appartement. Tout près de lui. Pendant quelques secondes, l’ancien soldat fut ému. Une émotion qui disparue pourtant rapidement de ses yeux où la colère se réinstalla instantanément. Faisant quelques pas en direction de Pandora, Charlie la pointa rageusement. Il était définitivement hors de lui et il y avait longtemps qu’il n’avait pas été en colère comme ça.

▬ Tu vas laisser mon fils tranquille compris! Avoir de supers pouvoirs ne te donne pas le droit de déranger les morts.

Toute cette colère et toute cette tristesse ne faisaient pas bon ménage et les yeux de l’écossais s’en trouvaient rougis. Il avait été confronté à beaucoup trop d’émotions depuis cette nuit et lui demander un message pour son fils était littéralement la goute qui faisait déborder le vase. De quel droit se permettait-elle de s’immiscer entre lui et son fils? Elle n’avait rien à faire là. Sa famille ne la concernait absolument pas.

▬ Je n’ai rien à dire à mon fils et toi non plus. Tu vas le laisser reposer en paix, compris?

L’émotion le prenant quelque peu à la gorge, le brun tourna les talons pour faire quelque pas ici et là entre le living et la cuisine. C’était ça ou se jeter sur Pandora pour lui fracasser son poing sur la gueule jusqu’à ce qu’il n’en soit plus capable. Elle était une femme? Et alors! Ça ne lui donnait pas le droit de s’en sortir aussi facilement. Il n’avait aucune idée de comment elle vivait avec cette capacité d’entrer en contacte avec les morts, mais il y avait des choses qui ne se faisaient pas. Comme jouer au plus malin avec les sentiments des autres. Balancer quelques termes appris à la fac ne conférait pas la mission de venir détruire des barrières que les gens avaient mis des années à construire. Et Charlie ne les avait pas construites pour s’empêcher d’avancer. Il les avait construites parce que c’était la seule façon qu’il avait trouvé pour ne pas se tirer une balle dans la tête! Ou se jeter en bas d’un building… ou se pendre…

Inspirant profondément pour chercher à se calmer un peu, la voix de Charlie était maintenant plus douce, mais rauque d’avoir criée.

▬ C’est facile de sortir des belles paroles, mais tu ne sais strictement rien de moi ou de ma vie.

En parler ne changerait rien. L’écouter ne ferait pas d’elle son sauveur ou il ne savait quelle autre connerie que les femmes pouvaient bien inventer. Un homme détruit ne devait pas forcément être sauvé et ensuite passer sa vie à vos côtés comme dans les films! Non, dans la vie, parler de la guerre ne la rendait pas moins violente et meurtrière. Parler des monstres ne les empêchait pas de continuer à être une menace. Parler de sa femme et de son fils ne changerait pas ce qui c’était passé. Ça ne lui retirait pas sa culpabilité, ça ne lui retirait pas sa faute. Parler, c’était une affaire de ceux qui n’avaient pas vécu.

« Oh merci docteur Freud! » Oh, mauvais, mauvais, ça annonçait une engueulade en règle, tout ça... Une alarme stridente résonnait dans la tête de Pandora mais manque de bol, toute cette histoire commençait aussi à lui courir sur le cocotier. Elle voulait aider, elle s'en prenait plein la gueule. Depuis quand ça se jouait comme ça, hein ? « Tu penses peut-être qu’une séance de canapé va tout régler? Tu penses vraiment que se dire : oh je me sens coupable parce que j’ai ce truc de syndrome du survivant, je n’ai pas à me sentir coupable! Voilà je suis guéri! » Mais il y avait un sujet autrement plus important que les sarcasmes du brun qui commençaient à lui refiler mal au crâne. En l'occurrence, le gamin brun aux yeux bleus qui se tenait bien droit dans le salon, l'air grave. « Mon fils? » Elle écarta les bras. Mais oui, sombre idiot, ton fils ! Oh. Et voilà qu'elle s'en prenait plein la gueule. Encore. « Tu vas laisser mon fils tranquille compris! Avoir de supers pouvoirs ne te donne pas le droit de déranger les morts. Je n’ai rien à dire à mon fils et toi non plus. Tu vas le laisser reposer en paix, compris? » Se dirigeant à grands pas vers lui, elle le bouscula violemment, jusqu'à le coller contre un mur. Ses yeux avaient pris la dureté de la glace, malgré sa voix qui tremblait d'émotion mal contenue. « Je t'interdis de parler de mon pouvoir comme d'une espèce de don, Duncan. Tu crois que c'est moi qui les appelle ? J'y peux ABSOLUMENT RIEN ! » Elle frappa violemment dans le mur juste à côté de la tête du brun, complètement hors d'elle. « Comment veux-tu que j'aie appelé ton fils puisque je savais même pas que t'en avais un ? Il est venu tout seul. Ils viennent toujours tout seuls ! Ce putain de pouvoir de merde est une foutue malédiction que j'essaie de contrôler comme je peux alors n'essaie même pas de me dire COMMENT JE DOIS FAIRE ! »

Dora finit par se reculer, sans prendre garde au sang qui coulait le long de sa main. Elle avait réussi à s'ouvrir une bonne partie de la paume quand elle avait frappé dans le mur, mais pour tout dire l'adrénaline annihilait complètement la douleur qu'elle pouvait ressentir. Ce ne fut qu'à cet instant qu'elle se rendit compte qu'elle tremblait de partout, et qu'elle avait froid aussi. Retombée de l'excitation, sûrement. Nerveuse, elle croisa les bras sous sa poitrine après avoir passé sa main intacte dans ses cheveux, tout en lui tournant bien sagement le dos. « C’est facile de sortir des belles paroles, mais tu ne sais strictement rien de moi ou de ma vie. » Elle eut un rire particulièrement froid et cynique, qui irait beaucoup mieux à une vampire cruelle assoiffée de sang. « Je le sais, ça, merci Sherlock ! Voyons, peut-être parce que tu ne dis jamais rien sur toi ou sur ta vie ? Wouhou ! Ding-ding-ding, bonne réponse pour Rosebury ! » Elle n'avait jamais été aussi glaciale envers lui, aussi ironique. De nouveau, elle s'approcha de lui, cette fois pour lui enfoncer un index rageur dans le torse. « Non, tu préfères laisser les personnes qui s'approchent de toi patauger dans leur boue sans aucun point de repère, et tant pis pour celui qui touchera une corde sensible, il s'en prendra plein la face et peut-être que ça le fera dégager ! Mais putain, Charles, c'est pas comme ça que ça marche, les relations humaines ! » Sans toute cette carapace qu'il s'évertuait à créer, peut-être qu'ils n'en seraient pas là aujourd'hui. Elle se mordit plutôt la lèvre jusqu'au sang. « T'es vraiment un putain d'idiot, quand tu t'y mets. » Et c'était si peu dire...

Apparemment, lui aussi avait touché une corde sensible aujourd’hui. Tant mieux. Au moins il ne serait pas seul à être bousculer en son fort intérieur et, de toute façon, il s’en fichait complètement. Quand on décide de couper les ponts avec tout et tout le monde, il est plutôt difficile de ne pas devenir un tout petit peu égoïste. Ce fut donc une Pandora visiblement en colère qui le poussa jusque dans un mur. Elle voulait jouer à la dure? Elle n’était pas avec la bonne personne pour ça. Charlie affrontait des loups-garous, des vampires, des métamorphes. Toutes ces créatures étaient bien plus fortes qu’une femme qui ne devait pas peser plus de cinquante-cinq kilos. Et même sans ça, il lui restait ses années dans l’armée de sa Majesté.
Ne surtout pas lui dire comment elle devait faire? Charlie eut un petit sourire accompagné d’un rire jaune. Elle lui hurlait dessus parce qu’il n’avait pas le droit de lui dire comment faire?

▬ C’est chiant de se faire chanter la leçon pas vrai?

Le brun la repoussa brusquement sans être réellement violement – il ne l’était jamais avec les femmes à moins que celles-ci soient des vampires qui le voulaient comme encas, évidemment x_x Vu cet éclat de colère qui allait ruiner son plancher – du sang c’est très chiant à nettoyer vous saurez è.é – l’ancien soldat était en partie contenté. Il fallait y aller à la dure pour que quelque chose entre dans cette tête de mule? D’accord, ça ne lui causait pas de problème!

▬ Alors garde-toi donc de le faire aux autres à l’avenir.

La toisant de cette tête qu’il avait de plus qu’elle, il s’écarta de Pandora pour faire les cents pas et lui faire finalement remarquer qu’elle ne savait rien sur lui ou ce qui avait bien pu lui arriver par le passé. Là encore, il avait touché un point sensible. De mieux en mieux, mais ça lui était bien égale encore une fois. Elle n’était pas la première à lui reprocher d’être fermé comme une huitre. Elle n’était pas la première à se plaindre qu’il ne la laissait pas entrer dans sa vie comme il faudrait. Les relations humaines ne marchaient pas comme ça? Et alors! Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire à lui? Il ne lui avait rien demandé et tout avait été clair dès le début. S’amuser sans se prendre la tête. C’était ça le plan. Mais non, les femmes et cette idée préconçue qu’elles pouvaient être la bonne et tout changer! Peut-être que ça fonctionnait pour certains, mais pas pour Charlie et encore moins maintenant. Neilina était en vie, ou du moins autant en vie qu’un vampire puisse l’être, et il était hors de question qu’il la laisse filer une seconde fois. Ils allaient se revoir, il le sentait au fond de ses trippes. Pourtant, même sans ça… même si Neilina était réellement morte et enterrée comme il l’avait cru pendant sept ans… ça n’aurait rien changé. Charles Duncan n’avait aimé qu’une seule femme dans sa vie et, à sa mort, il avait tout de suite su que jamais il n’aimerait réellement de nouveau.
Bien sûr, un connard de psychologue pourrait lui dire qu’on ne peut pas aimer deux personnes de la même façon, blablabla, qu’avoir perdu une femme qu’on aime ne doit pas nous empêcher d’en aimer une autre, blablabla, ce genre de conneries =.= Mais ça n’intéressait pas Charlie. Il ne voulait pas aimer quelqu’un autre. C’était sa façon à lui de se punir, tout simplement. Il était responsable de leur mort. Il méritait cette prison qu’il s’était forgé et ne souhaitait nullement en sortir. C’était ce que Pandora devait comprendre. Il ne souhaitait pas être sauvé. Il devait purger cette peine pour survivre, tout simplement.

▬ Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre des relations humaines?! Tu veux vraiment savoir pourquoi je suis comme ça? Tu veux vraiment savoir qui je suis? Je suis qu’un pauvre con voilà, t’as parfaitement raison! Pas foutu de faire des études, je me suis engagé en sortant du lycée. Pour ça j’étais doué au moins. Courir sur un champ de bataille à me faire canarder avec mes potes et là, ouais, on peut parler de syndrome du survivant si tu veux.

Sa voix était précipitée et hargneuse. Elle lui faisait une scène pour savoir, elle allait savoir! Si elle ne le croyait pas, alors tant pis, mais peut-être allait-elle être en mesure de le croire. Entre sortir à la blague dans un bar qu’on est un ex agent des services secrets britanniques, c’est autre chose que de le faire dans une situation pareille. L’émotion était trop palpable pour être fausse et on ne balançait pas ça à froid et aussi vite si c’était une histoire inventée de toute pièce pour en mettre plein la vue.

▬ Je me suis fais recruter par le MI-6 j’avais 24 ans. J’étais déjà marié et mon fils était déjà au monde, mais ouais pourquoi pas!

À son ton, il était facile de déceler que c’était là qu’il jugeait avoir fait la plus grosse erreur de sa vie. Accepter d’entrer au MI-6. Une belle connerie oh ça oui. C’est là qu’il a appris l’existence des vampires et autres créatures surnaturelles de ce monde avant même le coming-out. Le gouvernement était déjà au courant et cherchait déjà à se protéger contre cette menace. Comment des gens avaient-ils jugés Charlie tout désigné pour un tel travail de terrain? Lui-même n’en était pas encore certain à ce jour, mais il faut croire que oui, au fond, il était fait pour ça. Son seul défaut avait été d’être un homme avec une famille… un homme qui avait quelque chose à perdre.

▬ À l’époque, les vampires n’étaient pas encore sortis du placard, mais ça commençait à se faire savoir dans les gouvernements. Le Royaume-Unis faisait partie de ceux qui voulaient se protéger. Ils ont monté un département pour les affaires surnaturelles et c’est là que je me suis retrouvé.

Au fil des mots, sa voix s’était adoucie. Petit à petit, il retrouvait son calme, ne luttant plus contre la colère, mais contre son cœur qui tambourinait dans sa poitrine et cette émotion dans sa gorge qui pouvait l’empêcher de continuer son récit d’un moment à l’autre.

▬ Pendant des années, j’ai menti à ma femme au lieu de lui dire la vérité, de l’informer des risques, de ce qui pouvait arriver. J’avais 27 ans, Kyle n’en avait que quatre, c’était à Londres…

Comme transporté dans le passé, Charlie pouvait revoir la scène se dérouler devant ses yeux. Les deux vampires, un homme et une femme, lui et son équipe de cinq hommes.

▬ Ce vampire avait cru bon de faire fortune dans la vente d’armes sur le marché noir et il commençait à être très actif dans le pays. Mais évidemment, avec un vampire, on ne pouvait pas faire intervenir les services habituels. On était six quand on leur est tombé dessus. On avait de l’équipement de pointe et on a eu la progéniture avec seulement un homme à terre.

Aussi bien dire que des humains contre des vampires, il fallait être fou pour foncer tête baissée dans une telle boucherie et qu’il y avait très peu de chance pour que tous en ressortent vivant ensuite. Dans ce département, les agents de terrains tombaient comme des mouches, Charlie avait eu du bol d’y survivre pendant près de trois ans.

▬ Son créateur est devenu complètement cinglé après ça. Il les a tous massacrés, je peux encore entendre le déchirement des os quand j’y pense. Je sais pas pourquoi il m’a gardé en vie, je crois que c’est parce qu’il a vu mon alliance… j’étais le seul de marié dans l’équipe.

Penchant légèrement la tête sur le côté, les yeux perdu dans le vide devant lui, observant plutôt attentivement cette scène qui jouait dans sa tête, c’était comme s’il voyait soudainement de nouveaux éléments qu’il n’avait encore jamais remarqué pendant ces sept ans où ça le hantait jour après jour. Le fait de devoir le raconter à haute voix peut-être. C’était la première fois qu’il récitait cette histoire avec autant de détail. À Ahren et James, il n’avait dit que le principal. Une mission foutue, un vampire qui se venge et au final c’est sa femme et son fils qui ont payé. À peine vingt mots, c’était à ça qu’il s’était toujours limité. Portant une main à sa gorge, Charlie ne se trouvait plus du tout dans son appartement, il ne revoyait que ce qui c’était passé.

▬ Il m’a attrapé et il m’a forcé à le regarder dans les yeux. Je savais que j’étais foutu. Il m’a demandé où j’habitais et le nom de ma femme, si j’avais des enfants. Tu as déjà subit l’hypnose? … Même si on voudrait, on ne peut pas résister à ça… … Je les ai vendu, carrément. Je lui ai filé mon adresse sans même sourciller et après, black out total.

Prenant une pause d’une bonne trentaine de secondes, l’écossais cligna des yeux deux ou trois fois, semblant revenir à la réalité. Il planta de nouveau ses yeux dans ceux de Pandora, toute colère s’étant complètement envolée.

▬ Quand je me suis réveillé la première chose que j’ai fait c’est d’appeler chez moi. Neilina n’a jamais répondu et j’ai su… Je suis rentré à Glasgow aussi vite que j’ai pu, j’ai contacté mes patrons, la totale. Ils n’ont rien fait et quand je suis rentré… ils étaient morts tous les deux.

Et aujourd’hui, maintenant qu’il savait que Neilina n’était pas vraiment morte, il comprenait enfin ce que ce vampire avait voulu faire. Lui et son équipe lui avait pris sa progéniture. Il s’en était fait une nouvelle avec sa femme par pure vengeance.

▬ J’ai traqué ce fils de pute pendant des semaines et j’ai fini par l’avoir. Tu sais ce que ça fait d’accomplir sa vengeance? … … … Absolument rien du tout. Ça ne ramène pas les morts et ça laisse juste la bouteille. Tu voulais savoir ce que j’étais? Je suis qu’un pauvre con d’alcolo qui doit se trouver une raison chaque jour que Dieu fait pour pas se tirer une balle dans la tête. Oh je sais ce que tu vas me dire. C’est pas ma faute, je dois faire mon deuil pour que ça passe et blablabla. Mais c’est justement ça qui me donnerait encore plus l’envie de je me jeter devant un train. C’est de ma faute, j’ai pris la décision de mettre ma famille dans cette situation et le moins que je puisse faire pour eux, c’est d’attendre le moment où je pourrai les rejoindre. C’est ça que je suis supposé partager? Ça qui devrait miraculeusement me sauver? Nha, je crois pas. Ma femme et mon fils, c’est mon affaire et si je ne veux pas en parler, alors y’a rien à dire.

Faire la leçon ? FAIRE LA LECON ? De Dieu, si elle avait encore eu la main en état de marche, elle lui aurait fichu son poing dans la figure. Enfin, elle n'était pas non plus sûre de s'en sortir en cas de combat à mains nues – Charlie mesurait quand même une bonne tête de plus qu'elle, il pesait sans doute une vingtaine de kilos de plus, que du muscle... euh, ouais, bon, on va éviter – mais finalement, le pétage de plombs de Dora avait fini par décoincer la situation. Miracle, Charles s'était décidé à parler ! C'était pas trop tôt, non mais. Donc quand il commença à raconter son histoire, la jeune femme se contenta de croiser les bras sous sa poitrine. Et tant pis pour le sang qui dégueulasserait sans doute son super gilet gris préféré.

Et pourtant... Plus Charles causait, plus notre brunette se sentait mal. Parce qu'elle était loin d'être idiote, elle sentait parfaitement la blessure encore béante qui se cachait sous les mots (fallait dire aussi, c'était pas dur à deviner, avec la tête qu'il tirait) et toute cette histoire la flanquait mal à l'aise. Pandora Rosebury, espèce d'idiote. Elle avait débarqué d'un seul coup, avec ses gros sabots, et elle avait évidemment fourré son nez là où elle n'aurait pas dû. Merveilleux. Pas que ça change beaucoup de d'habitude, mais pour le coup, elle se sentait vraiment mal. Peut-être parce qu'elle appréciait Charlie. Non, sans doute, même. Va te flageller, espèce d'imbécile ! Tout de suite !

Plutôt qu'obéir à la petite voix qui lui soufflait ce délicieux conseil, la doctoresse préféra fouiller un instant dans son sac à main. Elle en tira une petite flasque en acier rayé au possible – accessoire étonnant pour une femme, vous trouvez pas ? Enfin faut pas oublier qu'elle a des gènes écossais dans le patrimoine, elle aussi – qu'elle ouvrit pour en boire une brève rasade. Le liquide que la bouteille contenait lui arracha un frisson, accompagné d'une petite grimace. Un truc fort, apparemment. De quoi se remettre d'à peu près n'importe quoi. Ce ne fut qu'une fois ceci fait qu'elle osa s'approcher de lui, alors qu'il finissait son récit. « C’est de ma faute, j’ai pris la décision de mettre ma famille dans cette situation et le moins que je puisse faire pour eux, c’est d’attendre le moment où je pourrai les rejoindre. C’est ça que je suis supposé partager? Ça qui devrait miraculeusement me sauver? Nha, je crois pas. Ma femme et mon fils, c’est mon affaire et si je ne veux pas en parler, alors y’a rien à dire. »

Dora ne répondit rien. En fait, elle se contenta de coller sa flasque dans la patte de Charlie et de le serrer contre elle, les bras autour de ses épaules – même si, pour ça, elle devait se hisser sur la pointe des pieds. Elle resta un moment comme ça, comme pour se faire pardonner sa curiosité mal placée. Uniquement ça. Pas certain qu'il le prenne bien, si elle lui disait être désolée pour la mort de son fils et la transformation de sa femme. Nah, mauvaise idée, très mauvaise idée. « Tu peux boire. C'est du Brora, trente-deux ans d'âge. Je te ramènerai la bouteille si tu veux, c'est pas mon scotch favori. »

… T'es un peu niaise, Dora, non ? Mais bon, on te pardonne. Ouais parce que bon proposer de l'alcool en guise de réconfort... Pas super top, non ? Mais bon. Brunette savait plus trop quoi dire, pour le coup, alors elle se contenta de le lâcher et de reculer d'un pas, bien sagement.

Et maintenant, on fait quoi ?

Réciter cette histoire venait littéralement de lui siphonner son énergie. Tout du long, il avait lutté pour être capable de prononcer le mot suivant sans s’emmêler les pinceaux et surtout sans s’arrêter. Il se serait arrêté qu’il aurait été fichu, incapable de continuer. En racontant cette histoire, il n’y avait pas que son fils et sa femme qui étaient remontés à la surface. Il y avait ses coéquipiers. Ces gens qui étaient ses amis, ses confidents. Ceux sur qui il se reposait et qui se reposaient sur lui. En se remémorant tout ça, c’était à se demander pourquoi il avait fait la bêtise de s’engager. Dès cet instant, sa vie avait été comptée, plongée dans une routine de mort et de douleur. Qu’est-ce que son patriotisme et cette fervente envie de défendre les siens lui avait apporté? Rien. Il avait essuyé les pertes les unes après les autres, ayant sûrement assisté à plus de funérailles en quinze ans que la moyenne des gens dans toute une vie.
Retenant de peu la flasque que Pandora lui avait mise dans la main, quand la brune se détache de lui le bonhomme alla s’asseoir sur le canapé, ses jambes ne le soutenant plus. Il avait admis sa culpabilité et l’assurance qu’il avait de ne jamais obtenir la rédemption pour ça. Puis, de toute manière, il avait bien fait comprendre qu’il ne souhaitait aucun pardon. Il était indirectement le meurtrier de sa famille. À défaut d’être réellement en prison pour ça, il s’était lui-même forgé ses barreaux.

Les yeux posés sur la flasque d’alcool de bon goût, Charlie resta plusieurs secondes à fixer l’objet. Boire, si c’était ça la solution d’une fille qui jouait au psychologue dix minutes plus tôt, c’était sans doute parce que le cas de l’écossais était réellement aussi désespéré qu’il le croyait! Pas mécontent de ce côté-là, le brun appréciait le fait de l’avoir bouchée à ce point. Elle qui donnait l’impression d’avoir toutes les réponses juste parce qu’elle pouvait savoir des choses que seuls les morts savaient… L’ancien soldat venait de lui donner une leçon et ça, il en était fier. Voir les défunts et leur parler ne donnait pas le droit d’utiliser chaque information à sa guise. Ça ne donnait pas le droit d’entrer dans le jardin secret des gens pour tout dévaster. Certaines choses étaient mieux lorsqu’elles restaient enfouies.
Déposant la flasque sur la table base, Charlie crut préférable de ne pas revenir dans ses anciennes habitudes. Boire, n’avait jamais été la solution. Ça ne rendait l’homme que plus pathétique et plus enclin à l’autodestruction.

▬ Règle numéro un du suicidaire, ne pas boire pour se sentir mieux, boire uniquement pour se sentir encore mieux.

En d’autres termes, ne pas boire en tant que dépressif, mais uniquement dans un contexte de soirée animée et fêtarde.

▬ Ou alors c’est la règle numéro deux et la un c’est d’éviter les objets tranchants et les flingues à portée de main.

Si on en croyait ces règles, Charlie ne respectait que celle sur l’alcool! Mais bon, il serait difficile d’en vouloir à un chasseur de posséder des armes… Se défendre contre un vampire, un métamorphe ou un loup-garou à mains nues… bonne chance!
La tension descendant doucement du pic où elle s’était hissée pendant le récit de l’écossais, celui-ci avait les yeux fixés sur le vide devant lui, les traits marqués de son visage se tordant de temps à autres, extériorisant la réflexion qui se jouait dans son esprit. Même s’il ne l’admettrait jamais, il avait tant besoin que quelqu’un d’autre lui donne son point de vue…

▬ J’ai cru ma femme morte pendant sept ans et je l’ai rencontrée cette nuit. Elle est devenue ce que j’ai combattu durant la moitié de ma vie…

Quittant son point imaginaire des yeux pour les tourner vers Pandora, Charlie était perdu. Maintenant que l’adrénaline du moment s’était dissipée, maintenant qu’il pouvait mettre les choses en perspective pour mieux les observer, il avait du mal à comprendre son propre comportement. Un vampire. Sa femme était un vampire et pas une seule seconde il ne pensait à la tuer, au fait qu’elle pouvait maintenant être différente. Elle était un prédateur, elle tuait pour survivre.

▬ Pourquoi je m’en fou complètement? C’est mal de vouloir la retrouver et de ne plus jamais la laisser partir?

Où était James quand il en avait besoin? Ahren, n’en parlons pas. Dès qu’il apprendrait la nouvelle, il remuerait ciel et terre pour retrouver Neilina et lui offrir la vraie mort. Ce type était un psychopathe extrémiste. James était plus consciencieux et prenait le temps d’analyser les faits. Mais à défaut de ces hommes qui l’avaient remis debout alors qu’il était au fond du gouffre, il y avait Pandora maintenant. Il trouvait étrange de discuter de sa femme avec une amante, mais il faut dire qu’elle avait un peu couru après.