Soirée normale, si on oublie l'heure plus que tardive. Pandora était confortablement bouclée dans la douce froideur de sa chère et tendre morgue, très occupée à observer le cadavre d'un homme d'une trentaine d'année, blond comme les blés et la peau tannée par le soleil, le visage dur à cause de sa mâchoire forte. Pour le moment, elle ne faisait pas grand-chose de plus que décortiquer soigneusement tout ce qui pouvait se trouver à l'extérieur du corps de monsieur, comme depuis deux bonnes heures maintenant, puisqu'elle attendait les radios et les résultats d'analyses qu'elle avait fait passer. Ses doigts glissèrent le long des trois profondes entailles qui couraient sur l'épaule du mort. Et, surtout, elle essayait de comprendre pourquoi elle n'arrivait pas à voir l'âme de cet homme. Bizarre. En deux heures de temps, pas la moindre trace de fantôme qui ressemblait de près ou de loin au blond étalé sur sa table d'autopsie. Les fantômes avaient coutume d'être curieux au sujet de leur mort. Lui, il semblait être directement passé dans l'au-delà, et assez loin pour que les appels de notre nécromancienne restent sans réponse. Bordel de putain de saloperie.

« Rosebury ? » Dora se tourna vers la porte de la morgue, ouverte sur un de ses collègues bossant au laboratoire. Apparemment, il avait tout le dossier dans les mains. Elle le remercia d'un signe de tête en récupérant la pochette en papier cartonné, elle plaça les radios sur le mur lumineux. Ses yeux s'agrandirent. Si la majeure partie du corps était en relatif bon état, la colonne vertébrale de son nouveau pensionnaire avait été proprement réduite en miettes. « Que Charon me vienne en aide... » Pas étonnant qu'il soit mort, le gaillard. Personne n'arriverait à se relever d'un truc pareil... La légiste n'était même pas sûre qu'un vampire puisse y survivre. Faudrait essayer un jour, mais bref, ce n'était pas le moment.

Elle se mit plutôt en tenue de travail – blouse de protection bleue, bonnet sur la tête et gants aux mains – avant de commencer son travail. Elle ouvrit proprement le torse du bonhomme, fouillant ensuite les organes internes (encore une fois, elle se mit du jus de rate un peu partout sur la figure, mais elle n'arrivait jamais à faire autrement) tout en lançant ses observations au micro enregistreur allumé non loin (plutôt pratique, ça lui évitait de foutre du sang de mort partout sur ses feuilles) et ce ne fut qu'après l'avoir recousu qu'elle le tourna sur le ventre avec plus ou moins de difficultés (essayez, quand vous êtes une femme d'un mètre soixante-treize et de cinquante-sept kilos tout mouillés, de retourner un espèce de géant de plus de quatre-vingt-dix kilos !) qu'elle osa ensuite examiner sa colonne vertébrale. Effectivement, rien qu'en touchant avec les doigts, on sentait que les os étaient quasiment inexistants... Les sourcils de la sorcière se froncèrent et elle allait lui ouvrir le dos pour examiner ça en profondeur quand la porte de son bastion s'ouvrit brutalement. Et pas sur n'importe qui.

Non, sur deux très beaux garçons, dont un était bien connu pour être Eric Collins, vampire millénaire et shérif du district cinq. Okay, le blondinet sur sa table d'autopsie semblait être beaucoup plus important que ce qu'elle pensait. « Stop ! N'allez pas plus loin tant que vous n'aurez pas enfilé de gants, non mais ! » Oui, elle tenait énormément à ce qu'il n'y ait pas la moindre erreur d'hygiène sur SON territoire. Une vraie lionne. Elle-même en profita pour retirer la paire sanglante qu'elle avait sur les doigts, essuyer un minimum son visage encore taché de jus de rate et renfiler une nouvelle paire. « Messieurs. Je suppose que vous venez pour mon nouveau pensionnaire ? J'en ai pas encore fini avec lui, par contre. » Etonnant calme qu'elle peut avoir face à un vampire, pourtant Hécate savait qu'elle n'en avait pas croisé tous les jours.

Certaines nuits, Eric se demandait pourquoi il avait accepté cette alliance avec Ducan. Les loups… ils sentaient l’animal pas propre en plus d’être complètement impulsif, agissant sans vraiment penser aux conséquences. Des bêtes régies par leur instinct. Totalement désespérant pour le shérif qui possédait un contrôle sans faille sur son propre instinct. Mais Duc était un chef de meute intelligent. Il avait compris que chercher la guerre aux vampires était complètement stupide. Il ne se rebutait pas à écouter un vampire et, comme ce soir, il partageait ses informations sans qu’Eric n’ait à le surveiller pour s’assurer qu’il ne lui cachait rien.
Ce soir, le loup était venu dans son antre pour lui parler de la mort d’un des siens. Une mort inexplicable selon Ducan qui n’avait pas pu s’occuper du corps. La police était intervenue rapidement. La police… complètement risible. Jamais ils ne trouveraient quoi que ce soit et en l’absence de réponses, ils blâmeraient probablement les vampires. Depuis le coming-out, les suceurs de sang étaient devenus les boucs émissaires parfaits aux affaires inexplicables. Pourtant, même si ça emmerdait profondément Eric de « faire enquête » à ce sujet, il devait se rendre à l’évidence qu’une bête potentiellement dangereuse pouvait avoir élu domicile sur son territoire. Ducan n’était pas stupide. Si un vampire aurait fait le coup, il l’aurait vu tout de suite. S’il disait qu’il n’avait jamais vu ça, c’était forcément quelque chose qui méritait l’attention du viking. Lui qui avait une plus grande connaissance des êtres surnaturels foulant cette planète, il suffisait au blond d’espérer savoir l’identité de la chose qui avait fait le coup pour une affaire vite faite et bien faite!

Bref, ce préambule expliquait pourquoi Eric et Ducan s’étaient rendus à la morgue. Ducan avait non seulement prévenu Eric pour qu’il soit au courant de cette histoire, mais aussi pour qu’il lui apporte un peu d’aide. Ne se rendait pas qui voulait jusqu’à la morgue et un vampire qui avait le pouvoir d’hypnotiser les humains à sa guise était plutôt pratique. C’était comme posséder un passe-partout. Au moindre petit accrochage, le géant du nord usait de son hypnose pour accélérer la manœuvre et éviter d’attirer l’attention. Avec la catastrophe qui s’était produite dans son bar à Halloween, Eric n’avait pas le cœur à jouer cette semaine. Le plus vite ils en termineraient avec cette histoire, le mieux il se porterait!

Ce pourquoi l’intervention de la légiste ne l’avait même pas ralenti dans ses grandes enjambées. Cette humaine venait-elle vraiment de lui ordonner quelque chose? Apparemment oui, mais Eric demeurait Eric. Se soumettre aux ordres d’un humain? Plutôt sortir prendre l’air à midi durant une belle et chaude journée d’été!
Agissant carrément comme si la femme n’était pas là, le viking observa un peu partout autour de lui pour finalement poser les yeux sur le corps. Les entailles profondes dans l’épaule. Eric avait déjà vu ça, mais ça ne voulait rien dire à proprement parlé. Ça pouvait tout aussi bien être un énorme Grizzli qu’une créature surnaturelle quelconque.

▬ Viens dont flairer ça.

Il avait simplement désigné les entailles au chef de meute. S’il avait parlé comme on s’adresse à son chien, ce n’était que pure normalité. Il avait peut-être un certain respect pour Ducan, mais il demeurait un loup, n’exagérons rien…
S’emparant promptement du dossier qui devait être les analyses toxicologiques du mort, Eric l’ouvrit pour le parcourir de ses yeux clairs. Si en entrant dans la morgue il était plutôt morne et ennuyé, son intérêt commençait maintenant à être doucement éveillé. Le viking avait toujours été un être plutôt curieux même s’il savait se mêler de ses affaires.
Et son intérêt fut complètement éveillé lorsqu’il lut « substance inconnue ». Lorsque quelque chose était inconnu des humains, ça entrait forcément dans le champ de connaissance du shérif. Et lorsque lui-même ignorait les choses, il s’évertuait toujours à trouver une réponse où qu’elle soit. Il n’y avait qu’à voir son acharnement à découvrir ce qu’Eden avait de si spéciale pour être un appât à vampires comme il n’en avait jamais croisé en plus de mille ans d’existence.

▬ Ça te dis quelque chose?

Il espérait énormément que oui. Autrement, il devrait à son tour mettre son odora à profit et il n’avait pas vraiment envie de le faire. Il n’était même pas au dessus du cadavre que l’odeur qui s’échappait des entailles ne semblait pas très ragoûtante. Ce qui expliquait sans mal pourquoi il avait dit à Ducan de fourrer son museau là-dans, en effet! Règle numéro un du shérif, toujours faire faire son sale boulot par les autres. La règle numéro deux n’était pas de se ficher complètement de la présence du médecin légiste, mais c’était tout de même ce qu’Eric s’évertuait à faire, malheureusement pour la brune. Il n’en avait strictement rien à faire d’elle, alors pourquoi s’en soucier?

Règle générale, Ducan était un homme curieux et calculateur, un démon de fourberie qui ne laissait rien au hasard et gouvernait d’une main de fer, usant d’opportunisme pour atteindre ses fins, ainsi, tant qu’un décès ne touchait pas un membre de sa meute, il ne voyait aucun intérêt à s’incruster dans les affaires des autres. Il devait avoir un intérêt dans l’affaire sinon, c’était mort, c’est probablement pour cette raison que, contrairement à plusieurs double-natures beaucoup trop fiers pour admettre leurs limites, il avait reconnu les siennes et trouvé un arrangement amical avec le Sherrif du coin. Bon on s’entend, Eric ne serait pas son garçon d’honneur en cas de mariage ni le parrain de son premier gosse, mais il avait un certain respect pour le grand blond qui, avouons le, était à peu près ce qui se faisait de plus viril côté amitié du loup. Bénissons l’arrivée de Jake qui a sauvé la meute d’une descente au style hommes ayant fait le mauvais choix ! Ainsi donc, on comprend qu’il ait une sorte d’arrangement avec le géant, qu’il lui fasse part des nouvelles et qu’il conserve une entente distante… mais la raison pour laquelle il avait sollicité son aide ce soir là était toute autre. La victime – car oui, meurtre il y avait eu – n’était pas un loup de ses rangs, ni même une connaissance de notre leader, alors pourquoi s’en soucier? Parce que…c’était arrivé sur SON territoire, parce que ses informateurs lui avaient dit que le corps était étrangement lacéré … et surtout, parce qu’ayant mis les pieds sur la scène du crime, un bref cinq minutes, et à distance à cause de ses humains minables en uniforme, qui s’imaginaient tout savoir, il avait perçu une odeur étrange, et la cause de la mort restait inexpliquée. Hors, que ce cadavre soit des siens ou non, le fait qu’une menace plane était suffisante pour le forcer à écraser son égo et à demander de l’aide au viking. Après son épopée en collant et son mariage à Lily-Rose en mode princesse, mieux valait limiter les dégâts… Ainsi donc, mettant les pieds dans la morgue avec son collègue de sex-appeal (que les groupies soient entendues, oui, deux mâles hétéros, forts et célibataires, ça existe encore, puissent-ils y avoir des CT de ce type pour croiser notre route twinny twin!), il releva un regard remplis de dédain sur la femme qui OSAIT lui donner des ordres.

Qu’à cela ne tienne hein, notre sac à puce avait fort peu de respect pour les autres races dites « inférieures ». S’il tolérant quelques métamorphes, par obligation et par preuve de leur valeur, les humains étaient pour lui des insectes aussi insignifiants et faibles que la dernière des sous-espèces. Toujours à renier leurs instincts, des êtres détestables pour sur. Alors avant qu’il ne se prenne pour un médecin diplômé et qu’il enfile des gants, elle pouvait imaginer une centaine de fantasme l’impliquant, il n’allait certainement pas obéir! D’ailleurs, c’est avec un sourire en coin, un regard remplis de mépris et d’amusement qu’il ignora tout bonnement les indications de la fille pour se retourner vers le vampire qui lui aussi, avait décidé de prendre en charge les opérations et de lui filer des ordres. « Viens dont flairer ça. » Bon, pas qu’il soit à la botte d’Eric, on se le tien pour dit, mais tant qu’ils n’échangeaient pas des informations autour d’un bon verre et ce, en mode solo, ils n’étaient pas enclin à afficher leur bonne entente. Respecter un suceur de sang, d’accord, mais l’afficher publiquement? Non. Dans la tête de notre chef de meute, ce genre d’acceptation interracial devrait rester aussi discret et caché que l’orientation sexuelle de la fillette bridé qui se disait mâle viril dans ses rangs! Toujours avec son air assuré et franchement en contrôle – qu’on le surprenne à montrer son angoisse face à cette situation inexpliqué était impossible, il tira son plus beau sourire de chieur eu crocs pointu et lança, avec une voix rauque et pratiquement un grognement – signalant son manque d’approbation à l’idée d’être traité comme un chien :

▬ … Le tas d’entrailles ou la suicidaire qui s’imagine qu’on va écouter ses directives d’humaine? Tu crois qu’on pourrait pratiquer une autopsie sur son cadavre si elle continue à nous prendre pour ses employés?

Le façon dont il avait dit humaine, ça aurait pu sonner comme la pire insulte, tellement de mépris en un mot… Et tu souris Duc? Bah quoi! Si la pauvre fille n’appréciait certainement pas d’être référée en tant que potentielle cadavre futur, lui au moins, il trouvait sa blague marrante. Amateur incapable de comprendre que même dans des situations comme celles-ci, il faisait preuve de sarcasme et d’un esprit de bon vivant déconcertant. S’approchant donc de la carcasse lacérée, il s’inclina pour observer les plaies. Rien de beau, comme il l’avait déduit de loin, la taille des lacérations prouvait que ce n’était pas un meurtre inter-meute, aucun loup n’avait des griffes assez énormes pour faire ça… ni même aucun autre animal en même temps. Et la victime était un loup… alors la possibilité qu’un humain normal ait fait ça était aussi à proscrire non? Peut-être pas, certains chasseurs… mais notre loup refusait d’admettre que la sous-espèce ait pu gagner une manche! Quant aux vampires, franchement, un cadavre frais et encore plein de son jus? Impossible que ça soit l’œuvre d’un suceur de sang, ou alors un anorexique… « Ça te dis quelque chose? » Plissant le nez pour renifler – avec beaucoup de classe okay! – la carcasse, il fronça les sourcils en captant une odeur qui n’avait rien de rassurante. Et, oubliant toute civilité pour laisser sa curiosité le gagner, il enfonça ses doigts – non stérilisé, la pauvre fille allait bien faire une crise, dans une des entaille pour en écartes les pans de chairs, son regard s’assombrissant.

▬ J’veux pas faire mon rabat-joie Dracula, mais je ne pense pas qu’un loup, ou n’importe quel autre double-nature ait fait un truc pareil, on est assez balaise pour faire disparaître les corps… et tes chauves-souris ont plus de classe non?

Nouvelle tentative d’identifier l’odeur et ses doigts qui s’activent un peu plus à fouiller la plaie. Ok il allait faire un malheur sur le lieu de travail de la nécromancienne mais, la présentement, il s’en fichant, il enquêtait comme un pro. Là où Eric se contentait de lire avec classe, le rapport, lui faisait un mâle viril de sa personne et fouillait pour des indices. Quel beau duo *Q* Une complicité à toute épreuve, dans une autre vie ils auraient pu être des campagnards ivres qui baissent leur pantalons devant des Twinny… Que Dora excuse notre délire, revenons à nos moutons : Ducan en mode Indiana Jones de la mort. Le minois incliné vers la plaie, il poussa un grognement de frustration, n’arrivant pas à identifier clairement cette odeur qui l’emmerdait tant. Ça n’était pas la mort, ni même le sang… c’était…

▬ Du poison. Et un truc fort, les plaies en sont encore couvertes… Le truc qui a fait ça devait être énorme… Rien à voir avec les quelques humains qui s’imaginent qu’un peu d’argent liquide fait l’affaire… c’est un truc que je n’ai jamais vraiment senti…..Mais je te garanti que ça l’a condamné au moment de l’attaque!

… Un sourire chieur en direction du vampire – bah oui, il avait au moins le droit de se marrer en sachant qu’Eric serait probablement peu enclin à se servir de son nez… mais ça devait être fait :

▬ Si votre majesté aux dents pointues pouvait se résigner à offre son nez à la cause… à moins que…

Et oui, pauvre jeune femme, elle n’avait pas été oubliée et d’ailleurs, à voir l’œillade de pervers que lui tirait le chef de meute, il risquait de se souvenir d’elle quand l’envie de concevoir de la descendance se ferait sentir…AHAH, bref donc, il la fixait en s’exprimant avec toujours autant d’entrain, bah quoi, la curiosité, c’est le bien, et il n’allait pas déprimer à chaque fois qu’il voyait un cadavre!

▬ Cette fille puisse nous éclairer et avoir une autre utilité que son buste de rêve…

Mais quelle bande de... goujats ! Pour le moment, Pandora n'avait pas vraiment d'insulte plus appropriée pour définir l'attitude des deux hommes. Bon, à la limite, pour Collins elle pouvait comprendre – difficile de se montrer un tant soit peu intéressé par un humain quand on est un vampire relativement vieux – mais l'autre là... En plus, elle pouvait parier qu'il était plus jeune qu'elle. Peut-être pas de beaucoup, mais bon sang. Et puis, depuis quand on se contrefout des conseils d'un professionnel, hein ? Et qu'on ne lui ressorte pas l'excuse habituelle consistant à dire « t'es une femme, t'as rien à foutre à la morgue ! » Bordel de merde. Elle se retint de renvoyer un doigt d'honneur magistralement exécuté au brun, en guise de réponse à son regard condescendant. Bande d'enfoirés gonflés à la testostérone... Avec un soupir agacé, la jeune femme se laissa tomber sur une chaise et, calant ses coudes sur ses genoux, elle fourra son menton dans ses mains. Laissons-les faire. Pas comme si elle pouvait vraiment faire grand-chose (se mettre à dos l'un des vampires les plus influents de Shreveport n'était pas prévu dans son agenda) et puis la vengeance pourrait être lancée plus tard... Dora était patiente, oui. Heureusement, d'ailleurs.

« Viens dont flairer ça. » Flairer ? La nécromancienne haussa un sourcil. Elle comprenait mieux, maintenant. L'autre brun péteux devait être Sullivan, Jeremy lui en avait parlé comme étant le chef de la meute dont il faisait partie... Comprenait mieux pourquoi son faux petit frère avait parfois envie de lui coller son poing dans la figure, maintenant... « … Le tas d’entrailles ou la suicidaire qui s’imagine qu’on va écouter ses directives d’humaine ? Tu crois qu’on pourrait pratiquer une autopsie sur son cadavre si elle continue à nous prendre pour ses employés ? » Retiens-toi, Dora, retiens-toi de répondre quelque chose... Et pour une fois, la brunette retint sa langue et se contenta de plisser les yeux. Mais c'est qu'il commençait à lui courir sur le haricot, l'autre abruti, avec son sourire arrogant là !

Mais la vengeance arrivait plus vite que prévu. Dora retint un ricanement particulièrement moqueur quand Sullivan plongea directement les doigts dans une des plaies de son nouveau pensionnaire blond. Habituellement, elle aurait crisé comme jamais et lui aurait refilé une paire de claques, peu importe qu'il soit un vampire, un loup-garou ou je ne sais quoi, mais là c'était trop beau. Oh, Dieu que c'était bon de voir un petit con prétentieux se foutre lui-même dans la merde la plus totale ! Si ces deux mâles gonflés à bloc avaient bien voulu l'écouter, elle, la seule professionnelle présente dans la pièce... « J’veux pas faire mon rabat-joie Dracula, mais je ne pense pas qu’un loup, ou n’importe quel autre double-nature ait fait un truc pareil, on est assez balaise pour faire disparaître les corps… et tes chauves-souris ont plus de classe non ? » Et elle tenait toujours sa langue. Pour une fois, elle s'amusait presque. Dire qu'elle n'avait le sourire que rarement, d'habitude...

Et il y retournait ! Il recollait ses grosses paluches dans les plaies pleines de cette substance inconnue, mais dont elle connaissait parfaitement les effets ! Cette fois-ci, Pandora laissa échapper un léger gloussement, qu'elle étouffa tant bien que mal en se mordant le poing. « Du poison. Et un truc fort, les plaies en sont encore couvertes… Le truc qui a fait ça devait être énorme… Rien à voir avec les quelques humains qui s’imaginent qu’un peu d’argent liquide fait l’affaire… c’est un truc que je n’ai jamais vraiment senti…..Mais je te garanti que ça l’a condamné au moment de l’attaque ! » Ah, tu ne crois pas si bien dire, le poilu, même si certaines de tes suppositions sont légèrement fausses... « Si votre majesté aux dents pointues pouvait se résigner à offre son nez à la cause… à moins que… »

Son sourcil droit se haussa à nouveau et elle renvoya un regard particulièrement blasé à celui franchement lubrique que lui renvoyait Sullivan. « Cette fille puisse nous éclairer et avoir une autre utilité que son buste de rêve… » Le sourire qu'elle lui rendit fut glacial. « Ravie de voir qu'on se souvient quand même de moi. » Elle occulta complètement le compliment – vulgaire, certes, mais bien présent, il ne fallait pas le nier – pour se lever et quasiment arracher le dossier toxicologique des mains de môssieur le vampire. Non mais. « Premièrement, le loup, j'espère pour toi que tu n'avais pas de blessure sur les doigts, même minime. Le poison que tu viens de joyeusement renifler est un poison paralysant qui agit très vite. C'est bien pour ça que je vous avais dit de mettre des gants. » Dora ne se retint que difficilement de le traiter d'abruti dans la foulée, se contentant de légèrement secouer la tête.

« Ce qui a tué votre copain, là, c'est pas le poison. Un truc lui a complètement démoli la colonne vertébrale. » Elle désigna du menton les radios toujours affichées sur le mur lumineux. « A priori – et je dis bien à priori – j'aurais dit qu'un vampire se serait amusé. Je ne vois pas trop ce qui pourrait faire de tels dégâts sur une colonne vertébrale, on dirait qu'un tank lui est passé dessus. Mais bon, généralement, les vampires préfèrent sucer le sang de leurs victimes jusqu'à la moelle... et ne font pas ce genre de blessures. » Fronçant les sourcils, elle décida de jouer la carte de la complète honnêteté, puisqu'ils étaient entre créatures surnaturelles après tout... « Le plus bizarre, c'est que je n'ai pas réussi à rappeler son fantôme pour le questionner. C'est comme si on lui avait pris son âme au moment de sa mort. Sans ça, on aurait su ce qui l'a attaqué et ratatiné comme ça. » Et ça, ça froissait tout particulièrement notre nécromancienne. Depuis quand les esprits se dérobaient-ils à l'appel d'un sorcier, hein ?

▬ J’en ai rien à foutre, fait ton truc qu’on se tire d’ici.

Prendre aussi légèrement une proposition de meurtre? Comme Eric venait de le souligner à son homologue poilu, il n’en avait strictement rien à foutre. Il avait mieux à faire que d’enquêter sur quelque chose qui « pourrait être. » Lui, grognon? Il ne fallait pas en espérer moins d’un vampire qui était venu à reculons dans cet endroit. Certes, il était du genre curieux. Normalement, Ducan ne s’emballait pas pour rien et ne le trainait pas de force à la morgue pour de maigres conjonctures. Malgré cela, pourtant, Eric n’avait aucune envie de trainer dans une morgue que la médecin légiste soit bien roulée ou non. Des filles, il y en avait à la pelle au Fangtasia, le viking n’avait pas besoin de venir dans un endroit qui empestait le cadavre et l’antiseptique. Et surtout pas un endroit où une humaine croyait avoir le pouvoir de dire quoi que ce soit.
Visiblement, le shérif n’était pas le seul à penser de cette manière, le chef de meute ignorant superbement la brune à son tour pour se pencher sur le corps et faire comme Eric le lui avait demandé. Le loup le prenait-il pour un imbécile ou quoi?

▬ Non, sans rire?

Évidemment qu’un loup n’avait pas pu faire ça. Un vampire n’aurait pas agit de la sorte non plus. Qu’est-ce qui avait pu faire ça? Si ça n’avait été qu’un humain, il n’y aurait pas la présence de cette substance inconnue. Et puis, il s’agissait tout de même d’un loup. Un simple humain aurait eu beaucoup de mal à mettre cette bête dans l’état où elle se trouvait actuellement. Le visage plat et sans la moindre émotion, Eric cachait très bien son intérêt naissant pour cette affaire. Être en parfait contrôle, comme toujours, était une nécessité pour le géant du nord. Aucun signe d’incertitude ne devait filtrer et surtout pas devant un loup et une humaine. Complètement risible comme situation!
Pourtant, si Dieu il y avait, celui-ci avait une dent contre le viking – d’une certaine manière c’était parfaitement plausible vu tout ce qu’Eric a accompli en pêché à travers les siècles. Le museau de Ducan n’arrivant à rien de très concluant, le chef de meute sommait le shérif de venir mettre son odora à profit. Dire que ça sentait toxique jusqu’ici, il n’avait aucune envie de s’approcher de la source de ce parfum nauséabond.

Tirant la gueule, visiblement peu enchanté de devoir le faire, le grand blond eut pourtant une échappatoire en la personne de… il se fichait complètement du nom de cette médecin légiste. Si elle pouvait juste lui éviter de renifler cette chose, peut-être qu’il lui laisserait la vie… ou pas. Ce qu’elle avait à dire était si inutile et barbant. Était-elle réellement en train de se la jouer « j’ai du caractère » avec un vampire vieux de mille ans et des poussières? Soit elle était complètement folle, soit elle n’avait pas la moindre idée de qui il était. Autrement, elle prendrait sagement son trou et se contenterait de répondre aux questions en priant pour sa vie.
Maintenant qu’elle lui avait pris le dossier, coupant court à sa lecture, le vampire croisa les bras pour éviter de lui défoncer la tête tout de suite. Qui sait, elle avait peut-être quelque chose de réellement intéressant à dire avant son trépas… ou pas. Non, mais elle croyait quoi? Lui faire un cours 101 sur comment les vampires tuent. À lui? Sérieusement? Option un, cette femme était complètement folle.

▬ Je sais comment les vampires tuent merci, tu veux peut-être que je te montre?

Grognon, le viking n’attendait qu’une chose, qu’elle leur dise un truc qu’ils ignoraient! Eh bien le vampire était servi. Elle parlait avec les fantômes. Nécromancienne donc. Ce genre de sorcier n’était pas très apprécier des vampires et pour cause. Avoir un contrôle sur les choses mortes n’était pas un truc dont les gens morts étaient forcément heureux. Il faudrait donc garder cette légiste à l’œil. Ou la tuer tout de suite, ça pouvait très bien le faire aussi. Moins dérangeant, plus expéditif et il pourrait très vite passer à autre chose! Oui, la tuer semblait être une idée de choix.

▬ À ta place je laisserais les morts là où ils sont. Si celui-ci ne se montre pas c’est peut-être simplement parce que tu l’emmerdes autant que tu m’emmerdes moi.

Glaciel, dénué de toute émotion, du Eric à cent pourcent. Rien de bien surprenant. Une mise en garde comme lui seul savait les faire. À demies voilées et aussi froides qu’une lame de couteau plantée dans le dos. Ce n’est pourtant pas la première fois que nous soulevons le problème d’Eric en matière de relations interpersonnelles.
Ne se préoccupant déjà plus de la sorcière au sort encore en délibération, le géant blond se rapprocha du cadavre tout en portant un regard vers le loup.

▬ Cette fille sait rien, laisse tomber. Si elle n’a pas de fantôme pour lui dicter quoi répondre, elle n’a aucune réponse à fournir.

Plutôt bas de s’attaquer ainsi au professionnalisme de quelqu’un qu’il ne connaissait même pas. Vrai. Mais ce n’était pas comme si Eric s’en souciait! Pourtant, les apparences étaient contre la brune aux yeux du vampire. Pas de fantôme, pas de réponse. Elle était comme un enfant qui tentait de tricher à un examen, mais qui n’avait plus les réponses sous la main. Du beau gros rien bien inutile! Qu’une vaine tentative de montrer qu’elle savait de quoi elle parlait en faisant un petit cours sur l’art de tuer des vampires. Et Ducan l’avait dérangé pour ça?
Penchant le buste vers le cadavre, le viking donna un petit coup de narine pour humer l’air avec attention. Odeur putride de cadavre mélangée à celle d’un truc qui lui brûlait les glandes nasales. Il n’avait jamais senti un truc pareil et en plus de mille ans d’existence, ça en faisait une très longue liste qui venait d’être biffée d’un coup sec. S’appuyant sur les rebords métalliques de la table d’autopsie, le blond leva ses yeux bleus sur son vis-à-vis sans un seul regard pour la légiste.

▬ Quoi que ce soit, ce truc est vieux et très rare.

En clair, il ne savait pas ce que c’était et pour qu’il n’ait jamais croisé ça dans sa longue existence, c’était forcément un truc qui ne courrait pas les rues.

Ah les virées entre mec, avec Eric en prime, toujours amusantes… ou du moins, hors de la normale, parce qu’outre une assez bonne complicité et un plaisir partagé pour se faire chier et s’insulter en tout respect, les deux géants, totalement narcissiques, totalement calculateur et beaucoup trop fourbe pour leurs propres biens n’avaient rien des meilleurs amis du monde. Un respect prudent, voilà ce qui les unissait, et c’était suffisait pour savoir qu’en cas de problème, ils pourraient compter l’un sur l’autre… Ou du moins, sur la cervelle et l’esprit d’analyse de l’autre! Et en ce moment, dans cette morgue, avec cette suicidaire qui osait leur faire de l’attitude avec ses os aussi délicats que ceux d’un poulet – quand on y pense, elle avait des airs de famille avec les dindes – ça semblait être une denrée rare, la cervelle! Si ça n’avait pas été du danger imminent et de la mort d’un des siens, Ducan aurait pu prendre son sang froid et arracher la tête de cette emmerdeuse. Bah… dans le pire des cas, il pourrait très certainement compter sur Eric pour se débarrasser du corps, s’ils avaient un truc en commun, c’était surement leur mépris pour l’humanité! Ignorant donc les ordres de la poule en uniforme de médecin qui gaspillait sa salive à leur donner des ordres.

Le chef de meute c’était penché sur le cadavre et y avait plongé ses doigts, sans aucune délicatesse. Lui, suicidaire? Pas du tout. Il avait un assez bon odorat, merci, et il n’était pas stupide au point de se paralyser, ou de mettre ses doigts dans un poison mortel comme ça. Il n’avait pas senti de danger voilà. Alors, pas de chance poulette, il aurait encore l’usage de ses membres, et surtout de sa langue, pour lui pourrir la vie! Comme il regrettait ses femelles bien dressées soudainement, Lily-Rose et Tiffany étaient un vrai charme comparée à cette sous-race de créature qui s’imaginait pouvoir donner son opinion. Pire, qui s’imaginait que son baratin était intéressant… « Premièrement, le loup, j'espère pour toi que tu n'avais pas de blessure sur les doigts, même minime. Le poison que tu viens de joyeusement renifler est un poison paralysant qui agit très vite. C'est bien pour ça que je vous avais dit de mettre des gants. » Et probablement lui arracher la tête si elle continuait à avoir ce petit air moqueur. Cette fille se prenait pour qui! S’approchait d’elle, les doigts encore gluants de sang et de substance inconnu, il se contenta de les essuyer sur la joue de la doctoresse, en abordant son sourire de connard professionnel.

▬ Pas assez vite il faut croire. Malheureusement tu parles encore. Mais prends encore une fois ce ton avec moi, et j’te jure que tu vas prier pour être paralysée parce que j’te refais le portrait.

Une fois les mains bien propres – il avait fini le boulot sur l’uniforme de la demoiselle, il s’était approché d’Eric avec un sourire entendu. Oui, lancer la balle à ce démon aux dents pointues était toujours divertissant. « Ce qui a tué votre copain, là, c'est pas le poison. Un truc lui a complètement démoli la colonne vertébrale. A priori – et je dis bien à priori – j'aurais dit qu'un vampire se serait amusé. Je ne vois pas trop ce qui pourrait faire de tels dégâts sur une colonne vertébrale, on dirait qu'un tank lui est passé dessus. Mais bon, généralement, les vampires préfèrent sucer le sang de leurs victimes jusqu'à la moelle... et ne font pas ce genre de blessures. » Autant que de savoir qu’il allait s’abaisser à devenir un chien pisteur. Ouai bon, ça c’était avait que Mlle je-sais-tout ouvre une fois de plus sa cavité buccale pour un truc beaucoup moins utile que de se ficher à genoux devant le loup – donner un cours 101 de meurtre vampiresque. « Je sais comment les vampires tuent merci, tu veux peut-être que je te montre? » Alors là, que dieu nous pardonne, mais le brunet avait laissé échapper un rire sec, en tirant un regard entendu vers le géant viking. Cette fille avait devant elle le plus grand tueur de sang chaud du pays, et elle lui expliquait précisément les habitudes de sa race? C’était tout bonnement minable. Et pour la peine, le chef de meute ne pouvait que pousser un rire sec, profondément amusé par le ton exaspéré et les menaces du mort vivant. Faire la leçon à Eric, cette poche à sang avait visiblement une déficience mentale aigue ou alors, une envie de mort… Son rire s’arrêta pourtant sec lorsqu’elle se mit à parler de fantôme…« Le plus bizarre, c'est que je n'ai pas réussi à rappeler son fantôme pour le questionner. C'est comme si on lui avait pris son âme au moment de sa mort. Sans ça, on aurait su ce qui l'a attaqué et ratatiné comme ça. » Voyez vous cela, une nécromancienne. Le regard bleuté du loup se mit à briller d’une étincelle dorée alors qu’il s’approchait d’elle. « À ta place je laisserais les morts là où ils sont. Si celui-ci ne se montre pas c’est peut-être simplement parce que tu l’emmerdes autant que tu m’emmerdes moi. » Si un autre sac à puce y aurait vu une arme redoutable pour éliminer les vampires, le chef de meute voyait plus loin. Cette fille était dangereuse, autant pour sa race que pour les autres, si elle décidait de devenir nuisible. En espérant qu’elle ne puisse que communiquer avec les fantômes. Ainsi donc, il dériva son attention sur elle, ses prunelles brillant toujours avant qu’il ne jette un regard interrogateur au vampire. Lui, la tuer là, ça lui ferait plaisir hein… « Cette fille sait rien, laisse tomber. Si elle n’a pas de fantôme pour lui dicter quoi répondre, elle n’a aucune réponse à fournir. » .. Alors comme ça, ils n’allaient pas la tuer tout de suite? Qui sait…

▬ J’sais pas toi, mais j’ai pas envie d’un animal domestique incapable de faire un seul tour… on doit vraiment la laisser respirer…c’est qu’elle est chiante.

Parler de son sort d’un ton détaché en s’approchant du cadavre? Totalement. Cette fille, il s’en fichait éperdument. Au pire, il la ferait tuer. Ah, quel homme charmant. Il allait pousser une nouvelle blague en voyant le vampire se pencher mais lorsqu’il annonça d’un ton grave que la créature était vieille, le loup redevint sérieux, figé, le dos droit, le regard brillant.

▬ … En d’autres mots, on a un problème.